La première affaire CIRDI présentée par des investisseurs de la Chine continentale est rejetée pour une question de compétence
Ping An Life Insurance Company of China, Limited et Ping An Insurance (Group) Company of China, Limited c. le Royaume de Belgique, Affaire CIRDI n° ARB/12/29
Dans une décision datée du 30 avril 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté ce qui est considéré comme la première affaire présentée au CIRDI par des investisseurs de la Chine continentale.
Le contexte
En 2007, les demandeurs – deux géants chinois de l’assurance – sont conjointement devenus le premier actionnaire du groupe Fortis, un groupe bancaire et d’assurances international, régi par les autorités belges, néerlandaises et luxembourgeoises. Après la crise financière de 2008, Fortis a connu d’importantes difficultés en termes de liquidités. Afin de sauver Fortis, le gouvernement belge a pris une série de mesures qui a entrainé la nationalisation de la filiale belge du groupe. Cette restructuration a entrainé une dilution des intérêts des actionnaires (notamment des demandeurs) de Fortis. Comme les mesures n’ont pas suffi à sauver Fortis, la Belgique a vendu, début 2009, la filiale belge à BNP Paribas, ce qui aurait entrainé la perte pour les demandeurs de la majeure partie de leur investissement dans le groupe Fortis.
Deux TBI
L’affaire se fondait sur deux traités bilatéraux d’investissement (TBI) : le TBI de 1986 signé entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) et la Chine, et le TBI de 2009 UEBL-Chine qui remplace le précédent. Ces deux traités contiennent des obligations matérielles de protection et de traitement équitable, et précisent les conditions de l’expropriation et de la nationalisation. Toutefois, les dispositions relatives au règlement des différends contenues dans le TBI de 1986 étaient bien plus restrictives que celles du TBI de 2009. En l’occurrence le TBI de 1986 octroie la compétence exclusive sur « tous les différends » à l’échelon national ; l’arbitrage international ne peut être invoqué qu’en vue de déterminer le montant de l’indemnisation en cas d’expropriation. En comparaison, le TBI de 2009 contient une clause de règlement des différends bien plus large, qui prévoit que l’investisseur peut choisir de soumettre tout différend juridique l’opposant à un État à l’arbitrage international du CIRDI.
En octobre 2009, deux mois avant l’entrée en vigueur du TBI de 2009, les demandeurs ont envoyé leur notification de demande d’arbitrage aux autorités belges faisant référence au TBI de 1986. En 2012, les demandeurs ont contacté le gouvernement belge pour confirmer que le courrier daté d’octobre 2009 constituait une notification de demande d’arbitrage au titre du TBI de 2009, et ont ensuite présenté une requête formelle d’arbitrage auprès du CIRDI sur la base de la clause d’arbitrage du TBI de 2009. En revanche, le fond du recours se basait intégralement sur les obligations matérielles du TBI de 1986 et sur les principes généraux du droit international.
Les débats
La Belgique a présenté un total de cinq objections à la compétence. Après s’être prononcé en faveur de la Belgique sur la première objection, ratione temporis, le tribunal n’a pas examiné les quatre objections restantes.
La Belgique arguait que le différend était survenu avant l’entrée en vigueur du TBI de 2009, qui ne couvrait que les violations de ce traité ou d’autres traités existants, et qui n’incluait pas les obligations découlant du TBI de 1986 ni les principes généraux du droit international sur lesquels les demandeurs avaient fondé leur recours.
Après examen des décisions et sentences précédentes rendues par les tribunaux internationaux quant au principe de non-rétroactivité dans le droit international, le tribunal a remarqué que ce principe n’était pas pertinent en l’espèce puisque « l’application temporelle des dispositions relatives à la compétence [était] une question distincte de celle de la rétroactivité des dispositions matérielles » (para. 186) ; et que « l’application d’un nouveau mécanisme de règlement des différends aux actes éventuellement illicites au moment où ils ont été commis ne [constituait] pas en soi une application rétroactive du droit » (para. 218).
Le tribunal s’est ensuite attaché à interpréter la clause d’arbitrage du TBI de 2009, notamment pour déterminer si celle-ci couvrait les différends notifiés avant l’entrée en vigueur du TBI mais qui ne faisaient toutefois pas l’objet d’une procédure judiciaire ou arbitrale formelle avant l’entrée en vigueur du TBI. S’appuyant sur les six indicateurs suivants, le tribunal a finalement déterminé que les parties au traité n’avaient pas l’intention que le TBI de 2009 s’applique à ces différends.
Le tribunal a examiné en premier lieu le « sens ordinaire » des dispositions relatives à l’arbitrage du TBI de 2009 et détermina qu’elles faisaient référence aux différends à venir plutôt qu’aux différends déjà soulevés, puisque le libellé du TBI de 2009 précise : « [l]orsqu’un différend survient […] l’une ou l’autre des parties au différend notifie […] » et non pas « est survenu » ou « aura notifié » (para. 224).
Ensuite, le tribunal détermina qu’aucun élément du préambule du TBI de 2009 ne pouvait étayer la position des demandeurs, et se refusa d’y remédier en procédant à une interprétation créative.
Troisièmement, le tribunal remarqua que le TBI de 2009 couvrait expressément les investissements réalisés avant son entrée en vigueur mais pas les différends survenus avant cette date.
Quatrièmement, bien que le TBI de 2009 précisait clairement qu’il ne couvrait pas les différends faisant déjà l’objet d’une procédure judiciaire ou arbitrale avant son entrée en vigueur, le tribunal rejeta l’argument des demandeurs selon lequel l’on pouvait en déduire que les différends survenus antérieurement déjà notifiés mais ne faisant pas l’objet d’une procédure judiciaire ou arbitrale seraient couverts.
Cinquièmement, le fait que le TBI de 2009 substituait et remplaçait celui de 1986 ne permettait pas de déduire que les différends « notifié mais pas entamés » survivraient au titre du TBI de 2009.
Finalement, le tribunal étudia les effets éventuels découlant du fait d’autoriser le recours, et se dit préoccupé par le fait que les demandeurs recevraient alors accès à un mécanisme de règlement des différends beaucoup plus large par la seule entrée en vigueur en 2009 du TBI, sans le consentement express des parties contractantes.
Les décisions finales
Reconnaissant que malheureusement certains différends, y compris celui-ci, « peuvent se retrouver dans un ‘trou noir’ ou dans un ‘vide arbitral’ entre les deux TBI » (para. 207), le tribunal a toutefois déterminé qu’aucun des éléments du TBI de 2009 ne justifiait d’étendre sa couverture au règlement de ces différends. Il n’a toutefois pas écarté la possibilité pour les demandeurs de chercher d’autres voies de recours, notamment en lançant une nouvelle demande (investisseur-État ou entre États) au titre du TBI de 1986 par le biais de sa clause de survie, ou de lancer une procédure devant les tribunaux belges.
Le tribunal ordonna aux parties de partager les frais du tribunal et du CIRDI, et de payer chacune ses propres frais de représentation.
Remarques : Le tribunal était composé de Lord (Lawrence) Collins de Mapesburty (président nommé sur accord des coarbitres, de nationalité britannique), de David A.R. Williams (nommé par les demandeurs, de nationalité néozélandaise), et de Philippe Sands (nommé par le défendeur, de nationalité franco-britannique). La décision est disponible surhttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4285.pdf.
Joe Zhang est conseiller en droit international et travaille pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.