Les réformes de la fiscalité internationale progressent avec de lourdes conséquences pour le secteur minier
Le Cadre inclusif de l’OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices avance des propositions susceptibles de transformer la fiscalité internationale, avec des implications potentiellement importantes pour les pays en développement riches en ressources naturelles.
Les 14 et 15 janvier 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a procédé à une consultation publique portant sur les derniers Blueprints des Piliers Un et Deux afin d’examiner les défis fiscaux engendrés par la numérisation de l’économie. L’objectif principal du « projet de taxe numérique » de l’OCDE est de s’assurer que les entreprises numérisées exerçant des activités commerciales dans des endroits où elles n'ont pas de présence physique s’acquittent d’un impôt dans ces juridictions. Néanmoins, les propositions sont en réalité beaucoup plus larges et comportent des incidences potentielles pour l'exploitation minière. Les pays riches en ressources doivent porter une attention particulière à ce que les réformes ne compromettent pas le recouvrement des recettes provenant du secteur minier.
Dans un commentaire antérieur datant de mars 2020, les pays riches en ressources ont été prévenus que l’exploitation minière n'était pas exemptée des réformes mondiales entreprises en matière de fiscalité numérique et que le montant des revenus en jeu serait potentiellement très important si les réformes étaient mises en œuvre. Depuis lors, le Cadre inclusif de l’OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (CI) a peaufiné ces propositions. Le Pilier Un (262 pages) et le Pilier Deux (276 pages) ont été publiés en octobre 2020 en même temps qu’une évaluation de l’impact économique des propositions (324 pages). L’OCDE a également compilé et publié des commentaires provenant d’un éventail de parties prenantes.
Que signifient ces développements récents pour l’imposition du secteur minier ? Le présent commentaire examine dans quelle mesure les derniers Blueprints répondent aux préoccupations soulevées l'année dernière, ainsi qu'aux nouveaux enjeux qui sont apparus depuis. Il indique également des points de discussion importants pour les pays membres du Forum intergouvernemental sur l’exploitation minière, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF) en amont d’un exposé plus détaillé prévu dans les mois à venir.
Dans l'ensemble, la réforme reste sur la même voie. Malgré de sérieuses critiques affirmant que la proposition est à la fois trop complexe et pas assez audacieuse, le Secrétariat de l’OCDE maintient son approche fondée sur deux piliers. Le Pilier Un crée un nouveau droit d’imposition pour les entreprises vendant des biens et services par voie numérique dans les pays où leurs utilisateurs ou consommateurs se situent physiquement (les « pays marchés »). Le Pilier Deux traite de la concurrence fiscale et du transfert des bénéfices dans tous les secteurs économiques au moyen de règles garantissant que tous les bénéfices mondiaux des entreprises multinationales soient imposés au moins à un taux d'imposition effectif minimum. Ainsi, bien qu'elle soit considérée comme une réforme fiscale numérique, cette initiative est en fait bien plus large et requiert l’attention du secteur minier.
Le Pilier Un : Attribution de droits d’imposition au pays marché
Montant A : Établissement d’un nouveau droit d’imposition dans le pays marché
La question principale des pays riches en ressources en ce qui concerne le Pilier Un a été abordée. Le dernier Blueprint exclut clairement les industries extractives — minières et pétrolières — du nouveau droit d'imposition proposé qui attribuerait une part des bénéfices mondiaux des multinationales aux pays marchés (également appelé « Montant A »). Cela est tout à fait approprié. Les minéraux sont des produits génériques qui sont vendus et tarifés sur la base de leurs caractéristiques intrinsèques plutôt qu’en fonction d'autres facteurs tels que la stratégie commerciale. La compétence fiscale primaire appartient à juste titre au pays producteur de ressources, une position avec laquelle l'OCDE est d'accord, ce qui a conduit à exclure de la réforme toute la chaîne de valeur minière. La seule exception possible à cette exclusion concerne les pierres précieuses, qui sont susceptibles de tirer profit des stratégies de commercialisation.
Amount B: Allocates a fixed return to marketing activities in the market country
Le Montant B attribue un rendement fixe sur les ventes à des entités pertinentes disposant déjà d’une présence physique et imposable dans le pays marché et exerçant des activités de base afin de commercialiser leurs biens et services dans cette juridiction. Pour l’instant, l’extraction minière ne bénéficie d’aucune exception. Bien que les approches qui s’appuient sur des formules présentent certains avantages, un rendement fixe sur les ventes n'est pas approprié pour les services de commercialisation dans le secteur minier.
La commercialisation joue un rôle limité dans la vente des produits minéraux et ne devrait pas bénéficier d’ un rendement fixe sur les ventes.
La commercialisation joue un rôle limité dans la vente des produits minéraux. D’après le Conseil international des mines et des métaux, « les minéraux et les métaux sont des actifs physiques dont la valeur générée par des facteurs de commercialisation incorporels est limitée » . Il faudrait soit exclure les industries extractives de ce dispositif de rendement fixe sur les ventes, soit élaborer une règle propre à ces industries.
Idéalement, une règle spécifique aux industries extractives inclurait également les pôles de commercialisation situés dans les juridictions à faible taux d'imposition, car ils constituent une source majeure de transfert de bénéfices dans le secteur minier. La règle attribuerait tous les bénéfices de la vente de minéraux au pays producteur de ressources, sauf dans la mesure où l'entité de commercialisation pourrait prouver qu'elle a contribué à une hausse de la valeur marchande au-delà d’un pourcentage nominal des revenus du groupe, auquel cas elle obtiendrait un rendement fixe sur les coûts d'exploitation. Cela réunirait les aspects de formule et de simplification du Montant B proposé, mais en mettant l’accent sur la lutte contre les abus dans le secteur minier en particulier.
Montant C : Établissement d’un processus de résolution des litiges ayant pour origine le rendement fixe (Montant B)
Bien que cette section soit désormais rebaptisée « Sécurité juridique en matière fiscale », elle continue néanmoins d’accorder une grande importance aux procédures contraignantes de règlement des différends. Même si ce mécanisme obligatoire et contraignant ne constitue plus la seule option de règlement des différends depuis l’ajout d’un processus de prévention des différends, il s'applique désormais à « l’ensemble des différends relatifs aux prix de transfert et aux ajustements des établissements stables », et pas seulement aux différends découlant de l'attribution des bénéfices au pays marché. Cela met les différends fiscaux internationaux à l’écart du droit interne, ce qui a pour effet de saper considérablement la souveraineté nationale.
Le Pilier Deux, également appelé la Règle globale de lutte contre l’érosion de base d’imposition (GloBE) : Un taux d'imposition effectif minimum
Le manque de détails concernant le Pilier Deux rendait difficile l'évaluation de la proposition l'année passée. Le Blueprint fournit des détails sur de nombreuses questions précédemment identifiées, détails qui seront analysés de près dans le cadre d'une prochaine note technique. Les points les plus importants sont exposés ci-après.
Sous les règles GloBE proposées, les pays riches en minéraux peuvent espérer que les entreprises soient moins incitées à profiter des échappatoires fiscales qui dépendent des paradis fiscaux - mais plusieurs composantes de la proposition pourraient poser problème.
L’objectif des règles GloBE est désormais clair : il s’agit de supprimer les incitations pour les entreprises multinationales à transférer leurs bénéfices de leurs pays d'opération ou de résidence vers des pays à faible niveau d’imposition ou vers des centres d'investissement. Il crée donc un impôt minimum, qui sera déclenché dès qu'une entreprise multinationale paie moins d'impôts que le taux d'imposition minimum convenu, en proportion de ses bénéfices, dans un pays et en une année donnés. La différence peut alors être perçue par l'administration fiscale du pays où se trouve le siège social de l'entreprise.
Avec la proposition actuelle, les pays riches en minéraux peuvent espérer que les entreprises soient moins incitées à profiter des échappatoires fiscales qui dépendent des paradis fiscaux. Ce changement serait bienvenu compte tenu du nombre de cas dans lesquels des sociétés minières transfèrent des bénéfices vers des centres de commercialisation « offshore » ou acheminent leurs prêts intersociétés via des sociétés fictives situées dans des juridictions à faible taux d'imposition. Cela dit, plusieurs composantes de la proposition pourraient poser problème pour les pays en développement :
- La valeur seuil permettant l’inclusion des entreprises dans le Pilier Deux est fixée à 750 millions d’EUR de recettes annuelles brutes consolidées globales, un montant qui est susceptible d'exclure de nombreuses entreprises opérant dans les pays en développement.
- La façon d’évaluer les impôts et bénéfices pour calculer un taux d'imposition effectif par pays et par année sera différente des règles fiscales locales, qui permettent généralement une dépréciation plus rapide des dépenses d'exploration et de développement, ces dernières étant importantes dans le secteur minier. La plupart des projets miniers en période de recouvrement des coûts déclarent donc des bénéfices dans leurs états financiers mais pas de bénéfice imposable, une situation qui s'inverse avec le temps. Durant cette période, le taux d’imposition effectif de la mine peut paraître inférieur au minimum, ce qui obligerait la mine à payer des impôts à une juridiction étrangère avant le pays propriétaire des ressources et augmenterait sa charge fiscale globale.
- De par leur conception, les règles GloBE créeraient plus de revenus directs pour les pays plus riches et plus grands, où se situent les sièges sociaux des sociétés minières, que pour les pays en développement.
Les règles GloBE sont parfois critiqués pour leur manque d’ambition. Conçu différemment, un impôt minimum pourrait mettre fin à la « course vers le bas » en s'attaquant à la concurrence fiscale non seulement des petits États agissant comme des paradis fiscaux, mais aussi entre les pays riches en ressources. Une telle modification exigerait une coordination de la part des pays concernés et des changements importants par rapport à la proposition actuelle. Par exemple, le taux d'imposition effectif minimum devrait être fixé à un taux plus élevé. Des exemples illustratifs dans le Blueprint et l'évaluation de l'impact économique publiée emploient des taux allant de 7,5 % à 17,5 %. Ces options seraient insuffisantes pour empêcher les pressions à la baisse exercées sur les taux réglementaires dans le secteur minier, qui sont généralement de 30 %.
Que peuvent faire les gouvernements des pays riches en ressources ?
Au fur et à mesure que la réforme progresse à l’échelle internationale, il est important que les gouvernements élaborent des positions qui défendent leur droit actuel et futur d’imposer leurs ressources naturelles. Au-delà de l'équipe de négociateurs fiscaux internationaux participant au CI (provenant généralement du ministère des finances), d’autres services pertinents de l'administration fiscale ou du ministère des mines devraient être consultés. Le Secrétariat de l’OCDE a partagé avec chaque gouvernement national une évaluation spécifique à chaque pays de l’impact économique des Blueprints portant sur la réforme. Les Etats devraient examiner ces évaluations entre les administrations concernées. En outre, les gouvernements de pays ayant des intérêts similaires pourraient renforcer davantage leurs positions à travers des plateformes régionales telles que le Forum africain sur l’administration fiscale (ATAF) ou en adoptant une position commune au moyen d’un forum comme l’IGF.
Inévitablement, certains risques de transfert de bénéfices spécifiques au secteur minier ne pourront pas être traités par ces réformes fiscales internationales. Ces risques, ainsi que d'autres défis en matière de recouvrement des recettes, seront pris en compte dans le cadre de La fiscalité minière du futur, un projet conjoint entre IGF et ATAF qui vise à identifier et à populariser les politiques innovantes en matière de fiscalité et de génération de recettes pour le secteur minier.
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