Commerce alimentaire et agricole dans le nouvel environnement politique : Comment les membres de l’OMC peuvent-ils appuyer la reprise économique et la résilience ?
Le commerce des denrées alimentaires et des produits agricoles a été frappé de plein fouet par la crise de la COVID-19 et par des tensions entre les grandes économies, entraînant une baisse de la sécurité alimentaire des populations vulnérables. Le 17 novembre dernier, l’IFPRI, l’IISD et Akademiya2063 ont organisé un dialogue régional virtuel à l’attention de l’Afrique francophone afin d’examiner les questions pertinentes auxquelles ce continent est confronté en amont de la douzième Conférence ministérielle de l'OMC (CM12).
Parmi les panélistes figuraient des hauts fonctionnaires du Bénin et du Niger, des experts de l’IFPRI et de l’OMC ainsi qu’un intervenant de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA).
COVID-19 : les produits de base en grande partie épargnés et une demande en baisse pour d’autres produits d’exportation
Francine Picard, animatrice de l’événement et conseillère politique à l’IISD, a commencé la discussion en demandant aux participants comment la COVID-19 avait affecté les marchés de produits alimentaires et agricoles – la première de quatre thématiques abordées par les panélistes.
Comme d'autres régions du monde, les pays africains ont bénéficié des réserves solides qui existaient avant l’éclosion de la pandémie, a déclaré David Laborde, chargé de recherche principal à l’IFPRI.
M. Laborde a précisé que le commerce des produits de base avait été moins durement touché que d'autres secteurs, tels que les fruits et légumes ou les fleurs coupées – pour lesquels une demande en baisse et une forte diminution des transports aériens avaient affecté de manière disproportionnée les marchandises transportées par avion et d'autres produits périssables non essentiels.
Mais la COVID-19 a également exacerbé d’autres problèmes auxquels sont confrontés les pays de la région, a souligné Françoise Assogba Komlan, secrétaire générale du ministère béninois de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, en donnant comme exemple la décision de fermer la frontière du Nigéria.
Dans le même ordre d’idées, Mounkaila Hassane, directeur général du ministère nigérien du commerce, a évoqué l'impact des inondations sur la riziculture en Afrique de l'Ouest.
Des mécanismes d'adaptation en place
En même temps, les panélistes ont insisté sur le fait que les gouvernements avaient mis en place des mécanismes d'adaptation qui ont jusqu'à présent aidé les populations à affronter la tourmente. Comme l’a signalé M. Hassane, le commerce alimentaire était souvent exempté des mesures de fermeture des frontières, tandis que Mme Assogba a expliqué que les producteurs béninois avaient bénéficié d'une aide au stockage provenant de la production excédentaire.
Doaa Abdel-Motaal, conseillère principale à la Division de l’agriculture et des produits de base de l’OMC, a rappelé que de nombreux gouvernements avaient collaboré pour émettre des déclarations de haut niveau demandant que le commerce des produits alimentaires et agricoles reste ouvert pendant la crise et que des mesures soient prises pour maintenir le fonctionnement normal des chaînes d'approvisionnement.
Néanmoins, les mesures de santé publique limitant la circulation des personnes avaient également entravé le commerce des produits alimentaires et agricoles, a affirmé M. Hassane – alors que des alternatives telles que le commerce électronique restent peu développées dans de nombreuses régions d'Afrique.
« Ce genre de crise, ce n'est pas la dernière fois », a déclaré Ousmane Badiane, président exécutif d’Akademiya2063, en soulignant l'importance de se préparer à de nouveaux chocs à l'avenir.
Des règles commerciales pour protéger les plus faibles
Mme Picard a également demandé aux participants d’expliquer comment l’Afrique avait été affectée par des tensions entre les grandes économies – telles que la « guerre commerciale » entre les États-Unis et la Chine qui a fait la une des journaux pendant l'administration de Trump.
Antoine Bouët, directeur de recherche à l’IFPRI, a dit que les pays africains ont dû naviguer à travers une marée montante de protectionnisme – bien qu'il ait également reconnu que cela pourrait maintenant changer.
En particulier, la baisse de la croissance économique dans des pays tels que la Chine pourrait entraîner un recul des exportations africaines de certains produits vers ces marchés, a prévenu Fadel Ndiame, vice-président de l’AGRA. Il a insisté sur le fait que les économies africaines sont souvent peu diversifiées et dépendent fortement d’une poignée de produits non transformés tels que le coton et le café.
En même temps, Mme Assogba a mis en évidence l’opportunité pour l'Afrique d'intervenir et de combler le vide laissé par le recul des exportations agricoles dans d’autres régions du monde. Les droits de douane et les mesures de rétorsion appliqués au commerce agricole ont conduit la Chine à rechercher de nouveaux fournisseurs pour des produits agricoles clés tels que le soja, un produit largement utilisé pour l'alimentation animale.
M. Bouët a averti que dans le contexte de l’OMC, les pays africains ont peu fait appel au règlement des différends, qui vise à désamorcer les tensions commerciales et à fournir une voie pacifique pour régler les différends commerciaux lorsqu'ils surviennent.
Cependant, M. Laborde a souligné que des règles sont nécessaires pour empêcher que le commerce mondial soit régi par la « loi de la jungle ».
« Les règles aident les pays les plus faibles »
« Les règles aident les pays les plus faibles », a-t-il rappelé aux participants.
Diversification et valorisation
Mme Abdel-Motaal a rappelé l’importance de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), qui vise à s'appuyer sur l'intégration régionale qui s’est déroulée jusqu’à présent sous l’égide des communautés économiques régionales africaines et à améliorer la valeur ajoutée sur le continent.
M. Ndiame a insisté sur l'importance d'améliorer la compétitivité de l'agriculture en Afrique et a suggéré que le renforcement du commerce régional pourrait servir de tremplin vers une meilleure intégration sur les marchés mondiaux. Mme Assogba a également mis en lumière le potentiel des indications géographiques pour assurer la reconnaissance de la qualité des exportations alimentaires et agricoles du Bénin dans la région.
Aux côtés de M. Ndiame, M. Laborde et Mme Assogba ont également souligné l'importance de la diversification des produits et des marchés d'exportation dans le cadre d'une stratégie plus globale visant à améliorer la résilience du commerce africain aux chocs et aux événements imprévus, et à accroître le degré de valeur ajoutée au sein des chaînes d'approvisionnement sur le continent.
« Le maître-mot c'est investir dans l’agriculture »
« Le maître-mot c'est investir dans l’agriculture », a déclaré Mme Picard.
M. Laborde a exprimé son accord en disant que les gouvernements doivent garantir la fourniture adéquate de « biens publics » tels que les infrastructures et l’information, tout en créant les conditions nécessaires pour une concurrence loyale.
L’OMC et le chemin vers la CM12
« On voit que le commerce international est source de revenu, et source d’opportunité – mais parfois aussi source d’inquiétude », a affirmé M. Laborde.
De meilleures règles sont nécessaires pour que « les actions des uns dne fassent pas des dégâts sur les actions des autres», a-t-il ajouté, en soulignant l'importance des règles commerciales pour améliorer la prévisibilité du système commercial pour les acteurs économiques.
Quant aux enjeux tels que le coton – pour lesquels les pays africains ont depuis longtemps demandé une mise à jour des règles de subvention agricole de l’OMC – M. Laborde a fait valoir qu’une indemnisation devrait être versée aux pays producteurs d'Afrique si, pour des raisons de politique intérieure, les subventions s'avéraient impossibles à réformer.
Mme Abdel-Motaal a rappelé aux participants que la COVID-19 et le processus d’élection du prochain directeur général de l’OMC continuent d’éclipser les préparatifs du CM12, dont la date demeure incertaine.
Elle a néanmoins insisté qu’il n’est pas nécessaire pour les membres de l’OMC d’attendre le moment des conférences ministérielles pour prendre des décisions. « Rien n’empêche les membres de l’OMC de produire les résultats tout de suite », a-t-elle affirmé.
Mme Abdel-Motaal a identifié un certain nombre de « fruits à portée de main » pour lesquels les résultats des négociations pourraient être plus faciles à atteindre que dans d’autres domaines, y compris sur des sujets importants pour l’Afrique. Il s'agissait notamment de questions liées à l'amélioration de la transparence, aux règles concernant les droits de douane sur les envois en transit ou aux restrictions à l'exportation de produits alimentaires – ce dernier sujet étant particulièrement important pour les pays importateurs nets de denrées alimentaires, comme c’est le cas de bon nombre de pays africains.
Enfin, elle a ajouté que des questions plus complexes et plus controversées devront peut-être faire partie du programme de travail que les membres de l’OMC conviennent de poursuivre après la CM12 –un soutien agricole interne et un meilleur accès aux marchés étant parmi les questions qui seraient abordées sur le plus long terme.
L'enregistrement de cette réunion est disponible à ce lien.
Ceci était le premier évènement d'une série sur le même thème avec un focus régional différent à chaque fois. Veuillez vous référer à la page principale de la série de dialogues pour plus d'information. Les prochaines réunions porteront sur l'Afrique (anglophone), l'Asie et l'Amérique Latine.
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