Les recours présentés contre l’Algérie par une entreprise contrôlée par un milliardaire égyptien sont jugés irrecevables
Orascom TMT Investments S.à r.l. c. la République d’Algérie démocratique et populaire, Affaire CIRDI n° ARB/12/35
Le 31 mai 2017, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a déterminé que les recours présentés par Orascom TMT Investments S.à r.l. (Orascom) contre l’Algérie étaient irrecevables et a décliné a compétence.
Le contexte
En 2001, l’entreprise égyptienne Orascom Telecom Holdings (OTH) remporta un marché public portant sur le développement d’un réseau de télécommunication mobile en Algérie. Elle lança ses opérations par le biais de sa filiale algérienne, OTA. En 2005, Orascom acquit, en une seule et même transaction, OTH et Wind, une entreprise italienne de télécommunication.
Orascom allégua que dès 2008, du fait d’une vendetta politique dirigée contre son actionnaire majoritaire, l’entrepreneur égyptien Naguib Sawiris, l’Algérie avait adopté une série de mesures contre OTA, notamment de profondes réévaluations fiscales, l’imposition de restrictions relatives au paiement des dividendes, le gel des comptes bancaires et un embargo douanier. D’après Orascom, ces faits de harcèlement l’ont forcé à vendre OTA en 2011.
En 2010, OTH notifia un différend au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Égypte-Algérie, et en 2012, lança l’arbitrage auprès d’un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) au titre du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Moins d’une semaine plus tard, une autre filiale de l’entreprise, Weather Investments, notifia un différend au titre du TBI Italie-Algérie. Plus tard en 2012, Orascom initia un arbitrage auprès du CIRDI au titre du TBI entre l’Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) et l’Algérie (le TBI). OTH et l’Algérie trouvèrent un accord de règlement et la CPA enregistra le règlement dans une sentence de règlement amiable en 2015.
Le tribunal affirme que le siège social d’Orascom était au Luxembourg
La définition de l’investisseur contenue dans le TBI exige que l’entreprise ait été constituée au titre du droit de l’une des parties contractantes et y possède son siège social. Le différend portait sur le sens de l’expression « siège social ». L’Algérie arguait que la nationalité d’Orascom devait être déterminée au regard du droit national luxembourgeois, qui fait référence au « siège réel » de l’entreprise, c’est-à-dire là où se trouve effectivement la direction. Aussi, pour l’Algérie, le siège réel était l’Égypte, où réside Naguib Sawiris. Quant à Orascom, elle affirmait que l’expression représente une notion autonome de nationalité et fait référence au siège statutaire ou légal, c’est-à-dire le Luxembourg.
Le tribunal détermina que la structure grammaticale et syntaxique du TBI, ainsi que le contexte dans lequel l’expression était employée montraient que la notion de « siège social » est une prescription spécifique du traité. Cette conclusion est conforme à la récente décision dans l’affaire Tenaris et Talta c. le Venezuela. Elle s’éloigna cependant du raisonnement du tribunal de l’affaire Tenaris ainsi que du tribunal de l’affaire Capital Financial Holdings Luxembourg c. le Cameroun, toutes deux impliquant des TBI conclus par le Luxembourg. Le tribunal de l’affaire Tenaris conclut que l’expression signifiait le « siège effectif », et le tribunal de l’affaire Capital Financial Holdings « le siège social réel ». En l’espèce, le tribunal analysa les textes du TBI en arabe, néerlandais et français, et conclut que tous affirmaient que l’expression signifiait « siège légal ».
L’Algérie invoqua le principe de l’effet utile et argua que le fait d’interpréter l’expression siège social comme signifiant siège légal rendait l’expression superflue. Pourtant, le tribunal considéra que la nationalité de l’entreprise est définie par référence à son lieu d’enregistrement, ce qui donne lieu à un test très simple reposant sur deux critères : la création conformément au droit local et le siège légal. En appliquant le test, le tribunal détermina que le siège social d’Orascom était au Luxembourg, et donc qu’elle était un investisseur au titre du TBI. Le tribunal affirma que sa décision aurait été identique, même si la nationalité devait être définie au regard du droit luxembourgeois comme l’affirmait l’Algérie.
La participation indirecte représente un investissement
L’Algérie s’opposa à la compétence du tribunal, arguant qu’Orascom n’avait pas réalisé d’investissement au sens du TBI et de la Convention du CIRDI. Selon le défendeur, la simple détention de parts indirectes dans OTA ne représentait pas un investissement dans l’économie et le territoire du pays. Selon lui, l’investissement était indirect et distant.
Le tribunal détermina que la définition du terme « investissement » contenait les mêmes éléments dans la Convention du CIRDI et dans le TBI : une contribution ou attribution de ressources, la durée et le risque. Il remarqua qu’Orascom avait réalisé des transactions supérieures à 1,5 milliards d’euros lors de l’acquisition d’intérêts indirects dans OTA, et conclut que cette participation indirecte constituait un investissement au titre du TBI et de la Convention du CIRDI. En outre, il affirma que la Convention du CIRDI et le TBI protègent tous deux les participations minoritaires et indirectes et n’exigent pas une participation active.
En conclusion, le tribunal rejeta également l’argument de l’Algérie selon lequel Orascom n’avait investi dans OTA qu’aux seules fins d’acquérir Wind, l’entreprise italienne de télécommunication, et non pour investir en Algérie. Le tribunal affirma que les motivations d’Orascom n’entraient pas en ligne de compte à l’heure d’évaluer l’existence de l’investissement, et que ce qui comptait était l’existence d’une contribution de ressources, ce qu’Orascom respectait.
L’accord de règlement a mis un terme au différend, et Orascom n’a pas subi de perte spécifique
L’Algérie argua que les recours étaient irrecevables du fait du règlement conclu entre OTH et l’Algérie, qui mit fin au différend au titre du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Orascom répliqua que cet arbitrage ainsi que l’accord de règlement n’étaient pas pertinents au regard de la compétence du tribunal.
Le tribunal conclut que l’existence de plusieurs TBI ne devait être un passe-droit permettant à plusieurs demandeurs dans une chaîne de propriété verticale de présenter de multiples recours portant sur le même préjudice. Il détermina que le groupe d’entreprises auquel appartenait Orascom était organisé dans le cadre d’une chaîne verticale, contrôlée par le même actionnaire, et que les mesures contestées et les dommages allégués étaient les mêmes que ceux de l’arbitrage au titre de la CNUDCI. Il considéra également que l’accord avait mis un terme au différend portant sur les mesures prises par l’Algérie. Par conséquent, il estima que dans la mesure où OTH aurait obtenu réparation dans l’arbitrage sous l’égide de la CNUDCI, toutes les entreprises de la chaîne, y compris Orascom, auraient été compensées, à moins qu’Orascom ne puisse démontrer qu’elle avait subi une perte spécifique. Le tribunal considéra que l’accord de règlement dans l’affaire de la CNUDCI tient lieu de toute sentence à venir dans le cadre de cet arbitrage, que l’accord soit favorable ou non.
Orascom rétorqua qu’une partie des dommages réclamés étaient indépendants des pertes d’OTH. Le tribunal analysa les divers chefs de dommages réclamés par Orascom, et détermina que ceux-ci portaient sur le même préjudice économique que celui allégué par OTH dans l’arbitrage de la CNUDCI. Il estima en outre que s’agissant des dommages immatériels, un investisseur aussi expérimenté que Sawiris avait certainement inclus ces pertes dans la vente de son investissement. Il rejeta également la demande pour tort moral puisqu’Orascom n’est qu’une société de portefeuille qui n’a pas de réputation à protéger.
Finalement, le tribunal souligna que si différentes entités dans une chaîne verticale pouvaient présenter des recours portant sur un différend déjà réglé par l’une de ces entités, les litiges ne seraient jamais réglés à l’amiable. Selon lui, cela saperait l’objet des dispositions du traité d’investissement encourageant le règlement à l’amiable des différends.
Le droit à l’arbitrage a été vendu avec l’investissement
Le tribunal estima, tout comme l’Algérie, qu’en n’excluant pas son droit à l’arbitrage de la portée de la vente de ses investissements, Orascom avait renoncé à son droit de lancer un arbitrage : le prix payé par l’acheteur incluait le droit de porter les pertes en réclamation.
La présentation de demandes multiples par plusieurs entités constitue un abus de droit
Selon le tribunal, l’introduction de demandes multiples contre l’État hôte portant sur le même préjudice par plusieurs entités contenues dans la chaîne verticale d’entreprise d’Orascom constituait un abus de droit. Selon lui, cela est contraire à l’objectif des traités d’investissement, qui est « d’encourager le développement économique de l’État d’accueil et de protéger les investissements réalisés par des étrangers, investissements destinés à contribuer à ce développement ». Il existe également un risque de réparations multiples, de décisions contradictoires et de gaspillage des ressources liées aux procédures (para. 543).
Le tribunal nota également que la jurisprudence a évolué ces 15 dernières années, depuis les décisions largement critiquées des affaires CME et Lauder contre la République tchèque. Ces deux procédures concernaient des recours portant sur les mêmes faits et préjudice, et donna lieu à des sentences contradictoires.
Les coûts et les procédures d’annulation
Orascom a été condamnée à payer la totalité des coûts de la procédure ainsi que la moitié des frais juridiques et autres dépenses de l’Algérie. À la demande d’Orascom, un comité d’annulation a été constitué le 26 octobre 2017.
Remarques : le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente nommée par les parties sur la base d’une proposition des co-arbitres, de nationalité suisse), d’Albert Jan van den Berg (nommé par le demandeur, de nationalité néerlandaise) et de Brigitte Stern (nommée par l’Algérie, de nationalité française). La sentence est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8973.pdf et en français sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8977.pdf.
Mintewab Abebe est étudiante à la Faculté de droit de l’Université de New York et stagiaire boursier « International Finance and Development » au programme Investissement pour le développement durable de IISD.