Un tribunal du CIRDI affirme sa compétence sur la demande d’un investisseur au titre du TBI Royaume-Uni-République tchèque, mais rend une décision en faveur de la Tchéquie
A11Y Ltd c. la République tchèque, Affaire CIRDI n° UNCT/15/1
Un tribunal du CIRDI a rendu une décision en faveur de la République tchèque dans une affaire lancée par A11Y Ltd. (A11Y), une entreprise apportant des solutions reposant sur les technologies d’assistance (TA) aux personnes malvoyantes. Le tribunal a procédé à la bifurcation des procédures, et rendu sa décision finale le 29 juin 2018.
Le contexte et les recours
Après avoir enregistré sa filiale tchèque, l’entreprise britannique A11Y a repris les activités de TA de BRAILCOM o.p.s. (BRAILCOM), une entreprise tchèque offrant des solutions uniques reposant sur la TA aux personnes malvoyantes et non-voyantes.
En janvier 2012, la Loi portant création d’allocations pour les personnes souffrants de handicaps (la Loi) est entrée en vigueur en République tchèque. Cette Loi prévoit l’octroi de subventions aux personnes handicapées, notamment les personnes malvoyantes. Les montants absolus de ces subventions était limité (800 000 CZK par demandeur pendant cinq ans), tout comme le montant d’une subvention unique (350 000 CZK par subvention). Le bénéficiaire était tenu de payer 10 pour cent du montant pour lequel il souhaite une subvention. La section 9(10) spécifiait qu’une subvention serait accordée pour une aide : (a) de base, (b) qui satisfasse les besoins individuels du demandeur et (c) qui représente l’option la plus économique.
Le 21 mai 2013, l’Office tchèque du travail, chargé d’administrer la loi, a reçu un courrier de Transparency International (le Courrier de TI) alléguant que BRAILCOM avait commencé à contacter des personnes éligibles à une subvention au titre de la Loi. D’après le courrier, BRAILCOM aurait suggéré à ces personnes de conclure un accord par procuration dans le but d’organiser leur demande de subvention auprès de l’Office du travail. Au titre de l’accord, l’entreprise s’engageait à payer au demandeur la part des 10 pour cent de contribution obligatoire.
Après réception du courrier, le ministère du Travail (le ministère) émit une déclaration définissant dans le détail les critères fixés par la Loi, pour garantir que les prescriptions qu’elle impose puissent être effectivement évaluées dans chaque demande, et pour permettre à l’Office du travail d’adopter une approche uniforme de toutes les demandes (la Déclaration de juillet). Cette déclaration précisait notamment que lorsque l’aide concernait plusieurs composants fonctionnellement indépendants, le demandeur était tenu de présenter une liste de tous les composants et leur prix respectif. En outre, les services supplémentaires, tels que la formation ou les produits accessoires, tels que les housses de protection ou les sacoches d’ordinateur, ne pouvaient être considérés comme faisant partie de la version de base d’une aide, et n’étaient donc pas couverts par la Loi.
A11Y lança un arbitrage contre la République tchèque en 2014 au titre du TBI Royaume-Uni-République tchèque, arguant que suite à la Déclaration de juillet, quatre mesures soi-disant adoptées par la Tchéquie avaient anéanti l’investissement d’A11Y dans le pays et mené à sa faillite : (a) les représentants de la République tchèque ont répété à de nombreux clients d’A11Y de demander leurs aides TA aux compétiteurs d’A11Y, (b) la Tchéquie a dénoncé A11Y pour surfacturation à la télévision nationale à une heure de grande écoute, (c) la Tchéquie a communiqué des informations confidentielles et tarifaires d’A11Y à ses concurrents, et (d) la Tchéquie a truqué les évaluations indépendantes des solutions TA offertes par A11Y. Aussi, l’entreprise réclamait une indemnisation à hauteur de 564 719 000 CZK pour violation de la disposition du TBI relative à l’expropriation indirecte et rampante.
La compétence : le savoir-faire et la bonne volonté sont des investissements au titre du TBI
Bien que le tribunal ait procédé à la bifurcation des procédures afin d’examiner les objections à la compétence lors de la première étape, le tribunal avait décidé de déterminer lors de l’examen quant au fond si A11Y avait un investissement couvert en Tchéquie au moment de son enregistrement.
Le tribunal fit référence au libellé clair de l’article 1(a) du TBI, qui définit « l’investissement » comme « tout type d’actif appartenant à l’investisseur… ». Le tribunal remarqua que le TBI n’imposait aucun critère à l’investissement, par exemple que les actifs soient transférés pour être pris en compte, ou qu’il y ait un flux financier du Royaume-Uni vers la Tchéquie ou qu’il y ait une transaction sous-jacente. Il remarqua également que la procédure avait été lancée au titre du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, qui ne contient pas d’équivalent à l’article 25 de la Convention du CIRDI.
Le tribunal choisit donc de considérer que le TBI ne comportait aucune restriction. Il détermina que les actifs d’A11Y en Tchéquie, qui comprenaient son savoir-faire et sa bonne volonté, constituait un investissement.
L’analyse de la demande fondée sur l’expropriation indirecte et rampante
A11Y argua d’abord que les quatre mesures de la Tchéquie avaient EU des effets d’expropriation sur son investissement ; ensuite, que les actions du pays étaient discriminatoires ; et troisièmement, qu’elles ne reposaient pas sur un objectif public. Le pays rétorqua que la faillite d’A11Y n’était pas le résultat des quatre mesures mais plutôt du modèle commercial de l’entreprise elle-même.
Le tribunal détermina que la Déclaration de juillet était une mesure réglementaire adoptée de bonne foi puisqu’elle s’appliquait à toutes les personnes handicapées, et non pas aux seuls handicapés visuels. Le tribunal considéra que le libellé de la Déclaration s’appliquait uniformément à toutes les entreprises proposant des services d’aide à différents groupes de personnes handicapées et ne ciblait pas A11Y spécifiquement. Bien qu’elle ait été émise après réception du courrier de TI, le tribunal conclut que la Déclaration ne ciblait pas A11Y et n’était pas discriminatoire à son égard.
Le tribunal conclut de l’examen des témoins que le modèle économique d’A11Y était « économiquement non viable à long terme » (para. 221) dans l’environnement réglementaire créé par la Déclaration de juillet. Il remarqua que certains agents de l’Office du travail n’avaient pas correctement appliqué la Déclaration de juillet, puisqu’ils avaient incité les clients d’A11Y à l’abandonner et à acheter leurs aides auprès de ses concurrents, et partagé les informations commerciales exclusives d’A11Y avec ses concurrents. Il reconnut également que la déclaration télévisuelle avait porté préjudice à A11Y et lui avait fait perdre encore plus de clients et de commandes.
Bien que le tribunal tenta de séparer les effets de la perte de clientèle et de commandes d’A11Y suite aux actions inappropriées des agents de l’Office du travail, des effets de la réduction significative des prix par A11Y et de son absence de couverture des extras tels que la formation suite à la mise en œuvre de la Déclaration de juillet, il n’en fut pas capable.
La décision et les coûts
Aussi, le tribunal considéra qu’il ne disposait pas de suffisamment de preuves pour conclure que la conduite de la Tchéquie et la perte connexe de clientèle et de commandes auraient entrainé l’effondrement des activités commerciales d’A11Y indépendamment des effets de la Déclaration de juillet. Il considéra donc qu’A11Y n’avait pas réussi à démontrer que par ses actions, la Tchéquie avait abusivement et indirectement exproprié son investissement. Le tribunal ordonna à A11Y de payer tous les coûts de l’arbitrage et à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques.
Remarques : le tribunal était composé de L. Yves Fortier (Président, nommé conjointement par les co-arbitres, de nationalité canadienne), de Stanimir A. Alexandrov (nommé par les demandeurs, de nationalité bulgare) et d’Anna Joubin-Bret (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/cases/5183
Trishna Menon est Associée chez Clarus Law Associates, à New Delhi, en Inde.