Sentences et Decisions

Selon un tribunal de la CNUDCI, l’évaluation environnementale du Canada viole la norme minimale de traitement et le traitement national

William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton et Bilcon of Delaware Inc. c. le Gouvernement du Canada, CNUDCI

Marquita Davis [*]

Le contexte

Dans une décision du 17 mars 2015, la majorité d’un tribunal, à savoir son président Bruno Simma et Bryan Schwartz, l’arbitre nommé par l’investisseur, établi au titre du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), déterminait que l’évaluation environnementale imposée par le Canada au projet de carrière et de terminal maritime violait les dispositions sur la norme minimale de traitement et le traitement national au titre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Donald McRae, l’arbitre nommé par le Canada, était en fort désaccord avec l’analyse de la majorité et son application de l’article 1105 de l’ALENA. Le tribunal a reporté le calcul des dommages ; les investisseurs – quatre citoyens étasuniens et une entreprise enregistrée au titre du droit des États-Unis – réclamaient initialement 300 millions USD.

En avril 2002, un permis a été émis pour la construction et l’exploitation d’une carrière dans la province canadienne de Nouvelle-Écosse. En 2004, l’entreprise demanderesse (Bilcon) a acquis la carrière et le terminal maritime de Whites Point (le Projet) par le biais de l’une de ses filiales canadiennes. Le Canada et la province de Nouvelle-Écosse ont établi une Commission d’examen conjoint (CEC) pour mener une évaluation environnementale (EE) du Projet. Sur la base d’un Rapport de 2007 de la CEC, la Nouvelle-Écosse puis le Canada ont rejeté le Projet en raison de son incompatibilité avec les « valeurs fondamentales de la communauté ». Bilcon a lancé un arbitrage en juin 2008, alléguant des imperfections dans le processus et le rapport de la CEC et dans le rejet postérieur du projet par le Canada.

Pour commencer son analyse, le tribunal s’est penché sur les objections juridictionnelles du Canada, notamment le fait que certains demandeurs n’étaient pas considérés comme des « investisseurs », que certains recours étaient proscrits, et que les actions de la CEC ne pouvaient être attribuées au Canada. Le tribunal établit malgré tout sa compétence et commença l’analyse des principaux faits de l’affaire.

La majorité déclare que la norme minimale internationale de traitement est liée par la note d’interprétation de la CLE, mais détermine que la norme a évolué depuis l’affaire Neer 

Les investisseurs arguaient que la norme du traitement juste et équitable (TJE) de l’article 1105 de l’ALENA devait être interprétée comme une norme autonome incluant les attentes légitimes de l’investisseur, la protection contre les mesures arbitraires ou discriminatoires, et une obligation générale pour l’État « d’agir raisonnablement » (para. 359). Le Canada rétorqua que la norme n’incluait pas d’obligations autonomes comme les attentes légitimes, mais que les Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11 de la Commission du libre-échange (CLE) de l’ALENA limitaient le TJE à la norme internationale minimale de traitement, conformément au droit international coutumier. Le tribunal a convenu avec le Canada qu’elle était liée par la note d’interprétation de la CLE et que les critères d’application de l’article 1105 étaient « élevés » (para. 441).

Le tribunal détermina ensuite que la norme générale d’interprétation la plus appropriée de l’article 1105 était celle mise en avant dans l’affaire Waste Management. Selon le tribunal de cette affaire, « la norme minimale de traitement du traitement juste et équitable est violée par des actes attribuables à l’État et préjudiciables au demandeur si les actes sont arbitraires, manifestement abusifs, injustes ou idiosyncratiques, discriminatoires et exposent le demandeur à un préjudice social ou racial, ou impliquent l’absence de procédure régulière entrainant une conclusion qui offense l’opportunité judiciaire » (para. 442).

Mais le tribunal décida ensuite qu’une violation internationale ne se limitait pas aux actes « outrageants » de l’État, puisque la norme internationale minimale actuelle a évolué et offre une plus grande protection que celle reconnue dans l’affaire Neer. Il jugea qu’un tribunal devait se fonder sur les faits, et prendre notamment en compte le fait que les investisseurs « se [sont] raisonnablement appuyés sur les représentations d’un État hôte » pour déterminer si l’article 1105 était violé (para. 444).

Selon la majorité, le Canada a violé la norme internationale minimale de traitement  

Compte tenu de déclarations spécifiques de fonctionnaires de Nouvelle-Écosse, mais aussi des documents de promotion de l’investissement et des déclarations politiques de la province, le tribunal détermina que les investisseurs avaient été clairement encouragés à plusieurs reprises à poursuivre leur Projet. D’après le tribunal, le Canada avait conduit les investisseurs à croire raisonnablement que, sous réserve du respect des lois fédérales et provinciales, la zone de Whites Point n’était pas exclue de l’investissement (para. 590), contrairement à ce que prétendait l’évaluation de la CEC d’après la majorité du tribunal. Dans son opinion divergente, McRae arguait que le fait que les fonctionnaires de Nouvelle-Écosse aient encouragé l’investissement minier donnant ainsi naissance à des attentes légitimes n’était pas pertinent pour déterminer si la CEC avait respecté les critères de l’article 1105. Il détermina que tout investisseur s’attendrait à ce que les lois canadiennes soient correctement appliquées au cours d’une évaluation environnementale, et que cette attente n’avait rien à voir avec les encouragements ou garanties offertes par des fonctionnaires provinciaux.

La majorité considéra elle que l’évaluation était arbitraire car la CEC n’avait pas déterminé la viabilité du Projet sur la base du critère « des effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». La CEC avait plutôt outrepassé son mandat en adoptant, sans préavis ou autorité juridique propre, une nouvelle norme d’évaluation fondée sur les « valeurs fondamentales de la communauté », ce que la majorité compara à un référendum public sur le projet.

Bien que la majorité considéra qu’« une simple erreur dans l’analyse légale ou factuelle » (para. 594) n’était pas suffisante pour satisfaire au critère élevé de la responsabilité internationale, elle détermina qu’en l’espèce, la violation était suffisante. D’abord, la majorité considéra que les investisseurs avaient des attentes légitimes et avaient investi d’importantes ressources et leur réputation dans le processus de la CEC. Ensuite, elle prit en compte le fait que les investisseurs n’avaient pas été informés que l’évaluation contenait la norme des « valeurs fondamentales de la communauté ». Finalement, elle estima que la CEC s’était largement éloignée de la norme d’évaluation requise par la loi canadienne.

McRae critiqua le fait que la majorité se soit appuyée sur les experts et témoins des investisseurs pour examiner des allégations de problèmes dans le processus d’audition de la CEC, et affirma que la majorité n’avait pas étudié le procès-verbal de l’audience lui-même. Selon lui, la majorité avait mal interprété l’explication de la CEC des « valeurs fondamentales de la communauté ». Il déclara qu’un examen plus attentif du procès-verbal montrait que la CEC utilisait les expressions « valeurs fondamentales » et « valeurs fondamentales de la communauté » simplement pour désigner « les effets humains et environnementaux », expression essentielle du mandat de la CEC (para. 15). Dans son analyse, la CEC concluait que les investisseurs n’avaient pas abordé les effets humains et environnementaux dans leur déclaration d’impact environnemental, bien que le mandat de la CEC leur ordonnait de remédier à ces effets. McRae rejeta la conclusion de la majorité selon laquelle la CEC avait dans les faits pris une « décision relative à une zone », arguant que ses recommandations se basaient sur les détails spécifiques du projet des investisseurs (para. 27). Il détermina également que la CEC avait suffisamment motivé sa décision pour que celle-ci n’inclue pas de mesures individuelles d’atténuation. Pour terminer, McRae estima que la conclusion de la majorité selon laquelle les actes de la CEC étaient arbitraires n’était étayée par aucune preuve ou fondement.

Finalement, McRae arguait que même si le rapport de la CEC était contraire à la législation nationale, cela n’était pas suffisant pour soutenir une violation de l’ALENA, puisque la violation ne satisfait pas au critère de la norme mise en avant dans l’affaire Waste Management. McRae détermina que les actes de la CEC n’étaient pas arbitraires, et que la majorité n’avait pas démontré que les autres critères de la norme mise en avant dans l’affaire Waste Management étaient satisfaits. McRae argua que, « [e]n traitant une violation potentielle du droit canadien comme une violation de l’article 1105 de l’ALENA[,] la majorité a donné la possibilité de réclamer des dommages pour une violation du droit canadien, alors que celui-ci n’offre pas cette possibilité pour une telle violation » (para. 43).

Selon la majorité, le Canada n’a pas accordé un traitement national à l’investissement de Bilcon

Bilcon arguait que le Canada lui avait accordé un traitement moins favorable que celui accordé aux investisseurs nationaux, en lui imposant une méthode d’examen rarement utilisée par la CEC et en n’utilisant pas la norme « des effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». Si le tribunal a rejeté le premier recours au motif qu’il était proscrit, il autorisa le second.

La majorité du tribunal rejeta la tentative du Canada de restreindre les comparateurs aux seuls investissements ou investisseurs dans des « circonstances analogues », tels que ceux assujettis au processus de la CEC, ou les projets largement rejetés par une communauté locale. Elle détermina que, compte tenu du libellé souple de l’article 1102, et de l’objectif général de l’ALENA d’accroitre matériellement les investissements, la gamme des comparateurs devrait être étendue.

Parmi les affaires de comparaison impliquant des carrières dans des zones côtières sensibles, au moins trois ont été soumises à une évaluation des « effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». Pour la majorité du tribunal, cela suffisait à montrer qu’elles avaient reçu un traitement plus favorable que les demandeurs. La majorité détermina qu’un État pouvait justifier l’application d’un traitement différent et préjudiciable au titre du test de l’affaire Pope & Talbot, mais conclut que le Canada n’avait pas présenté d’arguments convaincants pour justifier ses actes.

McRae n’était pas d’accord avec cette conclusion non plus, affirmant que les investisseurs avaient été traités conformément au droit canadien.

Les autres recours des investisseurs sont rejetés et la majorité joint à sa décision une mise en garde

Les investisseurs contestaient d’autres points de l’évaluation de la CEC, mais la majorité détermina que ces facteurs n’étaient pas suffisants pour impliquer la responsabilité internationale.

La majorité décida également qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si le Canada avait violé la disposition de la Nation la plus favorisé (NPF) puisque cela n’affecterait pas le calcul des dommages.

La majorité s’est également employée à souligner que sa décision en faveur des investisseurs ne constituait pas une évaluation du droit environnemental substantif du Canada, mais qu’elle se fondait sur des faits spécifiques des recours des investisseurs et sur le fait que le rapport de la CEC ne respectait pas le droit environnemental canadien existant.

McRae n’était pas d’accord, et affirma que la majorité donnait la possibilité aux investisseurs de contester au niveau international les décisions adoptées par des commissions d’examen environnemental nationales. Il averti qu’il s’agissait d’« une intrusion importante dans la sphère nationale qui entrainerait un gel du fonctionnement des commissions d’examen environnemental » (para. 48). Selon lui, l’aspect le plus troublant de la décision de la majorité était le fait qu’un État était tenu de verser des dommages aux investisseurs pour avoir accordé une grande importance à la manière dont un projet affecte l’environnement et les hommes et pour avoir pris en compte les intérêts et valeurs de la communauté.

Remarques : Le tribunal était composé de Bruno Simma, de Bryan Schwartz et de Donald McRae. La décision de la majorité est disponible sur http://www.italaw.com/cases/documents/2984, et l’opinion divergente sur http://www.italaw.com/cases/documents/2985.


Un tribunal du CIRDI détermine que la saisie réalisée par le Venezuela en 2009 est une expropriation légale, et accorde une indemnisation de 46,4 millions USD

Tidewater Investment SRL & Tidewater Caribe, C.A. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/10/5

Matthew Levine [*]

Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu une décision dans un différend portant sur des services maritimes pétroliers et impliquant le Venezuela.

Le tribunal se rangea du côté des demandeurs, deux entreprises du groupe Tidewater, et détermina que la saisie réalisée en 2009 par le gouvernement constituait une expropriation au titre du Traité bilatéral d’investissement Barbade-Venezuela (TBI). Il leur accorda une indemnisation de 46,4 millions USD plus intérêts composés à partir de la date de l’expropriation.

Les dommages accordés étaient nettement inférieurs aux 234 millions USD réclamés par les demandeurs. Le tribunal n’a pas reconnu l’expropriation comme illégale au titre du TBI. En outre, l’analyse fondée sur une actualisation des flux de trésorerie employée par le tribunal mena à une évaluation de la juste valeur marchande nettement inférieure à la suggestion des demandeurs.

Le contexte

SEMARCA, une entreprise vénézuélienne du groupe Tidewater, exploite des services de transport maritime depuis 1958. Depuis 1975, SEMARCA fournit également ces services aux filiales de PDVSA, l’entreprise pétrolière d’État du Venezuela, au titre de divers accords.

Le 7 mai 2009, le Venezuela a promulgué la « Loi organique réservant à l’État les actifs et services relatifs aux principales activités du secteur des hydrocarbures » (Loi de réserve). Le lendemain, le 8 mai 2009, le Venezuela publia la Résolution n° 51, identifiant les demandeurs et 38 autres fournisseurs de services, comme assujettis à la Loi de réserve.

Presqu’immédiatement, les filiales de PDVSA ont saisi les actifs de SEMARCA sur le Lac Maracaibo, soit ses bureaux et onze navires, et plus tard, les quatre navires de l’entreprise situés dans le golfe de Paria. Tidewater a lancé l’arbitrage en février 2010.

Dans sa décision de février 2013 sur la compétence, le tribunal avait rejeté les recours de six des huit demandeurs du groupe Tidewater. Le tribunal n’établit sa compétence que pour deux recours, ceux de Tidewater Caribe C.A., une entreprise vénézuélienne détenant SEMARCA en tous temps pertinents, et de Tidewater Investment SRL, une entreprise de la Barbade qui détient Tidewater Caribe, C.A. depuis 2009 (conjointement appelés Tidewater).

La saisie des actifs de Tidewater avait effet d’expropriation

Le tribunal évalua si la saisie des navires de Tidewater constituait une expropriation. Il remarqua que l’article 5 du TBI sur l’expropriation incluait un libellé commun à de nombreux traités d’investissement. Le tribunal souligna la question de l’« effet », affirmant que « il est bien accepté en droit international que l’expropriation n’implique pas nécessairement la saisie d’un titre de propriété valable. Il suffit que la mesure de l’État ait une effet équivalent » (para. 104).

En évaluant si les mesures contestées en l’espèce avaient des effets équivalents à ceux d’une expropriation, le tribunal jugea utile de tenir compte des facteurs utilisés par le tribunal de l’affaire Pope & Talbot, c’est-à-dire si :

  • L’investissement a été nationalisé ou la mesure est de nature confiscatoire
  • L’État a pris le contrôle de l’investissement et le gère au quotidien
  • L’État supervise maintenant le travail des employés de l’investissement
  • L’État encaisse les recettes découlant des ventes de l’entreprise

Compte tenu des preuves, notamment les déclarations des témoins présentés par Tidewater et par les filiales de PDVSA, le tribunal détermina que la saisie physique des navires constituait une expropriation.

Le tribunal conclut que « si la saisie avait sans doute été une surprise », il était naturel pour les demandeurs de ne pas accepter ses effets immédiatement. Selon le tribunal, « la portée de cet effet sur l’investissement des demandeurs n’est devenue claire qu’au moment de la saisie des derniers navires à Corocoro [dans le golfe de Paria] quelques mois plus tard. Dans ces circonstances, les documents présentés par les demandeurs et affirmant la continuation de leurs opérations commerciales dans l’intervalle sont conformes à la prise de conscience naissante de la nationalisation de leur entreprise » (para. 109).

Tidewater ne parvient pas à démontrer que l’expropriation était abusive

Tidewater cherchait à convaincre le tribunal que le non paiement par le gouvernement d’une indemnisation rendait l’expropriation abusive au titre du TBI. Compte tenu des mémoires des parties, le tribunal examina la jurisprudence internationale à partir de l’affaire Chorzow Factory et portant sur des saisies auxquelles seule manquait l’indemnisation pour qu’elles soient légales. Il prit également note de décisions arbitrales sur l’investissement récentes, dans une approche cohérente. Le tribunal de l’affaire Goetz c. Burundi, par exemple, conclut que « toutes les autres conditions d’une saisie légale ayant été respectées, le non-respect du paiement rapide d’une indemnisation adéquate ne suffisait pas « pour qualifier la mesure d’abusive au titre du droit international » » (para. 135).

En l’espèce, Tidewater argua que la saisie était abusive puisque le niveau d’indemnisation envisagé par le Venezuela au titre de la Loi de réserve était contraire à la norme d’indemnisation imposée par le TBI. Le tribunal observa que, si le TBI définit l’indemnisation due en cas d’expropriation comme la valeur marchande immédiatement avant que l’expropriation envisagée ne soit connue, le calcul de cette valeur marchande est délégué au tribunal.

Le recours fondé sur le Traitement juste et équitable est rapidement rejeté

Le recours portait réellement non pas sur l’équité du traitement accordé aux demandeurs par le Venezuela, mais sur sa saisie de leur investissement. Le tribunal considéra que les recours fondés sur une violation du traitement juste et équitable, du traitement national et de la nation la plus favorisée n’étaient pas à propos.

Les facteurs matériels de la juste valeur, tels que le risque souverain, sont définis par le tribunal

Le tribunal considéra que l’utilisation de la valeur de liquidation ou la valeur comptable des actifs saisis pour déterminer la juste valeur marchande, comme le proposait le Venezuela, n’était approprié que lorsque les entreprises n’étaient pas en activité. Mais puisque SEMARCA n’était pas une société cotée en bourse et que ses activités ne se limitaient qu’à un seul pays et un seul client, une analyse fondée sur une actualisation des flux de trésorerie était appropriée.

Compte tenu que le rapport de l’expert des parties avait tendance à présenter des estimations plus qu’optimistes, le tribunal réalisa sa propre évaluation des six facteurs pris en compte dans l’analyse fondée sur l’actualisation des flux de trésorerie : le périmètre, les comptes débiteurs, les flux de trésorerie historiques, le risque sur capitaux propres, le risque souverain et le risque commercial. S’agissant du risque souverain, l’expert des demandeurs avait décompté un modeste 1,5 % pour inciter les acheteurs intéressés avant la saisie de 2009. De son côté, l’expert du Venezuela avait pris le risque de décompter 14,75 % du fait des risques politiques perçus. Le tribunal trouva que la position du défendeur d’adopter une réduction de 14,75 % était raisonnable. Finalement, la valeur du marché des actifs expropriés a été évaluée à un montant nettement inférieur à celui réclamé.

Remarques : Le tribunal était composé de Campbell McLachlan QC (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité néozélandaise), d’Andrés Rigo Sureda (nommé par les demandeurs, de nationalité espagnole) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision finale du 13 mars 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4206_0.pdf.


Le Venezuela est condamné à payer pour l’expropriation abusive de l’investissement d’Owens-Illinois

OI European Group B.V. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/11/25

Martin Dietrich Brauch [*]

Le Venezuela a été condamné à verser 372 461 982 USD plus intérêts à une entreprise du groupe Owens-Illinois, l’un des plus grands producteurs mondiaux de contenants de verre, pour l’expropriation de ses investissements au Venezuela. Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision le 10 mars 2015.

Le contexte et les recours

Le demandeur, OI European Group B.V. (O-I), est une entreprise de droit néerlandais. Par le biais de deux entreprises sous son contrôle, Owens-Illinois de Venezuela C.A. (OIdV) et Fábrica de Vidrios los Andes C.A. (Favianca), O-I détenait les plus grands sites de production, de traitement et de distribution de contenants de verre du Venezuela.

L’intention du Venezuela d’exproprier OIdV et Favianca fut rendue publique le 25 octobre 2010, lorsque le Président Hugo Chávez ordonna, au cours d’un programme télévisuel, à son Vice-président de saisir les entreprises. Le décret d’expropriation fut émis le lendemain, chargeant le Bureau du procureur général d’entamer la procédure requise au titre de la Loi vénézuélienne sur l’expropriation de 2002. Des agents armés de la Garde nationale furent envoyés sur place pour contrôler l’accès aux sites et protéger les actifs.

Sur l’exhortation des employés, le Venezuela a pris la direction des sites quelques jours après l’émission du décret d’expropriation, et la production n’a jamais été interrompue. Venvidrio, l’entreprise d’État nouvellement créée, exploite les entreprises depuis le 31 avril 2011. Lorsque la décision arbitrale a été rendue, la procédure d’expropriation suivait son cours, et aucune indemnisation n’avait encore été versée.

O-I a entamé un arbitrage contre le Venezuela au titre du Traité bilatéral d’investissement Venezuela-Pays-Bas (TBI) en septembre 2011, alléguant que le Venezuela avait violé les dispositions et normes du TBI sur l’expropriation, le traitement juste et équitable (TJE), la protection et sécurité intégrales, la liberté des transferts, et la clause parapluie (en violant la loi vénézuélienne sur l’investissement). O-I réclamait également des dommages moraux indirects, au total pas moins de 929 544 714 USD, plus intérêts.

Le tribunal rejette les deux objections juridictionnelles du Venezuela

Le Venezuela argua que O-I ne jouissait pas d’un investissement couvert par le TBI, mais le tribunal considéra que les actifs commerciaux d’O-I, de par leur nature-même, remplissaient la définition de l’« investissement » au titre du TBI et de la Convention du CIRDI, ainsi que les objectifs du traité de promouvoir le développement économique. Citant l’affaire KT Asia c. Kazakhstan, le Venezuela contra que, en acquérant les entreprises par le biais d’une réorganisation, sans effectuer de contribution économique réelle, O-I ne réalisait pas un investissement. Le tribunal rejeta aussi cet argument, indiquant qu’O-I et le groupe Owens-Illinois avaient légitimement acquis les entreprises, réalisé des contributions importantes en capital, et réinvesti les dividendes.

O-I réclamait aussi des dommages d’un montant de 50 millions USD pour les pertes subies par la concurrence de Venvidrio sur le marché brésilien. Dans sa seconde objection, le Venezuela affirmait que les pertes subies par O-I en dehors du Venezuela ne relevaient pas de la compétence du tribunal. Considérant que la question des dommages était intrinsèquement liée à la détermination de la violation, le tribunal décida d’examiner l’objection du Venezuela lors de l’examen quant au fond.

Le tribunal considère que l’expropriation était abusive

Le premier argument d’O-I était que le Venezuela l’avait abusivement exproprié de son investissement. Le tribunal détermina que l’expropriation avait été menée dans l’intérêt public (pour favoriser le développement national) et n’était pas discriminatoire, mais qu’elle était une décision stratégique, puisque les entreprises d’O-I dominaient 60 % du marché des contenants de verre. Cependant, il estima également que l’expropriation n’avait pas été menée conformément au droit, puisque les actifs devant être expropriés n’avaient pas été précisément identifiés, et que le Venezuela avait retardé sans raisons le versement d’une indemnisation.

Le tribunal considère que l’expropriation abusive constitue également une violation du TJE

Après examen de la disposition TJE contenue dans le TBI, le tribunal conclut que la norme oblige le Venezuela à traiter les investisseurs étrangers conformément au droit international, et notamment, de manière non arbitraire et non discriminatoire. Selon lui, puisque l’expropriation était abusive du fait que le Venezuela n’avait pas respecté le droit et indemnisé O-I, le Venezuela avait également violé le TJE, « car il est difficile d’imaginer qu’une expropriation directe illégale ne donne pas lieu à une violation de cette norme » (para. 501). Le tribunal considéra également que le Venezuela avait agi de manière arbitraire en prenant le contrôle des sites de production d’O-I par le biais d’actes administratifs infondés, dont l’objectif réel était d’éviter de devoir obtenir une ordonnance juridique comme l’exige la loi sur l’expropriation.

Les recours fondés sur la protection et sécurité intégrales, la liberté des transferts et la clause parapluie

Le tribunal soutint la défense du Venezuela selon laquelle, en envoyant la Garde nationale sur les sites dans les premières semaines suivant l’expropriation, le pays ne violait pas la norme de protection et sécurité intégrales, mais au contraire la respectait. Il se rangea également du côté du Venezuela et détermina qu’O-I avait renoncé à son droit aux libres transferts au titre du traité lorsqu’elle avait choisi de transférer ses fonds via le marché parallèle des changes. Il accepta cependant le recours de l’investisseur fondé sur la clause parapluie, considérant que les violations par le Venezuela de son propre droit sur l’investissement constituaient des violations du traité.

Le recours fondé sur les dommages moraux n’est pas suffisamment motivé

O-I réclamait 10 millions USD pour dommages moraux soi-disant subis pendant les six mois suivant l’expropriation. Arguant que la conduite du Venezuela était « atroce » (para. 904) pendant cette période, O-I mentionna certains des faits déjà retenus comme violations des normes TJE et de la protection et sécurité intégrales. Le tribunal considéra toutefois qu’O-I n’avait pas correctement décrit les faits et leurs conséquences. Il conclut que le demandeur n’avait pas démontré que les fonctionnaires du Venezuela avaient harcelé ou menacé les employés pour continuer d’exploiter les sites, ou avaient été physiquement agressifs ou menaçants dans leur traitement des entreprises, ou causé des dommages physiques, ou porté atteinte à la réputation d’O-I et de ses représentants.

Les dommages, les coûts et les frais juridiques

Le tribunal analysa dans le détail la question des dommages-intérêts dus à O-I pour l’expropriation. Adoptant au final la méthode d’actualisation fondée sur les flux de trésorerie, il conclut que la valeur marchande des entreprises expropriées telle que calculée par les experts était raisonnable et confirmée par d’autres méthodes. La valeur des deux entreprises était estimée à 510 340 740 USD. Tenant compte des parts d’O-I dans les entreprises, qui s’élevaient à 72,983 %, le tribunal accorda à O-I des dommages d’un montant de 372 461 982 USD. Il fixa les intérêts au taux LIBOR sur un an majoré de 4 points, composés sur une année, et calculés entre la date du décret d’expropriation et la date du paiement de l’indemnisation.

S’agissant des coûts, le tribunal considéra qu’O-I avait EU gain de cause dans la plupart de ses recours. Il ordonna donc au Venezuela de rembourser à O-I sa contribution de 500 000 USD aux frais de procédure, et de lui verser 5 750 000 USD, estimation raisonnable de ses frais de défense, plus intérêts depuis la décision jusqu’au paiement.

Remarques : le tribunal du CIRDI était composé de Juan Fernández-Armesto (président, nommé par le président du conseil administratif, de nationalité espagnole), d’Alexis Mourre (nommé par les demandeurs, de nationalité française) et de Francisco Orrego Vicuña (nommé par le défendeur, de nationalité chilienne). La décision est disponible en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4109.pdf.


Un tribunal reconnait une violation du traitement juste et équitable par la Roumanie

Hassan Awdi, Enterprise Business Consultants, Inc. and Alpha El Corporation c. Romanie, Affaire CIRDI n° ARB/10/13

Joe Zhang [*]

Dans une décision du 2 mars 2015, un tribunal du Centre international de règlement des différends en matière d’investissement (CIRDI) déterminait que la Roumanie avait violé la norme de traitement juste et équitable (TJE) au titre du Traité bilatéral d’investissement Roumanie-Etats-Unis (TBI). Le tribunal a accordé 7,7 millions d’euros aux demandeurs à titre d’indemnisation et de paiement des frais juridiques, plus intérêts, et rejeté un recours fondé sur l’expropriation et représentant plus de 400 millions d’euros.

Le contexte

La procédure a été lancée en 2010 par Hassan Awdi (un citoyen étasunien) et par deux entreprises des États-Unis qu’il contrôle.Ils affirmaient que la Roumanie avait violé le TBI dans son traitement de leurs investissements, d’une part Rodipet S.A., une ancienne entreprise étatique de commerce de détail et de distribution de la presse, acquise par les demandeurs dans le cadre d’un processus de privatisation, et Casa Bucur d’autre part, une propriété historique acquise auprès de la Roumanie, et transformée par les demandeurs en un hôtel-restaurant de luxe.

Les demandeurs contestaient spécifiquement deux décisions des tribunaux roumains. D’abord une décision de la Cour constitutionnelle de Roumanie, déclarant la Loi 442 anticonstitutionnelle. La Loi 442 donnait à Rodipet les droits, dans le cadre d’une concession à long-terme, sur les 1 400 kiosks existants dans le pays et sur les kiosks futurs qu’elle pourrait établir. Ensuite, une décision de la Cour suprême de Roumanie déterminant que Casa Bucur devait être rendue à ses propriétaires originaux.

Dès le début de la procédure, la Roumanie s’est opposée à la compétence du tribunal et à la recevabilité des recours au titre de plusieurs arguments. Rejetant toutes les objections juridictionnelles, le tribunal déclara la Roumanie coupable de violation de la norme TJE à deux reprises, mais rejeta les recours des demandeurs fondés sur l’expropriation et sur le déni de justice.

« L’investissement » revisité au titre de la Convention du CIRDI

La Roumanie s’opposait à la compétence du tribunal affirmant que l’investissement allégué par M. Awdi et par le groupe d’entreprises directement et indirectement détenues pas lui (le Groupe Awdi) était un « carrousel vertigineux de transactions » visant à « prendre ses activités commerciales et ses actifs à Rodipet » (para. 137). La Roumanie se plaignit en outre du fait qu’au cours de la privatisation de Rodipet, aucun des demandeurs n’avait réalisé de contribution active au pays, et affirma que leurs pratiques ressemblaient plus à un désengagement qu’à un investissement.

Le tribunal rejeta l’argument de la Roumanie selon lequel le critère Salini, notamment l’obligation de réaliser une contribution au développement du pays hôte, devait être pris en compte dans « l’investissement » au titre de la Convention du CIRDI. Il remarqua plutôt que le sens de « l’investissement » devait être déterminé exclusivement et strictement d’après le TBI, sans possibilité d’ajout ou de retrait. Il détermina ensuite que la définition de l’investissement ouverte et fondée sur les actifs au titre du TBI rendait la simple existence d’un lien économique entre les demandeurs et les investissements suffisante aux fins de la compétence.

La Roumanie contestait également la compétence du tribunal au motif que M. Awdi ne détenait que des parts minoritaires dans Rodipet à travers un arrangement indirect. Notant que le TBI couvre les investissements « détenus ou contrôlés directement ou indirectement par des citoyens ou entreprises de l’autre Partie », le tribunal rejeta l’objection de la Roumanie. Reconnaissant que les actionnaires minoritaires et indirects ont le droit de « présenter des recours fondés sur un traité d’investissement […] dans les limites de leur participation » (para. 194), le tribunal considéra que M. Awdi, bien qu’actionnaire minoritaire, dominait la structure de prise de décisions de l’entité ayant acquis Rodipet, et donc, jouissait de facto d’un contrôle suffisant ; ce qui était suffisant pour établir la compétence du tribunal.

Les procédures pénales en cours ne sont pas suffisantes pour motiver l’irrecevabilité des recours

La Roumanie s’opposait à la recevabilité des recours, alléguant que les investissements des demandeurs étaient illégaux et réalisés de mauvaise foi. M. Awdi a fait l’objet de trois enquêtes et procédures pénales distinctes en Roumanie. Il a été acquitté dans l’une des procédures portant sur des accusations de traite d’êtres humains, mais a été condamné dans une autre procédure, jugement confirmé par une cour d’appel. La troisième procédure était encore en cours. Le tribunal considéra que compte tenu des résultats divergents de ces enquêtes et procédures, il était impossible de tirer des preuves convaincantes pour étayer les arguments de la Roumanie.

Le recours fondé sur l’option irrévocable est rejeté pour absence de procédure parallèle

La Roumanie avait également soulevé des objections à la recevabilité au motif que les demandeurs avaient cherché le règlement du différend portant sur Casa Bucur dans les tribunaux roumains, et donc qu’ils ne devaient pas avoir le droit de présenter le différend au tribunal arbitral, puisque le TBI contenait une clause d’option irrévocable. Notant que la procédure nationale avait été annulée et jamais entendue par la cour puisque les demandeurs n’avaient pas payé les frais de la cour, le tribunal rejeta l’objection de la Roumanie et considéra qu’il n’existait aucune procédure parallèle, et donc que la clause d’option irrévocable ne s’appliquait pas.

L’abrogation de la Loi 442 équivaut à une violation du TJE, mais pas à une expropriation ou à un déni de justice

Se penchant sur le fond, le tribunal rejeta l’argument des demandeurs selon lequel la Loi 442 elle-même constituait une concession foncière, mais se rangea du côté de la Roumanie et détermina que la loi leur donnait simplement le droit de négocier une telle concession, qui n’est pas considérée comme un investissement par le TBI, et donc pas couverte, et ne pouvait faire l’objet d’une plainte pour expropriation. En outre, le tribunal rejeta l’argument des demandeurs selon lequel la procédure de la Cour constitutionnelle roumaine abrogeant la Loi 442 était « si manifestement faussée au titre du droit international » qu’elle garantissait une décision en faveur d’un déni de justice ou d’un traitement arbitraire ou discriminatoire (para. 326).

Quand bien même, le tribunal considéra que l’abrogation de la Loi 442, en plus de la non mise à disposition par la Roumanie de mesures alternatives de règlement de la situation constituait une violation par la Roumanie de l’engagement qu’elle a pris dans le contrat de privatisation de Rodipet de mener « tous les efforts raisonnables » pour faciliter les concessions foncières de Rodipet, sur lesquelles se sont basés les demandeurs pour réaliser leur investissement. Selon le tribunal, ce manque de réaction, après que la promulgation de la Loi 442 ait créé des attentes légitimes, résultait en une violation de la norme TJE au titre du TBI.

La restitution de Casa Bucur à ses propriétaires originaux ne représente pas une expropriation, mais les demandeurs avaient une attente légitime de récupérer la somme versée pour l’achat

Le tribunal détermina également que la Roumanie avait violé une autre fois la norme TJE dans le cadre du différend portant sur Casa Bucur. L’achat de Casa Bucur a été conclu lorsque la Roumanie réformait sa loi sur la propriété et restituait de nombreux biens historiques détenus par l’État à leurs propriétaires originaux. Les preuves montraient que le titre de propriété de Casa Bucur était déjà contesté de longue date par différentes parties. Elles montrèrent également que les demandeurs étaient conscients de l’incertitude concernant le titre, et l’assumaient clairement, et conscients également du risque de restitution lors de l’acquisition de la propriété. La propriété a finalement été rendue à son propriétaire original au titre d’une décision de la Cour suprême roumaine.Les demandeurs arguèrent que le résultat était un « exemple parfait d’une expropriation » (para. 426).

Le tribunal n’était pas d’accord. Il considéra que les demandeurs étaient en effet pleinement conscients des risques et incertitudes au moment de l’acquisition de la propriété. Il remarqua toutefois que les demandeurs avaient une attente légitime selon laquelle, si le risque se matérialisait, le prix d’achat de la propriété leur serait au moins rendu. Le tribunal considéra donc que le non remboursement par la Roumanie du prix d’achat aux demandeurs constituait une violation de la norme TJE du TBI.

Les dommages

Le tribunal accorda aux demandeurs environ 7,5 millions d’euros à titre d’indemnisation pour la violation de la norme TJE dans le différend Rodipet, et environ 147 000 € pour la violation dans le différend Casa Bucur. Ces deux montants provenaient de documents attestant des coûts non récupérables investis par les demandeurs. En plus, le tribunal condamna également la Roumanie à rembourser 1 million USD aux demandeurs pour couvrir une partie de leurs frais juridiques, et accorda également aux demandeurs 482 000 €, soit la moitié de la somme investie pour accéder à des documents saisis par le gouvernement. Tous les autres facteurs d’indemnisation présentés par les demandeurs, notamment les pertes de profits et d’éventuelles ventes à venir, ont été rejetés par le tribunal.

Remarques : Le tribunal était composé de Piero Bernardini (président nommé sur accord des coarbitres, de nationalité italienne), de Hamid Gharavi (nommé par les demandeurs, de nationalité française et iranienne), et de Rudolf Dolzer (nommé par le défendeur, de nationalité allemande). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4208.pdf.


Un tribunal conclut à un abus de procédure dans la restructuration de l’entreprise du demandeur ; le Pérou recouvre ses coûts

Renée Rose Levy and Gremcitel S.A. c. la République du Pérou, Affaire CIRDI n° ARB/11/17

Martin Dietrich Brauch [*]

Dans une décision du 9 janvier 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté le recours de Renée Rose Levy (une citoyenne française) et de Gremcitel S.A. (Gremcitel) contre le Pérou pour des raisons de compétence. Le tribunal a conclu que la restructuration de l’entreprise menée à bien par les demandeurs était un abus de procédure, puisque son seul objectif était d’obtenir accès à l’arbitrage contre le Pérou au titre du Traité bilatéral d’investissement France-Pérou (TBI).

Les faits

Morro Solar est un site historique du Pérou, protégé par la loi péruvienne depuis 1977. En 1995, le Groupe Levy a acheté des terres autour de Morro Solar pour y développer le projet touristique et immobilier Costazul. Entre 2003 et 2004, les terres et les droits relatifs au projet ont été consolidés au sein du demandeur Gremcitel, une entreprise du Groupe Levy enregistrée au Pérou.

En 2001, le Groupe Levy a soumis à l’Institut national péruvien de la culture (INC) une proposition pour la délimitation historique de Morro Solar. L’INC décida en 2003 qu’il n’y avait aucune raison de lever le statut de protection du site, et demanda au Groupe Levy de soumettre un projet pour la prospection et l’excavation de ses terres, soulignant que tout projet de développement urbain était assujetti à l’approbation de l’INC.

L’INC créa également une commission chargée d’étudier la délimitation du site de Morro Solar. Les études furent conclues par un rapport en 2005, et par une résolution en 2007 fondée sur le rapport et formalisant les limites du site. Tout juste un jour avant l’émission de la résolution en 2007, le contrôle direct de Gremcitel a été transféré à la demanderesse, Mme Levy.

Levy et Gremcitel présentent un recours au titre du TJE

La résolution de 2007 imposait aux terres de Mme Levy et de Gremcitel un statut d’intangibilité qui n’existait pas auparavant, frustrant ainsi leurs attentes légitimes de développer le projet Costazul. Ils ont entamé un arbitrage en mai 2011, alléguant que le Pérou avait violé la norme de traitement juste et équitable (TJE) au titre du TBI et réclamaient des dommages évalués par leur expert à 41 milliards USD.

Le statut d’investisseur des demandeurs au moment où le différend est survenu

La première objection du Pérou à la compétence du tribunal était que les demandeurs n’avaient pas démontré qu’ils étaient des « investisseurs » au sens du TBI et de la Convention du CIRDI lorsque les événements au cœur du différend se sont produits. Le tribunal considéra que « pour que le tribunal ait compétence sur une violation des normes substantives du présent Traité, celui-ci doit être en vigueur et le citoyen ou l’entreprise doit avoir déjà réalisé son investissement au moment de la violation alléguée » (para. 146). Le Pérou a également affirmé que « la date à retenir est la date à laquelle l’État a adopté la mesure contestée, même lorsque celle-ci représente le point culminant d’un processus ou d’une série d’événements » (para. 146). Fixant la date à retenir comme étant celle de la publication de la résolution de 2007, le tribunal considéra que Mme Levy (en tant que citoyenne française) et Gremcitel (alors directement contrôlée par Mme Levy) satisfaisaient tous deux aux prescriptions personnelles et temporaires de « l’investisseur ».

Un abus de procédure empêche le tribunal d’établir sa compétence

Le Pérou arguait que le contrôle de Gremcitel avait été transféré à Mme Levy compte tenu de sa nationalité française, dans le seul but de permettre au Groupe Levy de présenter un recours au titre du traité dans le cadre d’un différend « existant ou prévisible, et par ailleurs purement national » (para. 85). Le Pérou s’opposa à la compétence du tribunal au motif qu’il s’agissait d’un abus de procédure.

Le tribunal considéra qu’une restructuration d’entreprise dans le but d’obtenir les bénéfices d’un traité n’est en soi pas illégitime. Cependant, le faire pour invoquer les protections au titre d’un traité peut constituer un abus de procédure si un différend spécifique futur est « prévisible […] et présente de fortes probabilités, et pas simplement une possible controverse », conformément au test de l’affaire Pac Rim c. El Salvador (para. 185). Il se rangea du côté des demandeurs et convint que l’on ne pouvait préjuger d’un abus de droits, mais qu’il fallait pour cela des critères élevés, ne pouvant être satisfaits que par « des circonstances tout à fait exceptionnelles », comme au titre de l’affaire Chevron and Texaco c. Venezuela (para. 186). Il s’inspira ensuite de l’affaire Mobil c. Venezuela et prit en compte « toutes les circonstances de l’affaire » (para. 186) pour déterminer si le différend était « prévisible et présentait de fortes probabilités » lorsque Mme Levy a obtenu le contrôle de Gremcitel.

Pour le tribunal, il ne faisait aucun doute que le transfert « hâtif » des parts de Gremcitel à Mme Levy réalisé la veille de l’émission de la résolution de 2007 n’était pas une coïncidence. Le tribunal était convaincu que les demandeurs – grâce à un agent en lien avec l’INC – avaient connaissance du contenu du rapport de 2005 et pouvaient prévoir que les limites du site seraient formalisées en 2007.

Les demandeurs expliquèrent que le transfert des parts était le fruit d’une décision familiale d’internationaliser le projet. Toutefois, le tribunal « ne voyait pas comment le transfert des parts à un membre de la famille de nationalité étrangère pourrait internationaliser le projet » ; il se rangea plutôt du côté du Pérou et détermina que la seule intention motivant le transfert était d’internationaliser « le différend national en devenir » afin de gagner accès à l’arbitrage du CIRDI (para. 191).

En outre, le tribunal qualifia d’« extrêmement grave » la tentative des demandeurs de démontrer grâce à des documents « peu fiables, voire complètement trompeurs » que Mme Levy était devenue une actionnaire indirecte de Gremcitel dès 2005 (para. 194). Lors de l’audience, une notaire publique a admis qu’à deux reprises, à la demande des demandeurs, elle avait modifié les dates des documents notariés portant sur le transfert des parts. Les demandeurs ont par la suite utilisé ces mêmes documents pour tenter d’établir la compétence du tribunal. Selon le tribunal, « le comportement manipulateur [des demandeurs] jetait un voile sombre sur leurs actions » (para. 194).

Compte tenu des circonstances, le tribunal détermina que la restructuration faisant de Mme Levy l’actionnaire majoritaire de Gremcitel était un abus de procédure, empêchant le tribunal d’établir sa compétence. Au vu des doctrines d’économie judiciaire, il détermina également qu’il n’était pas nécessaire d’aborder la troisième objection juridictionnelle du Pérou, selon laquelle les demandeurs n’avaient pas réalisé « d’investissement » puisqu’ils ne pouvaient démontrer qu’ils avaient le droit de développer le projet Costazul, et n’avaient pas réalisé de contributions financières ni pris de risque.

Le Pérou obtient une décision sur les coûts

Puisqu’il s’est prononcé sur un abus de procédure contre les demandeurs, le tribunal les condamna à payer tous les coûts de la procédure, notamment les honoraires des arbitres.

Les dépenses et frais juridiques des demandeurs représentaient plus de 1,5 millions USD, et ceux du Pérou environ 5,3 millions USD. Pour le tribunal, cet écart montrait que les demandeurs avaient tenté de minimiser leurs coûts, et pas le Pérou. Il ordonna aux demandeurs de contribuer au règlement des frais et dépenses du Pérou à hauteur de 1,5 millions USD – soit le montant de leurs propres frais.

Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente, nommée par le président du conseil administratif, de nationalité suisse), d’Eduardo Zuleta (nommé par les demandeurs, de nationalité colombienne) et de Raúl E. Vinuesa (nommé par le défendeur, de nationalité espagnole et argentine). La décision est disponible sur https://ICSID.worldbank.org/ICSID/FrontServlet?requestType=CasesRH&actionVal=showDoc&docId=DC5652_En&caseId=C1640


Un tribunal de la CNUDCI reconnait un déni de justice de la part des tribunaux indonésiens, mais rejette la demande de dommage et intérêt du demandeur pour cause de méconduite

Hesham T. M. Al Warraq c. la République d’Indonésie, CNUDCI

Marquita Davis [*]

Dans une décision du 15 décembre 2014, un tribunal de la CNUDCI a reconnu un déni de justice dans les procédures pénales indonésiennes par contumace contre Hesham T. M. Al Warraq, un citoyen saoudien.

Bien qu’elle ait déterminé que l’Indonésie avait violé ses obligations de traitement juste et équitable (TJE) au titre de l’accord d’investissement de l’Organisation de la Conférence islamique (l’Accord de l’OCI), la majorité du tribunal jugea que le recours de Warraq pour expropriation n’était pas recevable car il avait violé son obligation de respecter les lois indonésiennes au titre de l’Accord de l’OCI. Le tribunal rejeta les demandes reconventionnelles de l’Indonésie sur le fond, et ordonna aux parties de payer leurs propres frais juridiques et de se partager les coûts de l’arbitrage.

Le contexte

En 2004, Warraq est devenu le seul actionnaire de First Gulf Asia Holdings Limited (FGAH), une entreprise des Bahamas qui avait acquis des parts dans trois banques indonésiennes qui ont plus tard fusionné pour former Bank Century. Au moment de l’arbitrage, FGAH détenait des parts dans Bank Century à hauteur d’environ 14 millions USD.

En octobre 2008, Bank Century connu des problèmes de liquidités. Warraq, en tant qu’actionnaire majoritaire, et d’autres actionnaires signèrent une lettre d’engagement auprès de Bank Indonesia, la banque centrale indonésienne, pour réaliser des stratégies de redressement. En novembre 2008, Bank Century a demandé un soutien de trésorerie à Bank Indonesia, qui a approuvé le renflouement de Bank Century et a placé la banque sous « surveillance spéciale », puis sous administration de l’agence indonésienne de garantie des dépôts bancaires.

Plusieurs enquêtes ont été lancées pour examiner les recours publics portant sur la légalité du sauvetage financier. Bank Indonesia dénonça Warraq à la police nationale pour irrégularités bancaires. Warraq et d’autres ont alors fait l’objet d’une enquête pénale portant sur l’effondrement de Bank Century. Un mandat pour l’arrestation de Warraq a été émis en décembre 2008, et en mars 2010, il a été accusé de fraude bancaire, de mauvaise gestion et de transfert illégal de fonds bancaires. Il ne s’est pas rendu dans le pays pour les procédures, craignant de ne pas recevoir un procès équitable. Son procès a été mené en son absence, il a été reconnu coupable de plusieurs crimes le 16 décembre 2010, et environ 230 000 USD ont été saisis sur ses actifs. Warraq a lancé l’arbitrage le 1er août 2011.

Warraq est reconnu comme « investisseur » au titre de l’Accord de l’OCI

Warraq arguait que, puisqu’il détenait FGAH et était citoyen saoudien, il pouvait être considéré comme un investisseur, tandis que l’Indonésie avançait que l’Accord de l’OCI ne protège que les « investissements directs ». Considérant que l’Accord de l’OCI n’exige pas explicitement des investisseurs qu’ils détiennent directement un capital, le tribunal convint que Warraq pouvait être considéré comme un investisseur « grâce à sa propriété indirecte de Bank Century par le biais de FGAH » (para. 517).

Le tribunal rejette l’argument selon lequel le sauvetage de 2008 constituait une expropriation

Le tribunal a ensuite examiné l’argument selon lequel le sauvetage financier de Bank Century par Bank Indonesia et la participation passive subséquente de celle-ci dans Bank Century équivalait à une expropriation de l’investissement de Warraq. Se rangeant du côté de l’Indonésie, le tribunal considéra que Warraq avait pleinement connaissance des termes du sauvetage et les avait acceptés, et maintenait le contrôle des parts qu’il détenait avant le sauvetage. Le tribunal considéra ensuite que l’Indonésie avait toute discrétion et autorité pour lancer une procédure de sauvetage financier.

Bank Indonesia n’a pas été négligente dans sa supervision de Bank Century

Warraq arguait que la supervision négligente de Bank Century par Bank Indonesia équivalait à une expropriation. Soutenu par la déclaration de l’expert indonésien selon laquelle les lacunes dans la supervision n’atteignaient pas le niveau de la négligence, le tribunal rejeta cet argument, considérant que Bank Indonesia avait « fait preuve de suffisamment de diligence dans ses activités de supervision » (para. 538).

Les recours fondés sur les attentes légitimes et sur la sécurité et la protection adéquates sont rejetés  

Warraq a formulé un recours fondé sur ses attentes légitimes relatives à la supervision de Bank Century par Bank Indonesia. Le tribunal a rejeté ce recours déclarant que le devoir fondamental de diligence de Bank Indonesia était envers les déposants, et non envers les investisseurs de portefeuille tels que Warraq.

Il rejeta également le recours selon lequel l’Indonésie avait violé son obligation de fournir « une sécurité et protection adéquates » pendant le sauvetage et la supervision de Bank Century. Le tribunal affirma que le pays hôte n’avait que l’obligation de fournir « une mesure raisonnable de protection, qu’un gouvernement bien géré serait tenu de fournir dans des circonstances similaires » (para. 635), et que l’Indonésie avait respecté cette obligation.

Finalement, il rejeta le recours de Warraq selon lequel l’Indonésie avait violé cette obligation de fournir une sécurité et protection adéquates en violant ses droits à un procès équitable, car il considéra que cette protection ne s’appliquait qu’aux « investissements » et non pas aux « investisseurs ».

Le tribunal rejette l’argument selon lequel l’Accord de l’OCI donne à l’investisseur le droit à un procès équitable

L’article 10 de l’Accord de l’OCI précise les « droits élémentaires » des investisseurs. Le demandeur argua que cela incluait les « droits fondamentaux » et les « droits humains, civils et politiques codifiés dans le droit international » (para. 519), y compris le droit à un procès équitable au titre de l’article 14 du Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP).

Le tribunal détermina que ces « droits élémentaires » faisaient référence aux « droits de propriété de base » liés à la propriété, à l’utilisation, au contrôle et à la jouissance de l’investissement. Il remarqua toutefois qu’il réexaminerait la question lors de l’examen du recours fondé sur le TJE.

La disposition TJE importée grâce à la clause NPF

Bien que l’Accord de l’OCI contienne une disposition TJE, Warraq a cherché à importer l’obligation TJE contenue dans le TBI Royaume-Uni-Indonésie en invoquant la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) contenue dans l’Accord de l’OCI. L’Indonésie rétorqua que la disposition NPF ne s’appliquait que dans le contexte de la même activité économique et que les deux traités abordaient des activités différentes. Le tribunal importa la clause TJE, considérant que l’objet et le but de l’Accord de l’OCI, tel que souligné dans le préambule, était la promotion et la protection des investissements, qui confèrent un large éventail de droits aux investisseurs.

Le TJE et le PIDCP

Le tribunal souligna que les États n’ont aucune obligation au titre du droit international de fournir un « système juridique parfait, mais [ont l’obligation] de fournir un système juridique où les erreurs majeures sont évitées ou réparées » (para. 620). Il souligna que les critères pour déterminer un déni de justice étaient élevés et déclara qu’un déni de justice constitue une violation de la norme TJE. Selon le tribunal, le PIDCP était un outil pertinent pour mesurer le degré de conformité des tribunaux indonésiens aux normes internationales relatives à la régularité de la procédure, et pour déterminer s’il y avait eu ou non déni de justice. Pour ce faire, et sans s’attarder sur les éléments de la norme TJE elle-même, le tribunal se basa largement sur le PIDCP, qu’il interpréta comme contenant des obligations juridiquement contraignantes pour l’Indonésie en tant qu’État partie. Il détermina également que, au-delà des dispositions explicites, le PIDCP incluait un principe général contraignant de « bonne foi » pour les États.

Le tribunal affirma que « toute personne accusée d’un délit pénal dispose d’un droit fondamental sans restriction à être présent lors de son procès et à se défendre » au titre du PIDCP (para. 564), mais considéra qu’un procès par contumace ne constituait pas une violation systématique du PIDCP. Il considéra que Warraq n’avait pas été correctement informé des accusations pénales ou de sa condamnation, n’avait pas été interrogé comme suspect, et avait été empêché de nommer un représentant juridique lors de son procès et pendant la procédure d’appel. Aussi, l’Indonésie n’avait pas respecté les mesures fondamentales de sauvegarde établies dans le PIDCP, ce qui constitue un déni de justice en violation du PIDCP.

Le tribunal rejeta les recours de Warraq selon lequel les prétendues demandes de pots-de-vin de la part de représentants indonésiens constituaient une violation du TJE, avançant à la fois un manque de preuves, et un manque de lien entre la supposée conduite de l’État et la dépossession de son investissement.

La violation de l’Accord de l’OCI par le demandeur rend le recours relatif aux dommages irrecevable

L’article 9 de l’Accord de l’OCI exige explicitement des investisseurs qu’ils respectent certaines normes et s’abstiennent de mener des activités illégales.

Le tribunal considéra que Warraq avait commis six types de fraude bancaire et violé son obligation au titre de l’article 9 de ne pas agir de manière « préjudiciable à l’intérêt public » en n’étant pas pleinement conscient de ses obligations au titre du droit indonésien, en tant que membre unique du conseil d’administration de Bank Century.

Invoquant la doctrine des mains sales, la majorité du tribunal considéra que, compte tenu de la violation du droit indonésien par Warraq, il s’était privé de la protection offerte par l’Accord de l’OCI, et que sa demande relative aux dommages était irrecevable. L’un des arbitres n’était pas d’accord puisque, selon lui, les illégalités de l’action de Warraq n’étaient pas liées à l’acquisition de son investissement. Il affirma que Warraq avait droit au remboursement des frais juridiques engagés en lien avec sa condamnation abusive.

Le tribunal affirma sa compétence sur les demandes reconventionnelles, mais les rejeta toutes sur le fond 

Au titre d’une autorisation spécifique de l’Accord de l’OCI, le tribunal affirma sa compétence sur les demandes reconventionnelles de l’Indonésie portant sur les fraudes bancaires supposées commises par Warraq. Bien que ces demandes reconventionnelles fussent étroitement liées à l’investissement ainsi qu’aux recours portant sur le sauvetage financier de la banque, elles n’ont pas dépassé l’étape de l’examen quant au fond car l’Indonésie n’a pas réussi à identifier la responsabilité personnelle de Warraq vis-à-vis de toutes les autres personnes et organisations non parties à l’arbitrage.

Remarques : Le tribunal était composé de Bernardo M. Cremades (président nommé sur accord des coarbitres), de Michael Hwang (nommé par le demandeur), et de Fali S. Nariman (nommé par le défendeur). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4164.pdf.


Après que le demandeur ait adressé une notification de retrait de l’arbitrage, la République tchèque obtient une décision portant sur les coûts

Forminster Enterprises Limited (Cyprus) c. la République tchèque, CNUDCI

Joe Zhang [*]

Dans une décision finale du 5 décembre 2014, un tribunal de la CNUDCI détermina que l’investisseur ne pouvait pas unilatéralement mettre fin à la procédure d’arbitrage en retirant sa notification d’arbitrage, et lui ordonna de rembourser à la République tchèque tous les coûts et dépenses liés à la procédure.

Le contexte

 Le 9 janvier 2014, le demandeur enregistré à Chypre, Forminster Enterprise Limited (Forminster), a formulé une notification d’arbitrage contre la République tchèque, arguant que le pays avait exproprié l’investissement de Forminster, en violation du traité bilatéral d’investissement République tchèque-Chypre (TBI). La République tchèque a accusé réception de la notification d’arbitrage le 21 janvier.

À peine quelques semaines plus tard, le 6 février, Forminster adressa une notification de retrait d’arbitrage à la République tchèque, précisant vouloir changer de for « pour suivre une autre plan d’action » (para. 14). Forminster prétendait dans le même courrier que, puisque le tribunal arbitral n’avait pas encore été constitué, la procédure devait être classée sans préjudice à réception du courrier.

Le 26 février, la République tchèque a répondu à la notification de retrait d’arbitrage de Forminster en s’opposant au classement de la procédure et se réservait les droits de réclamer le remboursement des coûts.

Un mois plus tard, un tribunal de trois personnes a été constitué au titre du Règlement d’arbitrage de 1976 de la CNUDCI (le Règlement de la CNUDCI).

Le 10 juillet, la République tchèque a présenté sa première et unique soumission, demandant au tribunal de classer la procédure et de lui octroyer le remboursement intégral de ses coûts et dépenses liés à la procédure.

Dans sa soumission du 11 août, Forminster argua que la procédure aurait dû être classée dès réception de sa notification de retrait d’arbitrage soit du fait de la notification elle-même, ou du fait que la procédure était devenue « inutile » au sens de l’article 34(2) du règlement de la CNUDCI. Il argua en outre qu’aucun remboursement ne devait être accordé au défendeur.

Puisqu’aucune des parties ne contestaient les faits à l’origine du différend, le tribunal limita le fond de l’arbitrage à la clôture de la procédure et à la demande de remboursement de la République tchèque.

La clôture unilatérale d’une procédure est inacceptable 

Le tribunal rejeta d’abord l’argument de Forminster selon lequel il avait le droit de clôturer unilatéralement la procédure d’arbitrage en adressant une notification de retrait de la demande d’arbitrage avant ou en l’absence de la constitution d’un tribunal arbitral. Le tribunal considéra qu’un tel argument autoriserait Forminster à tourner le dos à la demande de remboursement du défendeur, résultat jugé « inacceptable à tous points de vue » (para. 70).

Bien qu’il ait reconnu que le règlement de la CNUDCI autorisait un tribunal à clôturer la procédure lorsque celle-ci est jugée « inutile », le tribunal refusa d’appliquer une telle disposition car il considérait que le défendeur avait encore « un intérêt légitime à faire reconnaitre le remboursement des coûts » (para. 77) et que la procédure ne pouvait être clôturée avant que cette question ne soit tranchée.

La demande de remboursement des coûts de la République tchèque

Le tribunal reconnu sa compétence pour trancher la question du remboursement des coûts, sur laquelle la République tchèque avait réservé ses droits au moment opportun et présenté plus tard. Il détermina ensuite que le pays avait engagé des frais importants compte tenu de la non poursuite par Forminster de son recours après avoir adressé une notification d’arbitrage. Aussi, le tribunal déclara que la République tchèque avait le droit d’obtenir une décision sur ces coûts.

Les frais réclamés par la République tchèque avaient été partiellement engagés avant 2014, dans le cadre d’une demande préalable de Forminster. Le tribunal rejeta cette partie des frais, puisque la République tchèque ne pouvait démontrer leur lien avec la procédure de 2014. Il accorda toutefois au pays le remboursement des frais restants, car il considéra que « l’équité exige que le montant des frais accordé au défendeur pour l’année 2014 ne [doit] être réduit davantage au motif que le défendeur n’avait réussi à recouvrir aucun des coûts [engagés au cours des années précédentes] ».

Le remboursement accordé à la République tchèque représentait environ 12 700 € pour les frais de représentations internes et externes, et 20 000 € pour les frais d’arbitrage, payés d’avance. Le tribunal indiqua que, pour l’étude du dossier et l’élaboration de trois ordonnances de procédure et d’une décision finale, les trois arbitres avaient passé en tout 80 heures sur l’affaire.

Le tribunal n’appliqua toutefois pas le taux horaire de 400 € précédemment fixé (para. 22), qui aurait donné lieu à un coût total de 32 000 € pour l’arbitrage. Il alloua plutôt 8 000 € au président du tribunal, et 6 000 € à chacun des arbitres nommés par les parties, indiquant que la totalité des 20 000 € payés d’avance avaient été dépensés.

Remarques : Le tribunal était composé de Paolo Michele Patocchi (président nommé sur accord des coarbitres), de Martin Hunter (nommé par le demandeur), et d’August Reinisch (nommé par le défendeur). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4109.pdf.


Le recours d’un investisseur allemand contre les Philippines portant sur la concession pour l’aéroport de Manille auprès du CIRDI échoue pour la seconde fois

Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide c. la République des Philippines, Affaire CIRDI n° ARB/11/12

Matthew Levine [*]

 Un deuxième tribunal arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a atteint la phase de la sentence dans un long différend opposant une entreprise multinationale allemande, Fraport, à la République des Philippines. 

Le tribunal du CIRDI a déterminé que des illégalités liées à l’investissement initial de Fraport entrainaient un défaut de compétence matérielle (ratione materiae) au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Allemagne-Philippines de 1997. Dans le même temps, le tribunal a décliné sa compétence sur les demandes reconventionnelles portant sur les actes présumés de corruption et de fraude de Fraport.

Le tribunal a ordonné à Fraport de payer 5 millions USD aux Philippines pour ses frais et coûts de représentation, en application partielle du principe selon lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens.

Le contexte

Au début des années 1990, le gouvernement philippin du Président Ramos a décidé de construire un troisième terminal pour passager à l’aéroport principal de Manille. Un groupe d’entreprises locales a remporté le marché et créé Philippines International Air Terminals Co., Inc. (PIATCO) pour la signature du contrat de concession.

Opérateur aéroportuaire expérimenté, Fraport a acheté des parts de PIATCO et d’un ensemble d’entreprises philippines détenant des parts de PIATCO en 1999. Entre 2001 et 2002, la relation entre PIATCO et le gouvernement s’est dégradée. En novembre 2002, alors que la construction du nouveau terminal touchait à sa fin (d’après Fraport), le Président d’alors, Macapagal-Arroyo, annonça que l’accord de concession était juridiquement nul et ne serait pas honoré. Par la suite, la Cour suprême des Philippines a déclaré que la concession était invalide dès le départ. Conformément aux procédures d’expropriation nationales, un tribunal a transféré la propriété au gouvernement, qui a commencé à opérer le nouveau terminal en 2008. La procédure nationale visant à fixer le montant de l’indemnisation est toujours en cours.

En 2007, un premier tribunal du CIRDI avait rejeté le recours de Fraport au titre du TBI Allemagne-Philippines déterminant que l’entreprise avait contourné une loi nationale (en l’espèce la loi « anti-dummy »). En 2010, un comité ad hoc du CIRDI a cependant annulé la décision de 2007.

Suite à l’annulation de la sentence de 2007, Fraport a décidé de présenter une nouvelle demande d’arbitrage au CIRDI en 2011.

L’admission est un prérequis de l’investissement

Les Philippines se sont opposées à la compétence du tribunal au motif que les activités de Fraport n’avaient pas été acceptées conformément au droit national et donc ne pouvaient être considérées comme un investissement au titre du TBI. 

L’article 1(1) du TBI définit « l’investissement » comme « tout type d’actif accepté conformément aux lois et réglementations respectives de l’un ou l’autre des États contractants ». Si Fraport a essayé d’arguer que ce libellé devait être interprété comme étant une « clause d’admission », le tribunal l’a considéré comme « une condition juridique ». Le tribunal a ensuite pris note de l’affaire EDF International et autres c. Argentine et remarqué que : « Même en l’absence de la prescription explicite de légalité qui existe ici, il serait tout de même approprié d’examiner la légalité de l’investissement. Comme d’autres tribunaux l’ont remarqué, il existe un principe international de plus en plus répandu selon lequel les recours juridiques internationaux ne sont plus disponibles pour les investissements illégaux, en tous cas lorsque l’illégalité concerne le fond-même de l’investissement » (para. 332). 

L’investissement n’est pas admis pour cause de violation du droit national

Les Philippines ont avancé avec succès que les accords qu’avait utilisé Fraport pour investir dans PIATCO et ses filiales violaient une loi nationale. Cette loi de lutte contre le faux interdit toute intervention étrangère dans la gestion, l’opération, l’administration ou le contrôle d’un service public ; cependant, les accords d’achat des parts de Fraport précisent que les actionnaires philippins de PIATCO devraient dans certaines circonstances agir sur les recommandations de Fraport. Le tribunal a reconnu que ces accords violaient la loi nationale et que Fraport n’avait pas été « admis » conformément à l’article 1(1) du TBI. Il n’y avait donc pas d’investissement aux fins de la compétence du tribunal. 

Fraport a suggéré sans succès que ces accords d’achat de parts ne représentaient que de simples « prévisions » d’intervention dans la gestion, l’opération, l’administration ou le contrôle de PIATCO et qu’une telle prévision n’était pas suffisante pour que le tribunal détermine une violation du droit national. Fraport déclara également avoir amendé les accords d’achat des parts qui posaient problèmes, mais le tribunal détermina que la violation originale du droit ne pouvait être rectifiée dans le droit national. Finalement, le tribunal rejeta l’argument selon lequel Fraport s’était contenté de se reposer de bonne foi sur l’expertise de juristes locaux. Le tribunal remarqua plutôt que l’entreprise était consciente de l’illégalité des accords et avait tout de même choisi de prendre le risque.

Les allégations de corruption et de fraude ne sont pas étayées

Le tribunal examina également si la compétence était amoindrie et si le recours était admissible compte tenu des actes de corruption et de fraude de Fraport. Il considéra que, compte tenu qu’il est très difficile de prouver la corruption sur la base de preuves directes, des preuves circonstancielles pourraient être examinées, mais elles doivent être claires et convaincantes pour que l’on puisse raisonnablement croire que les faits, tels qu’avancés, se sont produits. En l’espèce, après examen des soumissions et preuves sous-jacentes, le tribunal n’était pas convaincu que les critères étaient satisfaits. 

Pas de compétence sur les demandes reconventionnelles  

Les Philippines ont formulé douze demandes reconventionnelles, principalement fondées sur le fait que le parachèvement tardif du nouveau terminal était imputable à Fraport ou à PIATCO. Le pays argua que la référence à « tous types de divergences […] relatives à un investissement » dans l’article 9 du TBI représente le consentement des parties à l’arbitrage des demandes reconventionnelles. Il argua ensuite que le lien factuel étroit entre le recours original et les demandes reconventionnelles signifie que ces dernières découlaient directement de l’aspect matériel du différend aux fins de la règle 40(1) du règlement d’arbitrage du CIRDI.

Après avoir déterminé qu’il n’avait pas compétence sur le recours de Fraport, le tribunal considéra toutefois qu’il n’avait pas compétence sur les demandes reconventionnelles du défendeur, compte tenu du lien nécessaire avec le fond du différend, conformément à l’article 46 de la Convention du CIRDI. 

Le principe selon lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens est approprié dans une certaine mesure

Le tribunal remarqua que si traditionnellement les parties à un arbitrage en matière d’investissement payaient leurs propres frais juridiques et partageaient les coûts de l’arbitrage, plusieurs affaires se sont éloignées de ce principe et ont condamné aux dépens la partie qui succombe. En l’espèce, il considéra que l’application de ce principe était appropriée dans une certaine mesure, et a ordonné Fraport de payer 5 millions USD pour couvrir les frais et coûts du défendeur.

Remarques : Le tribunal était composé de Piero Bernardini (président nommé sur accord des parties, de nationalité italienne), de Stanimir A. Alexandrov (nommé par le demandeur, de nationalité bulgare), et d’Albert Jan van den Berg (nommé par le défendeur, de nationalité hollandaise). La décision finale du 10 décembre 2014 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4114.pdf.


Auteurs 

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

Marquita Davis est « Geneva International Fellow » de la Faculté de droit de l’Université de Michigan et stagiaire auprès du programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.

Joe Zhang est conseiller en droit international et travaille pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.