Le recours d’un investisseur allemand contre les Philippines portant sur la concession pour l’aéroport de Manille auprès du CIRDI échoue pour la seconde fois
Fraport AG Frankfurt Airport Services Worldwide c. la République des Philippines, Affaire CIRDI n° ARB/11/12
Un deuxième tribunal arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a atteint la phase de la sentence dans un long différend opposant une entreprise multinationale allemande, Fraport, à la République des Philippines.
Le tribunal du CIRDI a déterminé que des illégalités liées à l’investissement initial de Fraport entrainaient un défaut de compétence matérielle (ratione materiae) au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Allemagne-Philippines de 1997. Dans le même temps, le tribunal a décliné sa compétence sur les demandes reconventionnelles portant sur les actes présumés de corruption et de fraude de Fraport.
Le tribunal a ordonné à Fraport de payer 5 millions USD aux Philippines pour ses frais et coûts de représentation, en application partielle du principe selon lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens.
Le contexte
Au début des années 1990, le gouvernement philippin du Président Ramos a décidé de construire un troisième terminal pour passager à l’aéroport principal de Manille. Un groupe d’entreprises locales a remporté le marché et créé Philippines International Air Terminals Co., Inc. (PIATCO) pour la signature du contrat de concession.
Opérateur aéroportuaire expérimenté, Fraport a acheté des parts de PIATCO et d’un ensemble d’entreprises philippines détenant des parts de PIATCO en 1999. Entre 2001 et 2002, la relation entre PIATCO et le gouvernement s’est dégradée. En novembre 2002, alors que la construction du nouveau terminal touchait à sa fin (d’après Fraport), le Président d’alors, Macapagal-Arroyo, annonça que l’accord de concession était juridiquement nul et ne serait pas honoré. Par la suite, la Cour suprême des Philippines a déclaré que la concession était invalide dès le départ. Conformément aux procédures d’expropriation nationales, un tribunal a transféré la propriété au gouvernement, qui a commencé à opérer le nouveau terminal en 2008. La procédure nationale visant à fixer le montant de l’indemnisation est toujours en cours.
En 2007, un premier tribunal du CIRDI avait rejeté le recours de Fraport au titre du TBI Allemagne-Philippines déterminant que l’entreprise avait contourné une loi nationale (en l’espèce la loi « anti-dummy »). En 2010, un comité ad hoc du CIRDI a cependant annulé la décision de 2007.
Suite à l’annulation de la sentence de 2007, Fraport a décidé de présenter une nouvelle demande d’arbitrage au CIRDI en 2011.
L’admission est un prérequis de l’investissement
Les Philippines se sont opposées à la compétence du tribunal au motif que les activités de Fraport n’avaient pas été acceptées conformément au droit national et donc ne pouvaient être considérées comme un investissement au titre du TBI.
L’article 1(1) du TBI définit « l’investissement » comme « tout type d’actif accepté conformément aux lois et réglementations respectives de l’un ou l’autre des États contractants ». Si Fraport a essayé d’arguer que ce libellé devait être interprété comme étant une « clause d’admission », le tribunal l’a considéré comme « une condition juridique ». Le tribunal a ensuite pris note de l’affaire EDF International et autres c. Argentine et remarqué que : « Même en l’absence de la prescription explicite de légalité qui existe ici, il serait tout de même approprié d’examiner la légalité de l’investissement. Comme d’autres tribunaux l’ont remarqué, il existe un principe international de plus en plus répandu selon lequel les recours juridiques internationaux ne sont plus disponibles pour les investissements illégaux, en tous cas lorsque l’illégalité concerne le fond-même de l’investissement » (para. 332).
L’investissement n’est pas admis pour cause de violation du droit national
Les Philippines ont avancé avec succès que les accords qu’avait utilisé Fraport pour investir dans PIATCO et ses filiales violaient une loi nationale. Cette loi de lutte contre le faux interdit toute intervention étrangère dans la gestion, l’opération, l’administration ou le contrôle d’un service public ; cependant, les accords d’achat des parts de Fraport précisent que les actionnaires philippins de PIATCO devraient dans certaines circonstances agir sur les recommandations de Fraport. Le tribunal a reconnu que ces accords violaient la loi nationale et que Fraport n’avait pas été « admis » conformément à l’article 1(1) du TBI. Il n’y avait donc pas d’investissement aux fins de la compétence du tribunal.
Fraport a suggéré sans succès que ces accords d’achat de parts ne représentaient que de simples « prévisions » d’intervention dans la gestion, l’opération, l’administration ou le contrôle de PIATCO et qu’une telle prévision n’était pas suffisante pour que le tribunal détermine une violation du droit national. Fraport déclara également avoir amendé les accords d’achat des parts qui posaient problèmes, mais le tribunal détermina que la violation originale du droit ne pouvait être rectifiée dans le droit national. Finalement, le tribunal rejeta l’argument selon lequel Fraport s’était contenté de se reposer de bonne foi sur l’expertise de juristes locaux. Le tribunal remarqua plutôt que l’entreprise était consciente de l’illégalité des accords et avait tout de même choisi de prendre le risque.
Les allégations de corruption et de fraude ne sont pas étayées
Le tribunal examina également si la compétence était amoindrie et si le recours était admissible compte tenu des actes de corruption et de fraude de Fraport. Il considéra que, compte tenu qu’il est très difficile de prouver la corruption sur la base de preuves directes, des preuves circonstancielles pourraient être examinées, mais elles doivent être claires et convaincantes pour que l’on puisse raisonnablement croire que les faits, tels qu’avancés, se sont produits. En l’espèce, après examen des soumissions et preuves sous-jacentes, le tribunal n’était pas convaincu que les critères étaient satisfaits.
Pas de compétence sur les demandes reconventionnelles
Les Philippines ont formulé douze demandes reconventionnelles, principalement fondées sur le fait que le parachèvement tardif du nouveau terminal était imputable à Fraport ou à PIATCO. Le pays argua que la référence à « tous types de divergences […] relatives à un investissement » dans l’article 9 du TBI représente le consentement des parties à l’arbitrage des demandes reconventionnelles. Il argua ensuite que le lien factuel étroit entre le recours original et les demandes reconventionnelles signifie que ces dernières découlaient directement de l’aspect matériel du différend aux fins de la règle 40(1) du règlement d’arbitrage du CIRDI.
Après avoir déterminé qu’il n’avait pas compétence sur le recours de Fraport, le tribunal considéra toutefois qu’il n’avait pas compétence sur les demandes reconventionnelles du défendeur, compte tenu du lien nécessaire avec le fond du différend, conformément à l’article 46 de la Convention du CIRDI.
Le principe selon lequel la partie qui succombe est condamnée aux dépens est approprié dans une certaine mesure
Le tribunal remarqua que si traditionnellement les parties à un arbitrage en matière d’investissement payaient leurs propres frais juridiques et partageaient les coûts de l’arbitrage, plusieurs affaires se sont éloignées de ce principe et ont condamné aux dépens la partie qui succombe. En l’espèce, il considéra que l’application de ce principe était appropriée dans une certaine mesure, et a ordonné Fraport de payer 5 millions USD pour couvrir les frais et coûts du défendeur.
Remarques : Le tribunal était composé de Piero Bernardini (président nommé sur accord des parties, de nationalité italienne), de Stanimir A. Alexandrov (nommé par le demandeur, de nationalité bulgare), et d’Albert Jan van den Berg (nommé par le défendeur, de nationalité hollandaise). La décision finale du 10 décembre 2014 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4114.pdf.
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.