Selon un tribunal de la CNUDCI, l’évaluation environnementale du Canada viole la norme minimale de traitement et le traitement national

William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton et Bilcon of Delaware Inc. c. le Gouvernement du Canada, CNUDCI

Le contexte

Dans une décision du 17 mars 2015, la majorité d’un tribunal, à savoir son président Bruno Simma et Bryan Schwartz, l’arbitre nommé par l’investisseur, établi au titre du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), déterminait que l’évaluation environnementale imposée par le Canada au projet de carrière et de terminal maritime violait les dispositions sur la norme minimale de traitement et le traitement national au titre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Donald McRae, l’arbitre nommé par le Canada, était en fort désaccord avec l’analyse de la majorité et son application de l’article 1105 de l’ALENA. Le tribunal a reporté le calcul des dommages ; les investisseurs – quatre citoyens étasuniens et une entreprise enregistrée au titre du droit des États-Unis – réclamaient initialement 300 millions USD.

En avril 2002, un permis a été émis pour la construction et l’exploitation d’une carrière dans la province canadienne de Nouvelle-Écosse. En 2004, l’entreprise demanderesse (Bilcon) a acquis la carrière et le terminal maritime de Whites Point (le Projet) par le biais de l’une de ses filiales canadiennes. Le Canada et la province de Nouvelle-Écosse ont établi une Commission d’examen conjoint (CEC) pour mener une évaluation environnementale (EE) du Projet. Sur la base d’un Rapport de 2007 de la CEC, la Nouvelle-Écosse puis le Canada ont rejeté le Projet en raison de son incompatibilité avec les « valeurs fondamentales de la communauté ». Bilcon a lancé un arbitrage en juin 2008, alléguant des imperfections dans le processus et le rapport de la CEC et dans le rejet postérieur du projet par le Canada.

Pour commencer son analyse, le tribunal s’est penché sur les objections juridictionnelles du Canada, notamment le fait que certains demandeurs n’étaient pas considérés comme des « investisseurs », que certains recours étaient proscrits, et que les actions de la CEC ne pouvaient être attribuées au Canada. Le tribunal établit malgré tout sa compétence et commença l’analyse des principaux faits de l’affaire.

La majorité déclare que la norme minimale internationale de traitement est liée par la note d’interprétation de la CLE, mais détermine que la norme a évolué depuis l’affaire Neer 

Les investisseurs arguaient que la norme du traitement juste et équitable (TJE) de l’article 1105 de l’ALENA devait être interprétée comme une norme autonome incluant les attentes légitimes de l’investisseur, la protection contre les mesures arbitraires ou discriminatoires, et une obligation générale pour l’État « d’agir raisonnablement » (para. 359). Le Canada rétorqua que la norme n’incluait pas d’obligations autonomes comme les attentes légitimes, mais que les Notes d’interprétation de certaines dispositions du chapitre 11 de la Commission du libre-échange (CLE) de l’ALENA limitaient le TJE à la norme internationale minimale de traitement, conformément au droit international coutumier. Le tribunal a convenu avec le Canada qu’elle était liée par la note d’interprétation de la CLE et que les critères d’application de l’article 1105 étaient « élevés » (para. 441).

Le tribunal détermina ensuite que la norme générale d’interprétation la plus appropriée de l’article 1105 était celle mise en avant dans l’affaire Waste Management. Selon le tribunal de cette affaire, « la norme minimale de traitement du traitement juste et équitable est violée par des actes attribuables à l’État et préjudiciables au demandeur si les actes sont arbitraires, manifestement abusifs, injustes ou idiosyncratiques, discriminatoires et exposent le demandeur à un préjudice social ou racial, ou impliquent l’absence de procédure régulière entrainant une conclusion qui offense l’opportunité judiciaire » (para. 442).

Mais le tribunal décida ensuite qu’une violation internationale ne se limitait pas aux actes « outrageants » de l’État, puisque la norme internationale minimale actuelle a évolué et offre une plus grande protection que celle reconnue dans l’affaire Neer. Il jugea qu’un tribunal devait se fonder sur les faits, et prendre notamment en compte le fait que les investisseurs « se [sont] raisonnablement appuyés sur les représentations d’un État hôte » pour déterminer si l’article 1105 était violé (para. 444).

Selon la majorité, le Canada a violé la norme internationale minimale de traitement  

Compte tenu de déclarations spécifiques de fonctionnaires de Nouvelle-Écosse, mais aussi des documents de promotion de l’investissement et des déclarations politiques de la province, le tribunal détermina que les investisseurs avaient été clairement encouragés à plusieurs reprises à poursuivre leur Projet. D’après le tribunal, le Canada avait conduit les investisseurs à croire raisonnablement que, sous réserve du respect des lois fédérales et provinciales, la zone de Whites Point n’était pas exclue de l’investissement (para. 590), contrairement à ce que prétendait l’évaluation de la CEC d’après la majorité du tribunal. Dans son opinion divergente, McRae arguait que le fait que les fonctionnaires de Nouvelle-Écosse aient encouragé l’investissement minier donnant ainsi naissance à des attentes légitimes n’était pas pertinent pour déterminer si la CEC avait respecté les critères de l’article 1105. Il détermina que tout investisseur s’attendrait à ce que les lois canadiennes soient correctement appliquées au cours d’une évaluation environnementale, et que cette attente n’avait rien à voir avec les encouragements ou garanties offertes par des fonctionnaires provinciaux.

La majorité considéra elle que l’évaluation était arbitraire car la CEC n’avait pas déterminé la viabilité du Projet sur la base du critère « des effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». La CEC avait plutôt outrepassé son mandat en adoptant, sans préavis ou autorité juridique propre, une nouvelle norme d’évaluation fondée sur les « valeurs fondamentales de la communauté », ce que la majorité compara à un référendum public sur le projet.

Bien que la majorité considéra qu’« une simple erreur dans l’analyse légale ou factuelle » (para. 594) n’était pas suffisante pour satisfaire au critère élevé de la responsabilité internationale, elle détermina qu’en l’espèce, la violation était suffisante. D’abord, la majorité considéra que les investisseurs avaient des attentes légitimes et avaient investi d’importantes ressources et leur réputation dans le processus de la CEC. Ensuite, elle prit en compte le fait que les investisseurs n’avaient pas été informés que l’évaluation contenait la norme des « valeurs fondamentales de la communauté ». Finalement, elle estima que la CEC s’était largement éloignée de la norme d’évaluation requise par la loi canadienne.

McRae critiqua le fait que la majorité se soit appuyée sur les experts et témoins des investisseurs pour examiner des allégations de problèmes dans le processus d’audition de la CEC, et affirma que la majorité n’avait pas étudié le procès-verbal de l’audience lui-même. Selon lui, la majorité avait mal interprété l’explication de la CEC des « valeurs fondamentales de la communauté ». Il déclara qu’un examen plus attentif du procès-verbal montrait que la CEC utilisait les expressions « valeurs fondamentales » et « valeurs fondamentales de la communauté » simplement pour désigner « les effets humains et environnementaux », expression essentielle du mandat de la CEC (para. 15). Dans son analyse, la CEC concluait que les investisseurs n’avaient pas abordé les effets humains et environnementaux dans leur déclaration d’impact environnemental, bien que le mandat de la CEC leur ordonnait de remédier à ces effets. McRae rejeta la conclusion de la majorité selon laquelle la CEC avait dans les faits pris une « décision relative à une zone », arguant que ses recommandations se basaient sur les détails spécifiques du projet des investisseurs (para. 27). Il détermina également que la CEC avait suffisamment motivé sa décision pour que celle-ci n’inclue pas de mesures individuelles d’atténuation. Pour terminer, McRae estima que la conclusion de la majorité selon laquelle les actes de la CEC étaient arbitraires n’était étayée par aucune preuve ou fondement.

Finalement, McRae arguait que même si le rapport de la CEC était contraire à la législation nationale, cela n’était pas suffisant pour soutenir une violation de l’ALENA, puisque la violation ne satisfait pas au critère de la norme mise en avant dans l’affaire Waste Management. McRae détermina que les actes de la CEC n’étaient pas arbitraires, et que la majorité n’avait pas démontré que les autres critères de la norme mise en avant dans l’affaire Waste Management étaient satisfaits. McRae argua que, « [e]n traitant une violation potentielle du droit canadien comme une violation de l’article 1105 de l’ALENA[,] la majorité a donné la possibilité de réclamer des dommages pour une violation du droit canadien, alors que celui-ci n’offre pas cette possibilité pour une telle violation » (para. 43).

Selon la majorité, le Canada n’a pas accordé un traitement national à l’investissement de Bilcon

Bilcon arguait que le Canada lui avait accordé un traitement moins favorable que celui accordé aux investisseurs nationaux, en lui imposant une méthode d’examen rarement utilisée par la CEC et en n’utilisant pas la norme « des effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». Si le tribunal a rejeté le premier recours au motif qu’il était proscrit, il autorisa le second.

La majorité du tribunal rejeta la tentative du Canada de restreindre les comparateurs aux seuls investissements ou investisseurs dans des « circonstances analogues », tels que ceux assujettis au processus de la CEC, ou les projets largement rejetés par une communauté locale. Elle détermina que, compte tenu du libellé souple de l’article 1102, et de l’objectif général de l’ALENA d’accroitre matériellement les investissements, la gamme des comparateurs devrait être étendue.

Parmi les affaires de comparaison impliquant des carrières dans des zones côtières sensibles, au moins trois ont été soumises à une évaluation des « effets négatifs importants sur l’environnement après la mise en place de mesures d’atténuation ». Pour la majorité du tribunal, cela suffisait à montrer qu’elles avaient reçu un traitement plus favorable que les demandeurs. La majorité détermina qu’un État pouvait justifier l’application d’un traitement différent et préjudiciable au titre du test de l’affaire Pope & Talbot, mais conclut que le Canada n’avait pas présenté d’arguments convaincants pour justifier ses actes.

McRae n’était pas d’accord avec cette conclusion non plus, affirmant que les investisseurs avaient été traités conformément au droit canadien.

Les autres recours des investisseurs sont rejetés et la majorité joint à sa décision une mise en garde

Les investisseurs contestaient d’autres points de l’évaluation de la CEC, mais la majorité détermina que ces facteurs n’étaient pas suffisants pour impliquer la responsabilité internationale.

La majorité décida également qu’il n’était pas nécessaire d’examiner si le Canada avait violé la disposition de la Nation la plus favorisé (NPF) puisque cela n’affecterait pas le calcul des dommages.

La majorité s’est également employée à souligner que sa décision en faveur des investisseurs ne constituait pas une évaluation du droit environnemental substantif du Canada, mais qu’elle se fondait sur des faits spécifiques des recours des investisseurs et sur le fait que le rapport de la CEC ne respectait pas le droit environnemental canadien existant.

McRae n’était pas d’accord, et affirma que la majorité donnait la possibilité aux investisseurs de contester au niveau international les décisions adoptées par des commissions d’examen environnemental nationales. Il averti qu’il s’agissait d’« une intrusion importante dans la sphère nationale qui entrainerait un gel du fonctionnement des commissions d’examen environnemental » (para. 48). Selon lui, l’aspect le plus troublant de la décision de la majorité était le fait qu’un État était tenu de verser des dommages aux investisseurs pour avoir accordé une grande importance à la manière dont un projet affecte l’environnement et les hommes et pour avoir pris en compte les intérêts et valeurs de la communauté.

Remarques : Le tribunal était composé de Bruno Simma, de Bryan Schwartz et de Donald McRae. La décision de la majorité est disponible sur http://www.italaw.com/cases/documents/2984, et l’opinion divergente sur http://www.italaw.com/cases/documents/2985.

Marquita Davis est « Geneva International Fellow » de la Faculté de droit de l’Université de Michigan et stagiaire auprès du programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.