Un tribunal condamne la Mongolie à payer plus de 80 millions USD en dommages et intérêts pour expropriation illégale

Khan Resources Inc., Khan Resources B.V. et CAUC Holding Company Ltd. c. Le gouvernement de Mongolie et MonAtom LLC, Affaire CPA n° 2011-09

Dans une décision du 2 mars 2015, un tribunal formé au titre du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) jugeait que la Mongolie avait illégalement exproprié les actifs d’investisseurs étrangers, violant ainsi sa loi relative à l’investissement étranger ainsi que le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE).  Les demandeurs recevront une indemnisation de 80 millions USD, en plus des intérêts et du remboursement des frais de l’arbitrage.

Les demandeurs et le projet

L’arbitrage a été lancé par trois demandeurs en lien avec leur investissement dans un projet d’exploration et d’extraction de l’uranium dans la province mongole de Dornod (le projet Dornod). Les demandeurs étaient (1) CAUC Holding Company Ltd (CAUC Holding), une entreprise enregistrée dans les îles Vierges britanniques (BVI) qui a investi dans le projet Dornod par le biais de sa filiale mongole majoritaire Central Asian Uranium Company (CAUC) ; (2) Kahn Resources B.V. (Kahn Pays-Bas), une entreprise hollandaise qui a investi dans le projet Dornod par le biais de sa filiale mongole à 100 % Khan Resources LLC (Kahn Mongolie) ; et (3) Kahn Resources Inc. (Kahn Canada), une entreprise canadienne, unique propriétaire de CAUC Holding, par un intermédiaire des Bermudes, et de Khan Pays-Bas.

CAUC exploitait le projet Dornod au titre d’une licence (Licence 237A) qui couvrait à l’origine deux dépôts, et qui, à la demande de CAUC, a ensuite été réduite d’une partie dans le but de diminuer les impôts et les redevances. La partie exclue a ensuite été acquise par Kahn Mongolie au titre d’une licence minière distincte (Licence 9282X).

Le schéma ci-dessous illustre la structure de propriété des entreprises concernées juste avant que le différend ne survienne.

 

Les différends

Dans le cadre de sa réforme de l’énergie nucléaire, la Mongolie a promulgué en 2009 la Loi sur l’énergie nucléaire (LEN) et créé l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN). En octobre 2009, l’AEN a émis le décret n° 141 qui suspendaient 149 licences d’exploration et d’exploitation des mines d’uranium, notamment les licences 237A et 9282X, en attendant que l’AEN confirme leur reconduction au titre de la LEN. En mars 2010, l’AEN a inspecté le site du projet Dornod, et a noté que celui-ci n’avait pas corrigé certaines violations du droit mongol précédemment identifiées et a reconnu de nouvelles violations. En avril 2010, l’AEN a invalidé les deux licences minières, et en a informé les demandeurs plus tard la même année.

Les demandeurs ont lancé l’arbitrage en 2011, sur la base de trois instruments distincts. Khan Canada et CAUC Holding ont invoqué la clause d’arbitrage de l’accord de co-entreprise qui a créé CAUC (l’accord fondateur), arguant que la suspension et l’invalidation des licences constituaient une expropriation illégale, en violation des obligations de la Mongolie au titre de l’accord fondateur, du droit mongol (notamment la loi relative à l’investissement étranger) et du droit international coutumier. Khan Pays-Bas s’est appuyé uniquement sur le TCE, arguant qu’en violant la loi relative à l’investissement étranger, la Mongolie avait également violé ses obligations au titre du TCE par le biais de la clause parapluie du traité.

Les objections juridictionnelles

Dans une décision distincte sur la compétence rendue le 25 juillet 2012, le tribunal s’était prononcé sur plusieurs objections juridictionnelles soulevées par la Mongolie.

Des entités non signataires deviennent de « vraies parties » à la clause sur l’arbitrage par « l’intention commune »

La Mongolie s’opposait à la compétence personnelle du tribunal sur Khan Canada au motif que celui-ci n’était pas partie à l’accord fondateur. Le tribunal a remarqué que le demandeur canadien n’était pas partie à l’accord fondateur, mais il estima qu’une entité non signataire pouvait devenir une « vraie partie » à l’accord si c’était là l’intention commune des parties signataires et non signataires. Le tribunal détermina que cette intention commune existait puisque Khan Canada avait aidé CAUC Holding à réaliser ses obligations financières au titre de l’accord fondateur et que différends échanges officieux avaient parfois fait référence à Khan Canada, plutôt qu’à sa filiale BVI CAUC Holding, comme actionnaire de CAUC.

Les engagements souverains pris par les entreprises étatiques lient la Mongolie

La Mongolie argua également qu’elle ne pouvait être tenue par la clause d’arbitrage de l’accord fondateur puisqu’elle n’y était pas partie. Sur la base du témoignage de l’expert juridique des demandeurs, le tribunal détermina que l’un des actionnaires de CAUC, MonAtom, une entreprise publique mongole, avait agit comme représentant de la Mongolie et contracté des obligations que seul un État souverain peut satisfaire, en l’espèce s’engager à réduire les redevances pour l’utilisation des ressources naturelles dont devait s’acquitter CAUC, ce qui donnait donc au tribunal la compétence personnelle sur la Mongolie au titre de l’accord fondateur.

La clause d’arbitrage floue ouvre la voie aux recours au titre du contrat, du droit national et du droit coutumier international

La Mongolie contestait également la compétence rationae materiae du tribunal sur les recours au titre de l’accord fondateur. Le tribunal détermina toutefois que la clause d’arbitrage largement libellée contenue dans l’accord fondateur couvrait tous les recours déposés, notamment ceux portant sur des violations du droit national et du droit coutumier international, puisqu’ils étaient tous suffisamment liés à l’accord fondateur.

Le droit de refuser d’accorder les avantages au titre du TCE doit être activement exercé avant le début de l’arbitrage

S’agissant des recours de Khan Pays-Bas au titre du TCE, la Mongolie arguait que ces recours étaient interdits, puisque l’article 17(1) du TCE l’autorisait à refuser d’accorder les avantages du traité aux investisseurs ne menant « pas d’activités commerciales importantes » dans le pays hôte. Le tribunal commença son analyse en notant qu’il s’agissait d’une question de fond, plutôt que de compétence, puisque l’article 17(1) du TCE ne concerne que la troisième partie (Promotion et protection des investissements) du traité, et pas le chapitre sur le Règlement des différends (cinquième partie). Il poursuivit malgré tout son analyse et examina (a) si l’article 17(1) constituait un refus automatique des avantages et, (b) dans le cas contraire, si le droit au refus d’accorder les avantages du traité pouvait être exercé avant le début de l’arbitrage. Le tribunal s’inspira largement des décisions dans les affaires Yukos c. Russie et Plama c. Bulgarie, considérant qu’il avait « le devoir de tenir compte de ces décisions, dans l’espoir de contribuer à l’élaboration d’une interprétation cohérente du TCE capable de renforcer la capacité des investisseurs à prévoir la protection de l’investissement à laquelle ils peuvent prétendre au titre du Traité » (Décision sur la compétence, para. 417). Le tribunal détermina qu’un État devait activement exercer son droit au titre de l’article 17(1) du TCE, et que cet exercice actif devait être opportun afin de laisser suffisamment de temps aux investisseurs, et qu’aucune incertitude ne « freine la capacité des investisseurs à décider d’investir dans un pays donné » (Décision sur la compétence, para. 426).

Recours fondés sur l’expropriation illégale

Une grande partie de l’examen du tribunal quant au fond a été consacrée aux recours fondés sur l’expropriation illégale, c’est-à-dire sur le fait de déterminer si l’invalidation des licences minières et le refus de les reconduire constituait une expropriation illégale au titre de la loi mongole relative à l’investissement étranger.

Le tribunal ne concorde pas avec la Mongolie quant à l’interprétation de son droit national

La Mongolie argua d’abord que les licences minières n’étaient pas des investissements protégés par sa loi relative à l’investissement étranger, qui définit « l’investissement étranger » comme « tout type de propriété tangible et intangible ». La Mongolie avançait en outre que les licences minières n’étaient pas considérées comme des propriétés au titre du droit mongol, puisqu’une décision de la Cour suprême mongole affirmait qu’ « une licence minière […] est en possession d’une entité, mais n’en est pas sa propriété, et il n’est donc pas juridiquement fondé de considérer une telle licence minière comme un droit de propriété transférable à d’autres » (Décision quant au fond, para. 303).

Notant qu’il y avait un « concept général selon lequel les droits au titre des licences (ainsi que les droits contractuels) à exploiter les ressources naturelles constituaient une propriété intangible » (Décision quant au fond, para. 302), le tribunal ne concorda pas avec l’interprétation par la Mongolie de son droit national et de la décision de sa Cour suprême, et détermina que le pays ne l’avait pas convaincu qu’il fallait « s’éloigner du concept général » (Décision quant au fond, para. 307).

Le tribunal examine les éléments de fond et de procédure des recours fondés sur l’expropriation

Pour déterminer s’il y avait EU une expropriation illégale, le tribunal a d’abord remarqué que le droit mongol contemple deux types d’expropriation. L’on parle de khuraakh lorsque l’État prive une entité de sa propriété pour violations du droit ou si l’usage de la propriété affecte les intérêts de tierces parties. Et l’on parle de daichlakh lorsqu’une expropriation ordonnée par l’État est jugée nécessaire pour satisfaire un intérêt public supérieur. En l’espèce, le tribunal détermina que l’invalidation des licences et leur non reconduite devait être vue comme le khuraakh au titre du droit mongol (Décision quant au fond, para. 313–317). Sur la base du témoignage de l’expert juridique des demandeurs, le tribunal jugea que pour que la procédure khuraakh fut légale, elle (a) aurait dû être juridiquement fondée et (b) menée conformément aux règles de procédure régulière.

Le tribunal examina d’abord si la Mongolie était juridiquement habilitée à invalider les licences. Contrairement à la Mongolie, il détermina que les demandeurs n’avaient pas violé le droit mongol. Après avoir menée une analyse de proportionnalité, il conclut que l’invalidation des licences n’était pas une sanction appropriée, même si les violations alléguées avaient existées. Le tribunal considéra donc que la Mongolie n’avait « indiqué aucune violation du droit mongol permettant de justifier les décisions d’invalider et de ne pas reconduire » les licences minières (Décision quant au fond, para. 319). Il détermina en outre, sur la base des preuves présentées par les demandeurs, que les violations alléguées étaient des prétextes cachant la motivation réelle de la Mongolie qui était de « [développer] les dépôts de Dornod avec un partenaire russe de façon à en tirer davantage de profits » (Décision quant au fond, para. 340).

S’agissant des éléments de procédure, le tribunal considéra que les demandeurs n’avaient pas bénéficié du respect des règles de procédure régulière. Il détermina notamment que la Mongolie avait l’obligation de reconduire les licences minières car il n’y avait « pas de cause légale suffisante pour que les demandeurs ne remplissent pas les exigences requises [et prévues] dans le cadre de la demande » (Décision quant au fond, para. 350, 358). Le tribunal détermina en outre que puisque les licences minières n’avait jamais été reconduites au titre de la LEN récemment promulguée, la procédure d’invalidation prescrite par la LEN ne pouvait s’appliquer à ces licences minières, et que l’AEN n’avait pas l’autorité pour invalider les licences sauf si elles avaient été reconduites au titre de la LEN (Décision quant au fond, para. 352–365).

La Mongolie a violé le TCE par le jeu de la clause parapluie

Après avoir conclu que la Mongolie « avait violé son obligation au titre de la Loi sur l’investissement étranger » (Décision quant au fond, para. 366), le tribunal jugea rapidement que la Mongolie était également en violation du TCE  vis-à-vis de Khan Pays-Bas  par le biais de la clause parapluie (Décision quant au fond, para. 366). Il fit référence à sa Décision sur la compétence, qui affirmait que « toute violation par la Mongolie des obligations qu’elle peut avoir au titre de la Loi sur l’investissement étranger constituerait une violation des dispositions de la troisième partie du [TCE] » (Décision sur la compétence, para. 438).

Les dommages

Lors du calcul des dommages et intérêts, le tribunal rejeta les méthodologies classiques proposées par les parties et décida d’évaluer l’investissement en analysant trois offres d’achat du projet Dornod reçues entre 2005 et 2010, arrivant à un montant total de 80 millions USD à titre de dommages. Le tribunal accorda également aux demandeurs des intérêts au taux LIBOR sur un an majoré de 2 points, composés sur une année, et calculés entre le 1er juillet 2009 (la date de l’évaluation) et la date du paiement. En outre, le tribunal accorda aux demandeurs 9,07 millions USD pour couvrir leurs frais de représentation juridique, notamment une « prime de réussite » calculée sur la provision sur charges réalisée par les demandeurs et leurs conseillers.


Remarques

Le tribunal était composé de David A. R. Williams (président nommé sur accord des coarbitres, de nationalité néozélandaise), de L. Yves Fortier (nommé par les demandeurs, de nationalité canadienne) et de Bernard Hanotiau (nommé par le défendeur, de nationalité belge). La décision sur la compétence est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4268.pdf. La décision quant au fond est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4267.pdf.


Auteur

Joe Zhang est conseiller en droit international et travaille pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.