Les obligations souveraines ne sont pas couvertes, malgré la définition large de « l’investissement » contenue dans le TBI Grèce-Slovaquie ; le tribunal rejette les recours contre la Grèce

Poštová Banka, a.s. et Istrokapital SE c. la République hellénique, Affaire CIRDI n° ARB/13/8

Le 9 avril 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté, en raison de son absence de compétence, une affaire contre la Grèce portant sur la dégradation des obligations d’État grecques (OEG) suite à la crise économique dans le pays.

Les demandeurs étaient Poštová banka, a.s. (Poštová banka), une banque slovaque, et Istrokapital SE (Istrokapital), une entreprise de droit chypriote. Poštová banka avait acquis en 2010 des OEG pour un total de 504 millions d’euros par le biais de diverses transactions ; Istrokapital détenait des parts dans Poštová banka. La détérioration de la situation économique de la Grèce, et la dégradation de la note des OEG par les agences de cotation ont incité les demandeurs à lancer un arbitrage le 3 mai 2013 au titre des Traités bilatéraux d’investissement (TBI) Slovaquie-Grèce et Chypre-Grèce.

Les objections juridictionnelles de la Grèce

La Grèce s’opposait à la compétence ratione materiae, personnelle et temporelle du tribunal ; elle avançait également que les recours devaient être rejetés pour abus de procédure, et que le tribunal n’avait pas compétence sur les recours rendus possibles par la clause parapluie. Le tribunal a d’abord examiné la double objection de la Grèce à la compétence ratione materiae du tribunal, portant sur les recours d’Istrokapital au titre du TBI Chypre-Grèce, et les recours de Poštová banka au titre du TBI Slovaquie-Grèce.

Istrokapital au titre du TBI Chypre-Grèce : il s’agit d’un « investissement indirect » qui n’est pas protégé

Istrokapital arguait avoir réalisé un investissement indirect dans les OEG par le biais de sa participation dans Poštová banka, et que cet investissement – et non sa participation dans Poštová banka – était protégé par le TBI Chypre-Grèce. La Grèce s’opposa à la compétence du tribunal au motif qu’Istrokapital elle-même ne disposait pas d’un investissement au titre du TBI Chypre-Grèce et ne pouvait fonder la compétence sur les OEG de Poštová banka.

Le tribunal a largement examiné la jurisprudence pour voir si les actionnaires avaient des droits sur les actifs des entreprises dans lesquelles ils détiennent des parts, notamment les affaires HICEE B.V. c. Slovaquie, ST-AD GmbH c. Bulgarie, El Paso c. Argentine, BG c. Argentine, Urbaser c. Argentine, CMS c. Argentine, et Paushok c. Mongolie. Selon lui, ces décisions établissent que, si « un actionnaire dans une entreprise enregistrée dans l’État hôte peut intenter un recours contre les mesures prises à l’encontre des actifs de cette entreprise qui réduisent la valeur des parts du demandeur », l’actionnaire ne dispose pas du « statut permettant de lancer un recours pour les actifs de l’entreprise locale, puisqu’il n’a pas de droits juridiques sur ces actifs » (para. 245).

Puisqu’Istrokapital cherchait à établir la compétence du tribunal sur son investissement indirect, mais ne l’avait pas convaincu qu’elle disposait de droits sur les actifs de Poštová banka protégés par le TBI, le tribunal rejeta l’ensemble des recours d’Istrokapital pour absence de compétence.

Poštová banka au titre du TBI Slovaquie-Grèce : le tribunal élabore son interprétation pour déterminer si les OEG sont reconnues comme des « investissements »

Les parties n’étaient pas d’accord quant à l’interprétation du terme « investissement » au titre de la Convention du CIRDI et du TBI Slovaquie-Grèce, orientée par la Convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT), et quant au fait de savoir si les OEG de la Poštová banka étaient couvertes par la définition de « l’investissement ».

Le tribunal a d’abord analysé la manière dont les OEG avaient été émises par la Grèce, et acquises par Poštová banka. Il remarqua notamment que Poštová banka avait acquis ses OEG non pas lors de leur émission initiale, mais sur le marché secondaire, et les avait déposées chez Clearstream Banking Luxembourg (Clearstream), un dépositaire universel. Il examina ensuite si les intérêts de Poštová banka dans les OEG étaient considérés comme des « investissements » au titre de l’article 1(1) du TBI Slovaquie-Grèce.

Si « l’investissement » est défini comme « tout type d’actif », quel est l’objet de la liste indicative ?

Selon les demandeurs, leurs intérêts étaient couverts par la large définition de « l’investissement » contenue dans le chapeau de l’article 1(1) (« L’investissement est défini comme tout type d’actif et inclut en particulier, mais non exclusivement : […] ») et dans les références aux « emprunts » ou aux « créances » dans la section (c). Selon eux, l’investissement n’avait pas de véritable sens au titre du droit international. La Grèce n’était pas d’accord, et maintenait que le terme a un sens véritable, et que le tribunal ne devrait pas chercher une définition spéciale au titre du traité.

Le tribunal considéra que si la définition de « l’investissement » au titre du TBI est large (tout type d’actif), cela ne signifie pas que toutes les catégories d’actifs sont considérées comme des « investissements », ni qu’une catégorie ne peut être exclue que par mention expresse. Il détermina que « les tribunaux statuant sur les affaires investisseur-État ne sont pas autorisés à élargir la portée des investissements que les États parties envisageaient de protéger juste parce que la liste des investissements protégés dans le traité n’est pas une liste fermée » (para. 288).

S’il est vrai que plusieurs traités incluent des définitions larges de l’investissement fondées sur les actifs, la liste indicative des catégories considérées comme un investissement peut fortement varier. Afin d’interpréter un traité de bonne foi, en tenant compte de son texte, de son contexte, de son objet et son but, comme l’exige la CVDT, le tribunal considérait qu’il fallait interpréter la liste indicative d’un « investissement » de manière à ne pas la rendre inutile ou sans objet.

Le tribunal rechercha également dans la jurisprudence de quoi soutenir sa conclusion. Il détermina que les décisions des affaires Fedax c. Venezuela, Abaclat c. Argentine et Ambiente Ufficio c. Argentine « ont toujours considéré le texte de la liste des catégories pouvant être considérées comme un investissement comme un élément prépondérant pour déterminer si l’activité ou l’opération en question pouvait être considérée comme un investissement » (para.  303).

Les OEG sont-elles des « investissements » au titre des catégories figurant dans la liste indicative ?

Le tribunal examina si les OEG de Poštová banka relevaient des catégories d’investissements indiquées dans le TBI. Il se fonda sur l’hypothèse – non contestée par les parties – selon laquelle les OEG constituent une dette souveraine qui ne peut équivaloir à une dette privée, tout comme les titres sous forme d’obligations, qui sont assujettis à une réglementation stricte et spécifique.

Il nota ensuite que ni l’article 1(1) du TBI Grèce-Slovaquie ni d’autres dispositions du traité ne font référence, d’une manière ou d’une autre, à la dette souveraine, aux titres publics, aux valeurs publiques, aux obligations publiques ou à d’autres éléments similaires » (para. 332). La seule référence aux obligations, à l’article 1(1)(b) est limitée aux obligations émises par des entreprises privées (« obligations »). Le tribunal concéda à la Grèce que l’exclusion des obligations souveraines de la définition de « l’investissement » indique que les parties contractantes n’avaient pas l’intention d’en faire des investissements couverts.

Les demandeurs proposaient que les OEG relèvent d’une large interprétation de l’article 1(1)(c) qui fait référence aux « emprunts, aux créances et à toute performance réalisée au titre du contrat ayant une valeur monétaire ».

Le tribunal refusa de considérer les OEG comme des emprunts, compte tenu de la distinction entre les emprunts et les obligations. Les emprunts ont généralement des créanciers identifiés et leur cessibilité est limitée ; ils ne sont pas régis par les réglementations sur les obligations et impliquent une relation contractuelle entre le créancier et le débiteur final. Quant aux obligations, elles sont généralement détenues par de grands groupes de créanciers anonymes, peuvent être cédées très facilement, sont assujetties à des restrictions et à des réglementations, et impliquent une relation contractuelle entre le détenteur et les intermédiaires (et pas avec le débiteur final). En l’espèce la distinction est essentielle : Poštová banka a pu échanger les OEG rapidement, et avait une relation contractuelle directe non pas avec la Grèce, le débiteur final, mais avec Clearstream, l’intermédiaire auprès duquel elle avait acquis les OEG.

Les demandeurs voulaient également que les OEG relèvent des « créances » au titre de l’article 1(1)(c). Le tribunal s’y opposa également. Il expliqua d’abord qu’il ne pouvait pas étendre le libellé du traité à la légère en vue d’interpréter une référence générale aux « créances » comme incluant les obligations d’État. Ensuite, s’arrêtant sur le contexte – « les créances et toute performance réalisée au titre du contrat ayant une valeur monétaire » – le tribunal détermina que pour que les créances relèvent de la définition, elles devaient découler d’un contrat avec le défendeur. Ce n’était pas le cas puisque Poštová banka n’avait pas conclu de contrat avec la Grèce.

Le renvoi et les coûts

Concluant qu’aucun des demandeurs ne disposait « d’investissement » au sens des TBI en question, le tribunal rejeta l’affaire pour absence de compétence, et considéra qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les autres objections de la Grèce.

Le tribunal nota que « la question de la juridiction n’était pas univoque et impliquait un contexte factuel et juridique complexe » (para. 377) et ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais de représentation et de se partager les coûts de l’arbitrage.


Remarques

Le tribunal était composé d’Eduardo Zuleta (président, nommé par le Secrétaire-général du CIRDI, de nationalité colombienne), de John M. Townsend (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4238.pdf.


Auteur

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.