Après avoir examiné la loi sur l’investissement du Venezuela, la majorité d’un tribunal considère que Venoklim n’est pas un investisseur et rejette l’affaire contre le Venezuela ; l’arbitre nommé par le demandeur n’est pas d’accord
Venoklim Holding B.V. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/12/22
La majorité d’un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté une affaire pour expropriation contre le Venezuela pour raison de compétence, déterminant que l’investisseur n’était pas considéré comme un ressortissant étranger au titre de la loi vénézuélienne sur l’investissement. La décision a été rendue le 3 avril 2015.
Le contexte et la décision de bifurquer
Par le décret n° 7712 de 2010, le Venezuela avait ordonné l’acquisition forcée des actifs de cinq entreprises détenues et contrôlées par Venoklim Holding B.V. (Venoklim), enregistrée aux Pays-Bas. Aux termes du décret, l’acquisition était essentielle pour l’autonomie du Venezuela dans la production de certains lubrifiants.
Venoklim a lancé un arbitrage en juillet 2012 pour expropriation, sur la base de la loi vénézuélienne sur l’investissement et de la Convention du CIRDI. Ce n’est qu’en septembre 2013, au moment de présenter son contre-mémoire aux objections juridictionnelles du Venezuela, que Venoklim a mentionné expressément le Traité bilatéral d’investissement (TBI) Venezuela-Pays-Bas. Le tribunal a décidé de bifurquer l’arbitrage, abordant en premier lieu les objections juridictionnelles du Venezuela et reportant l’examen quant au fond.
La dénonciation de la Convention du CIRDI par le Venezuela prend effet six mois plus tard
Rappelant qu’il a dénoncé la Convention du CIRDI le 24 janvier 2012, le Venezuela arguait que le tribunal n’avait pas compétence personnelle. Selon le pays, l’article 72 de la Convention du CIRDI signifie que le consentement valable d’un pays n’existe que si la demande d’arbitrage a été reçue avant la notification de dénonciation. En réponse, Venoklim avança qu’au titre de l’article 71 de la Convention du CIRDI, la dénonciation par le Venezuela ne prenait effet que six mois après réception de la notification de dénonciation, et souligna que l’arbitrage avait été lancé avant que les six mois ne soient écoulés.
Le tribunal rejeta l’objection et l’interprétation de l’article 72 par le Venezuela. Selon lui, cette interprétation donnait un effet immédiat à la dénonciation de la Convention par le Venezuela, annulant le préavis de six mois prévu par l’article 71. Elle violait également le principe de la sécurité juridique, aux dépens des investisseurs.
La date de présentation de la demande d’arbitrage, et non pas la date d’enregistrement auprès du CIRDI, est la date établissant le consentement de l’investisseur
Le Venezuela objecta que, lorsque le différend avait été enregistré le 15 août 2012 et qu’il a débuté, le pays n’était plus partie à la Convention du CIRDI, même en tenant compte de la période de six mois au titre de l’article 71. Toutefois, Venoklim considérait l’enregistrement du différend par le Secrétariat du CIRDI comme une simple mesure administrative, et que le consentement avait déjà été donné lorsque la demande a été présentée le 23 juillet 2012. Le tribunal se rangea du côté de Venoklim, concluant que la date pertinente pour l’établissement de la compétence est la date à laquelle l’investisseur a donné son consentement en présentant une demande d’arbitrage, et non pas la date de l’enregistrement de celle-ci par le CIRDI.
La loi sur l’investissement du Venezuela n’est pas une base indépendante de la compétence du CIRDI
Le Venezuela argua que l’article 22 de sa loi sur l’investissement ne constituait pas une offre ouverte et générale à l’arbitrage, compte tenu du sens ordinaire de la disposition, des déclarations politiques faites au moment de la promulgation de la loi, et des comparaisons entre la disposition et les offres d’arbitrage contenues dans les TBI du Venezuela et dans les dispositions modèles du CIRDI. D’après Venoklim, la disposition inclut implicitement le TBI et constitue une base juridictionnelle indépendante.
Après avoir analysé l’esprit, le contexte et l’objectif de la disposition ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a été élaborée, le tribunal conclut que la disposition permettait de confirmer les offres d’arbitrage du Venezuela au titre d’autres instruments juridiques, tels que les TBI, mais ne pouvait être considérée comme une offre d’arbitrage « indépendante, claire et générale » (para. 104). Il rejeta donc l’objection, conformément aux décisions précédentes du CIRDI dans les affaires Mobil, Cemex, Brandes, Tidewater, OPIC et ConocoPhillips.
Le TBI ne constitue pas une base juridictionnelle indépendante, sauf s’il est incorporé par référence indirecte à la loi du Venezuela sur l’investissement
Le Venezuela prétendait que l’invocation tardive du TBI – non pas dans la demande d’arbitrage mais plus tard dans le contre-mémoire – violait la Convention et les règles de procédure du CIRDI, qui exigent que la demande présente tous les éléments nécessaires pour établir la compétence.
Le tribunal se rangea du côté de l’investisseur et reconnu qu’il n’y avait pas d’invocation tardive. Il raisonna que le contre-mémoire se contentait d’expliquer et de détailler les éléments de compétence présentés dans la demande d’arbitrage, en l’espèce la loi sur l’investissement. L’article 22 de cette loi fait référence à l’arbitrage international prévu dans les traités d’investissement en général. Puisque Venoklim prétendait être un investisseur néerlandais, le tribunal détermina que la référence aux traités d’investissement dans la loi vénézuélienne devait en l’occurrence être comprise comme une référence au TBI Venezuela-Pays-Bas.
Adoptant le critère du contrôle effectif prévu par la loi sur l’investissement, le tribunal détermine que Venoklim n’est pas un investisseur étranger
Afin de démontrer sa nationalité étrangère, Venoklim invoqua le critère de la création de l’entreprise (mentionné dans le TBI), mais le Venezuela argua que c’était le critère du contrôle effectif (mentionné dans la loi sur l’investissement) qui devait être utilisé. D’après le pays, le contrôle effectif de Venoklim relève au final d’une entreprise vénézuélienne. L’investisseur ne pouvait donc être considéré comme un ressortissant étranger au titre de la Convention du CIRDI, de la loi sur l’investissement ou du TBI.
La majorité du tribunal souligna que Venoklim devait satisfaire aux obligations de l’article 22 de la loi sur l’investissement pour bénéficier du TBI, et prouver sa nationalité étrangère au titre de la Convention du CIRDI.
Analysant l’article 22, la majorité nota que la disposition mentionne parmi les critères pertinents pour établir la nationalité « la propriété » et « le contrôle » mais pas l’enregistrement. Il considéra donc que le lieu d’enregistrement de l’investisseur n’était pas pertinent dans sa décision, et puisque les parties n’ont pas abordé la question de la propriété, il n’a examiné que le critère du contrôle. Dans cette analyse, il détermina que Venoklim était en effet contrôlée par une entreprise vénézuélienne, à son tour détenue et contrôlée par des ressortissants vénézuéliens.
Déterminant que Venoklim n’était pas un investisseur étranger au titre de l’article 22, la majorité jugea que l’investisseur ne pouvait bénéficier des protections offertes par la disposition, et que par conséquent, il ne pouvait bénéficier des protections du TBI non plus. La majorité du tribunal a donc rejeté l’affaire pour absence de compétence.
Analysant brièvement la Convention du CIRDI, la majorité raisonna que le fait de tenir compte uniquement de l’enregistrement de Venoklim aux Pays-Bas pour le considérer comme un investisseur étranger « reviendrait à permettre au formalisme de prévaloir sur la réalité et à trahir l’objectif et le but de la Convention du CIRDI », même si l’investissement est au final détenu par des vénézuéliens (para. 156).
D’après l’arbitre Enrique Gómez Pinzón, la majorité s’est trompée en analysant la nationalité de l’investisseur sur la base de la loi sur l’investissement. Compte tenu de la conclusion précédente selon laquelle l’article 22 ne pouvait être considéré comme une offre d’arbitrage « indépendante, claire et générale », mais confirmait les engagements du Venezuela au titre des traités d’investissement, il argua que l’investisseur aurait dû être soumis aux critères de nationalité prévus par le TBI.
L’arbitre dissident n’était pas non plus d’accord avec l’interprétation par la majorité des critères de nationalité au titre de la Convention du CIRDI. Selon lui, la Convention ne définit pas la nationalité afin de laisser aux parties toute latitude pour fixer les critères de nationalité dans des instruments plus spécifiques. Dans le TBI Venezuela-Pays-Bas, les deux parties contractantes ont choisi l’enregistrement comme critère applicable, mais la majorité a négligé cet élément. Il critiqua également la décision de la majorité de lever le voile entrepreneurial de Venoklim sans savoir dans le détail si l’enregistrement aux Pays-Bas était valable ou non, ou s’il avait été fait afin de contourner des prescriptions juridiques ou de ne pas affecter les actionnaires ou des tiers.
L’affaire est rejetée, mais le Venezuela est condamné à payer la moitié des coûts de l’arbitrage et ses propres frais de représentation
Même si le pays a réussi à démontrer que Venoklim n’était pas un investisseur étranger, ce qui a entraîné le renvoi de l’affaire pour raison de compétence, le tribunal considéra que, puisque la plupart des objections juridictionnelles du Venezuela avaient été rejetées, et puisque Venoklim avait agi correctement tout au long de la procédure, « il serait injuste » (para. 163) pour Venoklim de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage. Aussi, le tribunal ordonna au Venezuela de payer la moitié des coûts de l’arbitrage, notamment les frais des arbitres, et à chacune des parties de payer ses propres frais et dépenses juridiques.
Remarques
Le tribunal était composé d’Yves Derains (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité française), d’Enrique Gómez Pinzón (nommé par le demandeur, de nationalité colombienne) et de Rodrigo Oreamuno Blanco (nommé par le défendeur, de nationalité costaricaine). La décision est disponible, uniquement en espagnole, sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4229.pdf ; l’opinion dissidente et parallèle, uniquement en espagnol également, est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4230.pdf.
Auteur
Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.