Energorynok n’avait pas la propriété ou le contrôle des activités économiques relatives à l’énergie ; le recours contre la Moldavie au titre du TCE est rejeté

La société d’État Energorynok (Ukraine) c. la République de Moldavie, Arbitrage V CCS (2012/175)

Une décision du 29 janvier 2015 rendue par un tribunal de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm a été rendue publique récemment. Ce tribunal y rejetait les recours de l’entreprise d’État ukrainienne Energorynok contre la Moldavie au titre du Traité sur la Charte de l’énergie pour défaut de compétence.

Le contexte et les recours

En février 1995, les ministères à l’Énergie de l’Ukraine et de la Moldavie conclurent un Accord sur l’exploitation parallèle des systèmes d’énergie de l’Ukraine et de la Moldavie (AEP), en en confiant la performance à deux entreprises d’État : Ukrenergo pour l’Ukraine et Moldtranselectro pour la Moldavie.

En octobre 1998, un excédant d’électricité de 50 000 000 kWh a été enregistré de l’Ukraine vers la Moldavie, obligeant cette dernière, au titre de l’AEP, à indemniser l’Ukraine à hauteur de 1 662 297,81 USD. Le crédit de l’Ukraine découlant de cet excédant a été transféré d’Ukrenergo au demandeur, l’entreprise d’État ukrainienne Energorynok, créée en mai 2000.

Après avoir essayé sans succès pendant cinq ans d’obtenir le paiement de la part de Moldtranselectro, Energorynok a lancé des poursuites contre le ministère de l’Énergie moldave en 2002. Ces poursuites se sont soldées sur une décision rendue le 25 décembre 2002 par le tribunal économique de Kiev ordonnant au ministère de l’Énergie moldave de payer 1 745 412,71 USD plus les frais juridiques à Energorynok.

N’arrivant pas non plus à obtenir l’exécution de la décision de 2002, Energorynok a lancé un arbitrage contre la Moldavie au titre du TCE en décembre 2012. L’entreprise arguait notamment que l’indemnisation découlant de la décision de 2002 était un investissement au titre du TCE et que, en n’exécutant pas cette décision, la Moldavie avait exproprié l’investissement d’Energorynok et violé la norme de traitement juste et équitable au titre du TCE. Elle réclamait le paiement du montant fixé dans la décision de 2002, plus les intérêts, ainsi que des frais d’arbitrage et de représentation.

La Moldavie conteste la compétence du tribunal ; Energorynok insiste sur le fait qu’elle dispose d’un investissement au titre du TCE

Selon le tribunal, la Moldavie s’opposait à la compétence du tribunal arguant que la décision du tribunal de Kiev de 2002 avait été « obtenue de manière illégale et frauduleuse » et qu’elle ne méritait donc pas d’être protégée au titre du TCE, et que, même si ce n’était pas le cas, Energorynok ne répondait pas aux critères autorisant la formulation d’un recours au titre du TCE (para. 77).

Le tribunal considéra que l’analyse de l’argument selon lequel la décision de 2002 avait été obtenue de manière illégale et frauduleuse relevait de l’examen au fond. Laissant cette question de côté, il s’attacha à évaluer sa compétence, en examinant si Energorynok disposait d’un « investissement » au titre du TCE.

Se fondant sur la définition de l’investissement au titre de l’article 1(6) du TCE, Energorynok arguait que son investissement était une créance liquide ou un droit à l’indemnisation de l’excédant, et que cette demande ou ce droit était un actif relatif à l’énergie doté d’une valeur économique. Le demandeur s’appuya sur l’affaire Petrobart c. la République Kirghize, qui conclut qu’un contrat, la décision d’un tribunal et une créance liquide en lien avec la vente d’un condensat de gaz étaient des « investissements » au titre du TCE.

Le tribunal examine les affaires Petrobart et Electrabel afin de préciser la définition circulaire de « l’investissement »

Pour déterminer si Energorynok disposait d’un investissement, le tribunal examina principalement les affaires Petrobart etElectrabel c. la Hongrie, une autre affaire au titre du TCE. Les deux tribunaux remarquaient que le libellé de l’article 1(6)(c) du TCE était peu clair et ambigu. En faisant référence aux « créances liquides ou aux droits à prestations au titre d’un contrat à valeur économique et associé à un investissement », la disposition définit l’investissement en ayant recours à une référence à l’investissement, définition circulaire qui pose des problèmes de logique.

Le tribunal de l’affaire Petrobart concluait que, puisque le condensat de gaz vendu était un matériau énergétique qualifié d’« investissement », le droit du demandeur à être payé pour le condensat de gaz était également couvert par la définition de l’« investissement ». Le tribunal de l’affaire Electrabel indiquait lui que l’interprétation de l’article 1(6)(c) du TCE dépendait de l’évaluation globale de l’investissement.

Energorynok ne parvient pas à démontrer qu’elle détient ou contrôle les activités économiques relatives à l’énergie

Appliquant ces interprétations à cette affaire, le tribunal nota qu’à la différence de l’affaire Electrabel, le demandeur « n’était pas actionnaire d’une entité directement ou indirectement impliquée dans les activités économiques sous-jacentes ». Il indiqua en outre que contrairement à l’affaire Petrobart, Energorynok n’avait pas le « plein contrôle sur ses propres ventes et livraisons » et n’était pas « pleinement partie au contrat de vente et de livraison » (para. 86).

Le tribunal abonda dans le sens d’Energorynok indiquant que « l’article 1(6) du TCE exige de l’investisseur qu’il détienne ou contrôle l’actif » (para. 89). Pourtant, le tribunal interpréta que, pour que la créance liquide soit reconnue comme un « investissement » au titre de l’article 1(6)(c), l’investisseur devait également détenir, contrôler ou avoir un intérêt financier dans « l’investissement » sur lequel porte la créance, c’est-à-dire les activités économiques relatives à l’énergie au sujet desquelles le recours est formulé.

Indiquant qu’Energorynok n’était pas partie à l’AEP, et donc qu’elle n’avait aucun droit, obligation ou rôle au titre de l’AEP, le tribunal détermina que même s’il détenait ou contrôlait une créance liquide, le demandeur n’avait pas la propriété, le contrôle ou d’intérêts dans l’« investissement » sur lequel portait la créance liquide – l’approvisionnement d’électricité en Moldavie. Aussi, le tribunal jugea que la créance liquide d’Energorynok ne constituait pas un « investissement » au titre du TCE, et rejeta l’affaire pour défaut de compétence.

Les parties furent condamnées à se partager les coûts de l’arbitrage et à payer chacune leurs propres frais de représentation juridique.

Remarque : Le tribunal CCS était composé de Nancy B. Turck (Présidente nommée par l’Institut d’arbitrage de la CCS), de Joseph Tirado (nommé par le demandeur), et de Rolf Knieper (nommé par le défendeur). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw6299.pdf

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.