Un tribunal du CIRDI se déclare incompétent dans une affaire contre la Macédoine, et ordonne à l’investisseur de rembourser au pays 80 % de ses frais juridiques

Guardian Fiduciary Trust Ltd, f/k/a Capital Conservator Savings & Loan Ltd c. l’ancienne République yougoslave de Macédoine, Affaire CIRDI n° ARB/12/31

Dans une décision datée du 22 septembre 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) s’estima incompétent pour entendre une affaire lancée par Guardian Fiduciary Trust Ltd (Guardian) contre la Macédoine au titre du traité bilatéral d’investissement (TBI) Pays-Bas-Macédoine. Le tribunal conclut que Guardian n’avait pas réussi à démontrer qu’il était effectivement citoyen des Pays-Bas au titre de l’article 1(b)(iii) du TBI.

Le contexte et les recours

Guardian est une société fiduciaire qui offre également des services financiers, constituée au titre du droit néozélandais, et implantée en Macédoine depuis 2007. En août 2009, suite à une enquête pour blanchiment d’argent lancée aux États-Unis, les autorités macédoniennes ont arrêté l’un des directeurs de Guardian et émis un communiqué de presse dévoilant le nom de l’entreprise et celui du directeur arrêté.

Aux dires de Guardian, la Macédoine savait ou aurait dû savoir que les allégations de blanchiment d’argent étaient fausses et que les mesures prises par le pays – notamment les déclarations faites à la presse – ont forcé Guardian à changer de nom ainsi que le siège de ses opérations, causant « d’importants dommages à ses opérations » (para. 4). Guardian avait fait une demande d’indemnisation de ses pertes alléguées de plus de 600 millions USD, demande ramenée par la suite à 20 millions USD.

À la demande de la Macédoine, le tribunal accepta de bifurquer la procédure, suspendant l’examen quant au fond pour se prononcer à titre préliminaire sur l’une des objections de la Macédoine à la compétence : savoir si Guardian remplissait les critères de nationalité au titre du TBI.

Résumé des recours

Dans son exception d’incompétence, la Macédoine argüait que Guardian n’était pas citoyen des Pays-Bas au titre de l’article 1(b)(iii) du TBI puisqu’elle était indirectement contrôlée par Capital Conservator Group LLC (CCG), constituée au titre du droit des Îles Marshall.

De son côté, Guardian affirmait être citoyenne néerlandaise au titre du TBI, puisqu’elle était indirectement contrôlée par Stichting Intetrust, une fondation néerlandaise. Le fait que la société Guardian fut détenue par Capital Conservator Trustees Ltd (CCT), elle-même détenue par IN Asset Management, deux entreprises néozélandaises, n’était pas pertinent en l’espèce puisqu’une personne morale constituée au titre du droit néerlandais se trouvait au bout de la chaîne de propriété.

Pour résumer, selon les parties, la structure corporative de Guardian peut être illustrée comme suit :

La structure corporative de Guardian

Interprétations contradictoires du terme « contrôlée » au titre de l’article (1)(b)(iii) du TBI

Dans sa partie pertinente, l’article 1(b)(iii) du TBI prévoit que « le terme « citoyen » recouvre […] les personnes morales qui ne sont pas constituées au titre du droit de l’État contractant, mais contrôlées, directement ou indirectement, par une personne physique telle que définie à l’alinéa (i) ou par une personne morale telle que définie à l’alinéa (ii) » (italique ajoutée). Les parties ont présenté des interprétations contradictoires du sens du terme « contrôlées ».

La Macédoine affirmait que le terme « contrôlées » exigeait non seulement des preuves de propriété, mais également des preuves de l’exercice d’un contrôle actif des activités de Guardian. Selon le pays, la simple propriété légale des parts, par exemple, ne suffit pas à établir le contrôle en l’absence de preuves de l’exercice d’un contrôle.

En revanche, Guardian arguait que « contrôlée » faisait référence à la capacité juridique du contrôle plutôt qu’au fait de contrôler. À son sens, la propriété était suffisante pour établir le contrôle.

S’agissant de l’interprétation de cet article, le tribunal reconnu initialement que « la propriété implique généralement le droit ou la capacité juridique d’exercer un contrôle » (para. 131). Il souligna toutefois que la question du contrôle était particulièrement complexe en l’espèce, compte tenu de l’existence d’un acte de fiducie entre IN Asset Management et CCG, entreprise des Îles Marshall.

Le tribunal se penche sur la structure corporative de Guardian

La Macédoine s’opposait à ce que Guardian soit reconnue comme citoyenne des Pays-Bas principalement du fait de l’acte de fiducie du 1er octobre 2008. Au titre de cet acte, IN Asset Management, le troisième élément de la chaîne de propriété, détenait des parts dans CCT (qui détenait directement Guardian) en tant qu’administrateur pour et au nom de CCG, entreprise des Îles Marshall. Compte tenu de l’existence de l’acte, la Macédoine affirmait que IN Asset Management détenait juridiquement CCT en tant que prête-nom fiduciaire agissant uniquement en sa capacité professionnelle, et que CCG conservait la propriété réelle.

Guardian ne nia pas que CCG fût le propriétaire réel de CCT. Elle n’était en revanche pas d’accord quant au fait que l’acte était pertinent pour l’évaluation de la compétence par le tribunal. À son sens, le rôle de CCG dans cette structure corporative était passif, et IN Asset Management, en tant que propriétaire réelle de CCT, contrôlait les parts et détenait le droit de vote. Et puisque IN Asset Management était elle-même contrôlée par Stichting Intetrust, Guardian affirma être citoyenne des Pays-Bas.

Dans son analyse, le tribunal remarqua que les termes de l’acte de fiducie ne faisaient pas référence à la direction et au contrôle des activités commerciales de CCT ou à l’exercice du droit de vote. Selon le tribunal, cela impliquait que l’acte laissait la possibilité pour que le contrôle de CCT fut exercé par IN Asset Management ou, indirectement, par Stichting Intetrust. Le tribunal en conclut donc que la question du contrôle revenait finalement à prouver si Guardian était effectivement contrôlée par Stichting Intetrust.

Guardian ne réussi pas à présenter des preuves concluantes de son contrôle par Stichting Intetrust

Guardian n’a présenté qu’une seule preuve de son contrôle par Stichting Intetrust – une déclaration sur l’honneur de Nicolaas Francken, l’un des dirigeants de Stichting Intetrust, affirmant que l’actionnaire majoritaire final de CCT était Stichting Intetrust. Le tribunal considéra que cette déclaration ne présentait pas suffisamment de détails quant à la manière dont le contrôle, et notamment le droit de vote, était exercé dans les faits.

L’absence de preuve incita le tribunal à conclure que Guardian n’était pas citoyenne néerlandaise au sens de l’article 1(b)(iii) du TBI. Aussi, celui-ci rejeta l’affaire pour absence de compétence.

Remboursement des dépenses de la Macédoine

La décision reconnait que la pratique des tribunaux du CIRDI quant à la distribution des coûts « n’est pas pleinement cohérente » (para. 149), état de fait qui résulte de l’importante marge discrétionnaire dont les tribunaux jouissent au titre de l’article 61(2) de la Convention du CIRDI. En faisant exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la décision fait référence au fait que le principe des « dépens suivent le sort de l’instance » est approprié compte tenu des circonstances de l’affaire, même si elle n’explique pas quelles sont ces circonstances.

Le tribunal ordonna à Guardian de rembourser 80 pour cent des frais et dépenses juridiques de la Macédoine. Cette décision donna lieu à un remboursement de 1 072 708 USD et de 32 800 £. Le tribunal intima également aux parties de partager les frais de l’arbitrage.

Remarque : Le tribunal du CIRDI était composé de Veijo Heiskanen (président, nommé par le Secrétaire-général du CIRDI, de nationalité finnoise), d’Andreas Bucher (nommé par le demandeur, de nationalité suisse) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4447.pdf.

Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.