Un tribunal du CIRDI rejette un recours final pour indemnisation relatif à la résiliation par la Hongrie d’un accord d’achat d’électricité

Electrabel S.A. c. la République de Hongrie, Affaire CIRDI n° ARB/07/1

Le recours final au titre du Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE) d’une entreprise belge d’énergie, Electrabel S.A. (Electrabel), a échoué. Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a estimé que la Hongrie n’avait pas violé la norme de traitement juste et équitable (TJE) du TCE.

En 2012, le tribunal du CIRDI avait émis une décision rejetant trois recours mineurs et reportant le quatrième recours, le plus important, à la deuxième phase de la procédure. La sentence de 2015 (la Sentence) condamne Electrabel à payer les frais de l’arbitrage.

Le contexte

En 1995, Dunamenti (l’opérateur de la plus grande centrale électrique hongroise, détenu par la suite à 100 % par la Hongrie) et MVM (unique acheteur d’électricité en gros de la Hongrie, détenu à 99,9 % par la Hongrie) conclurent un accord d’achat d’électricité (AAE). Suite à l’AAE, un groupe d’investisseurs étrangers, incluant Electrabel, investirent d’importantes sommes dans Dunamenti et en devinrent actionnaires.

La Hongrie a accédé à l’Union européenne en 1994. Entre décembre 2005 et juin 2008, la Commission européenne mena une enquête formelle sur les aides gouvernementales illégales fournies par la Hongrie au titre de différents instruments, notamment l’AAE. En juin 2008, la Commission européenne émit une décision finale dans le cadre de son enquête formelle (la Décision finale de la CE). En décembre 2008, la Hongrie mit fin à l’AAE.

En juin 2007, Electrabel lança l’arbitrage actuel anticipant la résiliation de l’AAE. En mars 2009, à l’initiative et sur accord des parties, le tribunal ordonna que la première étape de la procédure ne porte que sur les questions de compétence et de responsabilité. Cette ordonnance de procédure prévoyait également que la deuxième étape de la procédure porte sur la question du montant de l’indemnisation. Remarquons que la Commission européenne est intervenue dans la première phase de la procédure, arguant que les recours d’Electrabel ne relevaient pas de la compétence d’un tribunal arbitral international, mais de la compétence exclusive du droit européen.

Fin novembre 2012, le tribunal rendit sa décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité (la Décision de 2012). Le tribunal se déclara compétent pour entendre tous les recours d’Electrabel au titre du TCE. S’agissant de la responsabilité, le tribunal rejeta trois recours mineurs d’Electrabel et rejeta tous les motifs de responsabilité au titre du quatrième et dernier recours du demandeur – le recours relatif à la résiliation de l’AAE – à une exception près : la Hongrie n’avait pas appliqué un TJE dans le calcul des coûts encourus par Electrabel pour déterminer l’indemnisation due à l’entreprise.
Début 2015, une procédure d’arbitrage lancée par E.D.F. International en lien avec un investissement similaire en Hongrie donna lieu à une décision arbitrale. Electrabel et la Hongrie réalisèrent de brèves communications écrites au sujet de la décision dans l’affaire E.D.F.

La Décision de 2012 : le recours relatif à la résiliation de l’AAE

Lors de la première étape de la procédure, le tribunal examina le recours relatif à la résiliation de l’AAE, au regard des articles 13(1) (relatif à l’expropriation) et 10(1) du TCE (relatif au TJE). Le tribunal estima qu’il n’y avait pas EU d’expropriation directe ou indirecte de l’investissement d’Electrabel.

S’agissant du prétendu non-respect par la Hongrie du TJE, le tribunal rejeta rapidement le recours d’Electrabel relatif aux événements précédents la Décision finale de la CE. Il estima au contraire que c’était essentiellement le recours d’Electrabel qui avait déclenché les résultats de l’enquête de la Commission européenne. « Selon le tribunal, la Décision finale [de la CE] exigeait de la Hongrie qu’elle résilie l’AAE avec Dunamenti au titre du droit européen, comme expliqué ci-après. Le tribunal fait également une distinction entre la Décision finale [de la CE] concernant l’aide publique recouvrable et la méthode propre à la Hongrie pour le calcul des coûts échoués (coûts échoués nets) » (para. 6.70).

Dans la Décision, le tribunal conclut donc que la Hongrie ne pouvait être responsable dans le présent arbitrage au titre de l’article 10(1) du TCE que pour avoir appliqué le droit européen pour déterminer les coûts échoués aux fins de l’indemnisation. Si la méthodologie prévue par le droit européen donnait lieu à une fourchette de valeurs, Electrabel était déçue de n’avoir reçu en indemnisation que le montant minimum défini par la méthode.

La Sentence de 2015 : le traitement juste et équitable (TJE) dans le calcul des coûts échoués nets

Dans sa Sentence, le tribunal examina l’application par la Hongrie de la méthode de la Commission européenne pour le calcul des coûts échoués nets, afin de déterminer si elle violait l’article 10(1) du TCE.

Le tribunal expliqua que les deux expressions « coûts échoués » et « coûts échoués nets » sont des termes spécialisés dans le droit européen. En examinant si le calcul par la Hongrie des coûts échoués nets d’Electrabel était contraire à ses obligations au titre de l’article 10(1) du TCE, le tribunal nota qu’il avait déjà rejeté dans sa Décision de 2012 toute allégation de mesure discriminatoire, et qu’Electrabel n’avait pas émis d’allégations d’absence de transparence ou d’application régulière du droit.

Aussi, comme l’explique le tribunal de manière concise, le problème majeur découlait seulement de l’arbitraire et la frustration d’attentes légitimes. En général, la charge de la preuve revenait à Electrabel en ce qui concerne son recours au titre de la norme TJE du TCE.

Absence d’arbitraire

S’agissant du recours d’Electrabel relatif à l’arbitraire, le tribunal appliqua un test objectif au regard des circonstances prévalentes à l’époque. Le tribunal tomba d’accord avec les tribunaux précédents, tels que ceux des affaires Saluka, AES, et Micula, et détermina qu’une mesure n’est pas arbitraire si elle est raisonnablement liée à une politique rationnelle. Et, comme l’indiquait notamment le tribunal de l’affaire AES, cela exige deux éléments : l’existence d’une politique rationnelle, et une conduite raisonnable de la part de l’État liée à cette politique.

Le tribunal considéra les arguments suivants d’Electrabel, entre autres : d’abord, la décision de la Hongrie quant au montant d’indemnisation se fondait sur le souhait de minimiser le poids de celle-ci dans le budget national ; ensuite, la Hongrie était défavorable à une indemnisation déjà avant que ne soit connue l’ampleur des pertes résultant de la résiliation de l’AAE.

Le tribunal remarqua que la méthode conçue par le Parlement hongrois ne s’appliquait pas seulement à Dunamenti mais à tout un secteur industriel. Il nota également qu’il s’agissait d’une période économiquement difficile, puisque l’économie hongroise faisait face à de sévères contraintes financières et fiscales. Les négociations pertinentes avaient d’ailleurs été difficiles et prolongées. Le tribunal remarqua qu’il serait trop facile, bien des années après et avec le recul, de préjuger de la décision d’un État et de ses effets sur une seule entité telle que Dunamenti, lorsqu’à l’époque il était demandé à l’État de prendre en compte des intérêts bien plus importants dans des circonstances difficiles, et d’équilibrer des facteurs différents et contradictoires. En outre, même s’agissant de la seule Dunamenti, la Hongrie a cherché à pondérer plusieurs éléments appropriés.

Au final, le tribunal considéra qu’Electrabel n’avait pas démontré que « la conduite de la Hongrie était arbitraire ou qu’elle n’avait pas d’objectif légitime ou qu’elle n’avait pas de lien raisonnable avec cet objectif ou, qu’elle était, en d’autres termes, disproportionnée » (para. 168).

Absence d’attentes légitimes

S’agissant des attentes légitimes au titre de la norme TJE du TCE, le tribunal ne trouva aucune preuve que la Hongrie aurait laissé croire à Electrabel, au moment où l’entreprise a investi dans Dunamenti, qu’elle aurait agit différemment de la manière dont elle a finalement agi envers Dunamenti ou Electrabel. Et en l’absence de preuves, le tribunal détermina que le recours d’Electrabel fondé sur les attentes légitimes ne pouvait aboutir.

Le tribunal conclut que le recours d’Electrabel semblait reposer sur de prétendues annonces relatives aux arrangements tarifaires. Toutefois, les déclarations en question n’équivalaient pas à une représentation (ou assurance) selon laquelle Dunamenti avait le droit à un profit raisonnable ou qu’Electrabel aurait le droit à un retour raisonnable sur investissement. En outre, selon le tribunal, ces droits auraient été incohérents avec les termes de l’AAE : bien qu’en l’espèce ces droits auraient dû se trouver dans l’AAE dès 1995, il était évident qu’au titre de cet accord, Dunamenti courrait le risque d’un changement du droit applicable.

De plus, le tribunal remarqua que « l’application de la norme TJE du TCE autorise l’État hôte à réaliser un rééquilibrage lorsque les circonstances l’exigent. L’État hôte n’est pas tenu de placer sans conditions les intérêts de l’investisseur étranger au-dessus de toute autre considération, dans toutes les circonstances. Comme l’ont décidé les tribunaux des affaires Saluka c. la République tchèque et Arif c. la Moldavie, une norme TJE peut légitimement impliquer un exercice d’équilibrage ou de pondération de la part de l’État hôte » (para. 165).

Le tribunal prend note de la décision de l’affaire E.D.F.

Le tribunal remarqua que d’aucuns pourraient considérer qu’il était incohérent vis-à-vis du tribunal de l’affaire E.D.F. Bien qu’il ait examiné les communications des parties relatives à la décision de l’affaire E.D.F., il n’estima pas justifié d’examiner plus avant cette décision pour y trouver des preuves et des arguments.

Le tribunal ne pouvait ainsi pas être « influencé par les résultats d’un arbitrage distinct, où le recours d’un investisseur semble avoir été formulé différemment et tranché sur la base d’arguments et de preuves distincts » (para. 225). Le tribunal nota en outre que la décision de l’affaire E.D.F. avait également refusé d’indemniser l’investisseur du montant maximal déterminé par le calcul des coûts échoués nets.

Les coûts

Le tribunal détermina que les parties devaient payer leurs propres frais et dépenses juridiques. Il condamna en revanche Electrabel à payer les frais et émoluments des arbitres ainsi que les coûts de l’arbitrage du CIRDI.

Remarques : Le tribunal était composé de V. V. Veeder (Président, de nationalité britannique), de Gabrielle Kaufmann-Kohler (nommée par le demandeur, de nationalité suisse), et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision a été envoyée aux parties le 25 novembre 2015, et est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4495.pdf.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.