Quiborax reçoit 50 millions USD contre la Bolivie, soit un tiers de sa demande initiale

Quiborax S.A. et Non-Metallic Minerals S.A. c. l’État plurinational de Bolivie, Affaire CIRDI n° ARB/06/2

Le 16 septembre 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a condamné la Bolivie à payer environ 50 millions USD d’indemnisation pour l’expropriation d’un investissement minier. Les demandeurs étaient une entreprise chilienne Quiborax S.A. (Quiborax), et Non-Metallic Minerals S.A. (NMM), enregistrée en Bolivie, détenue à majorité et créée par Quiborax pour investir dans l’extraction d’uléxite en Bolivie.

Le contexte et les recours

Le Gran Salar de Uyuni, un salar situé dans la région bolivienne de Potosí, est une réserve depuis 1965. La loi bolivienne n° 1854 de 1998 (Ley Valda) a réduit la taille de la réserve, et plusieurs concessions minières ont été demandées et octroyées sur l’ancien territoire de la réserve. Entre 2001 et 2003, Quiborax a acquis 11 concessions minières, transférées à NMM.

Les communautés locales étaient contre l’établissement de concessions minières dans cette zone. Cela a incité les représentants de Potosí à présenter un projet de loi visant à faire annuler la Ley Valdaet à transférer les concessions à l’État. En conséquence, la loi n° 2564 a été promulguée en décembre 2003, abrogeant la Ley Valda. La nouvelle loi autorisait également l’exécutif à réaliser un audit des concessions octroyées au titre de la Ley Valda, et à annuler les droits miniers des concessionnaires qui étaient passibles de sanctions ; elle restituait en outre les concessions et les ressources non-métalliques à l’État.

Compte tenu des irrégularités fiscales et douanières mises au jour grâce aux audits, la Bolivie a révoqué toutes les concessions minières de NMM par le décret n° 27 589 du 23 juin 2004 (le décret de révocation). Conformément au décret, NMM remit l’exploitation des concessions à l’administration de Potosí dans les 30 jours suivants la révocation. La légalité du décret de révocation a plus tard été contestée, puisque le code minier prévoyait l’annulation des concessions minières, mais pas leur révocation. Pour tenter de remédier à la situation, la Bolivie abrogea le décret de révocation en décembre 2005, et annula dans le même temps les concessions.

Un mois après le décret de révocation, Quiborax et NMM demandèrent des consultations au titre du TBI Bolivie-Chili, et déposèrent finalement une demande d’arbitrage le 4 octobre 2005 ; la procédure débuta en décembre 2007. Les entreprises arguaient entre autres que le décret de révocation expropriait directement l’investissement de NMM (les concessions) et indirectement l’investissement de Quiborax (ses parts dans NMM), et que l’expropriation était abusive. Elles réclamaient une indemnisation de 146 848 827 USD, plus les intérêts composés, et 4 millions USD pour dommages moraux.

Le tribunal détermine que des actes illicites commis pendant l’exploitation d’un investissement n’empêchent pas un investisseur de bénéficier des garanties au titre du TBI

La Bolivie objecta que les investissements ne pouvaient bénéficier de la protection du TBI puisqu’ils n’avaient pas été réalisés ni exploités conformément au droit bolivien. Le tribunal affirma que « l’illégalité continue » dans l’exploitation de l’investissement ne pouvait affecter la disponibilité des protections du TBI. Et s’agissant de l’allégation d’une « illégalité continue », le tribunal rappela sa décision juridictionnelle selon laquelle les investissements avaient été réalisés conformément au droit bolivien. Et les nouvelles preuves de l’acquisition illégales des investissements apportées par la Bolivie furent jugées peu concluantes par le tribunal.

La Bolivie arguait également que les concessions étaient illégales et nulles dès le départ, et donc que les investisseurs ne disposaient d’aucun droit susceptible d’être protégé. Mais le tribunal s’opposa à cet argument. Il détermina que « l’annulation […] était une tentative postérieure de la Bolivie d’améliorer sa défense dans le présent arbitrage, et non pas un exercice de bonne foi des pouvoirs de police de la Bolivie » (para. 139). En outre, après examen du droit bolivien, le tribunal détermina que les irrégularités alléguées soit n’existaient pas soit n’étaient pas suffisantes pour motiver une annulation.

Le tribunal considère que l’expropriation est abusive en dépit des intérêts publics en jeu

Le tribunal ne fut pas convaincu que les irrégularités fiscales et douanières présentées comme ayant motivées le décret de révocation avaient réellement EU lieu. Et même si c’était le cas, le tribunal estima que la révocation n’était pas justifiée au titre du droit bolivien. Puisque les demandeurs ne furent pas informés de la réalisation des audits et n’eurent pas non plus accès aux informations connexes, le tribunal détermina que l’acte de révocation n’avait pas été mené de manière régulière, comme l’exigent le droit international et la législation bolivienne.

Faisant sienne la norme d’expropriation directe énoncée dans l’affaire Burlington c. Équateur, sur laquelle se fondait le demandeur, le tribunal détermina que le décret de révocation avait entrainé la privation permanente de l’investissement des demandeurs, sans que cela ne soit justifié par l’exercice légitime des pouvoirs de police de la Bolivie. Il fit donc droit au recours selon lequel le décret de révocation expropriait directement l’investissement de NMM dans les concessions.

Le tribunal examina également le recours du demandeur selon lequel le décret de révocation expropriait indirectement les parts de Quiborax dans NMM. Selon lui, puisque les concessions semblaient être les seules activités de NMM, sans elles les parts de l’entreprise étaient « virtuellement sans valeur » (para. 239), entrainant l’expropriation indirecte de l’investissement de Quiborax dans NMM.

Essentiellement sur la base de rapports des média expliquant que le public considérait que les activités minières des demandeurs équivalaient au pillage de la richesse nationale par des investisseurs chiliens, le tribunal estima qu’il y avait des preuves accablantes d’une intention discriminatoire à l’encontre de NMM du fait de la nationalité chilienne de Quiborax. En outre, il avait déjà déterminé que l’expropriation n’avait pas été menée dans le respect du droit, et que les demandeurs n’avaient manifestement pas été indemnisés. Aussi, le tribunal conclut que l’expropriation était abusive au titre du TBI.

Même si le tribunal s’en remit « au droit souverain de la Bolivie de déterminer ce qui était dans l’intérêt public national » et accepta que « la Bolivie ait pu avoir un intérêt légitime dans la protection de la réserve fiscale du Gran Salar de Uyuni » (para. 245), il estima que cela n’était pas pertinent puisqu’il avait déjà déterminé pour d’autres raisons que l’expropriation était abusive.

La révocation et l’annulation postérieure violent la norme TJE

Sans réaliser une analyse trop poussée et sans déterminer si le traitement juste et équitable (TJE) du TBI correspondait à la norme minimale au titre du droit international, le tribunal considéra que même au titre d’une norme plus exigeante, la révocation des concessions violait le droit international, puisqu’elle était discriminatoire et injustifiée au regard du droit national.

Rappelant encore une fois que l’annulation semblait être une stratégie visant à légaliser la révocation lorsque le décret de révocation fut remis en cause, le tribunal conclut que l’annulation violait également le TJE.

Le tribunal rejette les recours relatifs au jugement déclaratoire et aux dommages moraux

Les demandeurs alléguaient que la Bolivie avait commis des actes de harcèlement après l’expropriation – principalement en lançant des procédures pénales à l’encontre des actionnaires des demandeurs – et que ces actes violaient la norme TJE et la clause de non-dépréciation du TBI. Le tribunal ne trouva cependant pas suffisamment de preuves d’une telle conduite. Il rejeta également les allégations des demandeurs selon lesquelles la Bolivie, par sa conduite pendant la procédure d’arbitrage, violait plusieurs dispositions de la Convention du CIRDI et son devoir de bonne foi. Le tribunal rejeta donc la demande des demandeurs en faveur d’un jugement déclaratoire.

En outre, le tribunal considéra que les 4 millions USD réclamés par les demandeurs à titre de dommages moraux visaient à réparer les dommages non-matériels découlant du harcèlement supposé postérieur à l’expropriation. Mais puisqu’il avait déjà rejeté ces violations supposées, il détermina que le recours pour dommages moraux était infondé.

La valeur de la réparation intégrale est calculée grâce à la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie, à la date de la décision

Conformément au droit international coutumier, et comme l’expliquent l’affaire Chorzówet les articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, le tribunal détermina que les demandeurs avaient le droit à une réparation intégrale. En l’espèce, il considéra qu’il n’y avait pas de facteurs atténuants pertinents.

Les parties acceptèrent que la réparation devait refléter la juste valeur marchande de l’investissement. Toutefois, s’agissant du calcul, les demandeurs étaient favorables à la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie, tandis que la Bolivie préférait tenir compte des montants nets investis. Le tribunal se rangea du côté des demandeurs, remarquant que la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie est largement acceptée, est mentionnée dans les Principes directeurs pour le traitement des investissements étrangers de la Banque mondiale, et a été utilisée par de nombreux tribunaux d’investissement. Il décida d’évaluer la juste valeur marchande des concessions minières, le principal actif d’NMM, et détermina que l’historique des opérations et la rentabilité probable des activités minière d’NMM justifiaient l’usage de cette méthode.

Les demandeurs maintenaient que l’indemnisation devait être calculée à la date de la sentence arbitrale, tandis que la Bolivie arguait qu’elle devait être calculée à la date d’expropriation. Après un examen attentif des communications des parties et du raisonnement de l’affaire Chorzów, la majorité du tribunal décida de quantifier les pertes à la date de la décision, considérant que l’expropriation était abusive à plusieurs titres, et pas seulement du fait de l’absence d’indemnisation. Pour soutenir sa décision, la majorité cita d’autres tribunaux d’investissement, des instances de décision et des chercheurs ayant adopté la même approche. Brigitte Stern, l’arbitre nommé par la Bolivie, élabora une opinion divergente partielle, présentant des raisons juridiques et économiques justifiant, à son sens, et quelques soient les circonstances, un calcul à la date d’expropriation.

Les dommages et les coûts

Compte tenu d’une série de paramètres et des flux de trésorerie que les réserves d’uléxite auraient générées si les concessions n’avaient pas été expropriées, le tribunal accorda des dommages de 48 619 578 millions USD. Il accorda également des intérêts, composés annuellement, au taux LIBOR à un an plus deux pour cent. La Bolivie fut condamnée à payer la moitié des frais d’arbitrage des demandeurs, et le tribunal ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais et dépenses juridiques.

Remarques : le tribunal du CIRDI était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente, nommée par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité suisse), de Marc Lalonde (nommé par les demandeurs, de nationalité canadienne) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4389.pdf. L’opinion divergente partielle Brigitte Stern est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw4388.pdf.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement pour le développement durable à l’IISD.