Awards and Decisions
Un tribunal du CIRDI accorde des dommages suite à l’expropriation indirecte par le Venezuela d’un investissement dans l’industrie de l’acier
Tenaris S.A. et Talta-Trading e Marketing Sociedade Unipessoal LDA c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/11/26
Matthew Levine [*]
Un tribunal arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision au sujet de la nationalisation d’une entreprise étrangère produisant de la fonte de briquetage à chaud (FBC) pour l’industrie de l’acier au Venezuela. Le montant des dommages et des intérêts préalables à la décision accordé par le tribunal s’élèvent à 172 801 213,70 USD.
Le tribunal s’est déclaré compétent au titre des Traités bilatéraux d’investissement Venezuela-Luxembourg (le TBI Luxembourg) et Venezuela-Portugal (le TBI Portugal).
Sur le fond, le tribunal rejeta les recours selon lesquels l’ingérence avec l’investissement réalisée avant l’expropriation entrainait une responsabilité au titre du droit international. Cependant, il reconnut que le Venezuela avait illégalement nationalisé l’investissement des demandeurs, donnant lieu à une expropriation indirecte.
Le contexte
Les demandeurs sont une entreprise de droit luxembourgeois (Tenaris) et une entreprise de droit portugais (Talta). Talta est détenue à 100 % par Tenaris par le biais d’une entreprise intermédiaire.
Dans le cadre de la privatisation de l’industrie vénézuélienne de l’acier dans les années 1990, une filiale de Tenaris (SIDOR) a pris le contrôle du principal exportateur colombien et sud-américain de produits finis en acier, consommateur majeur de FBC. Par la suite, Tenaris et SIDOR ont créé une entreprise de droit vénézuélien, Matesi, afin d’acquérir certaines capacités productives de FBC (PosVen). Aux termes des conditions préalables à cette transaction, Matesi devait conclure des contrats pour l’approvisionnement des matières premières essentielles à la production de FBC avec différentes entités publiques à des conditions pas moins favorables que celles dont bénéficiait son prédécesseur. Par la suite, la participation majoritaire de Tenaris dans Matesi a été transférée à Talta.
En 2008, le Président vénézuélien Hugo Chávez a annoncé que SIDOR devait être nationalisée, décision ratifiée par la suite par le Parlement. En 2009, le Président Chávez a annoncé son intention de nationaliser Matesi et d’autres producteurs de FBC. La confirmation officielle est arrivée peu de temps après. En 2010, le Président Chávez annonça que Matesi devait être expropriée car il n’avait pas été possible de parvenir à un accord quant aux termes de la nationalisation avec les actionnaires. L’arbitrage porte donc sur les circonstances dans lesquelles les demandeurs ont perdu l’usage et la jouissance de leur investissement dans Matesi.
Le critère du « siège social » ou « sede » des TBI exige une gestion effective, ce que les demandeurs ont démontré
La première question sur laquelle s’est penché le tribunal consistait à savoir si les demandeurs avaient établi un « siège social » ou « sede » au Luxembourg et au Portugal, respectivement, au titre des TBI en question.
Le Venezuela argua que les TBI exigeaient non seulement que la société soit constituée dans le pays d’origine, mais également que ce soit le lieu de la gestion effective de l’entreprise. Il argua également, sur la base des fichiers de la Commission américaine des opérations de bourse (SEC), et d’autres documents, que « Tenaris [est] une entreprise argentine, dotée de 27 000 employés, de milliards de dollars de recettes et de bureaux aux 26ème et 30ème étages d’un immeuble de 30 étages de Buenos Aires » (para. 120). 120).
Afin de résoudre cette objection, le tribunal étudia d’abord le sens ordinaire des termes « siège social » ou « sede ». D’après les communications des parties, le tribunal considéra que manifestement, aucun de ces termes n’étaient « juridiquement » cohérents, et qu’en fait ces termes avaient différents sens ordinaires.
Le tribunal se pencha alors sur le sens de ces termes dans leur contexte, ainsi qu’au regard de l’objet et du but des TBI. Il conclut que, placés dans leur contexte, les termes « [doivent] avoir une connotation différente, allant au-delà de la simple adresse du siège » (para. 150). Le tribunal détermina donc que, dans les TBI, les termes « siège social » ou « sede » signifient le lieu de la gestion effective. Sur la base des communications et des preuves, le tribunal conclut que la gestion effective de Tenaris et de Talta se faisait au Luxembourg et au Portugal, respectivement, et se déclara donc compétent ratione personae sur les recours des demandeurs.
Le tribunal rejette l’objection du Venezuela selon laquelle le différend est purement contractuel
Le Venezuela s’opposait également à la compétence du tribunal au motif que les recours relatifs à l’approvisionnement soi-disant insuffisant ou discriminatoire de matière première à Matesi donnaient lieu à un différend purement contractuel. Les demandeurs répondirent que leurs recours pour discrimination découlaient uniquement des violations du traitement juste et équitable (TJE) et de la clause de non-dépréciation des TBI. Ils arguaient que le fournisseur en question était CVG FMO, une entreprise étatique jouissant d’un monopole souverain.
Le tribunal examina cette deuxième objection en faisant une distinction entre la compétence pour entendre les recours, et la responsabilité finale dans le cadre de ces recours au titre des TBI. Lors de la phase sur la compétence, la question déterminante consistait à savoir si les allégations factuelles des demandeurs étaient avérées. Aussi, l’argument du Venezuela selon lequel CVG FMO agissait en sa capacité commerciale privée, bien qu’important pour la responsabilité finale, n’empêchait pas la compétence du tribunal.
La nationalisation illégale entraine une expropriation indirecte au titre des TBI
Le tribunal examina les recours découlant de la nationalisation de Matesi en tranchant que « il ne [fait] aucun doute que le Venezuela a nationalisé Matesi » (para. 451). Il était donc question de savoir si la nationalisation par le Venezuela de SIDOR en 2008 puis de Matesi en 2009 équivalaient à une expropriation indirecte (et donc illégale), comme le prétendaient les demandeurs, ou si la nationalisation était pleinement légale au titre du droit vénézuélien, et donc que les TBI ne s’appliquaient qu’au moment de l’acte formel d’expropriation.
Le tribunal était convaincu que « le Venezuela [n’a] pas mis en œuvre les procédures qu’il avait créées afin de nationaliser SIDOR et ses filiales, notamment Matesi » (para. 493). Il conclut que ce faisant, le Venezuela n’avait manifestement pas respecté les prescriptions des procédures légales nationales de nationalisation « taillées sur mesure », ce qui entrainait une expropriation indirecte au titre des TBI. Le tribunal observa en outre que cette affaire était « similaire à l’affaire ADC c. la Hongrie, dans le sens où l’investisseur affecté n’avait pas EU « d’opportunité raisonnable dans un délai raisonnable de réclamer ses droits légitimes et de faire entendre ses griefs » » (para. 497).
Les événements préalables à l’expropriation indirecte n’équivalent pas à une violation du traité
D’après les demandeurs, le Venezuela avait violé les clauses TJE, de non-discrimination et de non-dépréciation des deux TBI du fait de la discrimination de CVG FMO à l’égard de Matesi, c’est-à-dire de l’investissement des demandeurs.
Bien que la filiale des demandeurs SIDOR reçût régulièrement les matières premières nécessaires à la production de FBC par Matesi, SIDOR avait l’obligation de vendre ces matières premières à CVG FMO. Selon les demandeurs, leur accord d’approvisionnement avec CVG FMO a été « central à leur décision d’investir dans Matesi et une condition préalable à leur acquisition des actifs de PosVen » (para. 322).
S’agissant de savoir si CVG FMO avait eu une attitude discriminatoire vis-à-vis de Matesi, le tribunal conclut que les preuves indiquaient certains manquements. Il conclut cependant par la suite que CVG FMO n’était pas un organe de l’État au sens de l’article 4 des Articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite, ni n’avait reçu du Venezuela le droit d’exercer certains pouvoirs gouvernementaux au titre de l’article 5 de la CDI.
Les demandeurs arguaient en outre que les importants mouvements sociaux, la perte de l’accès physique à l’usine de Matesi et la séquestration d’une vingtaine de membres du personnel administratif équivalaient à une violation des obligations du Venezuela au titre de la disposition sur la protection et la sécurité intégrales des TBI. Le tribunal accepta la communication des demandeurs selon laquelle l’obligation du Venezuela ne se limitait pas exclusivement à la protection physique contre les tiers, mais incluait également les effets négatifs découlant des actes de l’État d’accueil et de ses organes. Il remarqua ensuite que les demandeurs réclamaient simplement un jugement déclaratoire des dommages subis pendant le processus de nationalisation, mais que les manquements allégués d’offrir une protection et sécurité intégrales avaient eu lieu après la nationalisation.
Le tribunal s’éloigne la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie pour calculer les dommages
Après avoir conclut que l’expropriation avait eu lieu sans indemnisation rapide et adéquate, le tribunal s’attela à déterminer l’indemnisation que le Venezuela devrait verser. Pour la calculer, le tribunal remarqua que les dispositions pertinentes des TBI étaient très similaires à celles contenues dans les Articles de la CDI, et considéra qu’elles reflétaient fidèlement le droit coutumier international.
Les experts des parties convinrent que lorsque des transactions sans lien de dépendance n’existent pas, la valeur d’un actif est généralement mieux déterminée avec la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie. Le tribunal observa cependant que « le diable se cache malheureusement dans les détails » (para. 521). Alors que l’expert des demandeurs avait fixé la valeur à 239 millions USD, l’expert du Venezuela arrivait à une valeur de 0 USD. Le tribunal conclut que les deux approches étaient imparfaites.
Le tribunal étudia donc d’autres approches pour déterminer la juste valeur du marché, pour finalement revenir à la notion de prix convenu dans une transaction sans lien de dépendance. Aussi, le tribunal prit en compte l’acquisition des actifs sous-jacents de Matesi en 2004 par SIDOR et les demandeurs. Cette transaction fournissait les données pertinentes pour les critères de la transaction sans lien de dépendance.
Au final, le tribunal ordonna au Venezuela de payer 87 300 000 USD pour les violations des TBI, plus les intérêts préalables à la décision, calculés depuis la date d’évaluation du 30 avril 2008 à un taux annuel de 9 %, soit un total de 85 501 213,70 USD, payable dans les six mois suivants la décision.
Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de John Beechey (président nommé sur accord des parties, de nationalité britannique), de Judd Kessler (nommé par les demandeurs, de nationalité étasunienne) et de Toby Landau (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision finale du 29 janvier 2016 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7098.pdf.
La première affaire CIRDI contre la Guinée est rejetée pour défaut de compétence
Société civile immobilière de Gaëta c. République de Guinée, Affaire CIRDI n° ARB/12/36
Stefanie Schacherer [*]
Dans une décision datée du 21 décembre 2015, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) s’estima incompétent pour entendre d’une affaire lancée par la Société civile immobilière de Gaëta (Gaëta) contre la Guinée au titre du Code des Investissements de la Guinée.
Ayant construit la Cité des Chemins de Fer (la Cité) sis à Conakry, Gaëta a allégué une expropriation de son investissement ainsi qu’une violation du traitement juste et équitable (TJE) de la part de la Guinée. Gaëta cherchait à obtenir une compensation d’environ 90 millions USD. Toutefois, le tribunal a conclu que Gaëta n’a pas réussi à démontrer qu’il était un investisseur étranger au sens du Code des Investissements. De surplus, Gaëta n’a pas établi qu’elle a réalisé un investissement protégé au sens dudit Code et de l’article 25 de la Convention CIRDI.
Le contexte
Gaëta est une société inscrite au Registre du Commerce français. Sa gestion est assurée par son principal gérant, M. Guido Santullo. Gaëta a réalisé son investissement en Guinée en 1997 par le biais d’un contrat de bail à construction. Le projet comportait la construction de plusieurs bâtiments à usage commercial, administratif et bancaire sur les terrains de la Cité. Le bail, prévu pour une durée de 60 ans, prévoyait aussi un droit pour Gaëta de louer les constructions. Ce contrat prévoyait également des exonérations importantes en matière de droit de douane, d’impôts et de taxes ainsi que de redevances domaniales.
À la suite de la conclusion du contrat, Gaëta avait fait appel à une autre société, Séricom Guinée pour la réalisation des travaux d’études, d’aménagement et de construction. M. Guido Santullo est l’actionnaire majoritaire de cette société. Après la finalisation des travaux en 1999, les locaux étaient loués à de tierces parties. Une seconde société contrôlée par M. Guido Santullo, la SCI Cité des Chemins de fer, fournissait des services de gardiennage et d’entretien des locaux de la Cité et facturait aux locataires ses prestations.
En décembre 2008, la Guinée est entrée dans une période instable de transition gouvernementale suite au décès du Président Lansana Conté. La nouvelle administration se mettant en place a mandaté une société d’audit afin de clarifier le statut juridique des terrains de la Cité et du régime fiscal applicable à Gaëta. La société d’audit a conclu que, d’une part, Gaëta n’était dotée d’aucune existence légale en Guinée et que, d’autre part, la société avait réalisé des revenus en Guinée depuis 1999 et que ces revenus n’ont pas été assujettis à l’impôt.
Par conséquent, Gaëta a été soumis à un redressement fiscal pour fraude fiscale pour un montant d’environ 7, 8 millions USD. De 2009 jusqu’au début 2012, Gaëta a contesté être auteur de fraude fiscale en se prévalant des exonérations fiscales que l’État guinéen avait octroyé à la société auparavant. Toutefois, en 2012, le nouveau Président Alpha Condé a décidé que les immeubles de la Cité seraient réquisitionnés pour un an.
La Guinée conteste que Gaëta soit un investisseur étranger
Le tribunal a d’abord clarifié que seul un investisseur étranger peut se prévaloir du mécanisme d’arbitrage international en vertu du Code des Investissements et de la Convention CIRDI. Vu que Gaëta affirmait être une société française, le tribunal a examiné sa nationalité selon le droit français.
Contrairement à l’argumentation de la demanderesse, le tribunal a souligné qu’il est habilité à se livrer à un examen approfondi du droit national applicable. Selon le tribunal, un tel examen n’est effectué qu’à titre préliminaire et il n’implique pas le contrôle de la validité d’une décision rendue par les autorités nationales (para 135).
Dans son analyse, le tribunal a considéré que Gaëta, ayant son siège social en France, bénéficiait de la présomption d’être de nationalité française. Toutefois, en droit français cette présomption peut être renversée lorsqu’il est établi que la société a son siège réel dans un État étranger.
Afin de déterminer le siège réel, le tribunal a tenu compte du lieu de la direction et de l’administration de la société ainsi que du lieu de l’activité commerciale. En tenant compte des documents soumis, le tribunal a considéré qu’il était manifeste que la gestion des affaires guinéennes de la demanderesse a eu lieu en Guinée entre 1997 et 2009. Ainsi, toutes les correspondances entre la Guinée et la demanderesse étaient toujours adressées en Guinée à M. Guido Santullo. De même, la gestion des loyers et la comptabilité de Gaëta n’avaient pas été effectuées en France, mais depuis les bureaux que la demanderesse entretenait à Conakry. S’agissant finalement de l’activité commerciale, le tribunal a constaté une différence importante entre le chiffre d’affaires annuel généré en France qui se lève à environ 5000 USD et celui généré en Guinée qui se lève à environ 3 millions USD.
Compte tenu de ces éléments, le tribunal a conclu que la demanderesse n’était pas une société française. Le tribunal en déduisait qu’il n’a pas de compétence ratione personae pour la présente affaire.
L’existence d’un investissement protégé
Malgré sa déclaration d’incompétence sur la présente affaire et contrairement au principe d’économie jurisprudentielle, le tribunal a décidé d’examiner également si les conditions de sa compétence ratione materiae étaient réunies en l’espèce « afin d’éviter toute incertitude et par souci d’exhaustivité » (para 183).
Le tribunal a longuement discuté la définition de l’investissement selon le droit international, notamment selon l’article 25 de la Convention CIRDI. Un examen approfondi des critères de la jurisprudence Salini était au cœur de son analyse. Les critères de cette jurisprudence sont : (i) une certaine durée de l’investissement, (ii) une prise de risque de la part de l’investisseur, (iii) un apport substantiel et (iv) la contribution au développement de l’État d’accueil (Salini Costruttori c. Royaume du Maroc).
Selon le tribunal, ces critères ne devraient pas être appliqués de manière rigide et systématique (para. 208) mais doivent être examinés principalement au vu des circonstances concrètes du cas d’espèce en prenant notamment en compte les différents instruments utilisés par les parties pour exprimer leur consentement à la juridiction du CIRDI (Biwater Gauff c. Tanzanie).
Le Code des Investissements de la Guinée ne contient pas une définition expresse de l’investissement mais se contente d’énoncer en son article 2.1 que « [t]oute personne est libre d’entreprendre sur le territoire de la République de Guinée une activité́ commerciale, industrielle, minière, agricole ou de service, dans le respect des lois et règlements de la République ». Selon le tribunal, le droit guinéen ne fournissait que des indices. Pour cette raison, il a examiné le contrat de bail à construction à l’aune des critères dégagés par la jurisprudence Salini (para. 213).
Cependant, dans son analyse des éléments, le tribunal s’est surtout concentré sur l’examen du critère de l’apport substantiel (critère iii) ci-dessus). Le tribunal a souligné qu’un investisseur doit avoir engagé des dépenses afin de poursuivre un but économique. Ces dépenses doivent être substantielles sans qu’il y ait une exigence minimum en termes de capitaux investis. Ensuite, le tribunal a considéré que même si l’origine des fonds est sans importance, il est nécessaire que la demanderesse soit bel et bien l’auteur des dépenses effectuées en lien avec l’investissement (para. 231).
En l’espèce, le tribunal a conclu que le contrat de bail à construction constitue un investissement. En revanche, le tribunal a constaté que Gaëta n’a pas été réellement l’auteur de cet investissement. Après avoir examiné les divers bilans de la demanderesse ainsi que ceux des autres sociétés contrôlées par M. Guido Santullo, Séricom Guinée et SCI Cité des Chemins de fer, le tribunal a estimé qu’il était impossible de déterminer laquelle des sociétés avait réellement financé les travaux de construction de la Cité sur la base des informations lacunaires et contradictoires. Faute de preuve, le tribunal a conclu que Gaëta n’était pas l’auteur de l’investissement et ne pouvait pas bénéficier de la protection offerte par le droit international.
Les coûts
Le tribunal a considéré que, du fait de l’absence de compétence et du fait que la demanderesse a succombé intégralement, elle devrait en principe supporter tous les frais de procédure. Cependant, étant donné que la Guinée avait alourdi la procédure et violé certaines de ces obligations, le tribunal a décidé qu’il était équitable de ne faire supporter que 80 pour cent des frais de procédure à Gaëta. Selon le tribunal, la violation la plus flagrante de la Guinée était son refus de payer la part d’avance au CIRDI conformément aux règles de la procédure. Le tribunal a constaté que cette obligation est systématique et indépendante des chances de succès (para 307). De plus, la Guinée a également alourdi la procédure par la lenteur avec laquelle elle a fournit des documents pertinents pour l’analyse du tribunal. Pour ces mêmes raisons, le tribunal a ordonné à la Guinée de supporter 20 pour cent de ses propres frais et dépenses juridiques.
Remarque : Le tribunal du CIRDI était composé de Pierre Tercier (président, nommé par les parties, de nationalité suisse), de Laurent Lévy (nommé par la demanderesse, de nationalité suisse) et de Horacio A. Grigera Naon (nommé par le défendeur, de nationalité argentine). La décision du 21 décembre 2015 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7038.pdf.
La Slovénie est condamnée à payer 20 millions d’euros de dommages-intérêts et 10 millions USD de frais à l’entreprise nationale croate d’électricité
Hrvatska Elektroprivreda d.d. c. la République de Slovénie, Affaire CIRDI n° ARB/05/24
Inaê Siqueira de Oliveira [*]
Une décision rendue le 17 décembre 2015 par un tribunal arbitral constitué sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ajoute un nouveau chapitre – vraisemblablement le dernier – à un conflit vieux de 20 ans opposant les gouvernements de la Croatie et de la Slovénie et portant sur l’approvisionnement d’électricité générée par la centrale nucléaire de Krško (Krško NPP), située en Slovénie.
Le tribunal conclut que la Slovénie a manqué à son obligation de reprendre la livraison d’électricité générée par Krško NPP au demandeur, Hrvatska Elektroprivreda d.d. (HEP), l’entreprise nationale croate d’électricité. Le tribunal a donc condamné la Slovénie à payer à HEP 19 987 000 € de dommages, plus les intérêts, et à lui rembourser 10 millions USD correspondant aux frais d’arbitrage.
Les faits et les recours
En 1974, les entreprises nationales d’électricité de Slovénie et de Croatie ont créé une co-entreprise, Nuklearna Elektrana Krško (NEK), afin de construire et d’exploiter Krško NPP, située sur le territoire slovène, 15 km à l’ouest de la frontière avec la Croatie. Le financement, la construction, l’opération, la gestion et l’utilisation de Krško NPP étaient régis par quatre accords bilatéraux, tous fondés sur le principe de la parité, et au titre desquels les co-investisseurs étaient égaux à tous points de vue.
Les désaccords ont commencé dans les années 1990. HEP était convaincu que certaines mesures prises par la Slovénie étaient contraires au principe de parité consacré dans les accords bilatéraux. De son côté, la Slovénie considérait que HEP ne respectait pas ses obligations financières envers NEK.
Le 30 juillet 1998, NEK suspendit les livraisons d’électricité à HEP, et la Slovénie émit un décret qui, selon HEP, affectait ses droits de propriété. Au cours des années suivantes, les deux pays se réunirent à plusieurs reprises afin de trouver une solution au différend. Les négociations donnèrent lieu en 2001 à un traité incluant une disposition sur le règlement des différent investisseur-État (l’accord de 2001), au titre duquel la Slovénie et la Croatie convinrent i) de renoncer à tous leurs griefs financiers précédentsrelatifs à Krško NPP, ii) que HEP serait reconnue comme copropriétaire et cogérante de Krško NPP, et iii) que la livraison d’électricité à HEP reprendrait à une date fixée sur accord des parties. Le tribunal accepta la communication de HEP selon laquelle cette date avait été fixée au 30 juin 2002.
La ratification de l’accord de 2001 fit l’objet d’une forte opposition parlementaire et publique en Slovénie. Il n’a été ratifié que le 25 février 2003, soit près de huit mois après la date fixée pour la reprise des livraisons d’électricité. Pendant cette période, la Slovénie proposa par deux fois – en juin et en novembre 2002 (les offres de 2002) – à HEP de lui vendre l’électricité au lieu de la lui fournir aux termes de l’accord de 2001, ce que HEP refusa à chaque fois. Les livraisons d’électricité à HEP reprirent le 19 avril 2003.
Le tribunal devait donc déterminer i) si la Slovénie avait respecté ses obligations au titre de l’accord de 2001 en faisant les offres de 2002, ii) si HEP aurait dû accepter les offres de 2002 pour atténuer ses pertes, iii) si HEP avait répercuté des coûts supplémentaires sur les consommateurs de manière à compenser intégralement ses pertes, et iv) si HEP avait effectivement connu des pertes, comment le tribunal pouvait évaluer l’indemnisation appropriée.
Bien que HEP fondait ses recours sur deux autres bases juridiques – l’accord de 2001 et le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) – le tribunal rejeta les recours fondés sur le TCE dans sa décision sur la question de l’interprétation du traité du 12 juin 2009. Dans sa décision finale, le tribunal souligna que les raisons de ce rejet étaient « nécessairement implicites » (para. 580) compte tenu du fond de la décision précédente, mais les détailla malgré tout. Il considéra que, compte tenu du fond de la décision de 2009, qui déterminait que la Slovénie était redevable envers HEP au titre du recours fondé sur l’accord de 2001 et qui laissait de côté les questions relatives aux offres de 2002, à l’atténuation, au montant de l’indemnisation et aux coûts, l’autre fondement de la demande d’indemnisation de HEP (le TCE) « n’entre nécessairement, voire automatiquement, plus en ligne de compte » (para. 579).
Les offres de 2002 et l’atténuation des pertes
Le tribunal rejeta l’argument de la Slovénie selon lequel, en réalisant ses offres en 2002, elle avait respecté ses obligations au titre de l’accord de 2001. Cette décision se basa largement sur l’avis de l’expert indépendant nommé pour aider le tribunal à évaluer la position des parties sur les dommages. Selon l’expert, dont l’avis a été accepté par le tribunal, les offres de 2002 étaient, du point de vue économique, matériellement différentes des termes de l’accord de 2001.
Le tribunal accepta également la position de HEP selon laquelle il était raisonnable de rejeter les offres de 2002 compte tenu des « profondes différences entre les termes des offres [de 2002] et ceux de l’accord de 2001 » (para. 214) et qu’il y avait des questions de nature non financière qui influençaient raisonnablement la décision de HEP, par exemple l’entreprise était préoccupée par le fait qu’en acceptant les offres, cela pourrait dissuader la Slovénie de ratifier l’accord de 2001.
Le tribunal analyse la défense fondée sur la répercussion des surcoûts soulevée par l’expert indépendant
L’expert indépendant soulignait dans son rapport que « d’après [son] expérience […], il s’attendait à ce qu’une entreprise monopolistique comme HEP ajuste ses tarifs afin de refléter ses coûts » (para. 220). En d’autres termes, HEP aurait pu tout simplement répercuter toute augmentation de ses coûts sur les consommateurs ; ainsi, HEP n’aurait encouru aucune perte irrécupérable. Si elle avait porté ses fruits, la défense fondée sur la répercussion des surcoûts aurait pu avoir des conséquences majeures : cela aurait signifié que HEP n’aurait aucun dommage à récupérer.
Bien que cette défense n’ait pas été soulevée par la Slovénie, le tribunal décida de l’analyser. Elle est habituelle des affaires touchant au droit de la concurrence, mais le tribunal ne vit pas pourquoi il ne pourrait pas l’analyser dans le contexte du droit international. Mais l’analyse du tribunal de concentra au final sur les aspects procéduraux de la défense fondée sur la répercussion des surcoûts. En tant que défense affirmative, il revenait à la Slovénie de démontrer que les coûts avaient été répercutés sur les consommateurs. Et puisqu’aucun élément en ce sens n’avait été apporté, le tribunal considéra qu’il n’était « pas en mesure de conclure qu’aucune perte n’avaient été encourue en l’espèce » (para. 245).
Le calcul des dommages
Lorsqu’il se pencha sur l’évaluation des dommages, le tribunal se fonda principalement sur les conclusions de l’expert indépendant. Les parties et l’expert était loin d’être d’accord sur la méthodologie appropriée pour le calcul des pertes de HEP, même si l’on peut sommairement résumer leur approche comme suit : X moins Y – X était le scénario factuel, à savoir « les coûts encourus par HEP pour le remplacement de l’électricité de Krško qui aurait dû être livrée au titre de l’accord de 2001 » (para. 359), et Y étant le scénario contrefactuel, à savoir « [les coûts] de l’électricité qui aurait du être livrée à HEP au titre de l’accord de 2001 » (para. 349).
Les désaccords portaient principalement sur la valeur de X. Puisque l’absence de livraison avait prolongé une situation qui avait déjà duré quatre années (depuis le 30 juillet 1998), le tribunal ne pouvait pas tout simplement examiner la comptabilité de HEP pour savoir comment l’entreprise avait remplacé l’électricité qui aurait dû être livrée par Krško NPP depuis le 30 juin 2002. Pour solutionner ce problème, le tribunal s’appuya sur les preuves présentées par les parties, sur les dépositions des témoins et sur l’avis de l’expert indépendant.
Le tribunal accepta l’argument selon lequel HEP avait eu recours à une combinaison d’électricité importée et d’électricité produite par les centrales thermiques nationales pour remplacer l’électricité de Krško NPP. Bien que l’électricité importée fût moins cher que celle provenant des centrales thermiques, et bien que HEP aurait pu importer toute l’électricité de remplacement comme l’arguait la Slovénie, le tribunal conclut que HEP avait des préoccupations valables quant à sa sécurité énergétique pour ne pas vouloir s’appuyer uniquement sur des importations. En d’autres termes, le tribunal détermina qu’en utilisant une combinaison d’électricité importée et d’électricité provenant des centrales thermiques, HEP avait agi avec raison. Pour déterminer la part de l’énergie de remplacement importée au regard de l’énergie provenant des centrales thermiques, le tribunal favorisa une fois de plus la méthodologie proposée par l’expert indépendant.
Il détermina qu’aux 19 987 000 € d’indemnisation devaient s’ajouter des intérêts composés tous les six mois, et calculés depuis la date de la violation par la Slovénie de ses obligations au titre de l’accord de 2001 (le 1er juillet 2002) jusqu’à la date du paiement intégral.
Le remboursement des dépenses de HEP
Le tribunal reconnu que la tendance prévalente dans les arbitrages au titre de traités d’investissement consistait à utiliser l’approche des « dépens suivent le sort de l’instance », selon laquelle la partie qui l’emporte peut prétendre récupérer tout ou partie de ses coûts. Puisque HEP était la partie victorieuse, et que les coûts réclamés (13 300 000 USD) étaient « raisonnables compte tenu des circonstances » (para. 610), le tribunal ordonna à la Slovénie de rembourser 10 millions USD à HEP pour ses frais d’arbitrage et de représentation juridique.
Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de David A. R. Williams (président nommé par les co-arbitres, de nationalité néozélandaise), de Charles N. Brower (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Jan Paulsson (nommé par le défendeur, de nationalité suédoise). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ITA LAW 7012.pdf. La décision sur la question de l’interprétation du traité est disponible sur http://www.italaw.com/documents/Hrvatska-Interpretation.pdf.
Le seul arbitrage connu au titre d’un traité d’investissement contre la Guinée équatoriale échoue pour des raisons de compétence
Grupo Francisco Hernando Contreras, S.L. c. la République de Guinée équatoriale, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/12/2
Martin Dietrich Brauch [*]
La majorité d’un tribunal du mécanisme supplémentaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté le recours d’une entreprise espagnole de construction Grupo Francisco Hernando Contreras, S.L. (Groupe Contreras) contre la Guinée équatoriale, dans une décision du 4 décembre 2015. Selon la majorité, le demandeur n’était pas un investisseur protégé au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI), car il n’avait pas réalisé son investissement dans le respect du droit de l’État hôte.
Le contexte et les recours
Pendant l’année 2008, une entreprise du Groupe Contreras a signé plusieurs documents avec la Guinée équatoriale. Parmi ceux-ci se trouvait une lettre d’intention formalisant une proposition visant à construire un quartier industriel ainsi qu’une ville auto-suffisante de 15 000 logements en Guinée équatoriale, ainsi qu’un accord de création d’une société par actions pour le développement d’industries dans les régions de Malabo et de Bata. Le Groupe Contreras a par la suite créé deux entreprises en Guinée équatoriale : Nueva Edificación 2000, S.A. (Nueva Edificación), détenue à 100 % par le Groupe Contreras, et Industrias y Construcciones Guinea Ecuatorial, S.A. (INCOGESA), détenue à parts égales par le Groupe Contreras et par la Guinée équatoriale.
Entre 2008 et 2011, plusieurs étapes des projets de construction ont été réalisées. Le Groupe Contreras a notamment réalisé les projets, les plans commerciaux et les études de rentabilité devant être examinés par le gouvernement, et acquis les machines en Espagne. De son côté, le gouvernement a autorisé la création de Nueva Edificación par résolution, a engagé une entreprise pour l’évaluation des projets présentés, et a chargé Nueva Edificación, par attribution de gré à gré, de construire la ville administrative d’Oyala.
Pourtant, début 2012, le Groupe Contreras s’est plaint du fait que la Guinée équatoriale n’avait pas payé les sommes en suspens et qu’elle imposait des obstacles injustifiés au projet, en violation du TBI Espagne-Guinée équatoriale de 2003. L’entreprise lança un arbitrage en mars 2012 au titre du TBI et du règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, puisque la Guinée équatoriale n’est pas partie à la Convention du CIRDI. Le défendeur présenta une série d’objection à la compétence du tribunal.
Le droit applicable aux objections juridictionnelles
Rappelant que le règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire ne définit pas le droit applicable, et que la Convention du CIRDI ne s’applique pas aux affaires régies par le règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, le tribunal s’est penché sur le TBI pour déterminer le droit applicable.
L’article 11(3) du TBI prévoit que l’arbitrage sera régi par les dispositions du TBI, le droit national de l’État hôte, et par les règles et principes applicables du droit international. Le tribunal s’est donc lancé dans l’analyse de chacune des objections juridictionnelles au regard du TBI, en appliquant le droit national de Guinée équatoriale lorsque les dispositions du TBI le demandaient.
Le tribunal rejette brièvement trois objections juridictionnelles
La Guinée équatoriale argua d’abord que le TBI n’était pas en vigueur lorsque le différend est né. Puisque les deux États avaient déposé leurs instruments de ratification en 2009, que le TBI prévoit son application à titre provisoire dès sa signature en 2003, et que le défendeur avait retiré son objection lors de l’audience, le tribunal considéra que le TBI était en vigueur et s’appliquait au différend.
Le défendeur avait également argué ne pas avoir donné son consentement à l’arbitrage au titre de l’article 25 de la Convention du CIRDI. Rappelant que la Convention du CIRDI ne s’applique pas aux différends conduits au titre du règlement d’arbitrage du mécanisme supplémentaire, et soulignant que la signature du TBI vaut consentement à l’arbitrage de la Guinée équatoriale, le tribunal rejeta cette objection.
La Guinée équatoriale niait également l’existence d’un « différend juridique » au sens de l’article 25(1) de la Convention du CIRDI. Une fois encore, le tribunal rejeta l’application de la Convention du CIRDI, et détermina que pour établir sa compétence, il devait supposer que le différend avait une nature juridique, puisque l’investisseur réclamait une indemnisation pour violation des normes de protection de l’investissement contenues dans le TBI.
Pour être reconnu comme « investisseur », le demandeur doit avoir réalisé un investissement couvert
Le défendeur argua que le groupe Contreras n’avait pas réalisé un « investissement » en Guinée équatoriale au sens du TBI, et qu’il ne pouvait donc pas être reconnu comme un « investisseur ».
Puisque le Groupe Contreras était enregistré et avait son siège en Espagne, le tribunal considéra qu’il s’agissait d’une « entreprise » de nationalité espagnole détenant ou contrôlant une entreprise établie en Guinée équatoriale, au sens du TBI. En outre, le tribunal conclut que pour être reconnu en tant que « investisseur », le demandeur devait également avoir réalisé un investissement dans l’autre partie conformément à son droit national.
Le Groupe Contreras a-t-il réalisé des investisseurs conformément au droit équato-guinéen ?
L’article 1(2) du TBI définit les « investissements » au moyen d’une liste illustrative d’actifs, assujettie au respect par l’investisseur du droit du pays hôte. Pour déterminer s’il y avait un investissement, la majorité fit brièvement référence aux critères du test de Salini (apport de l’investisseur, durée, risque). Il remarqua que les deux parties avaient convenu que l’existence d’un investissement dépendait d’« un apport du demandeur découlant d’une relation contractuelle » (para. 141), mais elles n’étaient pas d’accord quant au fait que l’investissement respectait le droit national de l’État hôte.
Soulignant que le fondement contractuel du recours est un élément essentiel de l’existence d’un investissement couvert, le tribunal s’employa à analyser, au regard du droit équato-guinéen, la relation contractuelle supposée pour les travaux de construction de Malabo et de Bata, et l’existence supposée d’une attribution de gré à gré pour les travaux d’Oyala.
Après avoir examiné le texte de l’accord constitutif pour les travaux de construction de Malabo et de Bata, le tribunal conclut que l’existence de droits et d’obligations dépendait de : (a) la conclusion d’un accord de construction entre INCOGESA et la Guinée équatoriale ; et (b) la constitution légale des entreprises Nueva Edificación et INCOGESA.
Le tribunal indiqua ne pas avoir trouvé de preuve du respect par le Groupe Contreras de la procédure administrative pour la conclusion d’un accord de construction avec l’État, au titre du droit équato-guinéen des contrats. Il indiqua en outre que le « silence administratif » de l’État n’avait pas généré d’effets contraignants pouvant remplacer le respect de la procédure légale.
Bien que Nueva Edificación soit correctement enregistrée, le tribunal nota que le nombre de ses actions a par la suite été considérablement réduit, bien en dessous du minimum juridiquement requis – ce qui au final aurait entrainé la dissolution de l’entreprise. Il remarqua également que Nueva Edificación n’avait pas commencé ses activités dans les délais impartis par la loi. S’agissant d’INCOGESA, le tribunal remarqua que bien que l’entreprise soit formellement créée et que ses actions aient soi-disant été intégralement payées, rien ne démontrait que les actions avaient été déposées sur un compte en banque, comme l’exige le droit équato-guinéen.
Concluant qu’aucune des deux entreprises n’avaient été établie dans le respect du droit national, le tribunal décréta qu’elles n’avaient pas la personnalité juridique pour agir en tant que vecteur des investissements du demandeur. Selon la majorité, « les arguments et la conduite du demandeur mettent en relief son manque de connaissances adéquates du droit interne applicable à son investissement supposé » et « reflète une conduite négligente » (para. 227).
S’agissant de la construction d’Oyala, la majorité remarqua que la résolution du gouvernement formalisant l’attribution directe ne remplace pas la nécessité de conclure un contrat dans les 30 jours suivants l’attribution, comme l’exige le droit des contrats. Et puisque rien ne prouvait que le Groupe Contreras avait cherché à conclure un contrat ou que la Guinée équatoriale aurait refusé de le conclure, le Groupe Contreras avait, selon la majorité, abandonné son intention d’investir dans le pays.
Le renvoi et les coûts
La majorité considéra qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les critères de durée et de risque du test de Salini. Il rejeta le recours car l’investisseur et l’investissement n’étaient pas protégé, et ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques, et la moitié des coûts de l’arbitrage.
L’arbitre à l’opinion divergente rejette les critères de Salini, la notion formaliste de contrat, et commente le manque de connaissances du demandeur
Pour sa part, l’arbitre Orrego Vicuña aurait déclaré le tribunal compétent. Dans son opinion divergente, il indique que les critères du test de Salini n’étaient pas mentionnés dans le TBI, et auraient été rendus obsolètes par les traités d’investissement et par la jurisprudence. Reconnaissant l’absence de contrat écrit, il n’était pourtant pas d’accord avec l’interprétation formaliste de la majorité. Selon lui, il y avait suffisamment d’éléments pour démontrer l’existence d’un contrat, consistant en un accord, exprimé par une offre suivi d’une acceptation.
Il s’opposait également aux observations de la majorité quant à la négligence de l’investisseur : « si l’investisseur passe un contrat avec l’État, c’est ce dernier qui a l’obligation d’exiger que toutes les étapes requises par la loi soient réalisées » (opinion divergente, para. 14).
Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de Bernardo Sepúlveda Amor (président, nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, de nationalité mexicaine), de Francisco Orrego Vicuña (nommé par le demandeur, de nationalité chilienne) et de Raúl E. Vinuesa (nommé par le défendeur, de nationalités espagnole et argentine).
La décision, y compris l’opinion divergente de Francisco Orrego Vicuña, est disponible en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7106.pdf.
Un tribunal du CIRDI ordonne au Zimbabwe de rendre les fermes expropriées
Bernhard von Pezold et autres c. le Zimbabwe, Affaire CIRDI n° ARB/10/15
Jacob Greenberg [*]
Dans une sentence de 318 pages rendue le 28 juillet 2015, mais publiée seulement en février 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends investisseurs-État (CIRDI) condamnait le Zimbabwe à rendre les fermes saisies sans indemnisation en 2005. Le tribunal détermina que la saisie, ainsi que l’encouragement subreptice par le gouvernement de l’installation illégale de ces fermes, constituaient une violation des normes relatives à l’expropriation, au traitement juste et équitable (TJE) et de plusieurs autres dispositions des Traités bilatéraux d’investissement (TBI) du Zimbabwe avec la Suisse et l’Allemagne. La restitution est rarement utilisée comme mesure de réparation dans l’arbitrage international des investissements, mais le tribunal s’accorda à dire qu’en l’espèce, la mesure était appropriée et faisable.
En plus de rendre le titre de propriété des exploitations fermières, le tribunal du CIRDI ordonna au Zimbabwe de verser aux demandeurs, Bernhard von Pezold et sa famille, une indemnisation de 65 millions USD en compensation de la valeur perdue. C’est la deuxième fois qu’un tribunal arbitral condamne le Zimbabwe pour violation des dispositions sur l’expropriation et TJE contenues dans les TBI. Dans une affaire similaire d’expropriation (Border Timbers Limited, Timber Products International (Private) Limited, et Hangani Developments Co (Private) Limited c. le Zimbabwe (Affaire CIRDI n°ARB/10/25)), le même tribunal s’était déclaré en faveur de Border Timbers, une entreprise détenue à majorité par la famille Pezold, mais le jugement n’a pas été publié.
Le contexte
Lorsque le Président du Zimbabwe a pris le pouvoir pour la première fois en 1980, il s’est attelé à corriger la situation de l’époque, à savoir qu’un petit nombre d’exploitants agricoles blancs détenaient une grande majorité des terres arables. Son programme de réforme agraire se tourna d’abord vers les vendeurs et acheteurs volontaires, mais compte tenu de l’impatience découlant du rythme lent des transferts de propriété et de la popularité chancelante de Mugabe, le programme se transforma bientôt en expropriations avec indemnisation, puis en 2005, en expropriations sans indemnisations. Au début des années 2000, des exploitants noirs commencèrent à envahir et à occuper principalement les fermes détenues par des blancs.
Bernhard von Pezold et sa famille, qui ont la double nationalité Suisse et Allemande, ont acheté 78 275 hectares de terres arables au Zimbabwe dès les années 1988. Leurs fermes ont été largement envahies, 22 % de leurs terres étant occupées par des exploitants. En 2005, lorsque la Constitution fût amendée, l’État du Zimbabwe s’est porté acquéreur du titre de propriété de la plupart des terres des demandeurs, révoquant leurs droits à contester l’acquisition, et les pénalisant pour n’avoir pas quitté les lieux. Les demandeurs restèrent sur les terres, mais reconnurent qu’ils en étaient réduits à n’être que « de simples titulaires de licences à la merci du défendeur » (para. 159).
La nouvelle Constitution adoptée en 2013 prévoyait l’indemnisation intégrale des terres saisies des « zimbabwéens autochtones », expression faisant exclusivement référence aux zimbabwéens noirs d’après un témoin. La Constitution réaffirmait également le droit des investisseurs étrangers à l’indemnisation intégrale au titre des TIB.
Le tribunal conclut que les agissements du Zimbabwe constituent une expropriation illégale
Le Zimbabwe a reconnu que l’expropriation avait bel et bien eut lieu, mais prétendait qu’elle était légale et avait un objectif public. Selon lui, les terres avaient été expropriées car la population autochtone restait désavantagée compte tenu du rythme lent de la réforme agraire. Les demandeurs n’avaient peut être pas reçu d’indemnisation monétaire, mais leur utilisation continue et presque sans obstacle des terres constituait une indemnisation rapide, adéquate et effective. En outre, si le gouvernement envoyait la police contre les occupants, il se retournerait contre sa propre population et risquerait un massacre.
Le tribunal rejeta ces arguments, déterminant que l’expropriation était illégale et discriminatoire, et qu’elle n’avait pas respecté les règles. Le transfert du titre à lui seul permettait d’établir l’expropriation, et aucune indemnisation n’avait été versée, la rendant illégale. L’utilisation continue des terres ne pouvait être considérée comme une indemnisation car « les éventuels revenus collectés après [la saisie du titre par le gouvernement] n’équivaudraient pas à une indemnisation adéquate et effective payée sans délai » (para. 497).
Le tribunal considéra que, sans indemnisation, l’expropriation était illégale, et constituait donc une violation du TBI. Il examina également plusieurs autres arguments de l’expropriation illégale avancés par les demandeurs, et conclut qu’elle n’avait pas respecté les règles car l’amendement de la Constitution ayant entrainé le transfert des titres de propriété empêchait les demandeurs de contester le transfert devant les tribunaux. Les mesures ont également été jugées racialement discriminatoires puisque la grande majorité des fermes expropriées étaient détenues par des blancs, et que les quelques propriétaires noirs affectés avaient été indemnisés. Finalement, le tribunal considéra que les mesures d’expropriation n’avaient pas d’objet public puisque les terres n’avaient pas été redistribuées, et restaient principalement aux mains des demandeurs.
Les mesures violent également le TJE et ne sont pas justifiées par la nécessité
Le tribunal détermina également qu’il y avait violation de la norme TJE. À plusieurs reprises, le Zimbabwe avait garanti aux demandeurs que leurs investissements ne seraient pas expropriés. Selon le tribunal, ces déclarations créaient des attentes légitimes chez les demandeurs, attentes bafouées lorsque leurs terres ont été expropriées.
Le Zimbabwe fondait sa défense et justifiait ses mesures sur le principe de nécessité en droit international, arguant que la situation du pays à l’époque rendait ses actions inévitables. Cette « marche historique » fut un mouvement spontané de la population autochtone du Zimbabwe qui a envahi les terres, et qui se serait intensifiée si le gouvernement n’avait pas amendé la Constitution de manière à saisir les terres. Le gouvernement prétendait également être incapable de mettre un terme à ces occupations. En outre, le Zimbabwe avança sa crise économique de début 2006 comme preuve de cette situation d’urgence dans le pays.
Le tribunal rejeta une fois de plus le grief du Zimbabwe, déterminant que ses arguments étaient irréalistes. Les occupants ne représentaient qu’une petite partie de la population zimbabwéenne, comme le prouve le rejet par referendum de la tentative par le gouvernement d’amender la Constitution en 2000 afin de permettre l’expropriation sans indemnisation. Aussi, selon le tribunal, le gouvernement ne pouvait prétendre que les mesures avaient été prises « dans l’intérêt de tout le pays », puisqu’en fait, il n’avait adopté aucune loi d’urgence pour répondre à la crise. De plus, le tribunal détermina qu’en créant une discrimination, ces actions violaient un intérêt essentiel de la communauté internationale dans son ensemble, ce qui empêchait le Zimbabwe de les justifier sur la base de son propre intérêt essentiel.
Il conclut en outre que le gouvernement aurait non seulement pu faire plus pour prévenir les invasions des terres, mais qu’il les avait activement encouragées et soutenues pour stimuler sa popularité vacillante au sein de ses principaux soutiens. Selon le tribunal, le réel motif du gouvernement dans l’expropriation n’était pas de répondre à la crise nationale ou de remédier à des politiques agraires historiquement discriminatoires vis-à-vis de la population locale, mais de se maintenir au pouvoir.
Le tribunal évalue des mesures de réparation inhabituelles
En plus des dispositions sur les TJE et l’expropriation, le tribunal conclut que le Zimbabwe avait également violé les dispositions sur la non-dépréciation, la protection et la sécurité intégrales et le libre transfert des paiements. Pour réparer ces violations, le tribunal adopta une approche peu orthodoxe et ordonna au Zimbabwe de restituer les titres des propriétés saisies en 2005 en le réémettant. D’après le tribunal, la restitution est rarement décidée dans les différends internationaux en matière d’investissement, soit du fait d’une impossibilité matérielle, par exemple des propriétés endommagées et irréparables, soit parce que les demandeurs préfèrent tout simplement une indemnisation facile à mettre en œuvre.
Le tribunal expliqua que pour accorder cette mesure de réparation unique, la restitution doit être matériellement possible et doit être proportionnelle au bénéfice dérivé ; de simples difficultés pratiques ou juridiques ne constituent pas une impossibilité matérielle. Le Zimbabwe argua que la restitution entrainerait une grande confusion, mais le tribunal considéra que les demandeurs occupaient déjà la plupart des terres, que les dommages matériels étaient réparables, et que la réémission du titre n’était qu’une formalité administrative. En outre, la restitution du titre donnerait aux demandeurs la possibilité d’entamer des poursuites contre les occupants auprès des tribunaux nationaux, et que toute confusion résultant de leur éviction relevait de la police locale. Aussi, le tribunal considéra que la restitution n’était pas matériellement impossible, et que puisqu’elle ne concernait que les demandeurs (et pas toutes les personnes dont les terres avaient été expropriées), le poids de la mesure n’était pas disproportionné par rapport aux bénéfices.
Le tribunal observa que si la restitution n’était pas suffisante pour restaurer le statu quo préalable, il pouvait aussi prévoir d’autres formes de réparation. Considérant qu’une indemnisation supplémentaire était nécessaire, il évalua à 64 millions USD les dommages monétaires afin de compenser la différence entre la valeur de la propriété « en l’état » et sa valeur « en l’absence » d’expropriation.
Le tribunal adopta une autre approche rare et évalua à 1 million USD les dommages moraux. S’appuyant sur le témoignage quasiment incontesté des demandeurs, le tribunal conclut que les occupants avaient séquestré, menacé et physiquement attaqué les demandeurs et leurs employés. Il considéra que même si le Zimbabwe n’était pas directement responsable de ces attaques, l’inaction de la police pour les empêcher sur plusieurs années était contraire à l’obligation juridique de l’État d’offrir une protection intégrale.
Si le Zimbabwe rend les titres de propriété, il devra verser 65 millions USD aux demandeurs, mais dans le cas contraire, il devra leur verser 196 millions USD. En novembre 2015, le Zimbabwe a demandé l’annulation de la sentence.
Remarques
Le tribunal était composé de L. Yves Fortier (président, nommé sur accord des deux parties, de nationalité canadienne), de David A.R. Williams (nommé par le demandeur, de nationalité néozélandaise) et de Michael Hwang (nommée par le Zimbabwe, de nationalité singapourienne). La décision quant au fond est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7095_0.pdf.
Auteurs
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.
Stefanie Schacherer est doctorante et assistante d’enseignement et de recherche à la Faculté de droit de l’Université de Genève.
Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.
Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le
programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.
Jacob Greenberg est un étudiant en échange de la Faculté de droit de l’Université de Michigan et collabore au programme sur l’investissement au service du développement durable de l’IISD.