Un tribunal du CIRDI accorde des dommages suite à l’expropriation indirecte par le Venezuela d’un investissement dans l’industrie de l’acier 

Tenaris S.A. et Talta-Trading e Marketing Sociedade Unipessoal LDA c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/11/26

Un tribunal arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu sa décision au sujet de la nationalisation d’une entreprise étrangère produisant de la fonte de briquetage à chaud (FBC) pour l’industrie de l’acier au Venezuela. Le montant des dommages et des intérêts préalables à la décision accordé par le tribunal s’élèvent à 172 801 213,70 USD.

Le tribunal s’est déclaré compétent au titre des Traités bilatéraux d’investissement Venezuela-Luxembourg (le TBI Luxembourg) et Venezuela-Portugal (le TBI Portugal).

Sur le fond, le tribunal rejeta les recours selon lesquels l’ingérence avec l’investissement réalisée avant l’expropriation entrainait une responsabilité au titre du droit international. Cependant, il reconnut que le Venezuela avait illégalement nationalisé l’investissement des demandeurs, donnant lieu à une expropriation indirecte.

Le contexte

 Les demandeurs sont une entreprise de droit luxembourgeois (Tenaris) et une entreprise de droit portugais (Talta). Talta est détenue à 100 % par Tenaris par le biais d’une entreprise intermédiaire.

Dans le cadre de la privatisation de l’industrie vénézuélienne de l’acier dans les années 1990, une filiale de Tenaris (SIDOR) a pris le contrôle du principal exportateur colombien et sud-américain de produits finis en acier, consommateur majeur de FBC. Par la suite, Tenaris et SIDOR ont créé une entreprise de droit vénézuélien, Matesi, afin d’acquérir certaines capacités productives de FBC (PosVen). Aux termes des conditions préalables à cette transaction, Matesi devait conclure des contrats pour l’approvisionnement des matières premières essentielles à la production de FBC avec différentes entités publiques à des conditions pas moins favorables que celles dont bénéficiait son prédécesseur. Par la suite, la participation majoritaire de Tenaris dans Matesi a été transférée à Talta.

En 2008, le Président vénézuélien Hugo Chávez a annoncé que SIDOR devait être nationalisée, décision ratifiée par la suite par le Parlement. En 2009, le Président Chávez a annoncé son intention de nationaliser Matesi et d’autres producteurs de FBC. La confirmation officielle est arrivée peu de temps après. En 2010, le Président Chávez annonça que Matesi devait être expropriée car il n’avait pas été possible de parvenir à un accord quant aux termes de la nationalisation avec les actionnaires. L’arbitrage porte donc sur les circonstances dans lesquelles les demandeurs ont perdu l’usage et la jouissance de leur investissement dans Matesi.

Le critère du « siège social » ou « sede » des TBI exige une gestion effective, ce que les demandeurs ont démontré 

La première question sur laquelle s’est penché le tribunal consistait à savoir si les demandeurs avaient établi un « siège social » ou « sede » au Luxembourg et au Portugal, respectivement, au titre des TBI en question.

Le Venezuela argua que les TBI exigeaient non seulement que la société soit constituée dans le pays d’origine, mais également que ce soit le lieu de la gestion effective de l’entreprise. Il argua également, sur la base des fichiers de la Commission américaine des opérations de bourse (SEC), et d’autres documents, que « Tenaris [est] une entreprise argentine, dotée de 27 000 employés, de milliards de dollars de recettes et de bureaux aux 26ème et 30ème étages d’un immeuble de 30 étages de Buenos Aires » (para. 120). 120).

Afin de résoudre cette objection, le tribunal étudia d’abord le sens ordinaire des termes « siège social » ou « sede ». D’après les communications des parties, le tribunal considéra que manifestement, aucun de ces termes n’étaient « juridiquement » cohérents, et qu’en fait ces termes avaient différents sens ordinaires.

Le tribunal se pencha alors sur le sens de ces termes dans leur contexte, ainsi qu’au regard de l’objet et du but des TBI. Il conclut que, placés dans leur contexte, les termes « [doivent] avoir une connotation différente, allant au-delà de la simple adresse du siège » (para. 150). Le tribunal détermina donc que, dans les TBI, les termes « siège social » ou « sede » signifient le lieu de la gestion effective. Sur la base des communications et des preuves, le tribunal conclut que la gestion effective de Tenaris et de Talta se faisait au Luxembourg et au Portugal, respectivement, et se déclara donc compétent ratione personae sur les recours des demandeurs.

Le tribunal rejette l’objection du Venezuela selon laquelle le différend est purement contractuel

Le Venezuela s’opposait également à la compétence du tribunal au motif que les recours relatifs à l’approvisionnement soi-disant insuffisant ou discriminatoire de matière première à Matesi donnaient lieu à un différend purement contractuel. Les demandeurs répondirent que leurs recours pour discrimination découlaient uniquement des violations du traitement juste et équitable (TJE) et de la clause de non-dépréciation des TBI. Ils arguaient que le fournisseur en question était CVG FMO, une entreprise étatique jouissant d’un monopole souverain.

Le tribunal examina cette deuxième objection en faisant une distinction entre la compétence pour entendre les recours, et la responsabilité finale dans le cadre de ces recours au titre des TBI. Lors de la phase sur la compétence, la question déterminante consistait à savoir si les allégations factuelles des demandeurs étaient avérées. Aussi, l’argument du Venezuela selon lequel CVG FMO agissait en sa capacité commerciale privée, bien qu’important pour la responsabilité finale, n’empêchait pas la compétence du tribunal.

La nationalisation illégale entraine une expropriation indirecte au titre des TBI

Le tribunal examina les recours découlant de la nationalisation de Matesi en tranchant que « il ne [fait] aucun doute que le Venezuela a nationalisé Matesi » (para. 451). Il était donc question de savoir si la nationalisation par le Venezuela de SIDOR en 2008 puis de Matesi en 2009 équivalaient à une expropriation indirecte (et donc illégale), comme le prétendaient les demandeurs, ou si la nationalisation était pleinement légale au titre du droit vénézuélien, et donc que les TBI ne s’appliquaient qu’au moment de l’acte formel d’expropriation.

Le tribunal était convaincu que « le Venezuela [n’a] pas mis en œuvre les procédures qu’il avait créées afin de nationaliser SIDOR et ses filiales, notamment Matesi » (para. 493). Il conclut que ce faisant, le Venezuela n’avait manifestement pas respecté les prescriptions des procédures légales   nationales  de nationalisation « taillées sur mesure », ce qui entrainait une expropriation indirecte au titre des TBI. Le tribunal observa en outre que cette affaire était « similaire à l’affaire ADC c. la Hongrie, dans le sens où l’investisseur affecté n’avait pas EU  « d’opportunité raisonnable dans un délai raisonnable de réclamer ses droits légitimes et de faire entendre ses griefs » » (para. 497).

Les événements préalables à l’expropriation indirecte n’équivalent pas à une violation du traité

D’après les demandeurs, le Venezuela avait violé les clauses TJE, de non-discrimination et de non-dépréciation des deux TBI du fait de la discrimination de CVG FMO à l’égard de Matesi, c’est-à-dire de l’investissement des demandeurs.

Bien que la filiale des demandeurs SIDOR reçût régulièrement les matières premières nécessaires à la production de FBC par Matesi, SIDOR avait l’obligation de vendre ces matières premières à CVG FMO. Selon les demandeurs, leur accord d’approvisionnement avec CVG FMO a été « central à leur décision d’investir dans Matesi et une condition préalable à leur acquisition des actifs de PosVen » (para. 322).

S’agissant de savoir si CVG FMO avait eu une attitude discriminatoire vis-à-vis de Matesi, le tribunal conclut que les preuves indiquaient certains manquements. Il conclut cependant par la suite que CVG FMO n’était pas un organe de l’État au sens de l’article 4 des Articles de la Commission du droit international (CDI) sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite, ni n’avait reçu du Venezuela le droit d’exercer certains pouvoirs gouvernementaux au titre de l’article 5 de la CDI.

Les demandeurs arguaient en outre que les importants mouvements sociaux, la perte de l’accès physique à l’usine de Matesi et la séquestration d’une vingtaine de membres du personnel administratif équivalaient à une violation des obligations du Venezuela au titre de la disposition sur la protection et la sécurité intégrales des TBI. Le tribunal accepta la communication des demandeurs selon laquelle l’obligation du Venezuela ne se limitait pas exclusivement à la protection physique contre les tiers, mais incluait également les effets négatifs découlant des actes de l’État d’accueil et de ses organes. Il remarqua ensuite que les demandeurs réclamaient simplement un jugement déclaratoire des dommages subis pendant le processus de nationalisation, mais que les manquements allégués d’offrir une protection et sécurité intégrales avaient eu lieu après la nationalisation.

Le tribunal s’éloigne la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie pour calculer les dommages

Après avoir conclut que l’expropriation avait eu lieu sans indemnisation rapide et adéquate, le tribunal s’attela à déterminer l’indemnisation que le Venezuela devrait verser. Pour la calculer, le tribunal remarqua que les dispositions pertinentes des TBI étaient très similaires à celles contenues dans les Articles de la CDI, et considéra qu’elles reflétaient fidèlement le droit coutumier international.

Les experts des parties convinrent que lorsque des transactions sans lien de dépendance n’existent pas, la valeur d’un actif est généralement mieux déterminée avec la méthode de l’actualisation des flux de trésorerie. Le tribunal observa cependant que « le diable se cache malheureusement dans les détails » (para. 521). Alors que l’expert des demandeurs avait fixé la valeur à 239 millions USD, l’expert du Venezuela arrivait à une valeur de 0 USD. Le tribunal conclut que les deux approches étaient imparfaites.

Le tribunal étudia donc d’autres approches pour déterminer la juste valeur du marché, pour finalement revenir à la notion de prix convenu dans une transaction sans lien de dépendance. Aussi, le tribunal prit en compte l’acquisition des actifs sous-jacents de Matesi en 2004 par SIDOR et les demandeurs. Cette transaction fournissait les données pertinentes pour les critères de la transaction sans lien de dépendance.

Au final, le tribunal ordonna au Venezuela de payer 87 300 000 USD pour les violations des TBI, plus les intérêts préalables à la décision, calculés depuis la date d’évaluation du 30 avril 2008 à un taux annuel de 9 %, soit un total de 85 501 213,70 USD, payable dans les six mois suivants la décision.

Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de John Beechey (président nommé sur accord des parties, de nationalité britannique), de Judd Kessler (nommé par les demandeurs, de nationalité étasunienne) et de Toby Landau (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision finale du 29 janvier 2016 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7098.pdf.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.