Un tribunal du CIRDI ordonne au Zimbabwe de rendre les fermes expropriées

Bernhard von Pezold et autres c. le Zimbabwe, Affaire CIRDI n° ARB/10/15

Dans une sentence de 318 pages rendue le 28 juillet 2015, mais publiée seulement en février 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends investisseurs-État (CIRDI) condamnait le Zimbabwe à rendre les fermes saisies sans indemnisation en 2005. Le tribunal détermina que la saisie, ainsi que l’encouragement subreptice par le gouvernement de l’installation illégale de ces fermes, constituaient une violation des normes relatives à l’expropriation, au traitement juste et équitable (TJE) et de plusieurs autres dispositions des Traités bilatéraux d’investissement (TBI) du Zimbabwe avec la Suisse et l’Allemagne. La restitution est rarement utilisée comme mesure de réparation dans l’arbitrage international des investissements, mais le tribunal s’accorda à dire qu’en l’espèce, la mesure était appropriée et faisable.

En plus de rendre le titre de propriété des exploitations fermières, le tribunal du CIRDI ordonna au Zimbabwe de verser aux demandeurs, Bernhard von Pezold et sa famille, une indemnisation de 65 millions USD en compensation de la valeur perdue. C’est la deuxième fois qu’un tribunal arbitral condamne le Zimbabwe pour violation des dispositions sur l’expropriation et TJE contenues dans les TBI. Dans une affaire similaire d’expropriation (Border Timbers Limited, Timber Products International (Private) Limited, et Hangani Developments Co (Private) Limited c. le Zimbabwe (Affaire CIRDI n°ARB/10/25)), le même tribunal s’était déclaré en faveur de Border Timbers, une entreprise détenue à majorité par la famille Pezold, mais le jugement n’a pas été publié.

Le contexte

 Lorsque le Président du Zimbabwe a pris le pouvoir pour la première fois en 1980, il s’est attelé à corriger la situation de l’époque, à savoir qu’un petit nombre d’exploitants agricoles blancs détenaient une grande majorité des terres arables. Son programme de réforme agraire se tourna d’abord vers les vendeurs et acheteurs volontaires, mais compte tenu de l’impatience découlant du rythme lent des transferts de propriété et de la popularité chancelante de Mugabe, le programme se transforma bientôt en expropriations avec indemnisation, puis en 2005, en expropriations sans indemnisations. Au début des années 2000, des exploitants noirs commencèrent à envahir et à occuper principalement les fermes détenues par des blancs.

Bernhard von Pezold et sa famille, qui ont la double nationalité Suisse et Allemande, ont acheté 78 275 hectares de terres arables au Zimbabwe dès les années 1988. Leurs fermes ont été largement envahies, 22 % de leurs terres étant occupées par des exploitants. En 2005, lorsque la Constitution fût amendée, l’État du Zimbabwe s’est porté acquéreur du titre de propriété de la plupart des terres des demandeurs, révoquant leurs droits à contester l’acquisition, et les pénalisant pour n’avoir pas quitté les lieux. Les demandeurs restèrent sur les terres, mais reconnurent qu’ils en étaient réduits à n’être que « de simples titulaires de licences à la merci du défendeur » (para. 159).

La nouvelle Constitution adoptée en 2013 prévoyait l’indemnisation intégrale des terres saisies des « zimbabwéens autochtones », expression faisant exclusivement référence aux zimbabwéens noirs d’après un témoin. La Constitution réaffirmait également le droit des investisseurs étrangers à l’indemnisation intégrale au titre des TIB.

Le tribunal conclut que les agissements du Zimbabwe constituent une expropriation illégale

Le Zimbabwe a reconnu que l’expropriation avait bel et bien eut lieu, mais prétendait qu’elle était légale et avait un objectif public. Selon lui, les terres avaient été expropriées car la population autochtone restait désavantagée compte tenu du rythme lent de la réforme agraire. Les demandeurs n’avaient peut être pas reçu d’indemnisation monétaire, mais leur utilisation continue et presque sans obstacle des terres constituait une indemnisation rapide, adéquate et effective. En outre, si le gouvernement envoyait la police contre les occupants, il se retournerait contre sa propre population et risquerait un massacre.

Le tribunal rejeta ces arguments, déterminant que l’expropriation était illégale et discriminatoire, et qu’elle n’avait pas respecté les règles. Le transfert du titre à lui seul permettait d’établir l’expropriation, et aucune indemnisation n’avait été versée, la rendant illégale. L’utilisation continue des terres ne pouvait être considérée comme une indemnisation car « les éventuels revenus collectés après [la saisie du titre par le gouvernement] n’équivaudraient pas à une indemnisation adéquate et effective payée sans délai » (para. 497).

Le tribunal considéra que, sans indemnisation, l’expropriation était illégale, et constituait donc une violation du TBI. Il examina également plusieurs autres arguments de l’expropriation illégale avancés par les demandeurs, et conclut qu’elle n’avait pas respecté les règles car l’amendement de la Constitution ayant entrainé le transfert des titres de propriété empêchait les demandeurs de contester le transfert devant les tribunaux. Les mesures ont également été jugées racialement discriminatoires puisque la grande majorité des fermes expropriées étaient détenues par des blancs, et que les quelques propriétaires noirs affectés avaient été indemnisés. Finalement, le tribunal considéra que les mesures d’expropriation n’avaient pas d’objet public puisque les terres n’avaient pas été redistribuées, et restaient principalement aux mains des demandeurs.

Les mesures violent également le TJE et ne sont pas justifiées par la nécessité

 Le tribunal détermina également qu’il y avait violation de la norme TJE. À plusieurs reprises, le Zimbabwe avait garanti aux demandeurs que leurs investissements ne seraient pas expropriés. Selon le tribunal, ces déclarations créaient des attentes légitimes chez les demandeurs, attentes bafouées lorsque leurs terres ont été expropriées.

Le Zimbabwe fondait sa défense et justifiait ses mesures sur le principe de nécessité en droit international, arguant que la situation du pays à l’époque rendait ses actions inévitables. Cette « marche historique » fut un mouvement spontané de la population autochtone du Zimbabwe qui a envahi les terres, et qui se serait intensifiée si le gouvernement n’avait pas amendé la Constitution de manière à saisir les terres. Le gouvernement prétendait également être incapable de mettre un terme à ces occupations. En outre, le Zimbabwe avança sa crise économique de début 2006 comme preuve de cette situation d’urgence dans le pays.

Le tribunal rejeta une fois de plus le grief du Zimbabwe, déterminant que ses arguments étaient irréalistes. Les occupants ne représentaient qu’une petite partie de la population zimbabwéenne, comme le prouve le rejet par referendum de la tentative par le gouvernement d’amender la Constitution en 2000 afin de permettre l’expropriation sans indemnisation. Aussi, selon le tribunal, le gouvernement ne pouvait prétendre que les mesures avaient été prises « dans l’intérêt de tout le pays », puisqu’en fait, il n’avait adopté aucune loi d’urgence pour répondre à la crise. De plus, le tribunal détermina qu’en créant une discrimination, ces actions violaient un intérêt essentiel de la communauté internationale dans son ensemble, ce qui empêchait le Zimbabwe de les justifier sur la base de son propre intérêt essentiel.

Il conclut en outre que le gouvernement aurait non seulement pu faire plus pour prévenir les invasions des terres, mais qu’il les avait activement encouragées et soutenues pour stimuler sa popularité vacillante au sein de ses principaux soutiens. Selon le tribunal, le réel motif du gouvernement dans l’expropriation n’était pas de répondre à la crise nationale ou de remédier à des politiques agraires historiquement discriminatoires vis-à-vis de la population locale, mais de se maintenir au pouvoir.

Le tribunal évalue des mesures de réparation inhabituelles

En plus des dispositions sur les TJE et l’expropriation, le tribunal conclut que le Zimbabwe avait également violé les dispositions sur la non-dépréciation, la protection et la sécurité intégrales et le libre transfert des paiements. Pour réparer ces violations, le tribunal adopta une approche peu orthodoxe et ordonna au Zimbabwe de restituer les titres des propriétés saisies en 2005 en le réémettant. D’après le tribunal, la restitution est rarement décidée dans les différends internationaux en matière d’investissement, soit du fait d’une impossibilité matérielle, par exemple des propriétés endommagées et irréparables, soit parce que les demandeurs préfèrent tout simplement une indemnisation facile à mettre en œuvre.

Le tribunal expliqua que pour accorder cette mesure de réparation unique, la restitution doit être matériellement possible et doit être proportionnelle au bénéfice dérivé ; de simples difficultés pratiques ou juridiques ne constituent pas une impossibilité matérielle. Le Zimbabwe argua que la restitution entrainerait une grande confusion, mais le tribunal considéra que les demandeurs occupaient déjà la plupart des terres, que les dommages matériels étaient réparables, et que la réémission du titre n’était qu’une formalité administrative. En outre, la restitution du titre donnerait aux demandeurs la possibilité d’entamer des poursuites contre les occupants auprès des tribunaux nationaux, et que toute confusion résultant de leur éviction relevait de la police locale. Aussi, le tribunal considéra que la restitution n’était pas matériellement impossible, et que puisqu’elle ne concernait que les demandeurs (et pas toutes les personnes dont les terres avaient été expropriées), le poids de la mesure n’était pas disproportionné par rapport aux bénéfices.

Le tribunal observa que si la restitution n’était pas suffisante pour restaurer le statu quo préalable, il pouvait aussi prévoir d’autres formes de réparation. Considérant qu’une indemnisation supplémentaire était nécessaire, il évalua à 64 millions USD les dommages monétaires afin de compenser la différence entre la valeur de la propriété « en l’état » et sa valeur « en l’absence » d’expropriation.

Le tribunal adopta une autre approche rare et évalua à 1 million USD les dommages moraux. S’appuyant sur le témoignage quasiment incontesté des demandeurs, le tribunal conclut que les occupants avaient séquestré, menacé et physiquement attaqué les demandeurs et leurs employés. Il considéra que même si le Zimbabwe n’était pas directement responsable de ces attaques, l’inaction de la police pour les empêcher sur plusieurs années était contraire à l’obligation juridique de l’État d’offrir une protection intégrale.

Si le Zimbabwe rend les titres de propriété, il devra verser 65 millions USD aux demandeurs, mais dans le cas contraire, il devra leur verser 196 millions USD. En novembre 2015, le Zimbabwe a demandé l’annulation de la sentence.

Jacob Greenberg est un étudiant en échange de la Faculté de droit de l’Université de Michigan et collabore au programme sur l’investissement au service du développement durable de l’IISD.