La Slovénie est condamnée à payer 20 millions d’euros de dommages-intérêts et 10 millions USD de frais à l’entreprise nationale croate d’électricité

Hrvatska Elektroprivreda d.d. c. la République de Slovénie, Affaire CIRDI n° ARB/05/24

Une décision rendue le 17 décembre 2015 par un tribunal arbitral constitué sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ajoute un nouveau chapitre – vraisemblablement le dernier – à un conflit vieux de 20 ans opposant les gouvernements de la Croatie et de la Slovénie et portant sur l’approvisionnement d’électricité générée par la centrale nucléaire de Krško (Krško NPP), située en Slovénie.

Le tribunal conclut que la Slovénie a manqué à son obligation de reprendre la livraison d’électricité générée par Krško NPP au demandeur, Hrvatska Elektroprivreda d.d. (HEP), l’entreprise nationale croate d’électricité. Le tribunal a donc condamné la Slovénie à payer à HEP 19 987 000 € de dommages, plus les intérêts, et à lui rembourser 10 millions USD correspondant aux frais d’arbitrage.

Les faits et les recours

En 1974, les entreprises nationales d’électricité de Slovénie et de Croatie ont créé une co-entreprise, Nuklearna Elektrana Krško (NEK), afin de construire et d’exploiter Krško NPP, située sur le territoire slovène, 15 km à l’ouest de la frontière avec la Croatie. Le financement, la construction, l’opération, la gestion et l’utilisation de Krško NPP étaient régis par quatre accords bilatéraux, tous fondés sur le principe de la parité, et au titre desquels les co-investisseurs étaient égaux à tous points de vue.

Les désaccords ont commencé dans les années 1990. HEP était convaincu que certaines mesures prises par la Slovénie étaient contraires au principe de parité consacré dans les accords bilatéraux. De son côté, la Slovénie considérait que HEP ne respectait pas ses obligations financières envers NEK.

Le 30 juillet 1998, NEK suspendit les livraisons d’électricité à HEP, et la Slovénie émit un décret qui, selon HEP, affectait ses droits de propriété. Au cours des années suivantes, les deux pays se réunirent à plusieurs reprises afin de trouver une solution au différend. Les négociations donnèrent lieu en 2001 à un traité incluant une disposition sur le règlement des différent investisseur-État (l’accord de 2001), au titre duquel la Slovénie et la Croatie convinrent i) de renoncer à tous leurs griefs financiers précédentsrelatifs à Krško NPP, ii) que HEP serait reconnue comme copropriétaire et cogérante de Krško NPP, et iii) que la livraison d’électricité à HEP reprendrait à une date fixée sur accord des parties. Le tribunal accepta la communication de HEP selon laquelle cette date avait été fixée au 30 juin 2002.

La ratification de l’accord de 2001 fit l’objet d’une forte opposition parlementaire et publique en Slovénie. Il n’a été ratifié que le 25 février 2003, soit près de huit mois après la date fixée pour la reprise des livraisons d’électricité. Pendant cette période, la Slovénie proposa par deux fois – en juin et en novembre 2002 (les offres de 2002) – à HEP de lui vendre l’électricité au lieu de la lui fournir aux termes de l’accord de 2001, ce que HEP refusa à chaque fois. Les livraisons d’électricité à HEP reprirent le 19 avril 2003.

Le tribunal devait donc déterminer i) si la Slovénie avait respecté ses obligations au titre de l’accord de 2001 en faisant les offres de 2002, ii) si HEP aurait dû accepter les offres de 2002 pour atténuer ses pertes, iii) si HEP avait répercuté des coûts supplémentaires sur les consommateurs de manière à compenser intégralement ses pertes, et iv) si HEP avait effectivement connu des pertes, comment le tribunal pouvait évaluer l’indemnisation appropriée.

Bien que HEP fondait ses recours sur deux autres bases juridiques – l’accord de 2001 et le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) – le tribunal rejeta les recours fondés sur le TCE dans sa décision sur la question de l’interprétation du traité du 12 juin 2009. Dans sa décision finale, le tribunal souligna que les raisons de ce rejet étaient « nécessairement implicites » (para. 580) compte tenu du fond de la décision précédente, mais les détailla malgré tout. Il considéra que, compte tenu du fond de la décision de 2009, qui déterminait que la Slovénie était redevable envers HEP au titre du recours fondé sur l’accord de 2001 et qui laissait de côté les questions relatives aux offres de 2002, à l’atténuation, au montant de l’indemnisation et aux coûts, l’autre fondement de la demande d’indemnisation de HEP (le TCE) « n’entre nécessairement, voire automatiquement, plus en ligne de compte » (para. 579).

Les offres de 2002 et l’atténuation des pertes

Le tribunal rejeta l’argument de la Slovénie selon lequel, en réalisant ses offres en 2002, elle avait respecté ses obligations au titre de l’accord de 2001. Cette décision se basa largement sur l’avis de l’expert indépendant nommé pour aider le tribunal à évaluer la position des parties sur les dommages. Selon l’expert, dont l’avis a été accepté par le tribunal, les offres de 2002 étaient, du point de vue économique, matériellement différentes des termes de l’accord de 2001.

Le tribunal accepta également la position de HEP selon laquelle il était raisonnable de rejeter les offres de 2002 compte tenu des « profondes différences entre les termes des offres [de 2002] et ceux de l’accord de 2001 » (para. 214) et qu’il y avait des questions de nature non financière qui influençaient raisonnablement la décision de HEP, par exemple l’entreprise était préoccupée par le fait qu’en acceptant les offres, cela pourrait dissuader la Slovénie de ratifier l’accord de 2001.

Le tribunal analyse la défense fondée sur la répercussion des surcoûts soulevée par l’expert indépendant

L’expert indépendant soulignait dans son rapport que « d’après [son] expérience […], il s’attendait à ce qu’une entreprise monopolistique comme HEP ajuste ses tarifs afin de refléter ses coûts » (para. 220). En d’autres termes, HEP aurait pu tout simplement répercuter toute augmentation de ses coûts sur les consommateurs ; ainsi, HEP n’aurait encouru aucune perte irrécupérable. Si elle avait porté ses fruits, la défense fondée sur la répercussion des surcoûts aurait pu avoir des conséquences majeures : cela aurait signifié que HEP n’aurait aucun dommage à récupérer.

Bien que cette défense n’ait pas été soulevée par la Slovénie, le tribunal décida de l’analyser. Elle est habituelle des affaires touchant au droit de la concurrence, mais le tribunal ne vit pas pourquoi il ne pourrait pas l’analyser dans le contexte du droit international. Mais l’analyse du tribunal de concentra au final sur les aspects procéduraux de la défense fondée sur la répercussion des surcoûts. En tant que défense affirmative, il revenait à la Slovénie de démontrer que les coûts avaient été répercutés sur les consommateurs. Et puisqu’aucun élément en ce sens n’avait été apporté, le tribunal considéra qu’il n’était « pas en mesure de conclure qu’aucune perte n’avaient été encourue en l’espèce » (para. 245).

Le calcul des dommages

Lorsqu’il se pencha sur l’évaluation des dommages, le tribunal se fonda principalement sur les conclusions de l’expert indépendant. Les parties et l’expert était loin d’être d’accord sur la méthodologie appropriée pour le calcul des pertes de HEP, même si l’on peut sommairement résumer leur approche comme suit : X moins Y – X était le scénario factuel, à savoir « les coûts encourus par HEP pour le remplacement de l’électricité de Krško qui aurait dû être livrée au titre de l’accord de 2001 » (para. 359), et Y étant le scénario contrefactuel, à savoir « [les coûts] de l’électricité qui aurait du être livrée à HEP au titre de l’accord de 2001 » (para. 349).

Les désaccords portaient principalement sur la valeur de X. Puisque l’absence de livraison avait prolongé une situation qui avait déjà duré quatre années (depuis le 30 juillet 1998), le tribunal ne pouvait pas tout simplement examiner la comptabilité de HEP pour savoir comment l’entreprise avait remplacé l’électricité qui aurait dû être livrée par Krško NPP depuis le 30 juin 2002. Pour solutionner ce problème, le tribunal s’appuya sur les preuves présentées par les parties, sur les dépositions des témoins et sur l’avis de l’expert indépendant.

Le tribunal accepta l’argument selon lequel HEP avait EU recours à une combinaison d’électricité importée et d’électricité produite par les centrales thermiques nationales pour remplacer l’électricité de Krško NPP. Bien que l’électricité importée fût moins cher que celle provenant des centrales thermiques, et bien que HEP aurait pu importer toute l’électricité de remplacement comme l’arguait la Slovénie, le tribunal conclut que HEP avait des préoccupations valables quant à sa sécurité énergétique pour ne pas vouloir s’appuyer uniquement sur des importations. En d’autres termes, le tribunal détermina qu’en utilisant une combinaison d’électricité importée et d’électricité provenant des centrales thermiques, HEP avait agi avec raison. Pour déterminer la part de l’énergie de remplacement importée au regard de l’énergie provenant des centrales thermiques, le tribunal favorisa une fois de plus la méthodologie proposée par l’expert indépendant.

Il détermina qu’aux 19 987 000 € d’indemnisation devaient s’ajouter des intérêts composés tous les six mois, et calculés depuis la date de la violation par la Slovénie de ses obligations au titre de l’accord de 2001 (le 1er juillet 2002) jusqu’à la date du paiement intégral.

Le remboursement des dépenses de HEP

Le tribunal reconnu que la tendance prévalente dans les arbitrages au titre de traités d’investissement consistait à utiliser l’approche des « dépens suivent le sort de l’instance », selon laquelle la partie qui l’emporte peut prétendre récupérer tout ou partie de ses coûts. Puisque HEP était la partie victorieuse, et que les coûts réclamés (13 300 000 USD) étaient « raisonnables compte tenu des circonstances » (para. 610), le tribunal ordonna à la Slovénie de rembourser 10 millions USD à HEP pour ses frais d’arbitrage et de représentation juridique.

Remarques : Le tribunal du CIRDI était composé de David A. R. Williams (président nommé par les co-arbitres, de nationalité néozélandaise), de Charles N. Brower (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Jan Paulsson (nommé par le défendeur, de nationalité suédoise). La décision est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ITA LAW 7012.pdf. La décision sur la question de l’interprétation du traité est disponible sur http://www.italaw.com/documents/Hrvatska-Interpretation.pdf.

Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.