Un tribunal de l’ALENA rejette les recours contre le Canada portant sur son programme de tarifs de rachat garantis
Mesa Power Group, LLC c. le Gouvernement du Canada, CNUDCI, Affaire CPA n° 2012-17
Un tribunal d’arbitrage constitué au titre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a rendu son jugement, assorti d’une opinion divergente. Le tribunal a reconnu sa compétence au titre du Chapitre 11 sur l’investissement de l’ALENA.
La majorité du tribunal a déterminé que le programme de tarifs de rachat garantis (FIT) de l’Ontario – qui a créé une procédure d’appel d’offres pour les accords d’achat d’électricité (AAE) à long terme au titre de laquelle les entreprises vendent l’énergie propre au réseau provincial – constituait un marché public au sens de l’ALENA, et a donc rejeté certains recours. La majorité du tribunal détermina également que le Canada n’avait pas violé ses obligations internationales au titre de l’article 1105 de l’ALENA.
Le contexte
Le demandeur, Mesa Power Group, LLC (Mesa), est une entreprise enregistrée aux États-Unis. Mesa fait partie d’un groupe d’entreprises qui contrôle et développe des projets dans les énergies renouvelables, notamment dans le secteur de l’éolien.
En 2009, l’Ontario a mis en œuvre son programme FIT pour les producteurs d’électricité propre. Contrairement à ce que les autorités attendaient, un très grand nombre de demandes a été déposé. Bien que Mesa ait présenté un total de six demandes, notamment deux dans la toute première phase, elle n’a au final pu conclure aucun AAE au titre du programme FIT. Notons que tous les projets de Mesa se situaient dans la région Bruce de l’Ontario. Après les deux premiers cycles d’appels d’offres au titre du programme FIT, la province a invoqué des contraintes matérielles de transport pour motiver son refus d’octroyer des AAE dans cette région.
En janvier 2010, alors que le programme FIT était en cours, la province d’Ontario a conclu un Accord d’investissement dans l’énergie verte (GEIA) avec un consortium mené par la multinationale Samsung. Au titre du GEIA, le consortium de Samsung devait établir et exploiter des usines de fabrication d’équipements solaires et éoliens en Ontario. En échange, le groupe Samsung obtenait entre autre, un accès prioritaire à certaines capacités de transport.
Mesa a envoyé au Canada une notification d’arbitrage au titre du Chapitre 11 de l’ALENA le 4 octobre 2011. Elle alléguait que le Canada avait traité Mesa et ses investissements moins favorablement que d’autres investisseurs dans des circonstances similaires, ce qui est contraire aux articles 1102 et 1103 ; qu’il avait imposé des prescriptions en matière de contenu national, ce qui est contraire à l’article 1106 ; et qu’il n’avait pas traité les investissements de Mesa conformément à la norme minimale de traitement du droit international, ce qui est contraire à l’article 1105. Mesa exigeait des dommages-intérêts d’environ 75 millions USD.
Le tribunal a été constitué le 16 juillet 2012, sous les auspices de la Cour permanente d’arbitrage (CPA). Ensuite, les trois arbitres ont signé la « Déclaration d’acceptation et la Déclaration d’indépendance et d’impartialité » en lien avec leur nomination. Le 4 mai 2015, l’arbitre présidente a révélé qu’elle présidait un arbitrage au titre du CIRDI dans lequel l’un des arbitres nommés par les parties était conseiller juridique.
Pas d’obligation de respecter la « période de refroidissement » pour chaque événement
Le Canada s’opposait à la compétence du tribunal au motif que les Parties à l’ALENA assujettissent leur consentement à l’arbitrage d’un éventuel demandeur aux procédures établies dans les articles 1118 et 1121 de l’ALENA et que Mesa ne les avait pas suivies.
Notamment, Mesa avait déposé sa notification d’arbitrage tout juste trois mois après que gouvernement de l’Ontario n’ait rendu la décision finale que l’entreprise souhaitait contester. Le Canada argua que Mesa n’avait pas respecté le période de refroidissement de six mois prévu par l’article 1120(1), et que le sens ordinaire de l’expression « événements entrainant le recours » de la disposition fait référence à tous les événements. Sur ce point, le Canada bénéficiait d’une communication par un tiers déposée par le Mexique.
Le tribunal s’attela à interpréter l’article 1120(1) à la lumière des principes d’interprétation de la Convention de Vienne sur le droit des traités, et en gardant à l’esprit les objectifs établis par l’article 102(1) de l’ALENA. Au final il se rangea du côté de Mesa : si l’on acceptait l’argument du Canada, chaque nouvel événement lié à un recours exigerait d’un demandeur qu’il attende de nouveau six mois, et ce quelle que soit la nature secondaire ou auxiliaire du nouvel événement. Aussi, si des événements liés au même recours continuent de survenir, un demandeur serait dans les faits dans l’incapacité de lancer un arbitrage au titre de l’article 1116(1). Selon le tribunal, cette interprétation priverait effectivement la disposition de tout effet utile, ce qui serait contraire aux règles d’interprétation des traités.
Le programme FIT constitue un marché public
Selon le Canada, les obligations au titre des articles 1102, 1103, et 1106 de l’ALENA ne s’appliquaient pas aux investissements de Mesa, car le programme FIT constitue un « marché public » au sens des articles 1108(7)(a) et 1108(8)(b), qui prévoient des réserves et des exceptions aux protections offertes aux investissements au titre de l’ALENA. Puisque le Chapitre 11 de l’ALENA ne définit pas le marché public, le Canada argua que le tribunal devait accepter la large approche adoptée lors d’arbitrages précédents au titre de l’ALENA, par exemple dans ADF c. les États-Unis et UPS c. le Canada, ainsi que par les rapports du Groupe spécial et de l’Organe d’appel de l’Organisation mondiale du commerce dans l’affaire Canada — énergie renouvelable. Mesa invoqua au contraire la clause de la nation la plus favorisée de l’article 1103 de l’ALENA et le meilleur traitement offert au titre de la pratique subséquente, par exemple dans l’Accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers (APPI) Canada-République Tchèque.
S’agissant de l’argument du demandeur relatif à la clause NPF, le tribunal observa que « [p]our que la clause NPF d’un traité puisse permettre l’importation d’une norme plus favorable de traitement d’un traité avec un tiers, il faut d’abord déterminer si la clause NPF du premier traité s’applique. En d’autres termes, il faut être assujetti au traité pour présenter des recours au sujet du traité. Cependant, […] pour que le demandeur puisse établir que l’article 1103 de l’ALENA s’applique, il doit démontrer que le programme FIT ne constitue pas un marché public » (paras. 401-402). Pourtant, au final Mesa n’a pas réussi à le faire, et le tribunal conclut que le programme FIT constituait bel et bien un marché public, et donc, il rejeta les recours au titre des articles 1102 et 1103.
Charles Brower n’était pas d’accord avec le fait que le programme FIT constitue un marché public.
Le tribunal tranche la question de la portée de la norme de traitement du droit international
Le tribunal examina les communications des parties au différend, et celles des parties à l’ALENA, non-parties au différend (les États-Unis et le Mexique) portant sur l’interprétation et la portée de l’article 1105. S’agissant de l’interprétation, le tribunal détermina que les Notes d’interprétation de certaines dispositions du Chapitre 11 de la Commission du libre-échange de l’ALENA (les Notes de la CLE) étaient contraignantes.
S’agissant de la portée de la norme minimale de traitement du droit international coutumier de l’article 1105, les parties divergeaient : Mesa arguait qu’elle avait évolué et avait maintenant les mêmes contenu et sens que la norme de traitement juste et équitable (TJE) dite « autonome », contenue dans les traités bilatéraux d’investissement (TBI) modernes, tandis que le Canada était d’avis que l’article 1105 ne créait en aucun cas une obligation non-limitée devant être définie par les tribunaux.
Après avoir examiné les positions des parties, le tribunal conclut à l’unanimité que la décision de l’affaire Waste Management IIavait correctement identifié le contenu de la norme minimale de traitement du droit international coutumier de l’article 1105. Sur cette base, il affirma que l’article 1105 contenait les dimensions suivantes : le « caractère arbitraire ; l’injustice « flagrante » ; la discrimination ; l’absence « totale » de transparence et de franchise dans la procédure administrative ; l’absence de procédure régulière « entrainant un résultat qui porte atteinte à l’opportunité judiciaire » ; et « l’incapacité manifeste » de rendre une justice naturelle dans la procédure judiciaire » (para. 502). Le tribunal affirma également qu’il fallait tenir compte du non-respect des attentes légitimes d’un investisseur à l’heure d’appliquer la norme, mais qu’en soit, cela ne constituait pas une violation de l’article 1105. En conclusion, le tribunal nota qu’à l’heure de définir le contenu de l’article 1105 « il faut tenir compte du fait que le droit international exige des tribunaux qu’ils respectent davantage la manière dont un État réglemente ses affaires internes » (para. 505).
L’opinion divergente porte sur la violation ou non par le Canada de l’article 1105
Même s’il était d’accord avec la formulation précédente de la norme applicable, Charles Brower n’était pas d’accord avec la conclusion selon laquelle le Canada n’avait pas violé l’article 1105. Selon lui, « [e]n outre – et l’on ne peut que trouver cela grotesque – tel que cela s’est passé, le consortium coréen avait obtenu la possibilité d’acquérir des candidats au programme FIT mal classés afin d’atteindre les 500 MW auxquels il avait droit, faisant ainsi passer les perdants devant les mieux classés, qui au final n’ont pas pu participer au programme FIT, compte tenu de la réduction des mégawatts disponibles » (para. 4 de l’opinion divergente).
Le Canada se sort largement bien de l’exercice de la répartition des coûts
Aux termes de l’article 1135(1) de l’ALENA, le tribunal est libre de répartir les coûts conformément aux règles d’arbitrage applicables. Il décida donc de suivre l’article 40 du Règlement de la CNUDCI de 1976 et détermina que le demandeur, en tant que partie succombante, devait payer l’intégralité des coûts de la procédure. S’agissant des coûts de représentation juridique, le Règlement de la CNUDCI n’est, en revanche, pas aussi tranché, et le tribunal considéra que le demandeur devait payer ses propres frais de représentation et 30 % de ceux du Canada.
Remarques : Le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (la présidente nommée par le Centre international pour le règlement des différends en matière d’investissements, de nationalité suisse), de Charles Brower (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Toba Landau (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision finale du 24 mars 2016 est disponible sur
http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7240.pdf et l’opinion divergente de Charles Brower sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7241.pdf.
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.