Le Centre de règlement des différends relatifs aux investissements de l’UNASUR : Commentaires sur le projet de texte de l’Accord constitutif
L’idée de créer le Centre de règlement des différends relatifs aux investissements (le Centre) de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) est survenue en 2008. L’Équateur, pays membre de l’UNASUR qui a dénoncé la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (CIRDI), a présenté une proposition de Centre en 2010[1]. En 2012, l’UNASUR a conclu la rédaction du projet de texte appelé « Accord constitutif du Centre de règlement des différends relatifs aux investissements de l’UNASUR » (AC)[2], et depuis 2014, une nouvelle version existe[3].
Récemment, la presse latino-américaine a annoncé que le Groupe de travail d’experts de haut-niveau sur le règlement des différends relatifs aux investissements de l’UNASUR (le Groupe) s’est déjà mis d’accord sur près de 80 pour cent du contenu du projet d’AC de 2014[4]. Cela signifie que le Centre pourrait être créé prochainement. Cependant, il faudra a priori adopter une approche plus prudente puisque l’article 12 du Traité constitutif de l’UNASUR prévoit que « l’ensemble des normes de l’UNASUR seront adoptées par consensus »[5], hors, selon différentes sources, il n’y aurait pas de consensus sur certaines questions loin d’être insignifiantes[6].
D’après ce que l’on sait du texte, l’AC compte 41 articles, répartis en six chapitres. L’objectif de cet article est de présenter le contenu des dispositions les plus remarquables de l’AC.
Chapitre I : Dispositions générales de l’Accord
L’article 2 prévoit que l’AC n’affectera pas l’application des mécanismes de règlement des différends et autres engagements en matière d’investissement contenus dans les accords internationaux souscrits par les États membres. L’on considère comme États membres les États parties au Traité constitutif de l’UNASUR qui sont aussi parties à l’AC (article 3, alinéa 1).
L’article 3, plutôt étendu, présente les définitions de plusieurs termes clé, notamment celle des Parties, qui, à la différence des États membres, couvrent également les États et les ressortissants d’États n’appartenant pas à l’UNASUR. À supposer que les deux termes soient utilisés avec rigueur tout au long de l’AC, les Parties se verraient amputées de toute une série de droits dont les États membres pourront jouir, par exemple la participation au Conseil d’administration (article 15).
S’agissant de la nationalité des personnes morales, l’AC prévoit que ce soient les États qui, au moment de donner leur consentement à la compétence du Centre, déterminent quelles personnes morales sont ressortissantes d’un État, distinct de l’État partie au différend ou à la situation (article 3, alinéa 2). Le Groupe doit encore décider s’il accepte la proposition de l’Argentine, de la Bolivie et du Venezuela pour les affaires où les États n’auraient pas déterminé cet élément.
Chapitre II : Dispositions générales du Centre
L’article 5 précise que l’on peut présenter à la compétence du Centre les différends nés entre deux États membres de l’UNASUR ; entre un État membre de l’UNASUR et un État extérieur à l’UNASUR ; entre un État membre de l’UNASUR et un ressortissant d’un autre État membre de l’UNASUR ; entre un État extérieur à l’UNASUR et un ressortissant d’un État membre de l’UNASUR ; et entre un État membre de l’UNASUR et un ressortissant d’un État extérieur à l’UNASUR. Il est entendu que, rédigés de manière plus logique, les trois derniers cas auraient dû d’abord faire référence au ressortissant.
Les alinéas 3 et 4 de cet article permettent aux États de notifier au dépositaire de l’AC (le Secrétariat général de l’UNASUR, conformément à l’article 35, alinéa 2) qu’ils n’acceptent pas de présenter des différends ou des situations spécifiques à la compétence du Centre, que ce soit pour une question de sujet ou de secteur spécifique d’investissement. L’alinéa 8, qui fait toujours l’objet de consultations entre les États de l’UNASUR, ne permet pas d’invoquer la clause de la nation la plus favorisée « aux fins d’obtenir le consentement ». Aux termes de l’alinéa 11, comme le prévoit également l’article 26 de la Convention du CIRDI, en donnant son consentement à la compétence du Centre, l’État peut également exiger que l’investisseur ressortissant d’un autre État épuise d’abord les recours administratifs ou judiciaires internes.
Les alinéas 10 et 12 de l’article 5 reflètent les efforts de l’AC pour faire en sorte que la conciliation et l’arbitrage soient les dernières voies de règlement des différends, donnant la préférence aux consultations et aux négociations par la voie diplomatique et les négociations – s’agissant des différends investisseur-État – qui peuvent se poursuivre en parallèle de la conciliation ou de l’arbitrage. En revanche, ces deux derniers mécanismes excluent toute autre compétence nationale ou internationale (article 5, alinéa 12). Dans le même sens, la protection diplomatique accordée à un ressortissant ou la présentation d’un arbitrage international ne seront possibles que si l’État n’a pas mis en œuvre la sentence émise par le Centre ou s’il a cessé de la respecter (article 5, alinéa 14).
Chapitre III : Dispositions sur la structure et le financement du Centre
Ce chapitre présente la structure et les fonctions des deux organes qui composent le Centre : le Conseil d’administration (article 8) et le Secrétariat (article 9). Dans la majorité des cas, les décisions du Conseil doivent être adoptées par consensus. L’AC prévoit la possibilité que des États membres de l’UNASUR ne soient pas membres du Centre, ils auront alors le statut d’observateur dans les réunions du Conseil. Les États associés à l’UNASUR peuvent également accéder à ce statut. L’article 11 aborde la question des immunités et privilèges du Centre, sans faire une référence spécifique – contrairement à l’article 21 de la Convention du CIRDI – aux immunités des conciliateurs et des arbitres. L’article 12 énumère les sources possibles de financement du Centre, notamment les contributions annuelles des États membres et les donations des États, des organisations internationales ou des entités privées. Le lieu du siège du Centre – question d’une grande importance pratique incluse dans le chapitre III – n’a pas encore fait l’objet d’un consensus au sein du Groupe (article 10).
Chapitre IV : Dispositions sur les mécanismes établis sous l’égide du Centre
Ce chapitre est le plus étendu et contient le plus gros contenu juridique de l’AC. Après la présentation des trois mécanismes proposés par le Centre (la facilitation, la conciliation et l’arbitrage) à l’article 13, l’article 14 détaille la voie de la facilitation, présentée comme un mécanisme facultatif de caractère préventif en matière d’opinions techniques. Les articles 15 à 17 sont consacrés à la conciliation, un mécanisme dans lequel un tiers ou un groupe de tiers neutres discutent les points contestés par les parties, et s’efforcent de leur proposer un compromis. La conciliation peut intervenir avant ou après le début de l’arbitrage. Lorsqu’elle intervient après le début de l’arbitrage, elle entraine une suspension de celui-ci (article 20, alinéa 3).
Les articles 18 à 33 développent divers aspects du mécanisme d’arbitrage, et soulignent que la composition du tribunal suit en principe la même approche que pour la facilitation et la conciliation : un arbitre unique ou un nombre impair d’arbitres, nommés sur accord des parties. Il est cependant proposé de mettre en place un mécanisme innovant s’agissant de l’élection du président du tribunal, dans les cas où le Secrétariat du Centre constate que les consultations avec les deux parties ne permettront pas d’élire ce président. Le Secrétariat présente alors aux parties une liste de cinq candidats et chacune des parties doit en exclure deux, et attribuer un ordre de priorité aux trois restants qui ne sont pas pour autant exclus. Finalement, c’est le Secrétariat qui élit le président du tribunal sur la base des correspondances entre les choix des parties (article 18, alinéa 6)[7].
L’article 22 porte sur la décision arbitrale ; la Colombie et le Venezuela ont tous deux envoyé des propositions à ce sujet, demandant qu’il soit précisé que les tribunaux arbitraux ne peuvent imposer que des indemnisations pécuniaires. De leur côté, les articles 27 à 31 mettent l’accent sur les recours possibles contre la décision arbitrale. Actuellement, il s’agit de la partie la plus controversée au sein du Groupe. En plus du recours en interprétation (en cas de divergence entre les parties quant au sens ou à la portée de la sentence) et du recours en révision (au cas où l’une ou l’autre des parties découvre après coup un fait qui aurait pu être déterminant dans la sentence), l’AC prévoit un recours en annulation dont les motifs et les délais sont très similaires à ceux prévus par l’article 52 de la Convention du CIRDI. Il pourrait cependant y avoir des divergences dans le traitement que les deux institutions précitées donnent à l’annulation si le Groupe se rallie finalement à la position défendue par l’Argentine, l’Équateur, le Paraguay et le Venezuela, qui souhaitent renvoyer ce recours non pas à une commission ad hoc mais à un tribunal permanent.
L’article 31 de l’AC, qui ébauche un recours en annulation pour la sentence arbitrale, est clairement novateur par rapport au système actuel de l’arbitrage des investissements sous l’égide du CIRDI. Si ce recours est conservé dans la version finale de l’AC, les parties pourront le demander dans un délai de 120 jours si la sentence présente une erreur dans l’application ou l’interprétation du droit applicable au différend.
Ainsi, l’Argentine, le Paraguay et le Venezuela défendent le recours en annulation dans le cas d’une erreur de fait manifeste et transcendante dans l’appréciation d’un élément déterminant dans la sentence arbitrale. S’agissant de ce recours en annulation, là encore les pays de l’UNASUR ne sont pas d’accord quant à décider s’il devrait être renvoyé à une commission ad hoc ou à un tribunal permanent. La première option, défendue par le Brésil, la Colombie et le Pérou, comporte un système de désignation des membres de la commission qui utilise, d’une part, le système de choix et d’ordre de priorité présenté plus haut, et compare, d’autre part, la nationalité et la résidence permanente (articles 31 et 32). La deuxième option, défendue par l’Argentine, l’Équateur, le Paraguay et le Venezuela, prévoit que le tribunal permanent soit composé de personnes impartiales et indépendantes, aux compétences professionnelles dans le domaine du droit international reconnues (articles 32 bis et ter). Il est proposé que le tribunal soit formé d’un maximum de 12 membres, un de chaque État membre du Centre, qui travailleront par groupe de trois.
Le chapitre IV consacre l’article 33 à la reconnaissance et à l’exécution des sentences. Il affirme que la sentence est définitive et obligatoire pour les parties, et qu’elle a force de sentence judiciaire exécutoire ; l’article donne ensuite à l’État défendeur un délai de 120 jours pour exécuter la sentence. Une fois ce délai écoulé, l’article autorise la partie concernée à initier la procédure de reconnaissance et d’exécution dans l’Etat défendeur. Il faudra pour cela respecter les dispositions de la législation de l’État concerné, ainsi que les accords internationaux en vigueur dans l’État. L’AC fait d’ailleurs expressément référence à la Convention de New York, et à la Convention interaméricaine sur l’arbitrage commercial international de 1975.
Finalement, ce chapitre conclut avec deux articles (34 et 34 bis) portant sur la liste des conciliateurs et des arbitres, et à leur récusation. Sur le premier point, la proposition argentine innove puisqu’elle suggère que les États membres puissent demander des précisions sur les candidats proposés par les autres États, ou présenter des objections s’ils considèrent que ces candidats ne sont pas qualifiés. Si l’État proposant et l’État objectant ne peuvent se mettre d’accord sur le candidat en question, il est proposé que l’objection l’emporte. S’agissant de la récusation des conciliateurs et des arbitres, l’Argentine propose que contrairement au système du CIRDI, cette récusation ne soit jamais déterminée par les autres membres de l’organe de conciliation ou d’arbitrage.
Chapitre V : Dispositions finales
Ce chapitre indique que seules six ratifications sont nécessaires pour l’entrée en vigueur de l’AC (article 35). Le Groupe a récemment mentionné cette question comme exigeant éventuellement un débat au sein du Conseil des ministres des Relations extérieures de l’UNASUR[8].
L’article 36 prévoit que les désaccords entre États au sujet de l’interprétation et de l’application de l’AC devront être réglés dans le cadre de négociations directes entre eux, et si un accord n’est pas trouvé dans les six mois, par le biais d’une décision consensuelle du Conseil d’administration. De son côté, l’article 37 fait référence à l’évaluation quinquennale du fonctionnement du Centre. L’article 39 affirme que l’AC aura une durée indéfinie, et permet aux États membres de le dénoncer à tout moment.
L’article 40 précise que les Parties contractantes n’ont pas la possibilité d’émettre des réserves aux dispositions de l’AC, mais qu’elles peuvent en revanche émettre des déclarations interprétatives. Celles-ci ne peuvent viser qu’à la mise en conformité des normes nationales avec les dispositions de l’AC, et non pas à exclure ou à modifier les effets juridiques de l’AC. Cette question, ainsi que celle déjà mentionnée de l’entrée en vigueur de l’AC, a été signalée par le Groupe comme exigeant éventuellement un débat au sein du Conseil des ministres des Relations extérieures de l’UNASUR[8].
Finalement, l’article 41 indique que l’AC peut être signé par les États membres de l’UNASUR, mais aussi par les États associés à l’UNASUR qui viennent à accéder au statut de membre de cette organisation régionale.
Chapitre VI : Dispositions transitoires
Ce chapitre fait entre autre référence à la nécessité déjà mentionnée d’élaborer divers documents supplémentaires nécessaires au fonctionnement du Centre (Règlement administratif et financier, Règlement du mécanisme du Centre et Code de conduite).
Les prochaines étapes dans les négociations portant sur le Centre
La dernière réunion en date du Groupe a EU lieu à Montevideo, en Uruguay, du 29 au 31 mars 2016[9]. Il faudra encore attendre pour savoir si un accord politique et juridique sur les aspects les plus controversés de l’AC est atteint rapidement. L’établissement futur du Centre pourrait générer un certain scepticisme, compte tenu que son fonctionnement pourrait saper les normes internationales favorables aux arrangements régionaux, ce qui pourrait donner lieu à une plus grande instabilité dans la région. Toutefois, d’un autre point de vue, la création du Centre pourrait renforcer la légitimité et la popularité des mécanismes de règlement des différends investisseur-État entre les pays membres de l’UNASUR, du fait de la mise en œuvre des innovations de fonds et de procédure, contenues dans la version la plus récente de l’AC que nous avons analysé.
Auteures
Katia Fach Gómez est Professeure titulaire de droit international privé à l’Université de Zaragoza (Espagne). Sa participation au présent article s’inscrit dans un projet de recherche financé par Humboldt Stiftung (Forschungsstipendium für erfahrene Wissenschaftler). L’auteure est également membre des projets de recherche DER 2012-36806 –Sous-programme JURI– et e-Procofis S 14/3 DGA. Catharine Titi est chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux (CREDIMI) de l’Université de Bourgogne (France). Traduit au Français par Isabelle Guinebault.
Notes
[1] Voir Fiezzoni, S. K. (2012). Un centre d’arbitrage de l’UNASUR : les principales caractéristiques de la proposition équatorienne. Investment Treaty News, 2(2), 6–7. Tiré de http://www.IISD.org/pdf/2012/iisd_ITN_january_2012_fr.pdf.
[2] L’on peut trouver une traduction non officielle vers l’anglais de ce document dans Sarmiento, M. G. (2015, 20 novembre). The 2012 Draft Constitutive Agreement of the Centre for the Settlement of Investment Disputes of the UNASUR. Tiré de http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2698574.
[3] L’on peut trouver une traduction non officielle vers l’anglais de ce document dans Sarmiento, M. G. (2015, 14 décembre). The 2014 Draft Constitutive Agreement of the Centre for the Settlement of Investment Disputes of the UNASUR. Tiré de http://ssrn.com/abstract=2703651.
[4] TeleSUR. (2016, 16 janvier). South America forms alternative to free trade kangaroo courts. Tiré de http://www.telesurtv.net/english/news/UNASUR-Close-to-Forming-Investor-Dispute-Center-20160119-0036.html.
[5] Traité constitutif de l’Union sud-américaine des nations (UNASUR), 23 mai 2008. Tiré de http://www.unasursg.org/images/descargas/DOCUMENTOS%20CONSTITUTIVOS%20DE%20UNASUR/Tratado-UNASUR-solo.pdf.
[6] Fach Gómez, K., & Titi, C. (2016). International investment law and ISDS: Mapping contemporary Latin America. Journal of World Investment & Trade, 17(4), 515–535.
[7] Voir Álvarez Zárate, J. M. et Pendleton, R. The international rule of law in Latin American investment arbitration. Journal of World Investment & Trade, 17(4), 681–699.
[8] UNASUR. (2016). Acta – XIII reunión presencial del grupo de trabajo de expertos de alto nivel sobre solución de controversias en materia de inversiones de UNASUR. Tiré de https://repo.unasursg.org/alfresco/service/unasursg/documents/content/ACTA_DE_LA_DECIMA_TERCERA_REUNION_PRESENCIAL_DEL_GRUPO_DE_TRABAJO_DE_EXPERTOS_DE_ALTO_NIVEL_SOBRE_SOLUCION_DE_CONTROVERSIAS_EN_MATERIA_DE_INVERSIONES_DE_UNASUR.pdf?noderef=3883225f-6ec1-48bd-8dc9-72e6ed7dbfc4.
[9] Les auteures remercient le Professeur José Manuel Álvarez Zárate pour ses efforts visant à obtenir des renseignements quant aux résultats de cette réunion du Groupe.