Sentences et Decisions

Le Venezuela doit payer 1 milliard USD pour l’expropriation de l’investissement d’une entreprise minière canadienne

Rusoro Mining Ltd. c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/12/5

Claudia María Arietti López

Dans une décision datée du 22 août 2016, un tribunal du mécanisme supplémentaire du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a condamné le Venezuela à verser 966,5 millions USD plus intérêts à l’entreprise canadienne Rusoro Mining Limited (Rusoro) pour l’expropriation illégale de son investissement minier.

Le contexte et les recours

Entre 2006 et 2008, en acquérant les participations majoritaires dans 24 entreprises vénézuéliennes, Rusoro acquit indirectement 58 concessions et contrats miniers pour l’exploration et la production d’or au Venezuela.

À l’époque, le Venezuela avait déjà prévu une limite à l’exportation d’or, entre autres restrictions. En avril 2009, le pays introduisit de nouvelles limitations, et en juillet 2010, il assouplit les règles pour les entreprises publiques tout en réaffirmant les restrictions imposées aux entreprises privées. Finalement, en juillet 2010, le Venezuela réduisit les restrictions et unifia le régime pour les producteurs privés et publics.

Le 17 août 2011, le Président Hugo Chávez annonça la nationalisation de l’industrie minière aurifère au Venezuela. Le 16 septembre 2011, il émit un décret de nationalisation prévoyant le contrôle par l’État des propriétés et des droits miniers de toutes les entreprises aurifères, et ordonna le transfert de toutes les concessions ou contrats existants à des entreprises mixtes, contrôlées par l’État.

Après six mois de négociation, Rusoro et le Venezuela ne purent se mettre d’accord sur le montant de l’indemnisation. Aussi, le 17 juillet 2012, Rusoro lança un arbitrage, arguant que le Venezuela avait exproprié son investissement, entre autres violations du TBI Venezuela-Canada. Rusoro réclamait une indemnisation d’environ 2,3 milliards USD plus intérêts.

Le tribunal rejette toutes les objections du Venezuela à la compétence

D’abord, le Venezuela argua que puisque les recours de Rusoro pour expropriation se fondaient également sur les mesures prises par le Venezuela en 2009 et 2010, le différend était prescrit par le délai de prescription de trois ans prévu par le TBI. Le tribunal détermina que seules les mesures prises par le Venezuela avant le 17 juillet 2009 (trois ans avant le dépôt de la demande d’arbitrage) étaient prescrites.

Dans la deuxième objection, le Venezuela arguait que le mécanisme supplémentaire du CIRDI n’avait pas compétence, puisque le pays avait déjà dénoncé la Convention du CIRDI lorsque l’arbitrage avait été enregistré (en août 2012). Se rangeant du côté de Rusoro, et conformément à la décision dans l’affaire Venoklim c. Venezuela, le tribunal détermina que la date à prendre en compte était celle de la demande d’arbitrage (le 17 juillet 2012), date à laquelle le Venezuela était encore membre du CIRDI.

Le Venezuela argua également que Rusoro avait violé l’article 29 du code minier vénézuélien, qui prévoit une autorisation préalable du ministère des Mines avant l’acquisition de droits miniers, et donc, que Rusoro n’était pas un investisseur protégé et qu’il ne disposait pas d’un investissement protégé au titre du TBI. Le tribunal ne suivit pas le Venezuela et conclut que l’article 29 du code minier ne s’appliquait pas à l’acquisition indirecte d’entreprises détenant des droits miniers.

Les recours de Rusoro pour expropriation directe sont recevables car le Venezuela ne lui a pas accordé une « indemnisation rapide, adéquate et effective »

Rusoro arguait que, par son décret de nationalisation de 2011, le Venezuela avait exproprié ses investissements, violant ainsi le TBI. Le Venezuela indiqua, quant à lui, que le TBI prévoyait les nationalisations et qu’il avait respecté les prescriptions du traité en la matière, sauf pour l’indemnisation. D’après le pays, l’échec des négociations pour déterminer le montant de l’indemnisation ne rendait pas, en soi, la nationalisation illégale.

Puisque les deux parties reconnaissaient qu’il y avait EU expropriation, le tribunal analysa la légalité de l’expropriation. Il nota que si le Venezuela avait exproprié dans l’intérêt public, en appliquant les procédures légales et de manière non discriminatoire, il n’avait pas accordé une indemnisation rapide, adéquate et effective à Rusoro. Il détermina donc que l’expropriation était illégale.

S’agissant de l’obligation relative à l’objectif d’intérêt public, le tribunal souligna que les États ont le pouvoir discrétionnaire d’établir leurs politiques publiques et que le décret de nationalisation précisait clairement l’objectif d’intérêt public de l’expropriation.

En outre, le tribunal détermina que l’expropriation avait été menée dans le respect des procédures légales car Rusoro disposait, en vertu du droit vénézuélien, de deux possibilités de contester le décret de nationalisation, ce qu’elle n’avait pas fait.

S’agissant de l’obligation d’agir de manière non discriminatoire, le tribunal détermina que les investisseurs vénézuéliens et étrangers étaient également affectés par le décret de nationalisation.

S’agissant de l’obligation d’accorder une indemnisation, Rusoro allégua n’avoir jamais reçu aucune indemnisation et que les négociations n’étaient « qu’une façade » (para. 398), puisque le décret de nationalisation limitait l’indemnisation à la valeur comptable. À l’inverse, le Venezuela affirma avoir négocié avec Rusoro de bonne foi pendant six mois et que Rusoro n’avait pas reçu d’indemnisation car elle avait rejeté l’offre du Venezuela.

Le tribunal souligna que la norme pour l’indemnisation établie par le TBI était la « valeur réelle » de l’investissement, considérée comme étant égale à la « juste valeur marchande ». Il indiqua également que le décret de nationalisation prévoyait une norme différente, à savoir la valeur comptable de l’investissement. Le tribunal fit finalement référence au fait que le Venezuela n’avait pas payé le montant proposé, ni ne l’avait déposé sur des comptes-séquestres en faveur de Rusoro.

Le recours alternatif pour expropriation rampante ou indirecte est jugé peu convainquant

Rusoro arguait également avoir subi une expropriation indirecte suite à la série de mesures prises par le Venezuela dès 2009, qui culmina avec le décret de nationalisation. Le tribunal rejeta ce recours car il ne trouva aucun élément probant selon lequel, avant la promulgation du décret de nationalisation, le Venezuela envisageait et avait mis en œuvre un plan pour nationaliser le secteur aurifère.

Recevabilité de la requête accessoire selon laquelle les restrictions croissantes du Venezuela sur les exportations d’or violaient le TBI

Rusoro présenta plusieurs requêtes accessoires. Le tribunal conclut que l’entreprise ne démontrait pas en quoi le Venezuela avait violé les dispositions du TBI relatives au traitement juste et équitable, à la protection et la sécurité intégrales, à la non-discrimination et au libre transfert des capitaux. Il conclut toutefois que le Venezuela avait violé le TBI en imposant une restriction accrue sur l’exportation de l’or.

Rusoro prétendait que, par le biais des mesures de 2010, le Venezuela avait imposé plusieurs restrictions à la capacité de Rusoro d’exporter de l’or, en violation de la disposition du TBI relative aux restrictions à l’exportation. Le tribunal était d’accord. Il remarqua que, si au moment où Rusoro a réalisé son investissement la réglementation en vigueur autorisait l’exportation de 85 % de la production, la réglementation de 2010 la réduisit à 50 %.

Le tribunal utilisa la moyenne des résultats de trois méthodes pour déterminer le montant de l’indemnisation

Afin de déterminer le montant de « l’indemnisation adéquate » que le Venezuela devrait verser à Rusoro pour l’expropriation abusive, le tribunal nota d’abord que les parties étaient d’accord sur deux points : la date appropriée pour l’évaluation était la date du décret de nationalisation, et la « valeur réelle » de l’investissement était la « juste valeur marchande ».

Pour évaluer la juste valeur marchande de l’investissement, le tribunal décida que la meilleure manière de déterminer le montant consistait à combiner trois méthodes d’évaluation : il attribua un poids de 25 % à l’évaluation maximale de la valeur marchande (700,6 millions USD), 25 % à la valeur comptable (908 millions USD) et 50 % à l’évaluation corrigée de l’investissement (1,1 milliards USD). Sur cette base, le tribunal détermina que la valeur de l’investissement en date du 16 septembre 2011 était de 966,5 millions USD.

Le tribunal ordonna également au Venezuela de payer 1,2 millions USD de dommages pour la violation de la disposition du TBI relative aux restrictions à l’exportation, et accorda des intérêts pré- et post-décision sur le montant total de la sentence à un taux LIBOR USD pour les dépôts d’un an, plus 4 points, composé annuellement.

Remarques :Le tribunal du mécanisme supplémentaire du CIRDI était composé de Juan Fernandez-Arnesto (président, nommé par les parties, de nationalité espagnole), de Francisco Orrego Vicuña (nommé par le demandeur, de nationalité chilienne) et de Bruno Simma (nommé par le défendeur, de nationalité allemande). La décision est disponible sur : http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7507.pdf.


Un tribunal CIRDI rejette la clause NPF de l’AGCS de l’OMC comme moyen d’importer de TBI tiers le consentement du Sénégal à l’arbitrage

Menzies Middle East and Africa S.A. et Aviation Handling Services International Ltd. c.République du Sénégal,Affaire CIRDI ARB/15/21

Suzy H. Nikièma

Dans une sentence rendue le 5 août 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sa compétence pour connaître d’une requête d’arbitrage contre le Sénégal. Le tribunal a notamment accepté l’objection d’incompétence du Sénégal, tout en rejetant l’invocation de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour importer un consentement du Sénégal à l’arbitrage international.

Les faits et le recours

La plainte a été déposée le 17 avril 2015 par Menzies Middle East and Africa S.A. (Menzies), une société enregistrée au Luxembourg, et Aviation Handling Services International Limited (AHSI), une société enregistrée aux îles vierges Britanniques.

En novembre 2003, les demanderesses ont acquis AHS SA, une société de droit sénégalais créée pour l’exercice des activités d’assistance en escale dans les aéroports du Sénégal.

Selon les demanderesses, Mamadou Pouye et les frères Ibrahim et Karim Aboukhalil seraient les bénéficiaires économiques des deux sociétés contrôlant AHS SA. Le Sénégal soutenait au contraire qu’il s’agissait en réalité de Karim Wade, fils de l’ancien président du Sénégal et ancien ministre sénégalais des Transports aériens.

AHS SA a mené ses activités jusqu’en 2013, date à laquelle une enquête fut ouverte contre M. Wade, M. Pouye et les frères Aboukhalil pour enrichissement illicite et complicité d’enrichissement illicite par la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI). Dans le cadre de cette procédure, AHS SA fut placée sur administration provisoire par le CREI à titre de mesure conservatoire.

En mars 2015, M. Wade sera reconnu coupable d’enrichissement illicite, et M. Pouye et les frères Aboukhalil de complicité d’enrichissement illicite. Sur ordonnance de la CREI, tous leurs biens seront confisqués, y compris leurs parts sociales dans AHS SA. La décision sera confirmée en cassation par la Cour suprême du Sénégal en août 2015.

Dans leur recours devant le tribunal CIRDI, les demanderesses alléguaient que le placement sous administration provisoire de AHS SA et la gestion désastreuse qui s’en est suivi étaient non seulement illégaux au regard du droit sénégalais, en particulier le code des investissements, mais constituaient également une expropriation indirecte et une mesure discriminatoire au titre du droit international général et des traités bilatéraux d’investissement du Sénégal avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Elles alléguaient également que la décision de la Cour suprême était arbitraire. Menzieset ASHI demandaient au total €41.633.169 de dommages-intérêts.

Le Sénégal, tout en rejetant les allégations, a soulevé trois objections d’incompétence : l’absence de son consentement à l’arbitrage (absence de compétence ratione voluntatis) ;l’inexistence d’un investissement réalisé au Sénégal (absence de compétence ratione materiae) ; et la nationalité sénégalaise des demanderesses (absence de compétence ratione personae).

L’analyse de la compétence ratione voluntatis par le tribunal

La question soulevée par la première objection était de savoir si l’État avait donné son consentement à l’arbitrage. Pour ce faire, les arbitres ont examiné les normes invoqués :

(a) L’article II de l’AGCS, qui prévoit que « chaque Membre accordera immédiatement et sans condition aux services et fournisseurs de services de tout autre Membre un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde aux services similaires et fournisseurs de services similaires de tout autre pays ».

(b) L’article 12.2 du code des investissements du Sénégal, qui prévoit que « les différends entre personne physique ou morale étrangère et la République du Sénégal […] sont réglés conformément à la procédure […] d’arbitrage découlant […]d’accords et traités relatifs à la protection des investissements conclus entre la République du Sénégal et l’État dont l’investisseur est ressortissant ».

(c) Les dispositions sur le règlement des différends des TBI Sénégal-Pays-Bas (article 10) et Sénégal-Royaume-Uni (article 8).

Le tribunal a examiné en premier lieu le cas de Menzies (A), avant de se pencher sur celui de AHSI (B).

  1. Le cas de Menzies

Les demanderesses arguaient que la clause NPF de l’AGCS permettait d’importer le consentement à l’arbitrage que le Sénégal avait accordé dans les deux TBI. Le Sénégal arguait, entre autre, au contraire que les demanderesses ne pouvaient pas invoquer l’AGCS, car les personnes privées ne peuvent se prévaloir des accords de l’OMC.

Le tribunal refusa de suivre la position des demanderesses, en estimant que leur argumentaire était basé sur un « mécanisme complexe et très équivoque » (para. 131). Il invoqua trois éléments principaux à l’appui de sa décision.

  1. L’AGCS ne contient pas de consentement à l’arbitrage

Selon le tribunal, « aucun consentement à l’arbitrage, sous quelle forme que ce soit, ne figure dans l’article II de l’AGCS » (para. 139). Partant du constat que cet article ne se réfère pas à l’arbitrage, ni même au règlement des différends, le tribunal arrive à la conclusion qu’il ne peut en extraire un consentement exprès, clair et univoque du Sénégal à l’arbitrage pour les ressortissants du Luxembourg comme Menzies, tel que requis par le droit international général et l’arbitrage d’investissement. 

  1. La clause NPF de l’article II de l’AGCS n’est pas applicable à l’arbitrage d’investissement

Selon les demanderesses, la clause NPF de l’AGCS s’appliquant « aux mesures […] qui affectent le commerce des services», (para. 115) ce qui inclurait « les offres d’arbitrage » (para. 117). De ce fait, les offres d’arbitrage contenues dans les deux TBI seraient un « traitement» plus favorable au sens de l’AGCS, au profit de fournisseurs de services similaires à Menzies.

Le tribunal n’a pas été convaincu que l’article II de l’AGCS soit applicable à l’arbitrage d’investissement. Se basant sur les discussions lors des négociations de l’AGCS, le tribunal est arrivé à la conclusion que les États membres n’avaient pas donné « leur consentement éclairé et non-équivoque à l’application des clauses arbitrales contenues dans les TBIs » (para. 149). Cette conclusion est confirmée, selon le tribunal, par la pratique ultérieure des États, qui ont préféré octroyer l’accès à l’arbitrage international aux fournisseurs de services dans les TBI et non via l’AGCS.

Le tribunal estima également que même s’il avait été démontré que l’article II de l’AGCS s’appliquait à l’arbitrage d’investissement, il ne constitue pas un consentement à l’arbitrage ou l’extension d’une offre d’arbitrage. Les conséquences d’une interprétation contraire seraient « considérables » selon le tribunal (para. 145).

  1. Les demanderesses invoquent des TBI conclus par le Sénégal avec des États tiers à l’arbitrage

Selon les demanderesses, Menzies était en droit de se prévaloir de la clause NPF de l’AGCS pour prétendre avoir accès à l’arbitrage international, sur base des deux TBI tiers (Sénégal-Pays-Bas et Sénégal-Royaume Uni). De fait, Menzies demandait au tribunal de considérer l’AGCS comme le « traité de base » dans le jeu de la clause NPF, pour importer un traitement plus favorable accordé dans ces deux TBI ; ce traitement plus favorable étant ici l’offre d’arbitrage.

Le tribunal rejeta ces arguments et se refusa à  « « composer » un consentement en « collant » des pièces disparates à la suite […] d’une analyse de « jeu »entre la clause NPF et les offres d’arbitrage adressées à des investisseurs d’États tiers » (para. 135).

     2. Le cas de AHSI

En ce qui concerne AHSI, le tribunal a suivi la position du Sénégal selon laquelle l’article 12 du code des investissements ne constituait pas une offre d’arbitrage autonome ou un engagement juridictionnel unilatéral. Il a également constaté, comme l’affirmait le défendeur, que AHSI, enregistrée aux îles vierges Britanniques, ne bénéficiait pas de la protection du TBI Sénégal-Royaume-Uni. AHSI ne pouvait donc pas se prévaloir d’une offre d’arbitrage.

Ayant accepté la première objection d’incompétence du Sénégal, le tribunal décida qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres objections, et se déclara donc incompétent pour connaître de l’affaire.

Suivant le principe du « costs follow the event », le tribunal a décidé que les demanderesses supporteront l’intégralité des frais de l’arbitrage ainsi que des frais de conseil du Sénégal.

 Remarques : le tribunal était composé de Bernard Hanotiau (Président, nommé par les parties, de nationalité belge), Hamid Gharavi (nommé par les demandeurs, de nationalité franco-iranienne),etPierre Mayer (nommé par le défendeur, de nationalité française). La sentence est disponible uniquement en français sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7483.pdf.


Un tribunal de la CPA considère que les actions de l’Agence polonaise de la propriété agricole ne sont pas attribuables à la Pologne

Kristian Almås et M. Geir Almås c. la République de Pologne, Affaire CPA n° 2015-13

Claudia María Arietti López

Dans une affaire administrée par la Cour permanente d’arbitrage (CPA), un tribunal a déterminé que les actes de l’Agence polonaise de la propriété agricole n’étaient pas attribuables à la Pologne, et a rejeté l’affaire au fond lancée par des demandeurs norvégiens, Kristian Almås et Geir Almås.

Le contexte et les recours

Les demandeurs étaient les seuls actionnaires de Pol Farm Sp. z oo (Pol Farm). En 1997, Pol Farm et l’Agence polonaise pour la propriété agricole (l’ANR d’après son acronyme polonais) ont conclu un bail couvrant 4 200 hectares de terres situés dans la commune de Świdwin en Pologne (le contrat de bail).

Après avoir mené une série d’enquêtes et découvert plusieurs irrégularités chez Pol Farm, l’ANR résilia le contrat de bail en juillet 2009. En octobre 2009, un tribunal de district polonais lança une procédure de faillite contre Pol Farm et liquida l’entreprise. En outre, en octobre 2015, un tribunal pénal polonais déclara les demandeurs coupables de détournement et de plusieurs autres délits. Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.

En novembre 2013, les demandeurs lancèrent un arbitrage contre la Pologne, arguant que les actions de l’ANR violaient le Traité bilatéral d’investissement (TBI) Norvège-Pologne en expropriant leur investissement sans indemnisation adéquate, en ne leur accordant pas un traitement et une protection raisonnables et équitables, et en les soumettant à des mesures déraisonnables et discriminatoires. Ils avançaient également que la résiliation par la Pologne du contrat de bail violait la clause parapluie du TBI. Ils réclamaient une indemnisation de 23 millions d’euros, en plus des intérêts et des frais de représentation. Les demandeurs n’inclurent pas dans leurs recours les charges pénales à leur encontre ni l’ordonnance de faillite contre Pol Farm.

La portée de l’affaire des demandeurs est déterminée par l’attribution des actions de l’ANR à la Pologne

 Le principal argument des demandeurs était que la résiliation du contrat de bail par l’ANR constituait une expropriation indirecte. Le tribunal examina donc d’abord si la conduite de l’ANR était attribuable à la Pologne, soulignant que l’absence d’attribution saperait tous les recours. À la suggestion des deux parties, le tribunal s’appuya sur les Articles de 2001 de la Commission du droit international sur la responsabilité des États pour fait internationalement illicite (les Articles de la CDI) pour analyser la question.

Article 4 de la CDI : l’ANR est-elle une agence étatique ?

L’Article 4 de la CDI affirme que la conduite d’un organe étatique – notamment de toute personne ou entité possédant ce statut au titre du droit interne de l’État – est considérée comme un acte de l’État. Le tribunal remarqua qu’au titre du droit polonais, l’ANR est dotée d’une personnalité juridique distincte, et qu’elle opère en toute autonomie. Il conclut donc que l’ANR ne pouvait être considérée comme un organe étatique de jure au titre du droit polonais.

Le tribunal remarqua également que l’observation relative à l’Article 4 de la CDI précise qu’une entité peut également être considérée comme un organe étatique de facto. À cet égard, les demandeurs arguèrent que l’ANR exerce des pouvoirs exécutifs de l’État car elle a la capacité de gérer, de vendre et de louer la propriété agricole de l’État. Le tribunal contesta l’opinion des demandeurs, considérant qu’un contrat de bail agricole est une transaction commerciale, même s’il est conclu avec une entité étatique et même s’il implique des terres détenues par l’État.

En outre, pour analyser l’autonomie de l’ANR, le tribunal s’est intéressé à deux autres affaires, Hamester c. Ghanaet Jan de Nul c. Égypte. Compte tenu des caractéristiques communes entre les entités dans ces affaires et l’ANR, le tribunal conclut que l’ANR ne pouvait être considéré comme un organe d’État de factopuisqu’elle jouit d’une autonomie de gestion et financière.

Article 5 de la CDI : la résiliation du contrat de bail a-t-elle été réalisée dans l’exercice de fonctions gouvernementales ?

Au titre de l’Article 5 de la CDI, la conduite d’une entité non-étatique peut quand même être attribuée à l’État lorsque cette entité peut exercer une prérogative de puissance publique et exercer dans les faits cette prérogative à l’heure de réaliser la conduite en question.

En analysant cet article, le tribunal s’est basé sur le test à deux volets de l’affaire Jan de Nul, qui affirme que les actes doivent être menés par une entité habilité à exercer une prérogative de puissance publique, et que l’acte lui-même doit impliquer l’exercice de cette prérogative gouvernementale.

Le tribunal nota que même si l’ANR avait conclut un contrat de bail en exerçant son pouvoir statutaire de gestion de la propriété agricole de l’État, elle n’exerçait pas une prérogative de puissance publique lorsqu’elle l’a résilié. Il conclut donc que cette action ne pouvait être attribuée à la Pologne.

Pour contrecarrer ce raisonnement, les demandeurs arguèrent que la résiliation n’était pas autorisée par le contrat de bail, et qu’elle résultait d’une motivation politique sous-jacente, qui faisait de cet acte un exercice de prérogative de puissance publique au titre de l’Article 5 de la CDI.

Le tribunal n’a pas suivi les demandeurs, tout en précisant qu’il n’avait pas atteint une « conclusion définitive quant à la légalité de la résiliation par l’ANR du contrat de bail au titre du droit polonais » (para. 251). Il souligna qu’il ne lui restait plus qu’à examiner, comme il l’avait déjà fait, si la résiliation relevait de l’exercice d’un pouvoir contractuel.

S’agissant de savoir si la résiliation était motivée par une politique sous-jacente, le tribunal analysa la décision de l’affaire Vigotop c. Hongrie sur laquelle s’appuyaient les demandeurs. Le tribunal dans cette affaire détermina que la Hongrie avait exproprié l’investissement de Vigotop en appliquant la disposition relative à la résiliation contenue dans un contrat signé par la filiale de Vigotop avec la Hongrie.

Le tribunal fit d’abord remarquer que l’affaire Vigotop concernait la résiliation d’un contrat avec l’État lui-même, et non avec une entité distincte dotée de pouvoirs contractuels. Il examina ensuite si les conditions avancées par le tribunal de l’affaire Vigotop étaient satisfaites, et conclut que ce n’était pas le cas.

Article 8 de la CDI : la résiliation du contrat de bail a-t-elle été réalisée sur instructions du gouvernement polonais ?

Le tribunal étudia également l’Article 8 de la CDI, au titre duquel la conduite d’une entité peut être considérée comme un acte de l’État si l’entité agit en réalité sur instructions ou sous la direction ou le contrôle de l’État à l’heure de réaliser la conduite.

S’appuyant sur l’observation relative à l’Article 8 de la CDI et sur les décisions des affaires Jan de Nul c. Égypteet White Industries c. Inde, le tribunal indiqua que pour déterminer si l’acte d’une entité pouvait être attribué à un État, celui-ci devait contrôler à la fois l’entité et l’acte en question.

Ne trouvant aucun élément attestant du fait que l’ANR ait agi sur instructions ou sous la direction ou le contrôle du gouvernement polonais, le tribunal conclut que l’acte ne pouvait être attribué à l’État au titre de l’Article 8 de la CDI.

Remarques : Le tribunal était composé de James R. Crawford (président-arbitre, nommé par les coarbitres, de nationalité australienne), d’Ola Mestad (nommé par les demandeurs, de nationalité norvégienne) et d’August Reinisch (nommé par le défendeur, de nationalité autrichienne). La décision datée du 27 juin 2016 est disponible sur http://www.pcacases.com/web/sendAttach/1872.

 


Le demandeur n’est pas considéré comme un investisseur du fait de l’interprétation du « siège » au titre du TBI Chypre-Monténégro

CEAC Holdings Limited c. Monténégro, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/14/8

María Florencia Sarmiento

Un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a conclu à la majorité que le demandeur n’avait pas de « siège » à Chypre en vertu du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Chypre-Monténégro, et donc qu’il n’était pas un « investisseur » au titre du TBI. Le tribunal a donc décidé de décliner sa compétence dans l’affaire.

 Le contexte et les recours

L’affaire concerne une fabrique d’aluminium (KAP) au Monténégro, détenue et gérée par CEAC, une entreprise établie au titre du droit chypriote. En 2003, CEAC acquit environ 65 % des parts de KAP auprès du Gouvernement du Monténégro. Afin d’améliorer KAP et d’en faire une entreprise rentable, CEAC acquit également une part minoritaire du principal fournisseur de matières premières de KAP, RBN. En outre, l’entreprise mère de CEAC acquit, dans le cadre d’un appel d’offre, toutes les parts d’une usine à charbon, entreprise d’État du Monténégro, pour garantir l’approvisionnement de KAP en électricité.

En 2006, CEAC commença à connaitre des problèmes lorsqu’elle apprit que le Monténégro avait présenté des états financiers inexacts pour KAP et RBN dans le cadre de l’appel d’offre, qui sous-estimaient les dettes et obligations de KAP de 10 millions d’euros. Cela conduisit le parlement monténégrin à mettre fin à la privatisation de l’usine à charbon « sur la base d’un raisonnement discutable », compromettant l’approvisionnement de KAP en électricité à un prix compétitif.

CEAC lança un arbitrage contre les vendeurs et contre le Monténégro en vertu de l’accord d’achat-vente afin de résoudre ces problèmes, mais celui-ci fut interrompu après la conclusion d’un accord à l’amiable en novembre 2007. Conformément à cet accord, CEAC transféra 50 % de ses parts dans KAP au Monténégro, qui s’engagea en échange à subventionner l’approvisionnement en électricité de KAP et à émettre des garanties d’État à KAP.

En 2014, CEAC lança un arbitrage contre le Monténégro sous l’égide du CIRDI, arguant que le gouvernement avait bloqué ses tentatives de restructurer et de moderniser KAP par différentes actions, conduisant l’entreprise à un défaut de paiement de ses dettes. D’après CEAC, ces actions incluaient le refus d’accorder à KAP les subventions accordées au titre de l’accord amiable, le refus du représentant monténégrin au Conseil de direction de KAP d’approuver les états financiers et le plan commercial, et le refus de donner son consentement écrit de garant dans un accord de prêt.

CEAC argua que le Monténégro avait violé plusieurs de ses obligations au titre du TBI, notamment la norme de traitement juste et équitable (TJE), les clauses relatives au traitement national et à la nation la plus favorisée, et l’interdiction de réaliser des expropriations abusives, requérant une indemnisation monétaire.

 La question du « siège »

CEAC souhaitait une décision concluant qu’elle disposait d’un siège à Chypre, et donc qu’elle était considérée comme un « investisseur » au titre de l’article 1(3)(b) du TBI. De son côté, le Monténégro exigea une déclaration selon laquelle CEAC n’avait pas de siège à Chypre.

Les extraits pertinents de l’article 1 du TBI stipulent : « 3. Le terme « investisseur » désignera […] (b) une entité juridique, dûment enregistrée, constituée ou autrement organisée conformément aux lois et réglementations de l’une des parties contractantes, dont le siège se trouve sur le territoire de cette même partie, et qui réalise des investissements dans le territoire de l’autre partie contractante ».

D’après CEAC, le sens de « siège » ne peut être interprété de manière autonome au titre du traité, mais devrait être déterminé par le biais d’un renvoiau droit municipal. Dans ce contexte, CEAC maintenait que le terme « siège » signifie « siège social », et non pas « siège réel », et qu’il s’agit de l’interprétation soutenue par le Règlement du Parlement européen et par la pratique fondée sur les traités de Chypre et du Monténégro. Elle affirma avoir établi son siège social à Chypre et que les certificats connexes relatifs à son siège social constituaient des preuves concluantes en ce sens.

Selon le Monténégro, le « siège » est le lieu où l’entité juridique est effectivement gérée et financièrement contrôlée, là où elle mène ses activités commerciales. Le pays affirma également que l’objet et le but du TBI ne prévoyait pas un renvoi1au droit municipal puisque le test du « siège » devait être mené sur la base de critères identiques et réciproques.

Selon le Monténégro, le terme « siège » interprété indépendamment du TBI exigeait « plus que le siège social », et même au titre du droit chypriote, le terme « siège » ne peut être considéré comme un « siège social ».

Le Monténégro considérait que, indépendamment de l’interprétation du terme, CEAC n’avait pas de siège à Chypre, et que l’adresse fournie pour le soi-disant siège ne pouvait être considérée comme un siège social au sens du droit chypriote. Il contestait le fait que les certificats produits constituaient des preuves concluantes, indiquant que ces certificats sont émis sans vérification indépendante. Il affirma également que par trois fois il n’avait pas réussi à faire livrer un paquet par messagerie à l’adresse de CEAC à Chypre car l’entreprise n’était pas connue à cette adresse.

L’analyse du tribunal

La majorité considéra qu’aux fins de l’examen, il n’était pas nécessaire de déterminer le sens précis du terme « siège » tel qu’utilisé dans le TBI, puisque les preuves au dossier ne démontraient pas que CEAC avait un siège social à Chypre à l’époque pertinente.

La majorité considéra également que, même au titre du droit municipal chypriote, les certificats de siège social ne sont pas des preuves concluantes de l’existence des bureaux. Il remarqua que CEAC n’avait fourni aucun élément contestant les affirmations du Monténégro que les bureaux paraissaient vides et inaccessibles au public, et n’avait pas indiqué non plus d’autre adresse à Chypre. Il conclut donc que CEAC n’avait pas de siège social à Chypre au moment de déposer la demande d’arbitrage.

CEAC avait présenté un autre argument, alléguant avoir la résidence fiscale à Chypre, mais le tribunal conclut qu’au titre du droit chypriote, le « siège » ne peut équivaloir à la « résidence fiscale ».

La décision et les coûts

La majorité décida que CEAC n’avait pas de « siège » à Chypre et donc qu’elle ne pouvait être considérée comme un « investisseur » au titre du TBI. Aussi, la majorité détermina que le tribunal n’avait pas compétence sur l’affaire et rejeta tous les autres recours. Elle ordonna également à CEAC de payer l’intégralité des coûts et dépenses relatifs à la procédure, sauf ceux liés aux objections préliminaires du Monténégro en vertu du principe selon lequel les coûts sont réglés après l’instance, compte tenu du fait que ces objections préliminaires du Monténégro avaient été rejetées.

L’opinion distincte de William Park

William Park, l’arbitre nommé par CEAC, émit une opinion divergente distincte portant sur la question centrale du siège. Park contestait la conclusion de la majorité selon laquelle le critère du « siège » exige plus que le « siège social », affirmant que le terme reste essentiellement un concept de droit municipal dérivé des systèmes continentaux. Selon lui, le sens ordinaire de « siège social » correspond à celui de « siège » à Chypre, tel qu’utilisé dans le TBI. Selon cette norme, Park souligna que CEAC semblait avoir un siège à Chypre.

Remarques : le tribunal du CIRDI était composé du Professeur Bernard Hanotiau (président nommé sur accord des parties, de nationalité belge), du Professeur William Park (nommé par le demandeur, de nationalités suisse et étasunienne), et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7456.pdf.


Un tribunal de la CPA condamne l’Équateur à payer 24 millions USD à une entreprise minière canadienne

Copper Mesa Mining Corporation c. la République d’Équateur, CPA No. 2012-2 

Matthew Levine

Un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) constitué en vertu de l’Accord de promotion et de protection des investissements étrangers (APPI) Canada-Équateur a rendu sa décision.

Le tribunal a condamné l’Équateur à indemniser une entreprise canadienne pour l’expropriation de deux concessions minières. L’expropriation alléguée du droit d’option d’achat de l’entreprise sur une troisième concession a été rejetée. Compte tenu de la négligence contributive des responsables de l’entreprise, le tribunal a réduit le montant des dommages de 30 %. Les parties ont été condamnées à payer leurs propres frais juridiques et à partager à part égale les coûts de l’arbitrage.

Le contexte et les recours

Entre 1991 et 1997, les premiers tests géologiques sophistiqués ont été menés dans la région de Junín, dans le nord-ouest de l’Équateur. Le premier rapport technique a confirmé la présence de grands gisements de cuivre et soulignait les effets environnementaux potentiels de la mine proposée. Depuis, un nombre croissant de résidents locaux préoccupés par les effets délétères des activités minières se sont organisés pour s’y opposer.

Malgré tout, en décembre 2002, l’Équateur a accordé la concession de Junín à un citoyen équatorien. En 2005, grâce à des filiales de la Barbade et de l’Équateur, l’entreprise canadienne Copper Mesa Mining Corporation Exploration (Copper Mesa) a acquis la concession de Junín, la concession voisine de Chaucha et a fait une option d’achat sur la concession de Telimbela.

Dès 2005, Copper Mesa a réalisé une série de dépenses en lien avec les concessions. Elle a notamment commandé un rapport géologique, acquis une concession voisine ainsi que les terres en surface sur et autour des sites des concessions, préparé et présenté une étude d’impact environnemental (EIE) pour la phase exploratoire, engagé une équipe de personnel local et engagea des ressources pour offrir des services sociaux et de développement communautaire.

En avril 2008, l’Assemblée constituante de l’Équateur a adopté une législation appelée mandat minier, qui stipulait que les substances minières devaient « être exploitées en faveur des intérêts nationaux » et prévoyait l’annulation « sans indemnisation économique » des concessions minières relevant de plusieurs catégories (para. 1.110). Finalement, le sous-secrétaire équatorien aux Mines ordonna l’annulation des concessions de Junín et Chaucha compte tenu de l’absence de consultations préalable des résidents locaux.

En juillet 2010, Copper Mesa adressa à l’Equateur, une notification écrite d’intention de soumettre une plainte en vertu de l’APPI Canada-Équateur, alléguant que le pays avait illégalement révoqué ou annulé les concessions, privant ainsi l’entreprise de la valeur totale de ses investissements et lui causant des dommages importants.

L’investisseur est autorisé à présenter ses propres recours portant sur des prêts inter-entreprises accordés à ses filiales affectées

 L’Équateur s’opposait à la compétence du tribunal sur l’ensemble des recours de Copper Mesa. S’agissant de la concession de Junín, l’Équateur s’opposait aussi à la recevabilité des recours.

Dans une forte objection à la compétence du tribunal, l’Équateur arguait que le recours de Copper Mesa concernant les dommages de ses filiales locales devait être considéré séparément d’un recours en son nom propre, et que les filiales auraient dû consentir à l’arbitrage et renoncer à tous droits en vertu de la législation équatorienne. Cependant, le tribunal se rangea du côté de Copper Mesa et conclut que l’entreprise avait respecté les prescriptions juridiques relatives au lancement de l’arbitrage. Il conclut que Copper Mesa avait le droit, au titre de la compétence et de la recevabilité, de présenter ses propres recours contre le défendeur au nom de ses propres investissements en Équateur. D’après le tribunal, le demandeur ne cherchait pas à présenter ou à faire siens les recours de ses filiales ; il réclamait simplement une indemnisation pour les dommages qu’il avait lui-même subi.

Le tribunal examina également l’argument selon lequel Copper Mesa avait « les mains sales ». Pour le tribunal, l’Équateur avait cité une quantité impressionnante de témoignages d’experts et de documents relatifs à la doctrine légale des mains sales au titre du droit international, notamment les obligations des investisseurs étrangers en matière de droits humains, au sens très large. Malgré tout, le tribunal indiquait qu’il s’agissait d’une question de recevabilité plutôt que de compétence, et que l’Équateur n’avait adressé aucune plainte au demandeur avant le lancement de l’arbitrage en vertu du droit international, de la politique publique internationale ou des droits humains. Pour le tribunal, cela arrivait donc bien trop tard.

Le tribunal réconcilie l’expropriation illégale et la disposition de l’APPI sur les exceptions générales

Les principaux arguments de Copper Mesa incluaient l’obligation pour l’Équateur de payer une indemnisation en cas d’expropriation directe ou indirecte, d’accorder un traitement juste et équitable, la protection et la sécurité intégrales ainsi que le traitement national.

S’agissant de l’expropriation, l’Équateur rétorqua que le mandat minier était une mesure prise par l’État dans l’exercice de son autorité légitime de réglementation et répondant à un intérêt public impérieux, à savoir la nécessité de consulter les populations locales affectées, et de chercher à résoudre une grande partie des questions sociales, économiques et environnementales en suspens. Selon l’Équateur, le mandat minier relevait donc de la disposition de l’APPI sur les exceptions générales.

D’après le tribunal, les normes juridiques applicables au titre du droit international ne faisaient aucun doute. La question était plutôt de savoir si, dans le cas d’espèce, le gouvernement avait appliqué régulièrement la loi et n’avait pas agi de manière discriminatoire. Le tribunal chercha notamment à souligner que son questionnement ne découlait pas du mandat minier lui-même, mais des décisions d’annulation prises par le sous-secrétaire aux Mines sur la base du mandat minier.

Compte tenu des circonstances particulières des décisions d’annulation, le tribunal détermina qu’elles « n’étaient pas de simples mesures réglementaires, car, en l’espèce, ces décisions [ont] été prises de manière arbitraire et contraire à l’application régulière de la loi » (para. 6.66) et conclut que « la prise permanente des concessions de Junín des demandeurs était une expropriation au titre de l’APPI » (para. 6.67).

Les dommages sont réduits afin de refléter la négligence contributive du demandeur

Copper Mesa a d’abord tenté, dans ses arguments sur le montant des dommages, d’obtenir du tribunal la ratification d’une évaluation des dommages fondée sur le marché, le point médian de la fourchette correspondante étant fixé à 69,7 millions USD. Elle présenta également une évaluation alternative fondée sur les coûts et s’élevant à 26,5 millions USD, et confirmée par les états financiers vérifiés.

Le tribunal commença son analyse avec le principe général du droit international selon lequel c’est au demandeur de démontrer l’ampleur des dommages. Il estima au final que l’évaluation fondée sur le marché reposait sur une méthodologie plutôt incertaine, subjective et reposant sur des impondérables. Selon le tribunal, « en l’espèce, la méthode la plus fiable, objective et juste pour évaluer les investissements du demandeur en novembre 2008 et juin 2009 consiste à s’appuyer sur les dépenses avérées et relatives aux concessions de Junín et Chaucha » (para. 7.27).

S’agissant de la concession de Junín, le tribunal décida que Copper Mesa contribuait à 30 % de ses pertes du fait des actes négligents et des omissions commises par la direction-même de l’entreprise au Canada. Après avoir déduit ces 30 %, les pertes nettes pour la concession de Junín s’élevaient à 11 184 595,80 USD.

Pour la concession de Chaucha, la négligence contributive n’était pas un problème, et Copper Mesa s’est vu attribuer 8,3 millions USD plus les intérêts composés. Le recours de Copper Mesa relatif à son option d’achat dans la concession de Telimbela ayant été rejeté, aucun dommage n’a été accordé à ce titre.

Les résidents locaux cherchent à contre-attaquer Copper Mesa devant les tribunaux canadiens

La concession de Junín se trouve tout près d’un groupe de petits villages. Entre décembre 2005 et juillet 2007, des tensions entre les villageois et Copper Mesa ont donné lieu à une série de confrontations physiques.

En 2009, certains villageois ont entamé une action devant les tribunaux de l’Ontario contre Copper Mesa et plusieurs autres individus canadiens. Dans cette procédure, les villageois prétendaient avoir fait l’objet d’une « campagne d’intimidation, de harcèlement, de menaces et de violence » de la part des forces de sécurité et d’autres agents de Copper Mesa (jugement OCA, para. 11). Le tribunal détermina cependant que puisque les recours contre Copper Mesa se basaient uniquement sur la responsabilité indirecte, ils ne comportaient aucune cause d’action raisonnable au titre du droit canadien applicable.

Plus tard, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté le pourvoi en appel des villageois. Ce faisant, il concluait : « Les menaces et les attaques alléguées par les demandeurs sont de graves injustices. Aucun élément de ce raisonnement ne peut être considéré comme sapant les droits des demandeurs à obtenir une réparation appropriée pour ces injustices, si tant est qu’on puisse les prouver. Mais cette réparation doit être exigée des parties concernées, sur la base de causes d’action correctement défendues et durables. Les recours présentés dans le cadre de cette procédure ne relèvent pas de cette catégorie » (jugement OCA, para. 99).

Remarques :Le tribunal était composé de V.V. Veeder (président nommé sur accord des parties, de nationalité britannique), de Bernardo Cremades (nommé par les demandeurs, de nationalité espagnole) et de Bruno Simma (nommé par le défendeur, de nationalité allemande). La décision finale de la CPA du 15 mars 2016 est disponible surhttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7443.pdf. Le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Piedra c. Copper Mesa Mining Corporation, 2011 ONCA 191, est disponible sur http://www.ontariocourts.ca/decisions/2011/2011ONCA0191.pdf.


Auteurs

Claudia María Arietti López est étudiante à la faculté de droit international financier de l’Université de New York, et est stagiaire boursier au programme Investissement pour le développement durable de IISD.

Suzy Nikièma est Conseillère en droit international au Programme Investissement et Développement Durable de IISD; et enseigne à l’Université Saint Thomas d’Acquin et l’Université Aube Nouvelle au Burkina Faso.

Inaê Siqueira de Oliveira est une étudiante de droit dans l’université  de Rio Grande do Sul, Brésil.

Maria Florencia Sarmiento est assistante d’enseignement et de recherche à l’Université catholique d’Argentine.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.