Un tribunal de la CPA condamne l’Équateur à payer 24 millions USD à une entreprise minière canadienne

Copper Mesa Mining Corporation c. la République d’Équateur, CPA No. 2012-2 

Un tribunal de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) constitué en vertu de l’Accord de promotion et de protection des investissements étrangers (APPI) Canada-Équateur a rendu sa décision.

Le tribunal a condamné l’Équateur à indemniser une entreprise canadienne pour l’expropriation de deux concessions minières. L’expropriation alléguée du droit d’option d’achat de l’entreprise sur une troisième concession a été rejetée. Compte tenu de la négligence contributive des responsables de l’entreprise, le tribunal a réduit le montant des dommages de 30 %. Les parties ont été condamnées à payer leurs propres frais juridiques et à partager à part égale les coûts de l’arbitrage.

Le contexte et les recours

Entre 1991 et 1997, les premiers tests géologiques sophistiqués ont été menés dans la région de Junín, dans le nord-ouest de l’Équateur. Le premier rapport technique a confirmé la présence de grands gisements de cuivre et soulignait les effets environnementaux potentiels de la mine proposée. Depuis, un nombre croissant de résidents locaux préoccupés par les effets délétères des activités minières se sont organisés pour s’y opposer.

Malgré tout, en décembre 2002, l’Équateur a accordé la concession de Junín à un citoyen équatorien. En 2005, grâce à des filiales de la Barbade et de l’Équateur, l’entreprise canadienne Copper Mesa Mining Corporation Exploration (Copper Mesa) a acquis la concession de Junín, la concession voisine de Chaucha et a fait une option d’achat sur la concession de Telimbela.

Dès 2005, Copper Mesa a réalisé une série de dépenses en lien avec les concessions. Elle a notamment commandé un rapport géologique, acquis une concession voisine ainsi que les terres en surface sur et autour des sites des concessions, préparé et présenté une étude d’impact environnemental (EIE) pour la phase exploratoire, engagé une équipe de personnel local et engagea des ressources pour offrir des services sociaux et de développement communautaire.

En avril 2008, l’Assemblée constituante de l’Équateur a adopté une législation appelée mandat minier, qui stipulait que les substances minières devaient « être exploitées en faveur des intérêts nationaux » et prévoyait l’annulation « sans indemnisation économique » des concessions minières relevant de plusieurs catégories (para. 1.110). Finalement, le sous-secrétaire équatorien aux Mines ordonna l’annulation des concessions de Junín et Chaucha compte tenu de l’absence de consultations préalable des résidents locaux.

En juillet 2010, Copper Mesa adressa à l’Equateur, une notification écrite d’intention de soumettre une plainte en vertu de l’APPI Canada-Équateur, alléguant que le pays avait illégalement révoqué ou annulé les concessions, privant ainsi l’entreprise de la valeur totale de ses investissements et lui causant des dommages importants.

L’investisseur est autorisé à présenter ses propres recours portant sur des prêts inter-entreprises accordés à ses filiales affectées

 L’Équateur s’opposait à la compétence du tribunal sur l’ensemble des recours de Copper Mesa. S’agissant de la concession de Junín, l’Équateur s’opposait aussi à la recevabilité des recours.

Dans une forte objection à la compétence du tribunal, l’Équateur arguait que le recours de Copper Mesa concernant les dommages de ses filiales locales devait être considéré séparément d’un recours en son nom propre, et que les filiales auraient dû consentir à l’arbitrage et renoncer à tous droits en vertu de la législation équatorienne. Cependant, le tribunal se rangea du côté de Copper Mesa et conclut que l’entreprise avait respecté les prescriptions juridiques relatives au lancement de l’arbitrage. Il conclut que Copper Mesa avait le droit, au titre de la compétence et de la recevabilité, de présenter ses propres recours contre le défendeur au nom de ses propres investissements en Équateur. D’après le tribunal, le demandeur ne cherchait pas à présenter ou à faire siens les recours de ses filiales ; il réclamait simplement une indemnisation pour les dommages qu’il avait lui-même subi.

Le tribunal examina également l’argument selon lequel Copper Mesa avait « les mains sales ». Pour le tribunal, l’Équateur avait cité une quantité impressionnante de témoignages d’experts et de documents relatifs à la doctrine légale des mains sales au titre du droit international, notamment les obligations des investisseurs étrangers en matière de droits humains, au sens très large. Malgré tout, le tribunal indiquait qu’il s’agissait d’une question de recevabilité plutôt que de compétence, et que l’Équateur n’avait adressé aucune plainte au demandeur avant le lancement de l’arbitrage en vertu du droit international, de la politique publique internationale ou des droits humains. Pour le tribunal, cela arrivait donc bien trop tard.

Le tribunal réconcilie l’expropriation illégale et la disposition de l’APPI sur les exceptions générales

Les principaux arguments de Copper Mesa incluaient l’obligation pour l’Équateur de payer une indemnisation en cas d’expropriation directe ou indirecte, d’accorder un traitement juste et équitable, la protection et la sécurité intégrales ainsi que le traitement national.

S’agissant de l’expropriation, l’Équateur rétorqua que le mandat minier était une mesure prise par l’État dans l’exercice de son autorité légitime de réglementation et répondant à un intérêt public impérieux, à savoir la nécessité de consulter les populations locales affectées, et de chercher à résoudre une grande partie des questions sociales, économiques et environnementales en suspens. Selon l’Équateur, le mandat minier relevait donc de la disposition de l’APPI sur les exceptions générales.

D’après le tribunal, les normes juridiques applicables au titre du droit international ne faisaient aucun doute. La question était plutôt de savoir si, dans le cas d’espèce, le gouvernement avait appliqué régulièrement la loi et n’avait pas agi de manière discriminatoire. Le tribunal chercha notamment à souligner que son questionnement ne découlait pas du mandat minier lui-même, mais des décisions d’annulation prises par le sous-secrétaire aux Mines sur la base du mandat minier.

Compte tenu des circonstances particulières des décisions d’annulation, le tribunal détermina qu’elles « n’étaient pas de simples mesures réglementaires, car, en l’espèce, ces décisions [ont] été prises de manière arbitraire et contraire à l’application régulière de la loi » (para. 6.66) et conclut que « la prise permanente des concessions de Junín des demandeurs était une expropriation au titre de l’APPI » (para. 6.67).

Les dommages sont réduits afin de refléter la négligence contributive du demandeur

Copper Mesa a d’abord tenté, dans ses arguments sur le montant des dommages, d’obtenir du tribunal la ratification d’une évaluation des dommages fondée sur le marché, le point médian de la fourchette correspondante étant fixé à 69,7 millions USD. Elle présenta également une évaluation alternative fondée sur les coûts et s’élevant à 26,5 millions USD, et confirmée par les états financiers vérifiés.

Le tribunal commença son analyse avec le principe général du droit international selon lequel c’est au demandeur de démontrer l’ampleur des dommages. Il estima au final que l’évaluation fondée sur le marché reposait sur une méthodologie plutôt incertaine, subjective et reposant sur des impondérables. Selon le tribunal, « en l’espèce, la méthode la plus fiable, objective et juste pour évaluer les investissements du demandeur en novembre 2008 et juin 2009 consiste à s’appuyer sur les dépenses avérées et relatives aux concessions de Junín et Chaucha » (para. 7.27).

S’agissant de la concession de Junín, le tribunal décida que Copper Mesa contribuait à 30 % de ses pertes du fait des actes négligents et des omissions commises par la direction-même de l’entreprise au Canada. Après avoir déduit ces 30 %, les pertes nettes pour la concession de Junín s’élevaient à 11 184 595,80 USD.

Pour la concession de Chaucha, la négligence contributive n’était pas un problème, et Copper Mesa s’est vu attribuer 8,3 millions USD plus les intérêts composés. Le recours de Copper Mesa relatif à son option d’achat dans la concession de Telimbela ayant été rejeté, aucun dommage n’a été accordé à ce titre.

Les résidents locaux cherchent à contre-attaquer Copper Mesa devant les tribunaux canadiens

La concession de Junín se trouve tout près d’un groupe de petits villages. Entre décembre 2005 et juillet 2007, des tensions entre les villageois et Copper Mesa ont donné lieu à une série de confrontations physiques.

En 2009, certains villageois ont entamé une action devant les tribunaux de l’Ontario contre Copper Mesa et plusieurs autres individus canadiens. Dans cette procédure, les villageois prétendaient avoir fait l’objet d’une « campagne d’intimidation, de harcèlement, de menaces et de violence » de la part des forces de sécurité et d’autres agents de Copper Mesa (jugement OCA, para. 11). Le tribunal détermina cependant que puisque les recours contre Copper Mesa se basaient uniquement sur la responsabilité indirecte, ils ne comportaient aucune cause d’action raisonnable au titre du droit canadien applicable.

Plus tard, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté le pourvoi en appel des villageois. Ce faisant, il concluait : « Les menaces et les attaques alléguées par les demandeurs sont de graves injustices. Aucun élément de ce raisonnement ne peut être considéré comme sapant les droits des demandeurs à obtenir une réparation appropriée pour ces injustices, si tant est qu’on puisse les prouver. Mais cette réparation doit être exigée des parties concernées, sur la base de causes d’action correctement défendues et durables. Les recours présentés dans le cadre de cette procédure ne relèvent pas de cette catégorie » (jugement OCA, para. 99).

Remarques :Le tribunal était composé de V.V. Veeder (président nommé sur accord des parties, de nationalité britannique), de Bernardo Cremades (nommé par les demandeurs, de nationalité espagnole) et de Bruno Simma (nommé par le défendeur, de nationalité allemande). La décision finale de la CPA du 15 mars 2016 est disponible surhttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7443.pdf. Le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Piedra c. Copper Mesa Mining Corporation, 2011 ONCA 191, est disponible sur http://www.ontariocourts.ca/decisions/2011/2011ONCA0191.pdf.

Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.