Sentences et Décisions

Un tribunal du CIRDI rejette les recours présentés contre l’Indonésie fondés sur des licences minières falsifiées

Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. la République d’Indonésie, affaire CIRDI n° ARB/12/14 et affaire CIRDI n° ARB/12/40

Inaê Siqueira de Oliveira[*]

Après avoir rendu deux décisions distinctes sur la compétence, l’une dans l’affaire présentée par une entreprise britannique Churchill Mining PLC au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Royaume-Uni-Indonésie, et l’autre dans l’affaire présentée par l’entreprise australienne Planet Mining Pty. Ltd. au titre du TBI Australie-Indonésie, le tribunal arbitral a consolidé les deux procédures, puisque toutes deux s’appuyaient sur les mêmes faits, et a rendu une décision unique.

Les recours des deux demandeurs s’appuyaient sur le même ensemble de documents, considérés comme falsifiés par le tribunal arbitral. Celui-ci a donc déclaré tous les recours irrecevables, et ordonné aux demandeurs de payer les coûts de l’arbitrage et de rembourser à l’Indonésie 75 pour cent de ses dépenses juridiques.

Le contexte et les recours

Un groupe de sept entreprises indonésiennes – le groupe Ridlatama – a présenté le projet minier East Kutai Coal Project(EKCP) aux demandeurs, projet visant à explorer un grand dépôt de charbon dans la régence de Kutai Est en Indonésie. Les demandeurs ont investi dans EKCP en acquérant toutes les parts de PT Indonesian Coal Development (PT ICD), une entreprise enregistrée en Indonésie.

Par la suite, certaines entreprises du groupe Ridlatama ont obtenu (de manière frauduleuse comme le déterminera plus tard le tribunal) des licences minières couvrant de grandes zones d’EKCP. Ces entreprises avaient conclu des accords de nantissement des actions et de coopération avec PT ICD leur permettant de planifier, de mettre en place et de réaliser toutes les opérations minières en échange de 75 pour cent des recettes générées.

Les conflits commencèrent dès 2010. Les zones couvertes par certaines licences octroyées au groupe Ridlatama chevauchaient largement les zones couvertes par les licences octroyées à d’autres entreprises. Sur recommandation du ministère indonésien pour la Foresterie, le Régent de Kutai Est a révoqué toutes les licences octroyées aux entreprises du groupe Ridlatama.

Le groupe Ridlatama lança une procédure contre l’Indonésie devant les tribunaux nationaux, tandis que les demandeurs se sont tournés vers le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en 2012, exigeant l’indemnisation intégrale pour l’expropriation de leur investissement.

Le droit applicable, et « l’obligation d’adopter les principes établis dans une série d’affaires cohérentes »

Puisque les TBI ne faisaient pas mention des conséquences juridiques d’une falsification, le tribunal jugea bon d’appliquer, en plus des TBI, le droit indonésien et le droit international (para. 235). S’agissant de la pertinence de décisions antérieures, le tribunal considéra que bien qu’il ne fût pas tenu par des décisions antérieures, il devait dûment les prendre en compte car il avait « l’obligation d’adopter les principes établis dans une série d’affaires cohérentes » afin de contribuer « au développement harmonieux du droit international des investissements » (para. 253).

Mécanisme frauduleux de falsification des licences minières

L’Indonésie contestait l’authenticité de 34 documents. En substance, le différend portait sur la signature apposée sur ces documents. Les registres du gouvernement montraient qu’en général, ses représentants signent les documents importants (tels que ceux liés aux licences minières) à la main, tandis que toutes les signatures figurant sur les documents contestés avaient été reproduites à la machine.

En plus du problème de la signature, plusieurs étrangetés troublantes apparaissant dans des éléments auxiliaires pointaient vers la mise en place d’un mécanisme frauduleux de fabrication de documents. Certains documents existaient en plusieurs versions, ne contenaient pas la signature ou les initiales des représentants, ou ne figuraient pas dans la base de données du gouvernement. Il n’existait aucune trace documentaire de la procédure de demande de licence, et dix jours après que le Régent de Kutai Est ait révoqué les licences octroyées aux entreprises du groupe Ridlatama, un soi-disant décret de re-promulgation déclarant les licences de nouveau valables fut émis. Cette curiosité n’a pas échappé au tribunal : « Pourquoi un gouvernement révoquerait-il une licence un jour pour la remettre en vigueur dix jours plus tard ? » (para. 441). Tout bien considéré, le tribunal arbitral « détermina qu’un mécanisme frauduleux avait infiltré les investissements des demandeurs dans EKCP » (para. 507).

S’agissant de savoir si les demandeurs avaient pris part au mécanisme frauduleux, le tribunal remarqua que les preuves pointaient « Ridlatama du doigt plutôt que les demandeurs pour ce qui est de la falsification des documents contestés » (para. 476).

Les conséquences juridiques de la falsification

Afin d’établir les conséquences juridiques de la falsification, le tribunal arbitral se tourna vers le droit international et la jurisprudence en matière d’investissements. Il examina un grand nombre d’affaires et conclut que, en fonction des circonstances de chaque affaire, la fraude pouvait affecter la compétence du tribunal (tel que dans Phoenix c. la République tchèque,Inceysa c. El Salvador et Europe Cement c. la Turquie), affecter la recevabilité des recours (tel que dans Plama c. la Bulgarie) ou être examinée à la phase de l’examen quant au fond (comme dans Cementownia c. la Turquie, Malicorp c. l’Égypte et Minnotte c. la Pologne).

S’appuyant sur les affaires Venezuela Holdings c. le Venezuela, Phoenix c. la République tchèque, Europe Cement c. la Turquie et Hamester c. le Ghana, le tribunal considéra qu’un comportement frauduleux représente un abus de droits (ou dans certaines circonstances un abus de procédure), ce qui est contraire au principe de bonne foi, car l’investisseur ne peut bénéficier de la protection d’un traité lorsque sa conduite sous-jacente est jugée abusive.

Le tribunal arbitral alla encore plus loin, observant que les affaires particulièrement graves de conduite frauduleuse, telles que WDF c. le Kenya et Metal-Tech c. Ouzbékistan, avaient été jugées contraires à la politique publique internationale. Suivant cette idée, il considéra que « les recours découlant de droits fondés sur des éléments frauduleux ou falsifiés et délibérément ou déraisonnablement ignorés par un demandeur sont irrecevables au titre du droit public international » (para. 508).

Après avoir établi la gravité d’un mécanisme frauduleux visant à falsifier des licences minières, le tribunal arbitral se demanda si un méfait commis par une tierce partie (le groupe Ridlatama) pouvait affecter les recours des investisseurs. Pour ce faire, il s’appuya sur le test proposé dans l’affaire Minnotte c. la Pologne pour évaluer si les demandeurs avaient connaissanceou auraient dû avoir connaissancedes méfaits du groupe Ridlatama.

Utilisant la norme de l’aveuglement volontaire (également appelée « ignorance délibérée »), le tribunal conclut que les demandeurs avaient fait preuve d’une absence remarquable de diligence. Selon lui, ils étaient conscients des risques liés au fait d’investir dans l’industrie charbonnière en Indonésie, qui connait un « problème endémique » de corruption, et malgré cela, n’avaient pas fait preuve de diligence raisonnable et de contrôle dans leurs tractations avec le groupe Ridlatama.

En bref, puisque le mécanisme frauduleux affectait l’entièreté de l’investissement des demandeurs, le tribunal jugea tous leurs recours irrecevables.

Les coûts

Le tribunal considéra qu’il était approprié d’adopter le principe selon lequel « les frais suivent l’issue de l’instance » et ordonna aux demandeurs de régler l’ensemble des coûts. Puisque l’Indonésie avait EU des frais juridiques (environ 12 millions USD) bien plus importants que ceux des demandeurs (4 millions USD), le tribunal arbitral ordonna aux demandeurs de payer 75 pour cent des frais juridiques de l’Indonésie.

Remarques : le tribunal arbitral était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente nommée par les co-arbitres, de nationalité suisse), d’Albert Jan van den Berg (nommé par le demandeur, de nationalité néerlandaise), et de Michael Hwang (nommé par le défendeur, de nationalité singapourienne). La décision du 6 décembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7893.pdf. Les décisions sur la compétence dans les affaires Churchill Mining Plc c. l’Indonésieet Planet Mining Pty Ltd c. l’Indonésie, toutes deux datées du 24 février 2014 sont respectivement disponibles en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw3103.pdfethttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw3104.pdf.


Renco n’a pas respecté une exigence formelle de renonciation au titre de l’Accord de promotion commerciale États-Unis-Pérou

Renco Group Inc. c. la République du Pérou, UNCT/13/1

María Florencia Sarmiento[*]

Un tribunal arbitral sous l’égide du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a déclaré que l’investisseur Renco Group Inc. (Renco), basé aux États-Unis, n’avait pas respecté l’exigence de renonciation contenue dans l’Accord de promotion commerciale (APC) États-Unis-Pérou. Aussi, le tribunal a décliné sa compétence sur l’affaire.

Le contexte

Le 4 avril 2011, l’entreprise minière Renco, basée aux États-Unis, lança une procédure d’arbitrage en son nom propre et au nom de Doe Run Peru S.R. LTDA (DRP), entreprise qu’elle détient à 100 pour cent. Renco alléguait que le Pérou avait violé ses obligations d’accorder un traitement juste et équitable (TJE) et le traitement national au titre de l’APC, ainsi que certaines de ses obligations contractuelles. Dans une notification d’arbitrage amendée datée du 9 août 2011, Renco a retiré le recours au nom de son entreprise tout en maintenant le recours en son nom propre.

L’article 10.18(2)(b) de l’APC contient deux exigences distinctes : une exigence formellede soumettre une renonciation écrite au droit de lancer ou de poursuivre devant un tribunal ou une cour administrative au titre du droit de n’importe quel pays, ou toute autre procédure de règlement des différends, toute procédure relative à une quelconque mesure constituant supposément une violation, et une exigence matérielle, au titre de laquelle l’investisseur doit s’abstenir de lancer ou de poursuivre des procédures locales violant la renonciation écrite.

La décision partielle rendue le 15 juillet 2016 porte sur la renonciation écrite accompagnant la notification d’arbitrage amendée de Renco. La renonciation indique que « dans la mesure où le tribunal refuse d’entendre tout recours lui étant présenté et fondé sur des motifs de compétence ou d’admissibilité, le demandeur se réserve le droit de présenter ces recours à une autre enceinte pour qu’ils soient déterminés quant au fond » – « réserve de droits » (paras. 58-59).

Le Pérou affirmait que Renco n’avait pas respecté les deux exigences formelle et matérielle de l’article 10.18(2) de l’APC. Il notait que compte tenu de la « réserve de droits », Renco se réservait le droit de présenter des recours à une autre enceinte et que, par conséquent, la renonciation de Renco n’était pas conforme aux termes de l’APC.

L’analyse par le tribunal de l’exigence de renonciation de l’article 10.18(2) de l’APC

Le tribunal entama son analyse en interprétant à la lumière de la Convention de Vienne sur le droit des traités les dispositions pertinentes invoquées dans le recours, qui établissent les procédures qu’un investisseur doit respecter afin de présenter un différend à un arbitrage, à savoir les articles de l’APC sur la « Soumission d’un recours à l’arbitrage », le « Consentement de chacune des parties à l’arbitrage » et les « Conditions et limites au consentement de chacune des parties ».

Le tribunal remarqua que sa compétence pouvait être établie au titre d’un accord d’arbitrage valable entre Renco et le Pérou, conclu au moment où Renco avait accepté l’offre permanente du Pérou de régler les recours par arbitrage conformément aux exigences de l’APC. Toutefois, il souligna que le respect de l’article 10.18(2) était une condition et une limite au consentement du Pérou à l’arbitrage, et un prérequis essentiel à l’existence d’un accord d’arbitrage, et donc à la compétence du tribunal.

S’agissant de la validité de la renonciation et de la réserve de droits de Renco, le tribunal considéra que la formulation de l’article 10.18(2)(b) démontrait que les renonciations soumises à des conditions sont inadmissibles, et que cette interprétation est conforme à l’objet et au but de cet article, qui est de protéger un État défendeur contre les poursuites multiples. Le tribunal détermina également que l’article constitue une disposition de type « demi-tour interdit » empêchant l’investisseur de soumettre un recours postérieur à une enceinte nationale, y compris si le recours est rejeté pour des raisons de compétence ou de recevabilité.

Pour conclure, le tribunal analysa les conséquences du non-respect par Renco de l’article 10.18(2)(b). Il souligna qu’il aurait été préférable que le Pérou présente l’objection fondée sur la renonciation au début de la procédure car l’arbitrage avait commencé depuis longtemps et que l’affaire était devenue très complexe puisque les conséquences du non-respect de l’article 10.18(2)(b) sont très graves.

Le tribunal rejette la tentative par Renco de rectifier la renonciation ou de séparer la réserve des droits et rejette l’argument de Renco selon lequel le Pérou a abusé de ses droits

Dans sa décision, le tribunal tint également compte de (1) la possibilité ou non de rectifier la renonciation, (2) la possibilité pour le tribunal de séparer la réserve de droits et (3) de la question de savoir si les arguments et la conduite du Pérou en lien avec la renonciation constituaient un abus de droits.

S’agissant de la possibilité de rectifier la renonciation, Renco affirma que le défaut ne concernait que la forme et que les tribunaux avaient la possibilité de remédier aux problèmes liés aux exigences formelles. Le Pérou contesta que le tribunal n’était pas habilité à le faire. La majorité du tribunal conclut que la soumission d’une renonciation valable était une condition à l’existence initiale d’un accord valable et donc que le tribunal n’avait pas cette autorité. L’un des arbitres considéra que Renco avait la possibilité de purger sa renonciation défectueuse de manière unilatérale.

S’agissant du principe de séparation, le tribunal conclut que le principe ne pouvait être appliqué à l’affaire car il n’existait aucun accord d’arbitrage et donc que le tribunal n’avait pas le pouvoir de séparer la réserve de droits.

Le Pérou avait soulevé pour la première fois la question de la renonciation défectueuse dans sa notification des objections préliminaires, déposée trois ans après l’entame de la procédure. Renco affirmait que les objections du Pérou constituaient un abus de droits, affirmant que l’objectif du Pérou n’était pas de veiller au respect des droits associés à la renonciation mais de contourner son obligation d’arbitrer les recours de Renco fondés sur le traité. Le tribunal conclut que le Pérou avait légitimement cherché à exercer son droit de recevoir une renonciation conformément à l’article 10.18(2)(b). Il souligna cependant qu’il pouvait y avoir abus de droits si le Pérou arguait dans toute procédure future que les recours de Renco étaient proscrits du fait du délai de trois ans prévu à l’article 10.18(1).

La décision et les coûts 

La majorité déclara que Renco n’avait pas respecté l’exigence formelle contenue dans l’article 10.18(2)(b) en incluant une réserve de droits dans la renonciation jointe à la          notification d’arbitrage amendée, qu’il ne pouvait pas unilatéralement purger la renonciation défectueuse, et qu’il n’avait pas réussi à établir les prescriptions pour le consentement du Pérou à l’arbitrage au titre du traité. Par conséquent, le tribunal rejeta les recours pour absence de compétence.

Dans la décision partielle sur la compétence, le tribunal avait reporté à plus tard l’examen de la question des coûts. Dans sa décision finale, le tribunal décida de s’éloigner du principe selon lesquels « les frais suivent l’issue de l’instance » contenu dans le Règlement de la CNUDCI puisque (a) le Pérou n’avait eu qu’un gain de cause relatif plutôt qu’absolu ; (b) les questions soulevées lors de la phase de la renonciation étaient nouvelles et complexes ; et (c) le Pérou avait tardé a présenté son objection à la compétence du tribunal fondée sur le non-respect par Renco de l’article 10.18(2)(b) du traité. Pour conclure, le tribunal décida que chacune des parties payerait ses propres frais juridiques et d’arbitrage, et la moitié des frais du tribunal et de l’autorité administrative.

Remarques : le tribunal arbitral était composé de Michael J. Moser (président nommé sur accord des parties, de nationalité australienne), de L. Yves Fortier (nommé par le demandeur, de nationalité canadienne), et de Toby T. Landau (nommé par le défendeur, de nationalité britannique). La décision partielle sur la compétence du 15 juillet 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7434.pdfet en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7435.pdf, et la décision finale du 9 novembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7744_1.pdfet en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7745.pdf.

 


Pac Rim c. El Salvador : tous les recours sont rejetés ; OceanaGold condamnée à payer 8 millions USD de frais

Pac Rim Cayman LLC c. la République d’El Salvador, Affaire CIRDI n° ARB/09/12

Martin Dietrich Brauch[*]

Le 14 octobre 2016, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rejeté sur le fond tous les recours de Pac Rim Cayman LLC (Pac Rim) contre El Salvador. Le tribunal a condamné l’entreprise minière – actuellement détenue par l’entreprise australo-canadienne OceanaGold – à payer 8 millions USD pour couvrir les frais juridiques d’El Salvador.

Le contexte factuel

Entre 2002 et 2008, deux filiales salvadoriennes de Pac Rim ont acquis plusieurs licences d’exploration minière au Salvador. Le plus grand projet concernait le site d’El Dorado, à Cabañas, l’une des régions les plus pauvres du pays. Après avoir vérifié que la zone contenait d’importantes réserves aurifères à forte teneur, la filiale Pac Rim El Salvador (PRES) de Pac Rim a déposé une demande en décembre 2004 afin de convertir sa licence d’exploration – qui expirait en janvier 2005 – en une concession d’exploitation.

La demande ne contenait pas certains documents requis au titre du droit minier salvadorien, tels que le permis environnemental et le consentement des propriétaires de biens situés en surface de la zone concernée par la concession demandée.

Fin 2005, les autorités salvadoriennes ont proposé d’amender le code minier pour limiter expressément la documentation requise à la zone concernée par les infrastructures minières ; s’il était approuvé, l’amendement entrainerait la réduction des documents que PRES devait obtenir et présenter. Bien qu’elles soutinssent PRES dans l’espoir que l’amendement soit approuvé, les autorités lui ont également formellement demandé de présenter les documents manquants et requis au titre du droit.

PRES ne les présenta toutefois pas, et le pouvoir législatif salvadorien rejeta l’amendement en février 2008. Le 10 mars 2008, le Président salvadorien Antonio Saca déclara qu’en principe il était contre l’octroi de nouveaux permis miniers ; un an plus tard, il déclara que Pac Rim ne recevrait pas de concession.

Les recours et la décision sur la compétence

Le 30 avril 2009, Pac Rim lança un arbitrage contre El Salvador – en son nom propre et au nom de ses filiales – au titre du code national de l’investissement et de l’Accord de libre-échange République Dominicaine-Amérique centrale-États-Unis (ALÉAC).

Réclamant des dommages supérieurs à 314 millions USD, l’entreprise arguait que le refus d’octroyer une concession pour le projet El Dorado résultait de la soi-disant interdiction de factode l’extraction de minéraux métalliques imposée par El Salvador en violation des obligations du pays au titre des droits national et international. El Salvador contestait que Pac Rim n’avait pas le droit d’obtenir une concession d’exploitation, et que le pays n’avait pas violé ses obligations et ne devait donc verser aucune indemnisation.

Dans sa décision sur la compétence du 1erjuin 2012, le tribunal rejeta les recours au titre de l’ALÉAC, mais accepta sa compétence au titre du code de l’investissement salvadorien.

Le tribunal ignore une communication amicus curiae du CIEL

Dans sa soumission comme partie non contestante, le Centre pour le droit environnemental international (CIEL) arguait que les mesures prises par El Salvador concernant El Dorado étaient soutenues par ses obligations internationales en matière de droits humains et d’environnement. Le tribunal considéra toutefois qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la soumission puisque les parties au différend n’avaient pas consenti à la divulgation des preuves factuelles au CIEL, et puisque les décisions du tribunal « n’exigent pas du tribunal qu’il examine les arguments juridiques avancés par le CIEL : et, en l’espèce, il serait inapproprié pour le tribunal de le faire » (para. 3.30).

Le tribunal rejette les objections supplémentaires du Salvador à la compétence

El Salvador arguait que les recours fondés sur le droit international et la constitution salvadorienne ne relevaient pas du consentement à l’arbitrage établi à l’article 15 du code de l’investissement. Le tribunal rejeta cette objection. Remarquant que le droit applicable n’était pas précisé dans le code de l’investissement ou dans tout autre accord conclu entre les parties, le tribunal invoqua l’article 42 de la Convention du CIRDI pour déterminer que le droit salvadorien (y compris la constitution) et les règles pertinentes du droit international s’appliquaient à l’affaire.

D’après El Salvador, le consentement à l’arbitrage international établi à l’article 15 était éclipsé par d’autres dispositions du droit salvadorien, car le code de l’investissement assujettit spécifiquement tous les investissements en sous-sol à la constitution et aux lois secondaires, et le code minier renvoi les différends relatifs aux licences d’exploration ou d’exploitation minières à la compétence exclusive des tribunaux salvadoriens. Cependant, le tribunal considéra que l’interprétation d’El Salvador n’était pas contraignante, et refusa « d’appliquer d’autres dispositions législatives outrepassant une expression de consentement à la compétence valable, claire et sans ambigüité au titre du droit international » (para. 5.68).

El Salvador invoqua également le code civil salvadorien pour faire valoir que certains recours étaient proscrits. Le tribunal rejeta cette objection en rappelant : « le fait qu’une disposition du droit salvadorien prévoit le consentement à l’arbitrage ne signifie pas que les décisions du tribunal sur la compétence soient régies par le droit salvadorien » (para. 5.71). Il détermina également que les tribunaux d’investissement ne doivent pas nécessairement appliquer les délais de prescription prévus par le droit national.

La décision porte sur le projet El Dorado

Pour déterminer si Pac Rim avait le droit d’obtenir la concession pour le site El Dorado, le tribunal se centra sur deux aspects : l’interprétation légale de l’article 37(2) du code minier, et le recours pour estoppel ou actos propios. Tous deux sont résumés comme suit.

Pac Rim avait également présenté des recours auxiliaires portant sur cinq autres zones minières, mais le tribunal les rejeta tous, déterminant que l’investisseur n’avait pas démontré la responsabilité, la causalité et le préjudice.

L’article 37(2)(b) est interprété de manière négative en l’espèce

L’article 37(2)(b) exige du requérant d’une concession d’exploitation qu’il présente « le titre de propriété des biens ou l’autorisation légale accordée par le propriétaire ». Pour Pac Rim, cela concernait simplement des documents pour la zone (probablement) directement affectée, tandis que El Salvador considérait que les documents étaient requis pour toutela zone en surface de la concession demandée. Le tribunal rejeta l’argument de Pac Rim pour trois raisons.

La première était la complaisance de Pac Rim et de PRES : bien qu’elles sussent que l’interprétation de l’article 37(2)(b) par l’État n’était pas en leur faveur, elles se sont appuyées sur la possibilité d’un amendement, et n’ont pas exploré d’autres voies : « Elles étaient sûres que l’amendement de la législation leur serait favorable. Sur ce point elles se sont trompées » (para. 8.30).

Deuxièmement, le tribunal s’en remit à l’interprétation de la disposition par El Salvador, considérant que : « En général, un tribunal international doit s’en remettre à l’interprétation unanime de bonne foi de ses propres lois par les autorités responsables d’un État avant l’émergence du différend entre les parties » (para. 8.31).

Finalement, le tribunal examina une troisième raison, téléologique. Appliquant le principe de proportionnalité au titre de la constitution salvadorienne, il conclut que l’article 37(2)(b) exigeait le consentement des propriétaires ou occupants en surface faisant face à des risques potentiels ou réels – en plus de ceux directement affectés par les activités – et conclut que Pac Rim n’avait pas respecté cette obligation.

Le tribunal rejette le recours fondé sur la doctrine d’estoppel ou actos propios

Pac Rim arguait également que El Salvador avait fait des « représentations claires et sans équivoques » selon lesquelles la question de l’article 37(2)(b) n’entrainerait pas un refus de la concession, et que Pac Rim s’était appuyé de bonne foi sur ces représentations ; aussi, au titre du droit international ou salvadorien, le pays ne serait pas en droit ou dans l’impossibilité d’affirmer le contraire. Toutefois, le tribunal considéra que El Salvador n’avait pas fait de telles représentations selon lesquelles, en l’absence d’un amendement de la disposition, PRES aurait été jugé comme étant en conformité avec l’exigence, ou que la concession aurait été octroyée même sans cette conformité.

Remarques :le tribunal du CIRDI était composée de V. V. Veeder (président nommé par les parties, de nationalité britannique), de Guido Santiago Tawil (nommé par le demandeur, de nationalité argentine) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible en anglais surhttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7640_0.pdfet en espagnol sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7641_0.pdf.


Un tribunal de l’ALENA condamne le Canada à verser plus de 28 millions CAD à un développeur étasunien de sites d’éoliennes

Windstream Energy LLC c. le Gouvernement du Canada, Affaire CPA n° 2013-22

Matthew Levine[*]

Un tribunal arbitral constitué au titre du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a atteint la phase de la décision finale. Bien qu’il ait rejeté les recours pour discrimination et pour expropriation indirecte, le tribunal a soutenu le recours pour manquement à accorder un traitement juste et équitable (TJE), et a condamné le Canada à payer des dommages-intérêts ainsi que la moitié des frais juridiques de l’investisseur, représentant un total de 28 millions CAD (environ 21,4 millions USD).

Le contexte et les recours

Le demandeur, Windstream Energy LLC(Windstream), est une entreprise enregistrée aux États-Unis, travaillant au développement d’un projet offshore de production d’électricité éolienne dans la province de l’Ontario, au Canada (le projet offshore)

En 2009, l’Ontario a mis en place un programme de tarifs de rachat garantis (TRG) lançant un appel d’offres aux producteurs indépendants d’énergie renouvelable pour la vente sur le réseau provincial. Dans le cadre de l’appel d’offres, Windstream s’est vu octroyé un contrat TRG pour le projet offshore.

Suite à plusieurs retards dans l’obtention des permis liés aux activités de développement de Windstream, l’Ontario a finalement imposé un moratoire sur les projets éoliens offshore. Le moratoire était principalement justifié par la nécessité de mener d’autres recherches scientifiques. Entre temps, les autres détenteurs de contrats TRG se sont vu offrir d’autres possibilités de participer au secteur de l’énergie propre d’Ontario, mais pas Windstream.

Windstream a lancé un arbitrage en janvier 2013, et le tribunal fut constitué en juillet 2013. Les recours de Windstream s’appuyaient principalement sur le fait que les actes de la province ne satisfaisaient pas à la norme TJE contenue dans l’ALENA, et avaient un effet équivalant à une expropriation.

Le tribunal rejette le recours pour expropriation indirecte

Selon le tribunal, le fait de déterminer si une expropriation indirecte a eu lieu est avant tout une question de preuve, il faut donc déterminer si une saisie réelle de propriété par l’État a eu lieu. Ce serait le cas même s’il n’y avait pas eu de transfert formel de titre, et même si l’État n’en avait pas tiré d’avantages économiques. Et pour déterminer si une saisie réelle a bel et bien eu lieu, il faut déterminer si l’investisseur a été substantiellement privé de la valeur de son investissement.

Après avoir examiné avec soin les preuves pertinentes, le tribunal conclut qu’en l’espèce, aucune expropriation n’avait eu lieu. Le tribunal pointa, entre autres facteurs, sur le fait que le contrat TRG était encore officiellement en vigueur et n’avait pas été unilatéralement annulé par l’Ontario, et que le dépôt de garantie de 6 millions CAD de l’investisseur existait toujours, n’avait pas été pris ou rendu nul par un acte ou un autre de la province. L’on ne pouvait donc affirmer que l’investisseur avait été privé substantiellement de son investissement.

Le tribunal détermine que l’imposition d’un moratoire était injuste et inéquitable

Les parties n’étaient pas d’accord quant au contenu de la norme minimale de traitement établie à l’article 1105(1) de l’ALENA, ni sur la manière dont le contenu de la norme devait être établi.

Selon le tribunal, c’était à chacune des parties de soutenir sa position sur le contenu auprès des autorités juridiques compétentes et avec les preuves appropriées. En principe, le contenu d’une règle du droit international coutumier, telle que la norme minimale de traitement, est déterminé au plus juste sur la base de la pratique réelle de l’État établissant une habitude démontrant également que les États ont reconnu cette pratique comme une règle de droit (opinio juris). Cependant, aucune des deux parties n’a produit ces preuves, et le tribunal dut donc s’appuyer sur des preuves indirectes pour déterminer le contenu, telles que les décisions prises par d’autres tribunaux établis au titre de l’ALENA.

En examinant les preuves indirectes présentées par les parties, le tribunal remarqua que Windstream invoquait l’élément TJE mais pas celui relatif à « la protection et la sécurité intégrales » contenus dans l’article 1105(1) de l’ALENA. Le tribunal étudia donc si les actes de l’Ontario étaient « injustes » et « inéquitables » au regard de la norme minimale de traitement du droit international coutumier, et rappela qu’il valait mieux pour cela s’appuyer sur les faits de l’affaire, plutôt que sur des concepts.

Le tribunal ne trouva rien d’injuste ou d’inéquitable dans la décision de l’Ontario d’imposer un moratoire sur les projets éoliens offshore et la procédure connexe. Il considéra que si les actes du gouvernement menant au moratoire auraient pu être plus transparents et s’il existait une opposition publique aux projets éoliens offshore, ces facteurs n’équivalaient pas à une violation de l’ALENA.

Il considéra cependant que les actes réalisés par la province après le moratoire étaient plus troublants. Selon lui, l’Ontario avait peu fait pour répondre à l’incertitude scientifique et, plus important encore, avait peu fait pour régler le flou juridique et contractuel dans lequel s’est retrouvé Windstream après l’imposition du moratoire. Le tribunal conclut que le manquement à « prendre les mesures nécessaires, notamment pour donner instructions à l’OPA (l’Ontario Power Authority, l’agence réglementaire) dans une période de temps raisonnable après l’imposition du moratoire afin de clarifier l’incertitude réglementaire entourant la situation et le développement du projet, engendrée par le moratoire, équivaut à une violation de l’article 1105(1) de l’ALENA » (para. 380).

L’évaluation des dommages se fonde sur des opérations comparables

Le tribunal détermina la méthode d’évaluation la plus appropriée compte tenu de l’étape spécifique de développement du projet. Il souligna que s’il était commun d’utiliser la méthode d’actualisation des flux de trésorerie pour évaluer les projets éoliens offshore, « elle n’est en général pas utilisée pour les projets n’étant pas financièrement clos, compte tenu des nombreux risques et incertitudes entourant de tels projets » (para. 474). En l’espèce, le tribunal considéra qu’il valait mieux évaluer le projet grâce à la méthode des opérations comparables.

Après avoir examiné les preuves relatives à des opérations comparables – des projets éoliens offshore en Europe – le tribunal nota que l’évaluation appropriée pour le projet de Windstream se situait entre 18 et 24 millions d’euros. Il pris ensuite en compte d’éventuels ajustements, mais conclut que la moyenne de cette fourchette était appropriée, soit 21 millions d’euros. Compte tenu du taux de change à la date de la décision, cela représentait 31 182 900 CAD.

Le tribunal remarqua toutefois que Windstream n’avait pas droit à l’indemnisation de la valeur totale de son investissement, qui incluait une lettre de crédit toujours valable et un contrat TRG toujours en vigueur. Le tribunal détermina ensuite qu’il fallait retirer 6 millions CAD à la valeur fixée précédemment au titre de la lettre de crédit, mais que la valeur liée à une éventuelle reprise ou renégociation du contrat TRG s’annulait à la délivrance de la décision arbitrale.

Les coûts

Le tribunal approuva et prit note de l’accord des parties sur le principe de l’article 42 du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) établissant que « [l]es frais d’arbitrage sont en principe à la charge de la partie qui succombe » (para. 512). Cette règle s’applique aux frais juridiques, mais pas aux frais d’arbitrage, c’est-à-dire aux coûts et aux frais du tribunal et de la Cour permanente d’arbitrage (CPA).

S’agissant de la répartition des frais juridiques, le tribunal rappela que Windstream avait eu gain de cause, et que bien qu’un seul de ses recours avait été accepté, c’était l’un des principaux. Finalement, le tribunal considéra qu’il était approprié que le Canada rembourse la moitié des frais juridiques de Windstream. S’agissant des coûts de l’arbitrage, le tribunal considéra que ceux-ci découlaient de l’accord d’arbitrage des parties, et donc qu’il était plus approprié que chacune des parties en paye la moitié.

Remarques: le tribunal était composé de Veijo Heiskanen (président nommé sur accord des parties, de nationalité finlandaise), de R. Doak Bishop(nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne), et de Bernardo Cremades (nommé par le défendeur, de nationalité espagnole). La décision finale de la CPA datée du 27 septembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7875.pdf.


Un tribunal de la CPA rejette les recours pour expropriation et TJE relatifs à une entreprise d’éco-tourisme

Peter A. Allard c. le Gouvernement de la Barbade, Affaire CPA n° 2012-06

Amr Arafa Hasaan[*]

Le 27 juin 2016, un tribunal constitué sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) a rejeté tous les recours présentés par l’entrepreneur canadien Peter A. Allard contre la Barbade au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Canada-Barbade et du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI). Demandant plus de 29 millions CAD en dommages-intérêts, Allard prétendait qu’un manquement de la part de la Barbade à prendre des mesures de protection environnementale violait le TBI et avait entrainé la destruction de la valeur de son investissement dans un site écotouristique.

Le contexte

En 1994, Allard a décidé d’établir un site écotouristique au sud-ouest de la Barbade. Entre 1996 et 1999, il a créé et enregistré une entreprise et acquis des terres à la Barbade pour la construction d’une réserve naturelle, ouverte au public en 2004. Après un dysfonctionnement de l’usine de traitement des eaux usées de la côte sud en 2005, Allard décida de vendre la réserve naturelle en 2007, annonçant sa clôture le 29 octobre 2008.

Allard lança un arbitrage contre la Barbade le 21 mai 2010, alléguant que les actions et l’hésitation du gouvernement quant à la fermeture de la vanne de l’usine de traitement des eaux usées avaient causé des dommages environnementaux considérables, rendant nul son investissement dans le site écotouristique, en violation des dispositions du TBI sur le traitement juste et équitable (TJE), la protection et la sécurité intégrales (PSI) et l’expropriation.

Selon Allard, la réserve naturelle avait connu une importante dégradation environnementale qui avait petit à petit transformé le lieu en « à peine mieux qu’un marécage infesté de moustiques » (para. 56) au moment de sa clôture en 2009. La Barbade rejeta ces allégations, affirmant que l’écologie du site n’était déjà pas prometteuse lorsqu’Allard avait décidé de lancer ses opérations.

Dans une décision de 2014, le tribunal avait rejeté les objections ratione materiae et ratione personaede la Barbade à la compétence. Il avait déterminé qu’Allard détenait et contrôlait des actifs conformément au droit barbadien, et que ses actifs constituaient un investissement au titre du TBI. Il reporta toutefois à la phase de l’examen quant au fond l’étude de l’objection ratione temporisde la Barbade à la compétence du tribunal.

La décision d’Allard d’investir est antérieure aux représentations données par la Barbade ; pas de violation du TJE

Allard alléguait que la Barbade n’avait pas respecté ses attentes légitimes d’investisseur et donc violé l’obligation TJE au titre du TBI. Il prétendait s’être appuyé sur les représentations données par certains représentants de la Barbade et reflétant l’engagement de la Barbade à préserver l’éco-environnement de la zone entourant le sanctuaire.

La Barbade soutint que la norme TJE correspondait à la norme minimale de traitement des étrangers au titre du droit coutumier international. Elle ajouta en outre que les représentations et les circonstances sur lesquelles Allard s’était appuyé avaient eu lieu après sa décision d’investir.

Le tribunal détermina qu’aucune des déclarations sur lesquelles Allard s’était appuyé n’équivalait à une représentation spécifique pouvant donner lieu à des attentes légitimes : il s’agissait de plans ou de rapports préparés par des experts engagés par Allard lui-même à titre privé. En outre, le tribunal conclut qu’à l’exception d’un document daté de 1986, toutes les représentations avaient été faites après sa décision d’investir en 1994. Aussi, le tribunal conclut que la Barbade n’avait pas violé l’obligation TJE.

La Barbade a respecté ses engagements en matière de PSI

Allard alléguait que l’engagement en matière de PSI impliquait plus que la simple sécurité contre toute interférence physique avec l’investissement. Il affirmait que la Barbade n’avait pas correctement géré la vanne, ce qui selon lui expliquait principalement la dégradation environnementale de la réserve naturelle, en plus du manquement à appliquer les lois environnementales. En réponse, la Barbade soutenait que la norme PSI était limitée à la protection contre les dommages physiques directs contre l’investisseur ou sa propriété.

Le tribunal détermina que la Barbade avait pris toutes les mesures nécessaires pour protéger l’investissement : les représentants barbadiens avaient mis en place les procédures visant à prévenir les dommages environnementaux à la réserve naturelle. Le tribunal conclut en outre que le soi-disant manquement de la Barbade à appliquer le droit environnemental pertinent n’est pas approprié pour la violation alléguée de la norme PSI. De plus, il souligna qu’Allard n’avait jamais prévenu la Barbade des problèmes liés à la non application de ces lois. Aussi, le tribunal détermina que la Barbade avait respecté son obligation PSI.

Le recours pour expropriation indirecte est sans fondement

Allard alléguait que les mesures prises par la Barbade équivalaient à une expropriation. Il indiqua notamment qu’en 2003, la Barbade avait mis en œuvre un plan de reclassification des terres voisines de la réserve naturelle, entrainant supposément une augmentation importante des impuretés sur le site, en faisant un site de conservation plutôt que de tourisme. Il ajouta que le manquement de la Barbade à appliquer les lois environnementales pertinentes et à faire correctement fonctionner la vanne permirent la dégradation environnementale du site. La Barbade répondit quant à elle qu’Allard n’avait jamais été privé de la réserve naturelle ou de sa valeur économique. Au contraire, le pays avança que le site avait attiré des visiteurs jusqu’à sa fermeture en 2009.

Le tribunal était convaincu qu’Allard demeurait l’unique opérateur du site, qu’il s’agisse d’une attraction écotouristique ou d’un café par la suite : il n’avait pas été privé de la possession physique du bien immobilier. Il indiqua également qu’Allard avait retiré des bénéfices économiques de ses activités jusqu’à ce qu’il décide de clore le site. Le tribunal détermina également qu’Allard n’avait pas réussi à établir le lien causal entre la supposée dégradation de l’environnement voisin et sa décision de mettre fin à ses activités. Selon le tribunal, il n’avait pas non plus réussi à démontrer l’existence de dommages exceptionnels causés à l’environnement marin avant de prendre la décision de se séparer de la réserve naturelle. Pour le tribunal, le soi-disant manquement de la Barbade à faire appliquer les lois environnementales pertinentes ne représentait pas une violation de ses obligations au titre du TBI. Aussi, le tribunal rejeta le recours pour expropriation.

Rejet des autres objections juridictionnelles

L’article XIII(3) du TBI prévoit une période maximale de trois ans pour la présentation d’un recours portant sur un dommage découlant d’une violation du TBI. Puisqu’Allard avait déposé la demande d’arbitrage le 21 mai 2010, la Barbade maintenait que le tribunal n’avait pas compétence sur les faits survenus avant le 21 mai 2007. Dans sa décision de 2014 sur la compétence, le tribunal avait reporté à la phase de l’examen quant au fond sa décision sur l’objection ratione temporisà sa compétence en lien avec la soi-disant mauvaise gestion de la vanne avant le 21 mai 2007. Dans sa décision de 2016, après avoir déterminé que la Barbade avait satisfait à ses obligations au titre du TBI, le tribunal considéra qu’il était inutile d’examiner les objections restantes à sa compétence.

Dans sa déclaration finale lors de l’audience, la Barbade avança que les réponses données par Allard lors du contre-interrogatoire soulevaient deux nouvelles questions juridictionnelles. Le tribunal affirma toutefois que les nouvelles objections à la compétence ne se fondaient pas sur de nouveaux faits ou circonstances, et conclut qu’elles auraient dû être soulevées avant que la décision sur la compétence ne soit rendue. 

Remarques: le tribunal de la CPA était composé de Gavan Griffith (président nommé par les co-arbitres, de nationalité australienne), d’Andrew Newcombe (nommé par le demandeur, de nationalité canadienne) et de W. Michael Reisman (nommé par le défendeur, de nationalité étasunienne). La décision du 26 juin 2016, incluant la décision du 13 juin 2014 en annexe, est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7593.pdf.

AUTEURS

Inaê Siqueira de Oliveiraest étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.

Maria Florencia Sarmiento est assistante d’enseignement et de recherche à l’Université catholique d’Argentine.

Martin Dietrich Brauch est conseiller en droit international et travaille au Brésil pour le programme Investissement étranger et développement durable à l’IISD.

Matthew Levineest avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.

Amr Arafa Hasaan est un ancien étudiant du Graduate Institute à Genève et de l’Université de Genève, et Conseiller auprès de l’autorité égyptienne des poursuites.