Un tribunal du CIRDI rejette les recours présentés contre l’Indonésie fondés sur des licences minières falsifiées
Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. la République d’Indonésie, affaire CIRDI n° ARB/12/14 et affaire CIRDI n° ARB/12/40
Après avoir rendu deux décisions distinctes sur la compétence, l’une dans l’affaire présentée par une entreprise britannique Churchill Mining PLC au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Royaume-Uni-Indonésie, et l’autre dans l’affaire présentée par l’entreprise australienne Planet Mining Pty. Ltd. au titre du TBI Australie-Indonésie, le tribunal arbitral a consolidé les deux procédures, puisque toutes deux s’appuyaient sur les mêmes faits, et a rendu une décision unique.
Les recours des deux demandeurs s’appuyaient sur le même ensemble de documents, considérés comme falsifiés par le tribunal arbitral. Celui-ci a donc déclaré tous les recours irrecevables, et ordonné aux demandeurs de payer les coûts de l’arbitrage et de rembourser à l’Indonésie 75 pour cent de ses dépenses juridiques.
Le contexte et les recours
Un groupe de sept entreprises indonésiennes – le groupe Ridlatama – a présenté le projet minier East Kutai Coal Project(EKCP) aux demandeurs, projet visant à explorer un grand dépôt de charbon dans la régence de Kutai Est en Indonésie. Les demandeurs ont investi dans EKCP en acquérant toutes les parts de PT Indonesian Coal Development (PT ICD), une entreprise enregistrée en Indonésie.
Par la suite, certaines entreprises du groupe Ridlatama ont obtenu (de manière frauduleuse comme le déterminera plus tard le tribunal) des licences minières couvrant de grandes zones d’EKCP. Ces entreprises avaient conclu des accords de nantissement des actions et de coopération avec PT ICD leur permettant de planifier, de mettre en place et de réaliser toutes les opérations minières en échange de 75 pour cent des recettes générées.
Les conflits commencèrent dès 2010. Les zones couvertes par certaines licences octroyées au groupe Ridlatama chevauchaient largement les zones couvertes par les licences octroyées à d’autres entreprises. Sur recommandation du ministère indonésien pour la Foresterie, le Régent de Kutai Est a révoqué toutes les licences octroyées aux entreprises du groupe Ridlatama.
Le groupe Ridlatama lança une procédure contre l’Indonésie devant les tribunaux nationaux, tandis que les demandeurs se sont tournés vers le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) en 2012, exigeant l’indemnisation intégrale pour l’expropriation de leur investissement.
Le droit applicable, et « l’obligation d’adopter les principes établis dans une série d’affaires cohérentes »
Puisque les TBI ne faisaient pas mention des conséquences juridiques d’une falsification, le tribunal jugea bon d’appliquer, en plus des TBI, le droit indonésien et le droit international (para. 235). S’agissant de la pertinence de décisions antérieures, le tribunal considéra que bien qu’il ne fût pas tenu par des décisions antérieures, il devait dûment les prendre en compte car il avait « l’obligation d’adopter les principes établis dans une série d’affaires cohérentes » afin de contribuer « au développement harmonieux du droit international des investissements » (para. 253).
Mécanisme frauduleux de falsification des licences minières
L’Indonésie contestait l’authenticité de 34 documents. En substance, le différend portait sur la signature apposée sur ces documents. Les registres du gouvernement montraient qu’en général, ses représentants signent les documents importants (tels que ceux liés aux licences minières) à la main, tandis que toutes les signatures figurant sur les documents contestés avaient été reproduites à la machine.
En plus du problème de la signature, plusieurs étrangetés troublantes apparaissant dans des éléments auxiliaires pointaient vers la mise en place d’un mécanisme frauduleux de fabrication de documents. Certains documents existaient en plusieurs versions, ne contenaient pas la signature ou les initiales des représentants, ou ne figuraient pas dans la base de données du gouvernement. Il n’existait aucune trace documentaire de la procédure de demande de licence, et dix jours après que le Régent de Kutai Est ait révoqué les licences octroyées aux entreprises du groupe Ridlatama, un soi-disant décret de re-promulgation déclarant les licences de nouveau valables fut émis. Cette curiosité n’a pas échappé au tribunal : « Pourquoi un gouvernement révoquerait-il une licence un jour pour la remettre en vigueur dix jours plus tard ? » (para. 441). Tout bien considéré, le tribunal arbitral « détermina qu’un mécanisme frauduleux avait infiltré les investissements des demandeurs dans EKCP » (para. 507).
S’agissant de savoir si les demandeurs avaient pris part au mécanisme frauduleux, le tribunal remarqua que les preuves pointaient « Ridlatama du doigt plutôt que les demandeurs pour ce qui est de la falsification des documents contestés » (para. 476).
Les conséquences juridiques de la falsification
Afin d’établir les conséquences juridiques de la falsification, le tribunal arbitral se tourna vers le droit international et la jurisprudence en matière d’investissements. Il examina un grand nombre d’affaires et conclut que, en fonction des circonstances de chaque affaire, la fraude pouvait affecter la compétence du tribunal (tel que dans Phoenix c. la République tchèque,Inceysa c. El Salvador et Europe Cement c. la Turquie), affecter la recevabilité des recours (tel que dans Plama c. la Bulgarie) ou être examinée à la phase de l’examen quant au fond (comme dans Cementownia c. la Turquie, Malicorp c. l’Égypte et Minnotte c. la Pologne).
S’appuyant sur les affaires Venezuela Holdings c. le Venezuela, Phoenix c. la République tchèque, Europe Cement c. la Turquie et Hamester c. le Ghana, le tribunal considéra qu’un comportement frauduleux représente un abus de droits (ou dans certaines circonstances un abus de procédure), ce qui est contraire au principe de bonne foi, car l’investisseur ne peut bénéficier de la protection d’un traité lorsque sa conduite sous-jacente est jugée abusive.
Le tribunal arbitral alla encore plus loin, observant que les affaires particulièrement graves de conduite frauduleuse, telles que WDF c. le Kenya et Metal-Tech c. Ouzbékistan, avaient été jugées contraires à la politique publique internationale. Suivant cette idée, il considéra que « les recours découlant de droits fondés sur des éléments frauduleux ou falsifiés et délibérément ou déraisonnablement ignorés par un demandeur sont irrecevables au titre du droit public international » (para. 508).
Après avoir établi la gravité d’un mécanisme frauduleux visant à falsifier des licences minières, le tribunal arbitral se demanda si un méfait commis par une tierce partie (le groupe Ridlatama) pouvait affecter les recours des investisseurs. Pour ce faire, il s’appuya sur le test proposé dans l’affaire Minnotte c. la Pologne pour évaluer si les demandeurs avaient connaissanceou auraient dû avoir connaissancedes méfaits du groupe Ridlatama.
Utilisant la norme de l’aveuglement volontaire (également appelée « ignorance délibérée »), le tribunal conclut que les demandeurs avaient fait preuve d’une absence remarquable de diligence. Selon lui, ils étaient conscients des risques liés au fait d’investir dans l’industrie charbonnière en Indonésie, qui connait un « problème endémique » de corruption, et malgré cela, n’avaient pas fait preuve de diligence raisonnable et de contrôle dans leurs tractations avec le groupe Ridlatama.
En bref, puisque le mécanisme frauduleux affectait l’entièreté de l’investissement des demandeurs, le tribunal jugea tous leurs recours irrecevables.
Les coûts
Le tribunal considéra qu’il était approprié d’adopter le principe selon lequel « les frais suivent l’issue de l’instance » et ordonna aux demandeurs de régler l’ensemble des coûts. Puisque l’Indonésie avait EU des frais juridiques (environ 12 millions USD) bien plus importants que ceux des demandeurs (4 millions USD), le tribunal arbitral ordonna aux demandeurs de payer 75 pour cent des frais juridiques de l’Indonésie.
Remarques : le tribunal arbitral était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (présidente nommée par les co-arbitres, de nationalité suisse), d’Albert Jan van den Berg (nommé par le demandeur, de nationalité néerlandaise), et de Michael Hwang (nommé par le défendeur, de nationalité singapourienne). La décision du 6 décembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7893.pdf. Les décisions sur la compétence dans les affaires Churchill Mining Plc c. l’Indonésieet Planet Mining Pty Ltd c. l’Indonésie, toutes deux datées du 24 février 2014 sont respectivement disponibles en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw3103.pdfethttp://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw3104.pdf.
Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en droit à l’Université fédérale de Rio Grande do Sul au Brésil.