Un tribunal de l’ALENA condamne le Canada à verser plus de 28 millions CAD à un développeur étasunien de sites d’éoliennes
Windstream Energy LLC c. le Gouvernement du Canada, Affaire CPA n° 2013-22
Un tribunal arbitral constitué au titre du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a atteint la phase de la décision finale. Bien qu’il ait rejeté les recours pour discrimination et pour expropriation indirecte, le tribunal a soutenu le recours pour manquement à accorder un traitement juste et équitable (TJE), et a condamné le Canada à payer des dommages-intérêts ainsi que la moitié des frais juridiques de l’investisseur, représentant un total de 28 millions CAD (environ 21,4 millions USD).
Le contexte et les recours
Le demandeur, Windstream Energy LLC(Windstream), est une entreprise enregistrée aux États-Unis, travaillant au développement d’un projet offshore de production d’électricité éolienne dans la province de l’Ontario, au Canada (le projet offshore)
En 2009, l’Ontario a mis en place un programme de tarifs de rachat garantis (TRG) lançant un appel d’offres aux producteurs indépendants d’énergie renouvelable pour la vente sur le réseau provincial. Dans le cadre de l’appel d’offres, Windstream s’est vu octroyé un contrat TRG pour le projet offshore.
Suite à plusieurs retards dans l’obtention des permis liés aux activités de développement de Windstream, l’Ontario a finalement imposé un moratoire sur les projets éoliens offshore. Le moratoire était principalement justifié par la nécessité de mener d’autres recherches scientifiques. Entre temps, les autres détenteurs de contrats TRG se sont vu offrir d’autres possibilités de participer au secteur de l’énergie propre d’Ontario, mais pas Windstream.
Windstream a lancé un arbitrage en janvier 2013, et le tribunal fut constitué en juillet 2013. Les recours de Windstream s’appuyaient principalement sur le fait que les actes de la province ne satisfaisaient pas à la norme TJE contenue dans l’ALENA, et avaient un effet équivalant à une expropriation.
Le tribunal rejette le recours pour expropriation indirecte
Selon le tribunal, le fait de déterminer si une expropriation indirecte a EU lieu est avant tout une question de preuve, il faut donc déterminer si une saisie réelle de propriété par l’État a eu lieu. Ce serait le cas même s’il n’y avait pas eu de transfert formel de titre, et même si l’État n’en avait pas tiré d’avantages économiques. Et pour déterminer si une saisie réelle a bel et bien eu lieu, il faut déterminer si l’investisseur a été substantiellement privé de la valeur de son investissement.
Après avoir examiné avec soin les preuves pertinentes, le tribunal conclut qu’en l’espèce, aucune expropriation n’avait eu lieu. Le tribunal pointa, entre autres facteurs, sur le fait que le contrat TRG était encore officiellement en vigueur et n’avait pas été unilatéralement annulé par l’Ontario, et que le dépôt de garantie de 6 millions CAD de l’investisseur existait toujours, n’avait pas été pris ou rendu nul par un acte ou un autre de la province. L’on ne pouvait donc affirmer que l’investisseur avait été privé substantiellement de son investissement.
Le tribunal détermine que l’imposition d’un moratoire était injuste et inéquitable
Les parties n’étaient pas d’accord quant au contenu de la norme minimale de traitement établie à l’article 1105(1) de l’ALENA, ni sur la manière dont le contenu de la norme devait être établi.
Selon le tribunal, c’était à chacune des parties de soutenir sa position sur le contenu auprès des autorités juridiques compétentes et avec les preuves appropriées. En principe, le contenu d’une règle du droit international coutumier, telle que la norme minimale de traitement, est déterminé au plus juste sur la base de la pratique réelle de l’État établissant une habitude démontrant également que les États ont reconnu cette pratique comme une règle de droit (opinio juris). Cependant, aucune des deux parties n’a produit ces preuves, et le tribunal dut donc s’appuyer sur des preuves indirectes pour déterminer le contenu, telles que les décisions prises par d’autres tribunaux établis au titre de l’ALENA.
En examinant les preuves indirectes présentées par les parties, le tribunal remarqua que Windstream invoquait l’élément TJE mais pas celui relatif à « la protection et la sécurité intégrales » contenus dans l’article 1105(1) de l’ALENA. Le tribunal étudia donc si les actes de l’Ontario étaient « injustes » et « inéquitables » au regard de la norme minimale de traitement du droit international coutumier, et rappela qu’il valait mieux pour cela s’appuyer sur les faits de l’affaire, plutôt que sur des concepts.
Le tribunal ne trouva rien d’injuste ou d’inéquitable dans la décision de l’Ontario d’imposer un moratoire sur les projets éoliens offshore et la procédure connexe. Il considéra que si les actes du gouvernement menant au moratoire auraient pu être plus transparents et s’il existait une opposition publique aux projets éoliens offshore, ces facteurs n’équivalaient pas à une violation de l’ALENA.
Il considéra cependant que les actes réalisés par la province après le moratoire étaient plus troublants. Selon lui, l’Ontario avait peu fait pour répondre à l’incertitude scientifique et, plus important encore, avait peu fait pour régler le flou juridique et contractuel dans lequel s’est retrouvé Windstream après l’imposition du moratoire. Le tribunal conclut que le manquement à « prendre les mesures nécessaires, notamment pour donner instructions à l’OPA (l’Ontario Power Authority, l’agence réglementaire) dans une période de temps raisonnable après l’imposition du moratoire afin de clarifier l’incertitude réglementaire entourant la situation et le développement du projet, engendrée par le moratoire, équivaut à une violation de l’article 1105(1) de l’ALENA » (para. 380).
L’évaluation des dommages se fonde sur des opérations comparables
Le tribunal détermina la méthode d’évaluation la plus appropriée compte tenu de l’étape spécifique de développement du projet. Il souligna que s’il était commun d’utiliser la méthode d’actualisation des flux de trésorerie pour évaluer les projets éoliens offshore, « elle n’est en général pas utilisée pour les projets n’étant pas financièrement clos, compte tenu des nombreux risques et incertitudes entourant de tels projets » (para. 474). En l’espèce, le tribunal considéra qu’il valait mieux évaluer le projet grâce à la méthode des opérations comparables.
Après avoir examiné les preuves relatives à des opérations comparables – des projets éoliens offshore en Europe – le tribunal nota que l’évaluation appropriée pour le projet de Windstream se situait entre 18 et 24 millions d’euros. Il pris ensuite en compte d’éventuels ajustements, mais conclut que la moyenne de cette fourchette était appropriée, soit 21 millions d’euros. Compte tenu du taux de change à la date de la décision, cela représentait 31 182 900 CAD.
Le tribunal remarqua toutefois que Windstream n’avait pas droit à l’indemnisation de la valeur totale de son investissement, qui incluait une lettre de crédit toujours valable et un contrat TRG toujours en vigueur. Le tribunal détermina ensuite qu’il fallait retirer 6 millions CAD à la valeur fixée précédemment au titre de la lettre de crédit, mais que la valeur liée à une éventuelle reprise ou renégociation du contrat TRG s’annulait à la délivrance de la décision arbitrale.
Les coûts
Le tribunal approuva et prit note de l’accord des parties sur le principe de l’article 42 du Règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) établissant que « [l]es frais d’arbitrage sont en principe à la charge de la partie qui succombe » (para. 512). Cette règle s’applique aux frais juridiques, mais pas aux frais d’arbitrage, c’est-à-dire aux coûts et aux frais du tribunal et de la Cour permanente d’arbitrage (CPA).
S’agissant de la répartition des frais juridiques, le tribunal rappela que Windstream avait eu gain de cause, et que bien qu’un seul de ses recours avait été accepté, c’était l’un des principaux. Finalement, le tribunal considéra qu’il était approprié que le Canada rembourse la moitié des frais juridiques de Windstream. S’agissant des coûts de l’arbitrage, le tribunal considéra que ceux-ci découlaient de l’accord d’arbitrage des parties, et donc qu’il était plus approprié que chacune des parties en paye la moitié.
Remarques: le tribunal était composé de Veijo Heiskanen (président nommé sur accord des parties, de nationalité finlandaise), de R. Doak Bishop(nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne), et de Bernardo Cremades (nommé par le défendeur, de nationalité espagnole). La décision finale de la CPA datée du 27 septembre 2016 est disponible en anglais sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7875.pdf.
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de l’IISD.