Un tribunal du CIRDI estime que l’Égypte manque à plusieurs dispositions du TBI entre les États-Unis et l’Égypte
Ampal-American Israel Corp. et autres c. République arabe d’Égypte, affaire CIRDI n° ARB/12/11
Après qu’il se soit reconnu compétent dans une autre décision, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a rendu une décision sur le fond, estimant que l’Égypte a manqué à plusieurs dispositions du traité bilatéral d’investissement entre les États-Unis et l’Égypte (TBI). Une autre décision sur le quantum et les coûts n’a pas encore été rendue.
Le contexte factuel et les recours
Les demandeurs sont un groupe de sociétés enregistrées aux États-Unis et étant actionnaires de l’East Mediterranean Gas Company S.A.E. (EMG), une société opérant en zone franche et enregistrée en Égypte. Le principal objectif d’EMG était d’acheter du gaz naturel à la source et de l’exporter vers Israël à l’aide d’un pipeline. En 2000, EMG et l’Egyptian General Petroleum Company (EGPC), qui est une entreprise publique, ont signé un contrat préliminaire de vente de gaz naturel. L’EGPC et EMG ont également convenu, en 2005, d’un Contrat d’Achat et de Vente de Gaz à la Source (GSPA) et d’un Contrat tripartite avec l’Egyptian Natural Gas Holding Company (EGAS), qui est également une entreprise publique. En 2006, l’Égypte a autorisé EMG à poursuivre son exploitation en vertu d’un régime privé de zone franche et, l’année suivante, a prolongé le statut fiscal d’exonération d’EMG jusqu’à 2025.
Les demandeurs ont soutenu que l’Égypte avait pris les mesures énoncées ci-après et ayant détruit leur investissement. Ainsi et en premier lieu, l’Égypte aurait révoqué, en 2008, le statut fiscal d’exonération d’EGM par la promulgation d’une nouvelle loi ; en second lieu, l’Égypte l’aurait contrainte à signer un amendement au GSPA en interrompant la livraison de gaz destinée à EMG ; en troisième lieu, et même après la signature de l’amendement, l’Égypte aurait manqué aux obligations qui lui incombaient aux termes du GSPA ; en quatrième lieu, l’Égypte n’aurait pas protégé le pipeline par rapport aux treize attaques perpétrées pendant le Printemps arabe et n’aurait donc pas livré de gaz à EMG pendant plusieurs mois ; en cinquième lieu, l’Égypte aurait fabriqué de toutes pièces les motifs fondant la résiliation du GSPA pour mettre en œuvre une politique gouvernementale visant à donner un terme à toutes les exportations destinées à Israël. Du fait de ces mesures, les demandeurs ont estimé que l’Égypte avait manqué à d’importantes dispositions du TBI, qui incluent la clause sur le traitement juste et équitable (TJE), la clause parapluie, la clause de protection et de sécurité intégrales ainsi que la clause d’expropriation.
1. L’attribution
Le tribunal a commencé par examiner la question de l’attribution. Tout d’abord, le tribunal a indiqué que la question de l’attribution n’a été examinée que pour évaluer les recours avancées par les demandeurs à l’encontre de l’Égypte afin de dénoncer la violation du TBI, en se fondant sur les actions ou omissions d’EGPC/EGAS.
Les demandeurs ont estimé que le comportement d’EGPC/EGAS pourrait être attribué à l’Égypte en vertu des articles 4, 5, 6, 8 et 11 du projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État (articles de la CDI). L’Égypte, quant à elle, a estimé que les articles de la CDI n’offraient aucun fondement à cette attribution.
Le tribunal a accordé gain de cause aux demandeurs et a conclu que l’EGPC et l’EGAS sont des organes de l’État au sens de l’article 4 des articles de la CDI. Le tribunal a basé sa décision sur des preuves relevant du droit égyptien, qui stipule que l’EGPC est une autorité publique et contrôlée par le ministère du Pétrole. Des preuves similaires ont été trouvées au sujet d’EGAS, qui est une entreprise exclusivement détenue par EGPC et présidée par le ministre du Pétrole. Le tribunal a également estimé que les agissements d’EGPC/EGAS pourraient être attribués à l’Égypte en vertu de l’article 8 des articles de la CDI car ces dernières sont toujours intervenues d’une manière encadrée et contrôlée par l’Égypte. En dernier lieu, le tribunal a estimé que l’État égyptien a, en vertu de l’article 11 des articles de la CDI, repris à son compte les agissements d’EGPC/EGAS car il a ratifié la résiliation du GSPA.
2. Expropriation opérée par la révocation de la licence d’exonération fiscale
Le tribunal s’est tout d’abord penché sur le point de savoir si, en vertu du TBI, la licence d’exonération fiscale constituait un investissement. Il a conclu, en s’appuyant sur la formulation du TBI, que la licence était un investissement. Le tribunal a ensuite affirmé que la révocation constituait une appropriation directe des investissements réalisés par les demandeurs et que l’implantation d’EMG dans le système de la zone franche était un élément fondamental de la structure économique de l’investissement. Il a ainsi conclu que la révocation de l’exonération fiscale équivalait à une expropriation. Le tribunal a déclaré que l’expropriation respectait certaines des conditions de l’expropriation posées par le TBI, comme celles sur l’objet public et le traitement non discriminatoire. Cependant, elle n’a pas respecté celles sur l’indemnisation rapide et adéquate.
Les demandeurs ont également soutenu qu’EMG aurait conservé son statut de société en zone franche après 2025 et ont demandé une indemnisation pour la période courant après cette année-là. L’Égypte a jugé ce recours spéculatif. Le tribunal a donné raison à l’Égypte et a rejeté ce recours.
3. Rejet du recours sur la signature du premier amendement
Le tribunal a estimé que les demandeurs n’ont pas prouvé qu’ils ont été contraints à signer le premier amendement. Au contraire, il a estimé qu’il était dans l’intérêt des demandeurs de négocier et signer un amendement au GSPA.
4. Défauts de livraison pendant la période courant du premier avenant au GSPA au début du Printemps arabe
Le tribunal a affirmé que, selon lui, l’Égypte n’a pas manqué à ses engagements pendant cette période et a rejeté le recours par lequel les demandeurs auraient subi un préjudice.
5. Défauts de livraison pendant la période courant du début du Printemps arabe à la résiliation du GSPA
Les demandeurs ont soutenu qu’en omettant de prendre des mesures nécessaires à la prévention des attaques perpétrées, l’Égypte a manqué à la clause de protection et de sécurité intégrales stipulée par le TBI. L’Égypte a, quant à elle, soutenu que ces attaques constituaient un cas de force majeure prévu par le GSPA.
En précisant que sa compétence lui est attribuée par le TBI, le tribunal a indiqué qu’il devait appliquer la norme prévue par le TBI et non pas une norme contractuelle (force majeure). En se basant sur des décisions antérieures, le tribunal a estimé que le devoir attribué à l’État d’accueil par la norme internationale ne s’accompagnait pas d’une responsabilité stricte, mais d’une obligation de moyens en vertu de laquelle il devait protéger l’investissement réalisé par l’investisseur.
Le tribunal a également noté qu’une autre juridiction – qui était saisie d’un arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) sur des questions contractuelles à l’égard desquelles EMG, EGPC, EGAS et Israel Electric Corporation (IEC) étaient parties – avait prononcé une sentence définitive. Le tribunal a estimé qu’il était fondé à se référer aux conclusions de la juridiction compétente en matière contractuelle et à se baser sur ces dernières, à la condition que la sentence ait autorité de la chose jugée à l’égard des parties. Dans la mesure où les demandeurs n’étaient pas parties à l’arbitrage de la CCI, le tribunal s’est appuyé sur les décisions rendues dans les affaires RSM c. Grenada et Apotex Holdings c. États-Unis pour conclure que les demandeurs avaient des liens d’intérêts avec EMG et que l’Égypte en avait avec EGPC et EGAS. En conséquence, le tribunal a estimé que les conclusions présentées par le tribunal de la CCI, qui avaient une pertinence par rapport aux prétentions avancées devant ce tribunal, avaient l’effet de la res judicata entre les parties à cette procédure.
Sur le fondement des constatations de fait réalisées par l’arbitrage de la CCI et de son propre examen des preuves soumises sur les mêmes éléments factuels, le tribunal a conclu que l’Égypte n’avait pas pris de mesures matérielles pour placer l’investissement des demandeurs à l’abri des dommages causés par les attaques contre le pipeline. Ce point est notamment révélé par un rapport technique de juillet 2011 (5ème attaque) concernant EGPC/EGAS. En conséquence, le fait pour l’Égypte de ne pas avoir pris de mesure pour placer l’investissement des demandeurs à l’abri de la 5ème attaque a constitué un manquement à l’obligation de moyens que l’Égypte devait exercer pour assurer la protection et la sécurité intégrales de l’investissement des demandeurs.
6. Résiliation du GSPA
Le tribunal a d’abord analysé la résiliation du GSPA et indiqué que sa violation n’était examinée que pour déterminer si le TBI avait été violé. Afin de trancher cette question, le tribunal a tenu compte de la décision du tribunal de la CCI, qui a estimé que la résiliation du GSPA par EGAS était illicite, et a également tenu compte de son propre examen des preuves présentées. Le tribunal a conclu que la résiliation du GSPA par EGPC/EGAS était fautive.
Le tribunal est ensuite passé à l’étude du point de savoir si la résiliation fautive du GSPA a constitué une expropriation illicite en vertu du TBI. À cet égard, le tribunal a d’abord déterminé si les droits conférés aux demandeurs par le GSPA constituaient un investissement protégé par le TBI. En s’appuyant sur la formulation du TBI, le tribunal a déclaré que les intérêts de propriété dont les demandeurs sont titulaires conformément au GSPA représentaient un investissement protégé par le TBI. Le tribunal a ensuite procédé à l’étude des conditions posées par le TBI sur l’expropriation (l’objet public, la procédure équitable, l’absence de discriminations ainsi que l’indemnisation rapide et adéquate) et a estimé qu’aucune des conditions n’avait été respectée. Par conséquent, le tribunal a déclaré qu’en procédant à la résiliation illicite du contrat, l’Égypte a illicitement exproprié les intérêts de propriété dont les demandeurs sont titulaires dans le GSPA.
Remarques : Le tribunal était composé de L. Yves Fortier (président, de nationalité canadienne), Francisco Orrego Vicuña (désigné par les demandeurs, de nationalité chilienne) et Campbell McLachlan (désigné par le défendeur, de nationalité néo-zélandaise). La sentence datée du 21 février 2016 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8487.pdf. La décision sur la compétence datée de 21 février 2016 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw7310.pdf.
Claudia Maria Arietti Lopez est une juriste paraguayenne et titulaire d’un LL.M. en Affaires internationales, réglementation et arbitrage de la faculté de droit de l’université de New York.