Le TBI 2016 Maroc-Nigéria : Une importante contribution à la réforme des traités d’investissement

Le 3 décembre 2016, le Maroc et le Nigéria ont signé l’un des traités d’investissement bilatéraux (TBI) les plus innovants et les plus équitables jamais conclus. Bien qu’il ne soit pas encore entré en vigueur, le TBI est une réponse importante de deux pays en développement aux critiques formulées au cours des dernières années à l’égard des traités d’investissement, dont les plus importantes concernent leur contenu déséquilibré, les restrictions des pouvoirs réglementaires et les insuffisances de l’arbitrage d’investissement.

1. Contexte

Au cours des dernières décennies, l’Afrique a joué le rôle de laboratoire normatif pour les traités d’investissement[1]. Plusieurs organisations sous-régionales, y compris le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe (COMESA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) ont préparé des modèles et ont conclu des traités d’investissement prévoyant des dispositions largement innovantes visant à mieux définir la protection juridique des intérêts des différentes parties prenantes. Cependant, parallèlement, les gouvernements africains – ainsi que les pays d’autres continents – sont devenus plus réticents à ratifier de nouveaux TBI et ont même dénoncé plusieurs TBI en cours. En outre, les États africains ont hésité à adopter le Code panafricain des investissements (PAIC) sous la forme d’un traité contraignant et, en 2016, les Membres de la SADC ont adopté un amendement au Protocole sur les finances et l’investissement en supprimant les dispositions relatives au ­­règlement des différends investisseur-État (RDIE).

Dans ce contexte, le TBI Maroc-Nigéria est une tentative remarquable de deux pays en développement de rapprocher les traités d’investissement de l’évolution récente du droit international. Les quatre références au développement durable contenues dans le préambule annoncent d’emblée le principal objectif du traité. La définition de l’investissement figurant à l’article 1(3) exige en outre que les investissements contribuent au développement durable, et l’article 24(1) prévoit que les investisseurs « devraient s’efforcer de contribuer au maximum au développement durable de l’État hôte et de la communauté locale ».

Du point de vue institutionnel, le traité établit un Comité mixte composé de représentants des deux Parties. Leurs responsabilités sont les suivantes :

(a) contrôler la mise en œuvre et l’exécution du traité (notamment en facilitant l’échange d’informations et, le cas échéant, en établissant des normes de gouvernance d’entreprise).

(b) débattre et partager les opportunités d’expansion de l’investissement mutuel.

(c) promouvoir la participation du secteur privé et de la société civile.

(d) s’efforcer de résoudre à l’amiable les problèmes ou les différends concernant l’investissement des Parties.

2. Normes de protection

La définition de l’investissement figurant à l’article 1(3) du traité s’inspire de la décision Salini[2] et implique, outre la contribution au développement durable, les obligations suivantes : l’engagement du capital, la recherche de bénéfices, l’hypothèse de risque et une certaine durée. La définition de l’investissement exclut, qui plus est, les investissements de portefeuille.

Tout en assurant un niveau substantiel de protection, comparable à celui traditionnellement prévu par les TBI, le traité précise clairement les obligations de l’État hôte. En commençant par les normes contingentes, la norme de traitement national s’applique dans des circonstances similaires, précisées dans la liste non exhaustive figurant à l’article 6(3). En vertu de l’article 7, les investisseurs ont droit à une norme minimale en matière de traitement (NMT) garantie en vertu du droit international coutumier. La même disposition précise en outre que le traitement juste et équitable (TJE) comprend « l’interdiction de pratiquer le déni de la justice dans les procédures judiciaires, civiles ou administratives conformément au principe des droits de la défense consacré par les principaux systèmes juridiques d’une Partie », alors que la pleine protection et sécurité font référence au « niveau de protection policière requis en vertu du droit international coutumier ». Les autres dispositions de fond, y compris celles relatives à l’expropriation, au transfert de fonds et à la subrogation, reflètent largement la pratique consolidée dans le cadre des TBI.

3. Obligations des investisseurs étrangers

Le traité prévoit une série d’obligations à l’endroit des investisseurs. Ces derniers doivent se conformer aux processus d’examen préalable et d’évaluation sur le plan environnemental, conformément aux lois de l’État hôte ou de l’État d’origine, la loi la plus stricte étant retenue, ainsi qu’à une évaluation d’impact social fondée sur les normes convenues au sein du Comité mixte (articles 14(1) et 14 (2)).

Une fois établis, les investisseurs :

  • doivent appliquer – au sein de l’État hôte – le principe de précaution (article 14 (3)).
  • doivent maintenir un système de gestion de l’environnement et respecter les droits de l’homme conformément aux normes fondamentales en matière de travail et d’environnement, ainsi qu’aux obligations en matière de droits de travail et de droits de l’homme de l’État hôte ou de l’État d’accueil (article 18),
  • s’interdisent de se livrer aux pratiques de corruption ou d’en être complice,
  • doivent respecter ou dépasser les normes de gouvernance d’entreprise acceptées au niveau national et international (article 19).
  • doivent respecter un haut niveau des pratiques socialement responsables et appliquer la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale (article 24).

4. Pouvoirs réglementaires

Le TBI porte sur les restrictions perçues comme excessivement restrictives, imposées par certains traités d’investissement en matière de pouvoir réglementaire de l’État hôte en reconnaissant le droit des parties d’exercer leur pouvoir discrétionnaire en matière de réglementation, de conformité, d’enquête et de poursuites et de prendre des décisions en matière d’allocation de ressources à d’autres questions environnementales considérées comme plus prioritaires » (article 13(2)). Par ailleurs, aucune disposition du traité ne les empêche d’adopter, de maintenir ou d’appliquer, de manière non discriminatoire, toute mesure autrement compatible avec le traité qu’ils jugent appropriée pour garantir que l’activité d’investissement sur leur territoire s’effectue d’une manière plus respectueuse de l’environnement et des préoccupations sociales (article 13(4)).

5. Dispositions procédurales

Le traité prévoit un règlement obligatoire des litiges entre un investisseur et un État et (article 27) et entre deux États (article 28). S’agissant de la première catégorie, l’article 27 garantit aux investisseurs – et aux investisseurs seulement – l’accès à l’arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou d’un tribunal spécial conformément aux règles de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) ou à toute autre règle.

Le traité prévoit également une approche innovante, mais, comme on le verra ci-après, plutôt problématique, selon laquelle, avant d’engager la procédure arbitrale, « tout différend entre les Parties sera évalué dans le cadre des consultations et des négociations par le Comité mixte » sur demande écrite de l’État de l’investisseur concerné (articles 26(1) et 26(2)). Les représentants de l’investisseur et de l’État hôte (ou d’autres autorités compétentes) participent, dans la mesure du possible, à la « réunion bilatérale » (article 26.2). La procédure prend fin à la demande de « toute Partie » et à la suite de l’adoption par le Comité mixte d’un rapport récapitulatif de la position des « Parties ». Si le litige n’est pas réglé dans un délai de six mois, l’investisseur peut recourir à un arbitrage international après avoir épuisé les recours internes (article 26 (5)).

Le TBI prévoit que la procédure arbitrale doit être transparente. En particulier, l’avis d’arbitrage, les plaidoiries, les mémoires, les conclusions soumis au tribunal, les observations écrites, les procès-verbaux des transcriptions des audiences, des ordonnances, des sentences arbitrales et des décisions du tribunal doivent être mis à la disposition du public (article 10(5)) .

Enfin, le traité met en œuvre une nouvelle disposition sur la responsabilité des investisseurs qui « seront soumis à des poursuites en responsabilité civile dans le cadre des procédures judiciaires de leur État d’accueil pour les actes ou décisions rendus en relation avec l’investissement lorsque de tels actes ou décisions causent des dommages importants, des blessures corporelles ou conduisent au décès dans l’état d’accueil » (article 20).

6. Évaluation préliminaire du traité

Les dispositions au fond du traité reprennent en substance celles habituellement prévues par les TBI. On peut s’attendre à ce que les précisions relatives aux « circonstances similaires » aux fins du traitement national facilitent l’interprétation et l’application de la norme. La référence à la réalisation d’un investissement et l’exercice d’une activité commerciale dans le cadre de la clause de la nation la plus favorisée (NPF) exclut vraisemblablement l’application de la norme aux dispositions procédurales, bien qu’une explication expresse en ce sens serait opportune. La disposition sur la NMT traduit l’approche prudente des Parties qui tracent une frontière entre le TJE et assimilent la pleine protection et sécurité à la protection policière.

L’importance du traité repose sur quatre éléments principaux, en grande partie innovants.

Tout d’abord, le traité restaure l’équilibre de la protection accordée aux investisseurs par une série d’obligations en matière de réalisation des investissements. Sans être totalement novatrices,[3] ces obligations – en particulier celles liées à l’évaluation de l’impact environnemental et social, aux droits de l’homme, à la corruption et à la gouvernance et la responsabilité d’entreprise – augmentent considérablement la légitimité du traité.

Deuxièmement, le traité protège efficacement la marge de manœuvre politique de l’État hôte. En particulier, en ce qui concerne les mesures environnementales et sociales, il convient de noter que leur adoption dépend du jugement de bonne foi de l’État hôte sans que le critère de nécessité soit applicable. On s’attend donc à ce que les tribunaux arbitraux fassent preuve d’une grande déférence à l’égard de l’action de l’État hôte.

Le traité n’autorise pas les États à recourir à l’arbitrage international contre des investisseurs ; peut-être plus étonnamment, il reste silencieux à la fois sur les demandes reconventionnelles et [4] les soumissions de la partie non contestante.[5] La troisième innovation, en ce qui concerne le règlement des différends, est la participation singulière et plutôt ambiguë du Comité mixte au règlement pacifique des différends. L’article 26 porte sur les litiges entre investisseurs et les États, mais fait référence aux « litiges entre les parties » et « une solution entre les parties », sans davantage de précisions. En outre, il n’indique pas quelle est la position de l’investisseur dans l’ensemble de l’exercice au-delà de la participation «dans la mesure du possible » dans la « réunion bilatérale » du Comité mixte. Il ne définit pas, qui plus est, la nature et l’importance juridique de l’évaluation du différend, ni le sens des « consultations et des négociations ».

L’article 26 efface la distinction entre les rôles et les positions des États et des investisseurs. Il met à mal l’essence du règlement des différends opposant un investisseur à l’État, à savoir, leur protection contre les considérations politiques, les risques et la pression. Le simple fait que la procédure prévue à l’article 26 soit initiée par l’État national est discutable et peut soulever plusieurs questions, concernant, notamment, la compétence des tribunaux arbitraux en vertu de l’article 27.

La dernière innovation est la clause sur la responsabilité de l’investisseur devant les tribunaux de l’État d’origine, qui peut avoir un impact considérable sur les litiges nationaux impliquant des investisseurs, en particulier les sociétés multinationales, tout en permettant de surmonter les obstacles juridictionnels et, plus particulièrement, la doctrine forum non conveniens. Cette démarche peut être considérée comme une importante avancée sur le plan de la conduite responsable des investissements, de la réparation des actes illicites et du rôle de l’État d’origine.

7. Conclusion

Le Maroc et le Nigéria ont témoigné leur confiance dans le TBI en tant qu’instrument visant à favoriser des investissements viables d’un point de vue économique, social et environnemental. Le traité offre une protection aux investisseurs sans compromettre la capacité de l’État hôte à s’acquitter de ses responsabilités. Il comporte également plusieurs dispositions novatrices qui redéfinissent la protection juridique des intérêts de toutes les parties prenantes.

En matière de procédure, la disposition sur la responsabilité des investisseurs devant les tribunaux de l’État d’origine est une avancée importante. Le libellé des dispositions relatives à la participation du Comité mixte au règlement des différends, soulève, au contraire, plusieurs questions que les Parties peuvent envisager d’examiner dans le cadre d’un échange de courriers, d’un protocole ou par tout autre moyen à leur convenance.


Auteur

Tarcisio Gazzini est professeur de droit à l’Université de East Anglia. Cet article est inspiré de l’article intitulé « Nigeria and Morocco Move Towards a “New Generation” of Bilateral Investment Treaties » publié sur EJIL Talk! en mai 2017, http://www.ejiltalk.org.


Notes

[1] Voir Schill, S. W. & Mbengue, M. M. (Eds.). (2017). L’Afrique et la réforme du régime d’investissement international [Numéro spécial]. Journal of World Investment & Trade, 18(3). Tiré de http://booksandjournals.brillonline.com/content/journals/22119000/18/3.

[2] Salini Costruttori S.p.A. et Italstrade S.p.A c. Maroc, Affaire CIRDI No. ARB/00/4, Décision sur la compétence, 23 juillet 2001, para. 52. Tiré de https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/ita0738.pdf.

[3] Voir, par exemple, l’Acte complémentaire A/SA.3/12/08 portant adoption
des règles communautaires en matière d’investissement et les modalités de leur mise en œuvre de la CEDEAO du 19 décembre 2008. Tiré de http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Download/TreatyFile/3266.

[4] Voir, par exemple, Gouvernement de la République d’Inde. (2015, décembre). Modèle de texte du traité d’investissement bilatéral indien, article 14.11. Tiré de http://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/3560.

[5] Voir, par exemple, le Traité entre les États-Unis d’Amérique et le Gouvernement de la République du Rwanda relatif à l’encouragement et à la protection réciproque des investissements, 19 février 2008, article 28(2). Tiré de http://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/2241.