L’espace réglementaire gouvernemental dans l’ombre des TBI : l’exemple de la réforme par la Tanzanie de sa réglementation en matière de ressources naturelles

Introduction

Le secteur des ressources naturelles de Tanzanie a connu une année 2017 riche en événements. Le développement le plus important a EU lieu en juillet, lorsque la Tanzanie a adopté trois nouvelles lois qui changent en profondeur le paysage réglementaire applicable aux ressources naturelles et au secteur minier en particulier :

  • Loi sur la richesse et les ressources naturelles (Souveraineté permanente)[1]
  • Loi sur les contrats portant sur la richesse et les ressources naturelles (Examen et renégociation des conditions déraisonnables)[2]
  • Loi sur les lois écrites (Amendements divers)[3]

Ces lois, qui ont été signées par le président tanzanien et sont maintenant entrées en vigueur, introduisent des changements qui soulèvent des questions au sujet de leur relation avec les Traités bilatéraux d’investissement (TBI) du pays. La Tanzanie a des TBI en vigueur avec onze pays – l’Allemagne, le Canada, la Chine, le Danemark, la Finlande, l’Italie, Maurice, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse.[4] À l’instar de nombreux autres pays africains, la Tanzanie a conclu ces accords dans le but d’attirer les investisseurs étrangers.

Pourtant, un sentiment prévaut notamment dans le secteur minier, selon lequel les investisseurs étrangers abusent du système juridique. Compte tenu des conclusions d’un audit mené à la demande du président tanzanien au début de 2017, le gouvernement a notamment accusé les entreprises minières de ne divulguer que partiellement leurs exportations de métaux précieux – entrainant une interdiction de ces exportations en mai 2017. Le gouvernement tanzanien est engagé dans un différend fiscal connexe avec Acacia Mining Plc, qui vient de déposer une notification d’arbitrage. Dans ce contexte politique tendu, certains appellent même la Tanzanie à se retirer du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) et de l’Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA).[5] Le présent article offre un aperçu des principaux changements introduits par ces nouvelles lois et cherche à évaluer l’impact de ces changements, notamment sur les arbitrages en matière d’investissement au titre des TBI tanzaniens.

La réforme par la Tanzanie de sa réglementation nationale en matière de ressources naturelles

La loi sur la souveraineté permanente réaffirme la souveraineté permanente du pays sur les ressources naturelles en exigeant qu’elles soient exploitées de manière à bénéficier à la population tanzanienne. La loi sur l’examen et la renégociation des conditions déraisonnables permet de réviser les accords portant sur les ressources naturelles et prévoit la renégociation et le retrait potentiel des conditions « déraisonnables » inclues dans ces accords. Finalement, la loi sur les amendements divers introduit plusieurs amendements à la loi minière tanzanienne. Ces trois lois constituent une première étape dans la modification de diverses lois touchant aux ressources naturelles, notamment les questions de l’assurance, les impôts sur le revenu et la gestion des impôts. Les paragraphes suivants analysent les principales dispositions incluses dans ces trois lois.

1. La reconnaissance du principe de souveraineté permanente sur la richesse et les ressources naturelles

Les préambules de la loi sur la souveraineté permanente et de la loi sur l’examen et la renégociation des conditions déraisonnables reconnaissent le principe de souveraineté permanente tel qu’exprimé dans la Résolution 1803 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 14 décembre 1962. La loi sur la souveraineté permanente donne à la population tanzanienne le droit à la souveraineté permanente sur toute richesse et ressources naturelles, détenues en « fiducie » par le président tanzanien. Entre autres choses, la souveraineté permanente :

  • Rend illégaux les accords portant sur les ressources naturelles pour leur exploration, exploitation ou acquisition et utilisation, conclus sans l’approbation du parlement, et exige que ces activités protègent les intérêts de la population tanzanienne.[6]
  • Garantie des retombées pour l’économie locale.[7]
  • Exige que toutes les autorisations soient données pour veiller à ce que le gouvernement obtienne une part « équitable » des projets.[8]
  • Permet au parlement d’examiner tous les accords dans le cadre de ses fonctions constitutionnelles exécutives.[9]
  • Exige des investisseurs dans le secteur minier de participer activement à la croissance de l’économie tanzanienne. Les détenteurs de droits miniers sont notamment désormais tenus de réinvestir une partie de leurs bénéfices en vue d’accroitre la performance économique de la Tanzanie et devront démontrer ces efforts dans le cadre des bénéfices annuels.

2. L’interdiction des exportations de matières premières et de la valorisation en-dehors de la Tanzanie

Certaines dispositions de la loi sur la souveraineté permanente ont reçu une grande attention de la part du secteur minier, notamment les interdictions d’exporter les ressources naturelles brutes et de valoriser les matières premières en-dehors du pays.[10] Les investisseurs sont maintenant tenus de s’engager à créer des installations de valorisation dans le pays.

Ce qui est remarquable, c’est que la loi sur la souveraineté permanente définit les ressources et la richesse naturelles comme suit :

toute matière ou substance se trouvant dans la nature telle que le sol, le sous-sol, les ressources gazières et hydriques, ainsi que la flore, la faune, les ressources génétiques, les ressources aquatiques, les micro-organismes, l’espace aérien, les rivières, les lacs et l’espace maritime, y compris les eaux territoriales et le plateau continental tanzaniens, les ressources biologiques et non-biologiques se trouvant dans la Zone économique exclusive pouvant être extraite, exploitée ou acquise et utilisée en vue d’obtenir des gains économiques, qu’elle soit transformée ou non.[11]

Cette disposition pourrait s’appliquer à de nombreux secteurs, notamment l’agriculture, la pêche, le pétrole et le gaz, la foresterie, l’électricité, etc. Elle semble orientée vers le développement d’infrastructures qui font actuellement défaut en Tanzanie. Son impact dépendra des réglementations qui détailleront la manière dont elle sera appliquée.

3. Une prise de distance à l’égard du règlement international des différends

Le Règlement des différends investisseur-État (RDIE) par le biais de l’arbitrage international faisait traditionnellement partie des mécanismes tanzaniens de règlement des différends. La loi nationale 131 de promotion des investissements, de 2009, prévoit l’arbitrage international sous l’égide du CIRDI ou au titre du Règlement d’arbitrage de la Conférence des Nations Unies sur le droit commercial international (CNUDCI).[12] La Tanzanie est partie à la Convention du CIRDI ainsi qu’à la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères de 1958. En outre, tous les TBI signés par la Tanzanie offrent une forme ou une autre de RDIE.

S’écartant largement de la pratique actuelle, la loi sur la souveraineté permanente précise que la richesse et les ressources naturelles ne peuvent plus être assujetties aux tribunaux et procédures étrangers. Les différends relatifs à leur extraction, exploitation ou acquisition et utilisation doivent être tranchés par des tribunaux ou instances en Tanzanie et au titre de la loi tanzanienne. Les investisseurs étrangers peuvent encore tenter de contourner le recours obligatoire aux tribunaux nationaux en présentant des recours à l’arbitrage international sur la base des TBI du pays contenant des dispositions RDIE. Pour garantir l’efficacité de la nouvelle mesure exigeant que les différends soient tranchés par les tribunaux tanzaniens, la Tanzanie pourrait envisager de revoir certaines de ses anciennes lois nationales ainsi que ses TBI pour garantir leur cohérence avec la loi sur la souveraineté nationale.

4. La renégociation des « conditions déraisonnables » dans tous les accords portant sur les ressources naturelles et l’interdiction des clauses de stabilisation dans le secteur minier

Afin de garantir la souveraineté permanente, la loi sur l’examen et la renégociation des conditions déraisonnables exige du parlement tanzanien qu’il examine et renégocie tous les accords contenant des conditions déraisonnables.[13] La loi définit les « conditions déraisonnables » dans le contexte de la richesse et des ressources naturelles comme des conditions contraires à la « bonne conscience » et qui pourraient compromettre ou qui compromettent la population tanzanienne si elles sont mises en œuvre.

Dans ce contexte, les dispositions pouvant être perçues comme déraisonnables sont notamment celles qui restreignent le droit de l’État d’exercer sa pleine souveraineté permanente ou d’exercer son autorité sur les investissements étrangers, celles qui sont inéquitables ou coûteuses pour l’État, celles qui restreignent une révision périodique, celles qui garantissent un traitement différentiel visant à créer des régimes juridiques distincts pour certains investisseurs, celles qui privent la population tanzanienne de gains économiques, celles qui assujettissent l’État à la compétence de lois et d’instances étrangères, et finalement celles qui sapent les mesures de protection environnementales. Afin de garantir l’équité, c’est au parlement que revient le rôle de déterminer si les conditions des accords relèvent de cette liste. Ce processus vise à rectifier les contrats antérieurs à la loi et portant préjudice aux intérêts de la population tanzanienne.

En outre, la loi sur les amendements divers, qui amende la loi minière, limite la portée de l’utilisation des clauses de stabilité (qui entrainent le gel des lois ou renonciation de souveraineté) dans l’industrie extractive, et interdit les clauses de stabilité censées s’appliquer tout au long de la durée de vie d’une mine.[14] Au titre de la nouvelle loi, si ces clauses de stabilité sont négociées, elles doivent être spécifiques, limitées dans le temps, fondées sur un équilibre économique et permettre la renégociation occasionnelle. En outre, les clauses de stabilité spécifiques relatives aux dépenses fiscales du gouvernement (en d’autres termes, la valeur des incitations fiscales garanties en faveur d’une entreprise minière) doivent préciser le montant des dépenses fiscales ainsi que la manière dont l’entreprise compensera le gouvernement. Ces dispositions donnent donc lieu à un retour vers le gouvernement de toutes les incitations fiscales qui ont fait l’objet de stabilisation, par exemple en convertissant ce montant en parts dans l’entreprise minière.

5. Le gouvernement est actionnaire de toutes les entreprises minières

Finalement, les nouveaux amendements à la loi minière exigent du gouvernement tanzanien qu’il détienne une participation passive gratuite minimale de 16 % et non-diluable dans le capital de toute entreprise détenant une licence minière ordinaire ou spéciale. En outre, le gouvernement tanzanien peut également acquérir une participation maximale de 50 % et non-diluable dans le capital de l’entreprise minière, équivalant aux incitations fiscales dont l’entreprise bénéficie.[15]

Conclusion

En Afrique, beaucoup considèrent les TBI comme étant unilatéralement en faveur des investisseurs, et comme un outil entravant les pouvoirs de l’État de promulguer des politiques sociales et environnementales fortes. Comme d’autres pays africains, la Tanzanie repense actuellement sa réglementation des investissements étrangers pour veiller à ce que ceux-ci bénéficient à la population.

La Tanzanie, comme de nombreux autres pays, a pour objectifs politique et juridique de promouvoir un investissement durable pour le plus grand bénéfice des populations locales. Cette transition vers des politiques plus axées sur le développement durable sera longue, et exigera l’élaboration et la prise en compte de toute une série de facteurs, notamment par exemple l’évaluation des capacités manufacturières d’un pays tel que la Tanzanie.

La Tanzanie se trouve incontestablement au cœur d’un processus de réforme complexe et politiquement sensible, qui relance l’éternelle question des ressources naturelles. À l’ère des TBI, quel sera son impact sur les aspirations de la Tanzanie en matière de réforme réglementaire, et comment le gouvernement peut-il veiller au mieux à ce que son réseau de TBI n’entrave pas ces réformes tant nécessaires ? D’un point de vue africain, il est temps de repenser nos régimes de TBI, notamment dans le contexte de leurs effets sur l’espace réglementaire des États.


Auteur

Magalie Masamba est une juriste spécialisée au sein de l’équipe d’appui des partenariats public-privé de la Banque mondiale en Tanzanie, et doctorante en droit financier internationale à l’unité internationale de développement du droit du Centre pour les droits humains de l’Université de Pretoria, en Afrique du Sud.

Les vues exprimées dans cet article sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles du Groupe de la Banque mondiale.


Notes

[1]République unie de Tanzanie (2017). Loi sur la richesse et les ressources naturelles (Souveraineté permanente), tirée de http://www.tcme.or.tz/uploads/NATURAL_WEALTH_AND_RESOURCES__PERMANENT_SOVEREIGNITY__ACT_2017.pdf

[2]République unie de Tanzanie (2017). Loi sur les contrats portant sur la richesse et les ressources naturelles (Examen et renégociation des conditions déraisonnables), tirée de http://www.tcme.or.tz/uploads/NATURAL_WEALTH_AND_RESOURCES__REVIEW_AND_RE-NEGOTIATION_OF_UNCONSCIONABLE_TERMS__ACT_2017.pdf

[3]République unie de Tanzanie (2017). Loi sur les lois écrites (Amendements divers), tirée dehttp://www.tcme.or.tz/uploads/WRITTEN_LAWS__MISCELLANEOUS_AMENDMENTS__ACT_no__7_of_2017.pdf

[4]Conférence des Nations Unies sur le droits commercial international (CNUCED), Investment Policy Hub, République unie de Tanzanie, tiré dehttp://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/IIA/CountryBits/222

[5]Kamndaya, S. (2017, juillet). Hard Choices on Mining, The Citizen, tiré de http://www.thecitizen.co.tz/News/Hard-choices-on-mining/1840340-3996244-123bau7z/index.html

[6]Section 6(1) de la loi sur la souveraineté permanente.

[7]Section 7 de la loi sur la souveraineté permanente.

[8]Section 8 de la loi sur la souveraineté permanente.

[9]Section 4 de la loi sur l’examen et la renégociation des conditions déraisonnables.

[10]Section 9(1) de la loi sur la souveraineté permanente.

[11]Section 3 de la loi sur la souveraineté permanente.

[12]http://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/1996

[13]Section 12 de la loi sur la souveraineté permanente.

[14]Section 100E de la loi minière, telle qu’amendée.

[15]Section 10(1) et (2) de la loi minière, telle qu’amendée.