Un tribunal du CIRDI affirme sa compétence dans une affaire entre une entreprise chinoise de travaux publics et le Yémen
Beijing Urban Construction Group Co. Ltd. c. la République du Yémen, Affaire CIRDI n° ARB/14/30
Un tribunal arbitral constitué au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Chine-Yémen a rendu sa décision sur la compétence, acceptant que l’entreprise publique demanderesse poursuive la procédure d’arbitrage auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
Le contexte et les recours
Le demandeur, Beijing Urban Construction Group Co. Ltd. (BUCG), est une entreprise à 100 % publique, instituée au titre de la législation chinoise.
Depuis plusieurs dizaines d’années, le Yémen et des bailleurs de fonds internationaux œuvrent pour l’amélioration des installations de l’aéroport international de Sana’a. En 2006, BUCG a conclu un contrat avec l’autorité yéménite de l’aviation civile et de la météorologie (CAMA) en vue de construire un nouveau terminal à l’aéroport de la capitale yéménite.
BUCG affirme qu’en juillet 2009, le Yémen a fait appel à ses forces militaires et de sécurité pour attaquer et arrêter les employés de BUCG et leur interdire l’accès par la force au site de construction. Plus tard, d’après BUCG, le Yémen a utilisé cet incident comme excuse pour faire résilier le contrat de BUCG par la CAMA.
Dans sa demande d’arbitrage de 2014 et dans ses communications postérieures auprès du tribunal, BUCG prétend avoir été expropriée en violation de l’article 4 du TBI.
Les parties en désaccord sur le fait qu’une entreprise publique puisse être qualifiée d’investisseur
La Convention du CIRDI offre une enceinte pour le règlement des différends relatifs aux investissements présentés par des investisseurs étrangers contre les États hôtes, à l’exclusion des différends entre États. Toutefois, la Convention ne mentionne pas spécifiquement le statut des entreprises publiques telles que BUCG.
Le Yémen argua que l’article 25(1) de la Convention du CIRDI, qui fait référence au « ressortissant d’un autre État contractant », excluait BUCG pour deux raisons essentielles : BUCG était sous la direction et le contrôle du gouvernement chinois au moment où elle réalisait ses opérations, et BUCG était habilitée à exercer certains éléments de l’autorité gouvernementale en Chine.
Le Yémen argua en outre que, au titre de la législation chinoise, les entreprises publiques agissent effectivement sous la direction et le contrôle du gouvernement chinois et du Parti communiste chinois (PCC), et que cela signifiait que le gouvernement chinois était l’ultime décisionnaire s’agissant des décisions opérationnelles, de direction et stratégiques. Pour appuyer sa position, le Yémen mentionna certaines caractéristiques de la loi chinoise applicables aux entreprises publiques en général, et à BUCG en particulier.
BUCG rétorqua que pour savoir si elle était considérée comme un investisseur au titre de l’article 25(1), son statut devait être examiné dans le contexte spécifique de l’investissement qui a donné lieu au différend. Elle argua que son investissement au Yémen avait été réalisé alors qu’elle agissait comme une entreprise commerciale, après avoir pris part à un appel d’offre concurrentiel, et n’impliquait pas l’exercice de pouvoirs gouvernementaux ou public. D’après l’entreprise, les liens structurels avec le gouvernement et les fonctions publiques chinoises en Chine n’entraient pas en ligne de compte dans son statut en tant qu’investisseur auprès du CIRDI.
Le tribunal affirme sa compétence à l’égard de l’entreprise publique chinoise
Le tribunal convint avec BUCG que la question juridique pertinente était de savoir si « BUCG agit en tant qu’agent de l’État dans le contexte spécifique des faits » (para. 39). Selon lui, les éléments en l’espèce n’établissaient pas que « lors de la construction d’un terminal aéroportuaire au Yémen, BUCG agissait en tant qu’agent de l’État chinois, quel que soit le sens du terme « agent » » (para. 39).
À cet égard, le tribunal trouva particulièrement pertinent que « BUCG ait participé au projet de l’aéroport en tant qu’entrepreneur principal suite à une appel d’offre public en concurrence avec d’autres entrepreneurs. Son offre a été choisie sur la base de ses mérites commerciaux. Son contrat a été résilié, d’après le Yémen, non pour une quelconque raison liée aux décisions ou politiques de la RPC, mais du fait de l’incapacité de BUCG de réaliser ses services commerciaux sur le site de l’aéroport d’une manière commercialement acceptable » (para. 40).
Le tribunal conclut en outre que « l’affirmation selon laquelle « l’État chinois est l’ultime décisionnaire » pour ce qui concerne BUCG est trop éloignée du contexte du projet de l’aéroport international de Sana’a pour être pertinente » (para. 43).
Le tribunal accepte sa compétence sur les recours en expropriation tant pour la responsabilité que pour l’indemnisation
À l’instar d’autres traités négociés par la Chine avant 1998, le TBI envisage, à l’article 10, l’arbitrage auprès du CIRDI pour « tous les différends portant sur le montant de l’indemnisation en cas d’expropriation ».
Le Yémen argua que la compétence du tribunal se limitait aux différends portant sur le calcul du « montant de l’indemnisation » lorsque la responsabilité de l’État hôte est établie. À l’inverse, BUCG plaida pour une large interprétation incluant l’évaluation de la responsabilité et de l’indemnisation. L’entreprise argua que le tribunal ne pouvait examiner la question du montant sans trancher la question de la responsabilité.
Le tribunal accepta la position de BUCG et conclut que l’article 10 autorisait un investisseur à présenter un recours en expropriation portant sur les deux questions de la responsabilité et du montant. À cet égard, le tribunal détermina que le sens ordinaire des termes « montant de l’indemnisation » n’appuyait avec certitude aucune des positions des parties. Puisque le sens ordinaire du TBI n’était pas catégorique, le tribunal se tourna vers l’interprétation du contexte, de l’objet et du but du TBI.
L’objection du Yémen selon laquelle les recours sont purement contractuels est rejetée
En dernier lieu, le tribunal examina l’objection du Yémen selon laquelle le recours de BUCG était purement contractuel et donc assujetti à la compétence exclusive en vertu de son contrat avec la CAMA. Aussi, le Yémen argua que le tribunal n’avait pas compétence.
BUCG rétorqua que ses recours relevaient du TBI et n’étaient pas simplement contractuels. Selon le demandeur, le tribunal devait appliquer un test prima facie aux faits présentés par le demandeur dans sa communication initiale, faits qui démontraient que ses recours étaient susceptibles de constituer des violations du TBI.
Le tribunal conclut qu’en effet il n’avait pas compétence pour juger les recours et demandes reconventionnelles mises en avant par les parties sur la base d’obligations contractuelles. Il ne pouvait qu’examiner la réparation à laquelle le demandeur pouvait ou non prétendre au titre du TBI. Le tribunal détermina ensuite qu’il avait compétence sur les recours de BUCG dans la mesure où ils relevaient du TBI, ce qu’il examinerait pendant la phase de l’examen quant au fond.
Remarques : le tribunal était composé de Ian Binnie (Président nommé par les parties, de nationalité canadienne), de John Townsend (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne), et de Zachary Douglas (nommé par le défendeur, de nationalité australienne). La décision sur la compétence du 31 mai 2017 est disponible sur http://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8968.pdf.https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw8968.pdf
Matthew Levine est avocat au Canada et contributeur du programme Investissement étranger et développement durable de IISD.