Le Kazakhstan est reconnu coupable d’expropriation de l’investissement de la famille Hourani dans une deuxième procédure auprès du CIRDI

Caratube International Oil Company LLP et Devincci Salah Hourani c. la République du Kazakhstan, Affaire CIRDI n° ARB/13/13

La majorité d’un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) a accordé 39,2 millions USD plus intérêts à Caratube International Oil Company LLP (Caratube) suite à l’expropriation de ses droits contractuels pétroliers par le Kazakhstan.

Le contexte et les recours

Les demandeurs étaient Caratube et son actionnaire majoritaire, M. Devincci Salah Hourani, un ressortissant étasunien. Le différend découlait d’un contrat d’exploration et de production pétrolière conclu entre le ministère kazakh de l’Énergie et des Ressources minières et Consolidated Contractors (CCC) en 2002. Après quelques mois, CCC attribua les contrats à Caratube. Le contrat prévoyait une phase d’exploration de cinq ans (pouvant être étendue à deux reprises) puis une phase de production. La phase d’exploration a été étendue une fois, en 2007.

Suite à une recommandation du bureau du procureur, le ministère adressa des notifications de violation de contrat à Caratube puis résilia unilatéralement le contrat en janvier 2008. Le Kazakhstan alléguait que la résiliation s’expliquait par l’incapacité de Caratube de mener à bien des travaux essentiels d’exploration, équivalant à des violations substantielles. Les demandeurs alléguaient que la résiliation et les faits de harcèlement qui s’ensuivirent étaient politiquement motivés par la brouille entre le président du Kazakhstan et M. Rakhat Aliyev, un associé de la famille Hourani.

Le différend donna lieu à plusieurs procédures. L’affaire CIRDI Caratube I au titre du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Kazakhstan-États-Unis a été rejetée pour absence de compétence, puis admise lors d’une procédure d’annulation. En l’espèce, les recours portant sur l’expropriation, le Traitement juste et équitable (TJE), la protection et la sécurité intégrales entre autres, s’appuyaient sur le contrat, qui inclut une clause relative à l’arbitrage, ainsi que sur la loi kazakh relative à l’investissement étranger (LIE), qui contient des protections substantives.

Le tribunal rejette les objections du Kazakhstan à la compétence

En premier lieu, le Kazakhstan argua que Caratube avait commis un abus de procédure en distinguant et en présentant des recours répétitifs, qui auraient dû être présentés dans le cadre de Caratube I. Le tribunal détermina que le lancement de diverses procédures en soi n’est pas abusif. Même si les demandeurs auraient pu présenter ces recours plus tôt, ce manquement n’était pas motivé par la mauvaise foi. Le tribunal accepta le fait que les demandeurs avaient un intérêt stratégique légitime à ne pas présenter de recours inutiles dans le cadre de Caratube I et conclut donc qu’ils n’avaient pas atteint le niveau élevé de preuves requis pour l’abus de procédure.

Ensuite, le Kazakhstan affirma que les recours étaient purement contractuels, et donc régis par les délais de prescription kazakhs. Il argua donc que les recours avaient expiré en 2013, et que Caratube I n’avait pas interrompu le délai de prescription puisque la compétence avait été rejetée. Les demandeurs affirmèrent que leurs recours n’étaient pas assujettis aux délais de prescription contenus dans le droit national compte tenu de leur nature internationale. Le tribunal détermina que Caratube avait agi avec diligence en lançant la première procédure puis la procédure d’annulation. Il conclut que le fait de punir une partie diligente qui avait agi raisonnablement pour des motifs manifestement pas infondés était contraire au principe international de prescription.

Troisièmement, le Kazakhstan argua que du fait que la question avait déjà été jugée (« issue preclusion » ou « collateral estoppel »)) et de l’exception d’autorité de la chose jugée (res judicata), les recours étaient irrecevables.

Le Kazakhstan argua que les recours présentés avaient été jugés par le tribunal de Caratube I. Les demandeurs rétorquèrent que le tribunal de Caratube I avait rejeté sa compétence uniquement sur la base du TBI. Le tribunal raisonna que, pour que l’exception de « collatéral estoppel » opère, les questions devaient être identiques et essentielles au dispositif de la sentence précédente. Il trouva que le tribunal de Caratube I n’avait en réalité pas examiné toutes les questions de compétence, et que celles sur lesquelles il s’était prononcé n’étaient pas identiques aux questions abordées en l’espèce. Selon le tribunal, la décision sur la compétence de Caratube I dépendait de l’instrument donnant le consentement – à savoir le TBI – qui était différent en l’espèce.

De la même manière, il rejeta l’objection res judicata, qui exige une identité d’objet (la réparation demandée) et de cause (les fondements juridiques) entre les procédures. Le tribunal rappela que le fondement juridique invoqué dans Caratube I était le TBI, par rapport au contrat et à la LIE en l’espèce. Il conclut donc que les recours n’étaient pas identiques.

Caratube est un investisseur tel que défini à l’article 25(2)(b) de la Convention du CIRDI

La Convention du CIRDI exige des parties qu’elles consentent à soumettre leurs différends à l’arbitrage. En outre, l’article 25(2)(b) relatif aux personnes morales exige de l’État hôte qu’il traite les filiales locales contrôlées par des sociétés étrangères comme des ressortissants d’un autre État contractant. Le Kazakhstan argua que Caratube ne satisfaisait pas à ces critères.

S’agissant de l’obligation de traiter l’investisseur comme un ressortissant d’un autre État contractant, le tribunal conclut que, au titre du contrat, les parties convinrent que le « contractant » serait traité comme un ressortissant étranger aux fins de la Convention du CIRDI. Le Kazakhstan argua que cette disposition s’appliquait à CCC, le prédécesseur de Caratube, mais pas à Caratube, puisqu’il s’agissait d’une entreprise kazakhe qui s’était simplement vue attribuer le contrat. Le tribunal rejeta cet argument, concluant qu’il n’y avait pas de raison de traiter Caratube différemment, compte tenu notamment du fait que le Kazakhstan avait approuvé l’attribution du contrat.

S’agissant de l’obligation de contrôle étranger, la question était de savoir si cela signifiait le contrôle effectif ou le contrôle formel (légal). Le Kazakhstan argua que M. Hourani ne contrôlait pas effectivement Caratube et donc qu’il n’y avait pas de contrôle étranger. Le tribunal estima que la Convention du CIRDI n’exige pas le contrôle effectif et que le Kazakhstan n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle Caratube, étant majoritairement détenue par un ressortissant étranger, était sous contrôle étranger.

S’agissant de l’exigence de consentement, le tribunal détermina que le Kazakhstan avait donné son consentement au moment de conclure le contrat avec CCC et plus tard en acceptant l’attribution. Le tribunal rejeta l’argument selon lequel le consentement couvrait les recours fondés sur le contrat, mais pas ceux fondés sur la LIE. Il convint avec les demandeurs que les protections substantives de la LIE étaient incluses dans le contrat.

Caratube avait réalisé des investissements

Le contrat stipule que toutes les transactions envisagées dans son cadre « seront réputées constituer un investissement au sens de la compétence du CIRDI » (para. 630). Toutefois, le Kazakhstan argua que l’investissement avait une définition objective qui ne pouvait être étendu par accord. Le tribunal rejeta cet argument et affirma qu’un accord portant sur l’existence d’un investissement empêche les parties de contester plus tard la compétence du CIRDI sur la base de l’absence présumée d’un investissement. Il considéra qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves de l’usage abusif de la nationalité étasunienne dans le but d’accéder à l’arbitrage.

Le tribunal n’a pas compétence sur les recours de M. Hourani

Le tribunal détermina qu’il n’avait pas compétence sur les recours de M. Hourani, compte tenu que le seul instrument potentiellement disponible et donnant le consentement, la LIE, avait été abrogée en 2003, plus d’un an avant son acquisition des parts dans Caratube.

Le Kazakhstan a illégalement exproprié les droits contractuels existants de Caratube

Caratube argua que le contrat avait été résilié illégalement du fait de motivations politiques alors que le Kazakhstan affirmait que la résiliation s’expliquait par des violations substantielles. Le tribunal définit l’expropriation comme (i) la privation substantielle et déraisonnable de droits existants, (ii) pendant une certaine durée et (iii) causée par un acte souverain de l’État hôte (para. 825). Il suivit ainsi le standard juridique de la LIE, qui reflète les normes du droit international coutumier en matière d’expropriation.

La majorité détermina que Caratube n’avait pas découvert de nouveaux dépôts pétroliers commerciaux et n’avait donc pas de droits acquis de passer à la phase de la production. Toutefois, elle affirma que Caratube avait quand même des droits au titre de la phase d’exploration ainsi que la possibilité de satisfaire les exigences permettant de passer à la phase de production. Selon le tribunal, Caratube avait le droit de produire des résultats jusqu’à la fin de la première période d’extension et la possibilité de demander une deuxième extension. En outre, il détermina que le Kazakhstan n’avait pas réussi à démontrer que les manquements de Caratube étaient des violations substantielles, et qu’il n’avait pas adressé une notification adéquate de manquement.

Notant que l’investissement ne valait rien sans le contrat, et que la privation était de nature permanente sans lien avec un intérêt public et avait été réalisée sans le versement d’une indemnisation, la majorité conclut que le Kazakhstan avait illégalement exproprié l’investissement de Caratube.

Le tribunal détermina également que l’intervention du bureau du procureur par l’envoi de « recommandations » au ministère démontrait la nature souveraine de ces actes. Il ne trouva aucune preuve d’autorité ou d’expériences précédentes d’une telle intervention par le bureau du procureur. Bien que la majorité ne trouva pas de preuves du harcèlement soi-disant politique, il conclut que la coïncidence surprenante entre la résiliation du contrat et la brouille de la famille Hourani avec l’État démontrait que le motif réel de ces actes relevait d’un contexte familial et politique.

Concluant que le Kazakhstan avait exproprié l’investissement, le tribunal considéra qu’il n’était pas nécessaire de trancher les recours portant sur d’autres violations.

Le tribunal rejette toutes les demandes de dommages à l’exception des coûts de l’investissement irrécupérable plus intérêt

Le tribunal rejeta la demande des demandeurs portant sur les gains et opportunités manqués, affirmant que ces deux demandes étaient incertaines et spéculatives. Il rejeta également les recours pour torts moraux fondés sur les faits de harcèlement présumé menant à des traitements humiliant et à la perte de réputation car les demandeurs n’avaient pas satisfait à la charge de la preuve.

La majorité accorda l’indemnisation des coûts irrécupérables de l’investissement à hauteur de 39,2 millions USD plus intérêts, calculés depuis la résiliation de janvier 2008 au taux LIBOR plus 2 points, composés semi annuellement. Chacune des parties a dû payer ses propres frais juridiques, et la moitié des frais de l’arbitrage.

L’opinion divergente

L’arbitre nommé par le Kazakhstan, Jacques Salès, n’était pas d’accord avec les conclusions du tribunal sur l’expropriation. Selon lui, l’étude sismique soumise par les demandeurs ne permettait pas d’affirmer avec certitude la présence de réserves pétrolières. En outre, il affirma que la conduite du procureur était admissible puisqu’il faisait son travail consistant à faire respecter la loi. Il considéra également qu’une notification suffisante avait été adressée.

Remarques : le tribunal était composé de Laurent Lévy (président, nommé par les parties, de nationalité suisso-brésilienne), de Laurent Aynès (nommé par les demandeurs, de nationalité française) et de Jacques Salès (nommé par le défendeur, de nationalité française). La sentence est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9324.pdf.

Mintewab Abebe est étudiante à la Faculté de droit de l’Université de New York et stagiaire boursier « International Finance and Development » au programme Investissement pour le développement durable de IISD.