Les recours relatifs à l’énergie solaire présentés par des investisseurs allemands contre la Tchéquie sont rejetés

Jürgen Wirtgen, Stefan Wirtgen, Gisela Wirtgen et JSW Solar (zwei) GmbH & Co. KG c. la République Tchèque, Affaire CPA n° 2014-03

Dans un différend portant sur le secteur de l’énergie solaire de la République Tchèque, la majorité d’un tribunal arbitral sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) a rejeté tous les recours présentés au titre du traité bilatéral d’investissement (TBI) Allemagne-Tchécoslovaquie dans une décision datée du 11 octobre 2017.

Le contexte et les recours

Les recours ont été présentés par trois membres de la famille Wirtgen (Wirtgen) et leur entreprise JSW Solar (zwei) GmbH & Co. KG (JSW Solar). En 2009 et 2010, les demandeurs avaient investis dans trois centrales photovoltaïques solaires en Tchéquie. Afin d’encourager la production d’électricité provenant de sources renouvelables d’énergie, la Tchéquie mit en place un mécanisme d’appui en deux parties offrant les mesures incitatives d’un tarif de rachat garanti, à l’origine pour 15 ans, puis pour 20 ans, ainsi que des mesures fiscales, notamment des exemptions fiscales à long-terme et des périodes de dépréciation raccourcies. Selon Wirtgen et JSW Solar, leur décision d’investir se fondait sur les garanties et mesures incitatives explicites du mécanisme d’appui.

En 2009 et 2010, la Tchéquie a amendé le mécanisme d’appui, pour tenir compte de la chute des coûts des panneaux solaires, qui s’est traduite en super profits pour les producteurs d’énergie solaire et en l’explosion du marché du solaire. Selon le pays, ces bénéfices excédaient le taux de retour originellement pris en compte par le mécanisme d’appui. Les amendements incluaient une taxe de 26 pour cent sur l’énergie solaire, le retrait des exemptions fiscales et le rallongement de la période de dépréciation.

Les membres du parlement tchèque ont demandé le retrait de la taxe sur l’énergie solaire auprès de la Cour constitutionnelle tchèque, qui conclut qu’en dépit de ces mesures, une centrale respectant les paramètres techniques pourrait obtenir le remboursement simple des dépenses en capital. Les demandeurs lancèrent alors l’arbitrage, arguant que le cadre juridique pertinent contenait un engagement de stabilité et que les amendements apportés violaient leurs attentes légitimes, garanties au titre des clauses du Traitement juste et équitable (TJE), de sécurité et protection intégrales et parapluie du TBI.

Deux objections juridictionnelles contre JSW Solar sont rejetées par le tribunal

La République tchèque s’opposa à la compétence du tribunal, arguant que le demandeur JSW Solar n’était pas un investisseur au sens du TBI, ni une « personne morale », et n’avait donc pas de personnalité juridique au sens de la loi allemande. Les demandeurs rétorquèrent que l’expression « personne morale » devait être interprétée de manière autonome, sans référence à la législation nationale.

Le tribunal conclut que l’expression « personne morale » avait un sens autonome car les parties au TBI n’avaient pas fait référence à la législation nationale au moment de la définir. En outre, le tribunal considéra qu’une entité pouvant investir, conclure des contrats, acquérir des propriétés, poursuivre et être poursuivie en justice en son nom propre satisfaisait les critères de la personne morale même si elle n’avait pas de personnalité juridique au titre de la législation nationale.

La Commission européenne souleva une autre série d’objections. Elle présenta un dossier d’amicus curiae arguant que « la conclusion du Traité d’accession de la République tchèque à l’Union européenne impliquait la résiliation du TBI au titre de l’Article 59 de la [Convention de Vienne sur le droit des traités] » (para. 241). Le tribunal rejeta cet argument. Il détermina que les TBI intra-Union européenne demeuraient valables, notamment du fait que le Traité de Lisbonne et le TBI n’avaient pas le même objet. Par exemple, le droit européen n’inclut pas de mécanisme pour le règlement des différends investisseur-État (RDIE) et ne contient pas de garantie TJE. Le tribunal considéra également que la Commission européenne n’avait pas réussi à démontrer que la compétence de l’Union européenne sur l’investissement étranger direct couvrait le même objet que le TBI (para. 265).

La majorité affirme qu’aucun engagement spécifique n’a été donné aux demandeurs, et donc qu’il n’y a pas violation du TJE

Wirtgen et JSW Solar affirmaient qu’en abrogeant les incitations fiscales et en imposant une taxe sur l’énergie solaire, la Tchéquie violait deux éléments de l’article 2(1) du TBI, qui exige des États qu’ils protègent les attentes légitimes des investisseurs, et qu’ils ne leurs nuisent pas de manière délibérée.

Selon les demandeurs, la taxe sur l’énergie solaire réduisait de facto le tarif de rachat garanti du montant de la taxe, et en violation de leurs attentes légitimes. Ils affirmaient également que la Tchéquie s’était engagée à ne pas modifier les mesures fiscales pendant toute la durée de vie des centrales. La Tchéquie rétorqua qu’aucun engagement spécifique n’avait été pris et que le tarif de rachat garanti restait inchangé malgré la taxe sur l’énergie solaire.

La majorité considéra que les obligations TJE sont violées lorsque les attentes objectivement raisonnables d’un investisseur au moment de réaliser l’investissement sont violées. Il remarqua toutefois que, en l’absence d’un engagement de stabilité, les investisseurs « ne peuvent s’attendre à ce que les lois de l’État hôte ne changent pas » (para. 408). Pour déterminer si l’investisseur avait une attente légitime de stabilité, il faut examiner la forme, le fond et la clarté de la promesse supposée.

Après avoir évalué le contexte et les circonstances pertinents, la majorité du tribunal conclut qu’il n’existait pas de garantie en soi et dans l’abstrait d’un niveau de prix absolu du tarif de rachat garanti, fixé indépendamment des garanties d’un remboursement des dépenses en capital et d’un retour annuel sur investissement. Au contraire, la Tchéquie offrait un niveau de revenu par le biais d’un mécanisme de rachat garanti pour les producteurs d’énergie solaire qui respectaient des critères techniques et économiques. Elle conclut également que même après l’introduction des mesures, les demandeurs avaient continué de recevoir un niveau de revenu garantissant le remboursement des dépenses en capital et un retour sur investissement pendant 15 (puis 20) ans. Puisque les garanties offertes par la Tchéquie étaient toujours respectées, la majorité conclut qu’il ne pouvait y avoir de violation des attentes légitimes. Elle examina également d’autres documents sur lesquels les demandeurs se seraient fondés, et conclut que contrairement aux allégations des demandeurs, aucun ne garantissait de revenus fixes.

S’agissant de l’abrogation des exemptions fiscales et du rallongement de la période de dépréciation, la majorité conclut que la Tchéquie n’avait pas offert de garanties que l’exemption s’appliquerait pendant toute la durée de vie des centrales, ni promis que les panneaux solaires seraient dépréciés sur une période de temps spécifique. En outre, la majorité considéra que la Tchéquie n’avait pas offert de garanties que les mesures incitatives ne seraient pas modifiées.

La majorité rejeta les allégations selon lesquelles la République tchèque avait délibérément nui en attirant des investisseurs sur la base de garanties qu’elle a révoqué une fois les investissements réalisés. Elle ne trouva aucun élément attestant que le mécanisme d’appui avait été conçu pour encourager l’investissement « étranger ». En outre, elle conclut que les mesures n’étaient pas abusives ou injustifiées, mais prises en vue de réaliser des objectifs légitimes de protection de la population tchèque contre des coûts de l’électricité déraisonnablement élevés. Le tribunal détermina également que les mesures avaient été conçues pour limiter les effets aux seuls investisseurs ayant bénéficié de l’explosion du marché du solaire.

Pas de violation de la norme de protection et sécurité intégrales ou de la clause parapluie

La majorité détermina que puisque la Tchéquie n’avait pas offert les garanties avancées par les demandeurs, elle n’avait pas violé son obligation d’offrir une sécurité juridique. De la même manière, le recours des demandeurs portant sur la clause parapluie ne pouvait aboutir car ils ne pouvaient pas démontrer que la Tchéquie avait une obligation de garantir un tarif de rachat fixe ou de maintenir les mesures incitatives fiscales.

La décision et les coûts

Ayant rejeté tous les recours, la majorité ordonna à chacune des parties de payer ses propres frais juridiques et la moitié des coûts de l’arbitrage.

L’opinion divergente de l’arbitre Gary Born

Gary Born, l’arbitre nommé par les demandeurs, n’était pas du tout d’accord avec la décision de la majorité. Selon lui, la Tchéquie avait légalement garanti, de manière claire et sans équivoque, un tarif de rachat fixe pour toute la durée de l’investissement et les demandeurs avaient fondé leur investissement sur cette garantie. Il affirmait que l’interprétation de la majorité équivalait à réécrire les lois tchèques très claires, ainsi qu’à saper l’état de droit et la capacité de la Tchéquie à apporter des garanties législatives significatives.

Remarques : le tribunal était composé de Gabrielle Kaufmann-Kohler (arbitre-présidente nommée par les parties sur la base d’une proposition des co-arbitres, de nationalité suisse), de Gary Born (nommé par le demandeur, de nationalité étasunienne) et de Peter Tomka (nommé par le défendeur, de nationalité slovaque). La sentence est publiée en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9498.pdf et l’opinion divergente est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9499.pdf.

Mintewab Abebe est une juriste éthiopienne et est titulaire  d’un Master de droit (LL.M) de la Faculté de droit de l’Université de New York.