Les objections du Kosovo à la compétence contre les recours d’un investisseur allemand sont retenues
ACP Axos Capital GMBH c. la République du Kosovo, Affaire CIRDI n° ARB/15/22
Dans une décision du 3 mai 2018, un tribunal du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) rejetait les recours présentés par l’entreprise allemande ACP Axos Capital GMBH (Axos) contre le Kosovo après l’annulation par le pays de l’appel d’offre et de la vente de 75 pour cents des parts du service des Postes et télécommunications du Kosovo (PTK). Le tribunal détermina qu’il n’avait pas compétence au motif qu’il n’existait aucun contrat valide entre Axos et le Kosovo au titre de la législation kosovare.
Le contexte factuel et les recours
Après son indépendance en 2008, le Kosovo décida en 2011 de privatiser l’autorité étatique des postes et communications, PTK, et créa à cet effet un Comité gouvernemental de privatisation (CGP) chargé de lancer l’appel d’offre et de vendre 75 pour cents des parts de PTK. Le Kosovo lança ensuite une invitation publique à prendre part à l’appel d’offre. En réponse à cette invitation, un consortium d’entreprises comprenant Columbia Capital V LLC (Columbia) et Axos, présenta une soumission et fut l’un des cinq soumissionnaires préqualifiés.
En septembre 2012, les soumissionnaires préqualifiés reçurent les Instructions à l’intention des soumissionnaires (IIS) ainsi que des projets de documents relatifs à la transaction, notamment la Convention d’achat d’actions (CAA) qui devait être signée pour que l’appel d’offre et la vente soient conclus. En décembre 2012, Columbia annonça qu’elle se retirait du consortium, et Axos devint ainsi la principale entreprise du consortium, avant d’être rejointe par Najafi Companies, LLC (Najafi).
Le 3 avril 2013, le consortium Axos/Najafi présenta une soumission pour l’achat des parts de PTK. Le 18 avril 2013, les consultants dans la transaction informèrent Axos par courrier que le consortium serait classé au premier rang. La semaine suivante, Najafi se retira du consortium.
Au cours de l’été 2013, Axos chercha à négocier les termes des documents relatifs à la transaction, et se dit préoccupée par les résultats financiers de PTK. Le Kosovo refusa d’amender une quelconque partie des documents relatifs à la transaction, mais assura Axos quant à son engagement envers le succès du processus de privatisation. Le CGP demanda par la suite à l’Assemblée kosovare d’examiner un rapport détaillant le processus de privatisation de PTK. Après un examen de plusieurs mois par l’Assemblée et la prorogation de la date de signature, l’Assemblée ne réussit pas à obtenir le quorum sur le rapport de privatisation.
Le 30 décembre 2013 étant la date limite pour la signature de la CAA, le CGP détermina qu’il ne disposait d’aucune base juridique pour reporter encore la date de la signature. Aussi, il décida d’annuler le processus de privatisation de PTK, et donc la transaction avec Axos.
Le 30 janvier 2014, Axos notifia au Kosovo son intention de lancer un arbitrage, arguant que le Kosovo avait exproprié l’investissement d’Axos et manqué à son obligation de lui accorder un Traitement juste et équitable (TJE), avait compromis son investissement en prenant des mesures arbitraires et manqué à ses obligations vis-à-vis d’Axos, en violation du Traité bilatéral d’investissement (TBI) Allemagne-Yougoslavie.
Le Kosovo conteste la compétence du tribunal : pas d’investissement protégé
Le Kosovo argua que le tribunal n’avait pas compétence puisque l’entreprise n’avait ni établi d’investissement protégé au sens de l’article 1(1) du TBI, ni réalisé un investissement au sens de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (la Convention du CIRDI).
Axos rétorqua qu’un contrat valide portant sur la vente des parts de PTK avait été conclu sur la base des échanges entre le Kosovo et Axos en avril 2013. Axos argua que l’existence d’un tel contrat constituait un investissement au titre du TBI, et donc que le tribunal avait compétence.
Pas d’offre ou d’acceptation au titre de la loi kosovare
Afin de déterminer l’existence d’un contrat valable pour la vente des parts entre Axos et le Kosovo, le tribunal examina en premier lieu l’argument d’Axos selon lequel la soumission du 3 avril 2013 constituait une offre au sens de la Loi kosovare sur les obligations. Remarquant que la soumission avait été réalisée conformément aux IIS, qui indiquaient clairement que la soumission ne constituait pas une offre pour l’acquisition des parts de PTK, le tribunal conclut que la soumission n’était qu’une simple offre dans le but d’être retenu comme « soumissionnaire », mais pas une offre pour la conclusion d’un contrat pour la vente des parts.
Le tribunal analysa ensuite l’argument d’Axos selon lequel le courrier du 18 avril 2013 adressé au consortium par le Kosovo, informant Axos de son classement au premier rang, constituait une acceptation de l’offre, créant ainsi un contrat entre les deux parties. Le tribunal considéra que le courrier n’était guère plus qu’une indication selon laquelle le consortium était le soumissionnaire retenu. Il conclut qu’il fallait, après avoir sélectionné le soumissionnaire retenu, signer la CAA, et que le courrier adressé par le Kosovo ne constituait pas une acceptation de conclure un contrat pour la vente des parts.
Le demandeur ne peut se prévaloir de droits qu’il ne détient pas
Le tribunal détermina en outre que puisque la soumission avait été réalisée par le consortium, tout droit détenu par un soumissionnaire retenu appartenait au consortium Axos/Najafi. Aussi, puisque Najafi avait quitté le consortium, Axos ne disposait pas de la capacité d’exercer unilatéralement ces droits en tant que soumissionnaire retenu puisque rien n’indiquait qu’Axos avait légalement hérité des droits.
Le droit inconditionnel du Kosovo d’annuler la privatisation de PTK
Suite à son analyse, le tribunal conclut que, conformément aux termes des IIS, le Kosovo avait le droit inconditionnel d’annuler le processus de privatisation de PTK à tout moment avant la date de la signature, sans indemnisation des soumissionnaires. Le tribunal estima que, puisqu’il n’existait pas de contrat, le Kosovo pouvait légitimement annuler l’appel d’offre jusqu’à la dernière minute avant la signature des documents relatifs à la transaction.
Les prescriptions du droit public kosovar ne sont pas satisfaites
Le Kosovo argua que même s’il existait un accord entre le consortium et le Kosovo, celui-ci n’était pas valable puisqu’il n’avait pas été exécuté conformément à la Loi kosovare sur les Partenariats public-privé (PPP). En effet, celle-ci exige que le représentant habilité de la partie privée et le plus haut représentant de l’État (en l’espèce, le ministre présidant le CGP) signent l’accord. Le tribunal estima qu’en l’absence de signature du ministre, il n’existait pas de contrat valable.
La conduite du demandeur confirme qu’aucun accord contraignant n’a été conclu
Finalement, à l’heure de déterminer si Axos et le Kosovo avaient conclu un accord contraignant valide, le tribunal analysa également la conduite des parties après la sélection de la soumission retenue. Il conclut que si Axos avait pensé qu’il existait un accord contraignant, elle aurait immédiatement signé ou offert de signer les documents relatifs à la transaction. Au lieu de cela, Axos tenta de renégocier les termes de ces documents et ne proposa de les signer que plusieurs mois plus tard. Aussi, le tribunal conclut que la conduite d’Axos ne suggérait pas qu’un accord contraignant avait été conclu.
Pas de compétence sur les recours d’Axos ; le Kosovo se voit rembourser la totalité de ses frais
Compte tenu de ses conclusions qu’il n’existait pas de contrat valide entre Axos et le Kosovo pour la vente des parts de PTK, le tribunal conclut qu’il n’existait aucun investissement au sens de l’article 1(1) du TBI et donc qu’il n’avait pas compétence sur le différend. Puisque le Kosovo avait EU gain de cause, le tribunal décida qu’Axos payerait l’ensemble des frais de l’arbitrage ainsi que les frais et dépenses juridiques raisonnables du Kosovo, et ordonna à l’entreprise de verser 1 713 349,90 USD et 132 446,20 EUR au Kosovo.
Remarques : le tribunal était composé de Philippe Pinsolle (président nommé par le Secrétaire-général du CIRDI, de nationalité franco-helvétique), de Michael Feit (nommé par le demandeur, de nationalité israélo-helvétique) et de J. Christopher Thomas (nommé par le défendeur, de nationalité canadienne). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9648.pdf
Kirrin Hough est une juriste étasunienne basée à Washington, D.C., aux États-Unis.