La République tchèque repousse un autre recours portant sur son mécanisme relatif aux énergies renouvelables
Antaris Solar GmbH et Dr. Michael Göde c. la République tchèque, Affaire CPA n° 2014-01
Dans une décision du 2 mai 2018, un tribunal constitué sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage rejetait les recours d’investisseurs allemands dans le secteur des énergies renouvelables relatifs à la violation de la protection et la sécurité intégrales (PSI) et du TJE au titre du TCE et du TBI Allemagne-Tchécoslovaquie de 1992.
Le contexte et les recours
Entrée en vigueur le 1er août 2005, la loi tchèque 180/2005 (loi de promotion) visait à promouvoir l’usage de systèmes à base d’énergie renouvelable ainsi qu’à accroitre la part de l’électricité produite à partir de sources renouvelables. Conformément à la section 6 de cette loi, la République tchèque offrait aux investisseurs un tarif minimum de rachat garanti pour les sources d’énergie renouvelable pendant 15 ans à partir de la date de mise en service des dites sources. Plus tard, l’office tchèque pour l’énergie renouvelable (ERO) porta cette période à 20 ans.
Après l’entrée en vigueur de la loi, l’ERO réalisa, à l’étranger et dans le pays, des exposés garantissant les prix minimums fixés par la loi pour 15 (puis 20) ans.
Dans les années suivantes, compte tenu de la popularité du programme ainsi que des coûts à la baisse de la production photovoltaïque, les représentants tchèques craignirent une augmentation des coûts de l’électricité pour les ménages et les entreprises. Aussi, le 14 décembre 2010, la Tchéquie promulgua la loi 402/2010 qui imposait un taxe de 26 pour cents sur les tarifs de rachat garantis et de 28 pour cents sur les subventions vertes. Le 1er janvier 2011, la loi 330/2010 mit un terme à toutes les mesures incitatives liées aux centrales photovoltaïques générant plus de 30 kWc mises en services après le 1er mars 2011.
Le 8 mai 2013, Antaris Solar GmbH et Dr. Michael Göde, ainsi que huit autres demandeurs, lancèrent un arbitrage contre la Tchéquie. Ils arguaient que le pays avait violé ses obligations tant au titre du TCE que du TBI en faisant marche arrière sur les mesures économiques incitatives prévues à l’origine dans le but d’attirer les investisseurs dans le secteur de la génération d’électricité photovoltaïque.
Le tribunal rejette l’objection à la compétence fondée sur l’exemption fiscale du TCE
La Tchéquie argua que le tribunal n’avait pas compétence sur les recours des demandeurs présentés au titre du TCE car la taxe sur l’énergie solaire et les amendements successifs à la loi de promotion étaient des mesures fiscales au titre du droit tchèque, et en tant que tel, étaient donc exclues grâce à l’exemption fiscale contenue à l’article 21 du TCE.
Les demandeurs rétorquèrent en invoquant l’article 31(1) de la CVDT et exigèrent du tribunal qu’il interprète les amendements à la loi de promotion de bonne foi et dans le contexte du TCE. Conformément à ce raisonnement, ils affirmaient que la taxe solaire représentait davantage une réduction du tarif de rachat garanti qu’un impôt, son but et objet étant de compenser les paiements effectués sur le budget de l’État au titre du tarif de rachat garanti.
Rejetant l’argument de la Tchéquie, le tribunal estima pertinent que le Tribunal administratif suprême tchèque, la Cour constitutionnelle tchèque et le ministère tchèque des Finances avaient tous trois conclu que la taxe solaire représentait en réalité une réduction du tarif de rachat garanti. Le tribunal affirma que l’exemption fiscale contenue à l’article 21 du TCE ne pouvait être invoquée que pour les mesures fiscales dont l’objectif principal est la collecte de revenus pour l’État, et non pas la réduction des dépenses due par l’État au titre du tarif de rachat garanti.
La République tchèque n’a pas agit de manière arbitraire ou déraisonnée, et n’a pas frustré les attentes légitimes
Reconnaissant l’objet et le but du TCE, la Tchéquie rétorqua que le traité ne visait pas à rendre un cadre juridique immuable, empêchant toute modification future. Le pays argua que compte tenu du maintien du tarif de rachat garanti pendant toute la durée de vie des projets, de l’existence d’un taux de retour raisonnable et que les amendements avaient été pris dans un objectif public, l’on ne pouvait arguer que ces mesures étaient déraisonnables ou disproportionnées.
Les demandeurs rétorquèrent que la loi de promotion contenait une promesse intrinsèque de stabilité réglementaire et que les investissements qu’ils avaient réalisés par la suite reposaient sur le postulat de stabilité et sur le tarif de rachat minimum garanti pendant 15 (puis 20) ans. Appliquant le test en trois parties élaboré dans le cadre de l’affaire Micula c. la Roumanie, ils affirmaient que leurs attentes légitimes avaient été frustrées car (i) il existait une promesse spécifique de stabilité, (ii) cette promesse était essentielle aux investissements de demandeurs et (iii) cette attente était raisonnable.
À l’instar des tribunaux TCE récents appelant à une approche modérée, le tribunal estima que le TCE n’incluait pas d’obligation autonome visant à accorder un cadre juridique stable et prévisible. Le tribunal rejeta également la proposition de l’affaire Charanne c. l’Espagne selon laquelle aucune attente légitime ne pouvait survenir sans engagement spécifique. Pour le tribunal, une promesse expresse ou implicite était suffisante pour donner lieu à une attente légitime.
Le tribunal ne douta pas du fait que le principal objectif de la loi de promotion visait à établir un régime sûr, stable et prévisible. Les promesses claires de l’ERO quant au tarif de rachat garanti, ainsi que les déclarations de représentants du gouvernement, en renforçait l’importance.
Toutefois, le tribunal reprocha aux demandeurs d’être des « investisseurs opportunistes » (para. 431) qui auraient dû savoir que des changements au régime existant étaient imminents. Le tribunal réitéra les déclarations du Premier ministre tchèque, du ministère de l’Industrie et du Commerce et du ministère de l’Environnement ainsi que les articles de presse parlant des changements imminents aux mesures incitatives ainsi que de la controverse politique autour du mécanisme tchèque relatif aux énergies renouvelables. Aussi, selon le tribunal, l’absence de diligence raisonnable des demandeurs rendait irrecevable leur plainte selon laquelle ils avaient été entravés par une conduite arbitraire ou déraisonnable.
À l’heure de déterminer l’existence d’attentes légitimes, il est une fois de plus important de noter que le tribunal affirma qu’il « n’admettait pas que… il existe une obligation autonome d’accorder un cadre d’investissement stable et prévisible » (para. 365). Il rejeta également l’affirmation de la Tchéquie selon laquelle il faut un engagement spécifique de stabilité pour donner lieu à des attentes légitimes (para. 365). Pourtant, compte tenu que les mesures avaient été prises dans l’objectif public de lutter contre la hausse des coûts pour les consommateurs et contre les superprofits des investisseurs, et de l’absence de diligence raisonnable de la part des demandeurs eux-mêmes, la majorité du tribunal rejeta les recours TJE et pour préjudices causés.
Les coûts
Alors que la Tchéquie l’avait emporté sur le fond, le tribunal décida que les demandeurs payeraient trois-quarts des coûts de l’arbitrage, puisqu’ils avaient EU gain de cause sur la question de l’exemption fiscale.
L’opinion divergente de l’arbitre Gary Born
Suivant de près son opinion divergente dans l’affaire Wirtgen c. la République tchèque, Born ne considérait pas que la diligence raisonnable était une condition à la protection fondée sur les traités dans le droit international. Selon lui, la diligence raisonnable entre en jeu si elle avait été, dès le départ, en contradiction avec la compréhension initiale de l’investissement par les demandeurs. Aussi, Born considéra que la formulation de la section 6 de la loi de promotion était claire et accordait une garantie à long-terme d’un tarif de rachat minimum spécifique, et qu’une diligence plus poussée n’aurait pas incité les demandeurs à penser autrement.
En outre, Born critiqua la majorité qui n’avait pas donné effet aux attentes légitimes découlant du cadre réglementaire général. Il répéta à plusieurs reprises l’importance de la nature contraignante de la législation. Selon lui, cette dernière est un moyen à la fois pragmatique et approprié de réglementer la conduite [des acteurs] dans un système économique ; le fait de nier aux « États le pouvoir de donner des garanties contraignantes aux parties, notamment aux investisseurs, par le biais de garanties législatives (ou réglementaires) » équivaudrait à un affront à l’état de droit (opinion divergente, para. 37).
À l’instar de l’affaire Micula, le seul point important pour Born consistait à déterminer « si les déclarations et actions de l’État offraient un engagement suffisamment clair quant au traitement futur pour donner naissance à des droits légaux ou à des attentes légitimes de la part de l’investisseur » (opinion divergente, para. 35). Compte tenu de l’existence d’un cadre réglementaire explicite affirmant la stabilité économique, l’opinion divergente était affirmative.
Remarques : le tribunal était composé de Lawrence Antony Collins (président nommé par les co-arbitres, de nationalité britannique), de Gary Born (nommé par les demandeurs, de nationalité étasunienne) et de Peter Tomka (nommé par le défendeur, de nationalité slovaque). La décision est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9809.pdf et l’opinion divergente de Gary Born est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9810.pdf
Joseph Paguio est un juriste canadien basé au Centre d’arbitrage international d’Asie à Kuala Lumpur, en Malaisie. Il est titulaire d’une licence en droit international de l’Université d’Edinbourg.