Le Kenya obtient gain de cause dans un arbitrage au titre d’un TBI : les recours des investisseurs britanniques sont rejetés en raison de l’absence d’un rapport d’évaluation d’impact environnemental
Cortec Mining Kenya Limited, Cortec (Pty) Limited et Stirling Capital Limited c. la République du Kenya, Affaire CIRDI n° ARB/15/29
Le 22 octobre 2018, un tribunal CIRDI constitué au titre du TBI Royaume-Uni-Kenya a rendu sa décision, rejetant tous les recours et ordonnant aux investisseurs britanniques de payer au Kenya la moitié de ses frais juridiques, en plus de la totalité des coûts de l’arbitrage CIRDI. Étonnamment, le tribunal a confirmé que l’évaluation d’impact environnemental (EIE) est l’une des prescriptions d’un investissement régulier au titre de la législation kényane.
Le contexte et les recours
Les demandeurs étaient Cortec Mining Kenya Limited (CMK), une entreprise privée constituée au Kenya, et ses actionnaires majoritaires, Cortec (PTY) Limited et Stirling Capital Limited, deux entreprises britanniques de portefeuille. Les demandeurs commencèrent à investir dans un projet minier à Mrima Hill, au Kenya en 2007, et obtinrent leur Permis spécial de prospection (PSP 256) en 2008, qui expira en décembre 2014 après deux renouvèlements. Selon les investisseurs, ils reçurent également le Permis minier spécial (PMS 351) en mars 2013, sur la base du PSP 256.
En août 2013, le gouvernement kényan nouvellement élu mena une enquête et suspendit plusieurs centaines de permis miniers « transitoires », y compris le PMS 351 des demandeurs, suite à des « plaintes concernant la procédure ». D’après les demandeurs, cela équivalait à la révocation de leur permis.
Dans leur demande d’arbitrage de 2015 et dans leurs communications subséquentes au tribunal, les investisseurs arguaient que la révocation par le Kenya de leur PMS 351 (leur « principal actif ») constituait une expropriation directe contraire au TBI Royaume-Uni-Kenya.
Les investisseurs ont présenté leur demande de permis minier de manière prématurée puisqu’elle ne comportait pas d’EIE
Avant d’examiner les questions de compétence, le tribunal analysa la relation entre le PSP 256 et le PMS 351. Il confirma que le PSP exigeait de CMK qu’elle mène une étude de faisabilité de la mine et une étude EIE avant de faire une demande de permis minier, conformément à la Loi minière kényane et aux Réglementations du pays relatives à (l’évaluation et l’audit de) l’impact environnemental (para. 104). Le tribunal rejeta la prétendue étude de faisabilité minière préparée à la hâte par les demandeurs, arguant qu’elle ne respectait pas les pratiques industrielles reconnues (para. 129).
Les investisseurs rétorquèrent qu’un représentant du gouvernement, M. Langwen, avait approuvé l’EIE quatre mois après l’émission du PMS 351 par M. Masibo, le Commissaire aux mines et à la géologie. Ils arguèrent que Masibo avait également toute discrétion pour modifier le statut de l’EIE, et en faire une condition postérieure à la demande de permis minier de CMK, pouvant être remplie après l’émission du PMS 351, plutôt qu’une condition préalable au dépôt de la demande.
Se rangeant du côté de Kenya, le tribunal affirma que l’étude EIE était une précondition à l’émission du permis minier spécial, conformément au droit kényan. Il conclut également que les « courriers d’approbation » de Langwen démontraient que CMK n’avait aucune approbation EIE au moment de l’émission du PMS 351, et que Langwen n’avait en réalité pas reçu l’autorisation d’émettre ces courriers. Aussi, le tribunal considéra que les investisseurs avait omis de réaliser l’EIE qui leur aurait peut-être permis d’obtenir un permis minier valable.
Le tribunal se heurte aux allégations de corruption du Kenya
Le Kenya allégua que Jacob Juma, un homme d’affaire engagé par les demandeurs pour réaliser la demande de permis, avait œuvré avec le Commissaire Masibo pour frauduleusement émettre le PMS 351. Le Kenya présenta la déclaration d’un témoin pour démontrer que Juma « avait, par le passé, versé des pots-de-vin au Commissaire Masibo » (para. 183).
Le tribunal considéra que le témoignage ne constituait pas une preuve convaincante de corruption. Il considéra également que Juma était décédé et que Masibo n’avait pas EU l’opportunité d’expliquer sa conduite et d’être contre-interrogé. Le tribunal refusa donc d’admettre les allégations de corruption contre Masibo, en l’absence de procédure régulière sur ce point.
Le tribunal affirme que l’investissement a été réalisé de bonne foi
Le tribunal affirma sa compétence au titre de l’article 25 de la Convention CIRDI et de l’article 8 du TBI Royaume-Uni-Kenya. Il fit également référence à l’affaire Phoenix c. la République tchèque et notamment aux deux critères utilisés dans cette affaire (à savoir les actifs investis conformément aux lois de l’État hôte ; et les actifs investis de bonne foi) pour définir « l’investissement protégé ».
S’appuyant sur les affaires Inceysa c. El Salvador et Khan c. la Mongolie, qui présentent la même maxime – nemo auditur propriam turpitudinem allegans (« personne ne peut tirer avantage de ses propres méfaits ») – le Kenya alléguait que la conduite des demandeurs violait le principe de bonne foi.
Le tribunal ne sembla toutefois pas impressionné par une telle allégation. En plus de rappeler les allégations de corruption non corroborées, il ajouta que les autres allégations de mauvaise foi de la part des demandeurs n’avaient pas été démontrées de manière à satisfaire la norme de « la prépondérance des probabilités » (para. 308). Aussi, le tribunal conclut que les demandeurs n’avaient pas fait preuve de mauvaise foi.
Le TBI Royaume-Uni-Kenya contient une obligation implicite de respect de la législation nationale
Faisant référence à l’affaire Bear Creek c. le Pérou, les demandeurs soutinrent que le respect de la réglementation n’est pas une question de compétence puisque le TBI Royaume-Uni-Kenya ne contient pas de prescription légale expresse en ce sens (para. 314). Quant à lui, le Kenya s’appuyait largement sur l’affaire Phoenix, qui affirme que le respect du droit national est nécessaire, même lorsque le TBI pertinent ne le mentionne pas expressément.
Le tribunal confirma que la Convention CIRDI et le TBI protègent tous deux seulement « les investissements réalisés dans le respect de la loi ». Il reconnut également l’incohérence, tant dans la forme que dans l’objet, entre le TBI et la Convention CIRDI quant au fait de reconnaitre la responsabilité de l’État lorsque l’investissement a été « créé au mépris de [ses] lois qui protègent fondamentalement les intérêts publics tels que l’environnement » (para. 333). Il est important de remarquer que le tribunal détermina qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un libellé « explicite », et que les investissements devaient être réalisés « conformément aux lois du Kenya » pour être protégés (para. 333).
Le tribunal adopte le test de l’affaire Kim pour invalider le PMS 351 émis par Masibo
Alternativement, les demandeurs arguèrent que même si le tribunal décidait de traiter le respect des lois nationales comme une question de compétence, il devait appliquer le principe de proportionnalité établi par l’affaire Kim c. Ouzbékistan pour rejeter les prétendues « irrégularités » sous-tendant les « âpres conséquences » de la négation des protections du traité (para. 316). Le Kenya s’appuya sur la décision d’un tribunal national selon laquelle Masibo n’était pas habilité à émettre le permis au titre du droit kényan. Selon le Kenya, cette décision ne pouvait faire l’objet d’un examen par le tribunal arbitral.
Comme l’avaient suggéré les investisseurs, le tribunal appliqua l’approche en trois étapes du principe de proportionnalité de l’affaire Kim pour évaluer l’impact des prétendues irrégularités. Dans l’affaire Kim, le tribunal avait d’abord évalué l’importance de l’obligation soi-disant violée par l’investisseur ; ensuite, il avait évalué le degré de gravité de la conduite de l’investisseur ; et troisièmement, il avait déterminé si les conséquences juridiques d’une telle violation étaient proportionnelles à l’âpreté d’un déni de l’accès aux protections du TBI (para. 406 à 408 de la décision sur la compétence dans l’affaire Kim).
Le tribunal de l’affaire Cortec affirma d’abord l’importance de la législation environnementale pour le projet Mrima Hill, zone présentant une vulnérabilité environnementale particulière. Il soutint que le non-respect du cadre réglementaire de protection de l’environnement constituait donc une violation grave. Si certains experts du droit kényan soutenaient les approches attentistes et du « vivre ensemble » s’agissant du traitement de l’EIE, le tribunal confirma sans hésitations qu’au titre du droit kényan, l’EIE devait être réalisée avant l’émission du permis.
Aussi, le tribunal soutint la décision des cours kényanes selon laquelle le PMS était, au titre du droit kényan, invalide dès son émission. Dans une note supplémentaire, le tribunal ajouta que le PMS ne méritait aucune protection sur le fond, même s’il n’avait pas été invalide, au motif que Masibo avait abusé de son autorité en violation du droit kényan.
Le tribunal rejette les recours des investisseurs et accorde la moitié des coûts réclamés par le Kenya
Après avoir déterminé, tant sur la compétence que sur le fond, que le PMS 351 n’était pas un investissement protégé, le tribunal rejeta l’ensemble des recours des investisseurs. Il ordonna aux investisseurs de payer la moitié des coûts réclamés par le Kenya, compte tenu de l’objection infondée de « prétendue corruption » présentée par le pays, ainsi que de sa conduite contestable pendant la procédure arbitrale.
Remarques : le tribunal était composé d’Ian Binnie (Président nommé par les parties, de nationalité canadienne), de Kanaga Dharmananda (nommé par les demandeurs, de nationalité australienne) et de Brigitte Stern (nommée par le défendeur, de nationalité française). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/cases/3974. La décision de l’affaire Kim c. Ouzbékistan sur la compétence du 8 mars 2017 est disponible sur https://www.italaw.com/cases/5403
Xiaoxia Lin est stagiaire boursier « International Finance and Development » de la Faculté de droit de l’Université de New York au Programme Investissement pour le développement durable de IISD.