Un tribunal du CIRDI accorde à ConocoPhillips 8,7 milliards USD plus intérêts, dans un différend contre le Venezuela
ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V., ConocoPhillips Gulf of Paria B.V. et ConocoPhillips Company c. la République bolivarienne du Venezuela, Affaire CIRDI n° ARB/07/30
Un tribunal du CIRDI a accordé plus de 8,7 milliards USD plus intérêts à ConocoPhillips suite à l’expropriation illicite, par le Venezuela, de trois investissements pétroliers réalisés par des filiales néerlandaises de l’entreprise étasunienne ConocoPhillips. Le tribunal a rendu son verdict le 8 mars 2019, près de six ans après la décision de septembre 2013 sur la compétence et le fond. La décision arrive également près d’un an après qu’un tribunal de la CCI ait accordé 2 milliards USD dans un recours distinct contre le Venezuela, fondé sur un contrat et portant sur deux des trois investissements pétroliers impliqués dans cette affaire.
Le contexte et les recours
Au milieu des années 1990, ConocoPhillips investit dans trois projets — les projets Hamaca, Petrozuata et Corocoro — portant sur la production, le raffinage partiel et la vente de bruts extra lourds provenant de la ceinture de l’Orénoque.
En 2007, le Venezuela tenta de restructurer les projets en entreprises dans lesquelles les filiales de Petróleos de Venezuela, S.A. (PDVSA), l’entreprise pétrolière d’État vénézuélienne, détiendraient 60 pour cent des parts, mettant ainsi l’investissement de ConocoPhillips en conformité avec les prescriptions juridiques et fiscales applicables à toutes les entreprises dans le secteur pétrolier au Venezuela. ConocoPhillips rejeta les termes de l’accord de restructuration et finit par quitter le marché vénézuélien, après quoi PVDSA nationalisa les projets.
Le 2 novembre 2007, ConocoPhillips lança un arbitrage contre le Venezuela, alléguant une expropriation illicite et la violation de la norme du traitement juste et équitable contenue dans le TBI Pays-Bas-Venezuela (le TBI). ConocoPhillips réclamait 21 milliards USD à titre d’indemnisation, mais le Venezuela soutenait que l’investisseur ne pouvait prétendre qu’à 515 millions USD.
En 2013, la majorité du tribunal conclut que le Venezuela n’avait pas négocié de bonne foi une indemnisation juste telle que requise par l’article 6(c) du TBI. En 2017, le tribunal rendit une décision provisoire en réponse à la troisième demande vénézuélienne de réexamen de la décision de 2013. Dans la décision provisoire de 2017, le tribunal précisa qu’il n’avait pas conclu en l’absence de bonne foi du Venezuela dans ses efforts de négociation, mais que le pays n’avait pas négocié une offre conforme aux prescriptions du TBI en faveur d’une indemnisation juste fondée sur la valeur de marché.
Choix du droit applicable : norme d’indemnisation du TBI et norme contractuelle
Le Venezuela arguait que ConocoPhillips ne pouvait réclamer des dommages supérieurs à ceux prévus par les Accords d’association (AA) portant sur les contrats originaux des projets, et par la loi vénézuélienne au moment de l’investissement, car ces conditions plafonnaient les bénéfices prévus de ConocoPhillips ainsi que la responsabilité éventuelle de l’État au titre du TBI.
Le tribunal observa que, puisque le recours avait d’abord été présenté au titre de l’article 6 du TBI, les AA et le droit vénézuélien n’étaient pas directement applicables. Toutefois, puisque l’indemnisation des droits et actifs de ConocoPhillips devait inclure ce à quoi les investisseurs auraient pu prétendre en l’absence d’expropriation, le tribunal détermina que l’indemnisation devait tenir compte à la fois de la norme du TBI et des dispositions des AA.
Le Venezuela a la charge de la preuve des coûts des projets, ConocoPhillips a la charge de la preuve des prix de vente
Le tribunal approuva tous les coûts attendus pour les projets. S’agissant des prix de vente entre 2007 et 2020, le tribunal retint les prix de vente réels, rejetant à la fois la préférence du Venezuela en faveur de prix inférieurs, et l’affirmation de ConocoPhillips que le brut aurait pu être vendu à des prix supérieurs s’il avait été géré par l’investisseur durant la période en question. S’agissant des prix post-décision, le tribunal détermina que les prix relatifs à la production future seraient fondés sur la moyenne des prix en 2020, relevés chaque année d’un taux fixe.
La taxe sur les super profits incluse dans l’AA Petrozuata constitue une action discriminatoire
Le tribunal détermina que la Taxe sur les profits exceptionnels (TPE) imposée par le Venezuela ne devait pas être incluse dans l’évaluation des profits raisonnables prévus de ConocoPhillips, car les AA donnaient clairement au Venezuela le pouvoir de modifier le régime fiscal en cas de hausse des prix du brut, et toute exemption de la TPE ne pouvait être accordée qu’à la discrétion du Venezuela. Toutefois, le tribunal détermina également que la TPE constituait une action discriminatoire au titre de l’AA Petrozuata, car elle autorisait le pays à appliquer des exemptions à différentes entreprises du secteur pétrolier, de manière inégalitaire.
Aperçu du taux d’actualisation et facteurs pertinents
Compte tenu de ces éléments, le tribunal évalua les bénéfices et dividendes anticipés que ConocoPhillips aurait reçu pendant la durée de vie des projets. D’abord, le tribunal rejeta l’affirmation du Venezuela selon laquelle le taux de rentabilité interne de ConocoPhillips fixé à 20 pour cent était le taux d’actualisation pertinent. Il adopta au contraire la position de ConocoPhillips selon laquelle, une fois que le taux de rentabilité interne, ou taux de rentabilité minimal est dépassé, il cesse d’être pertinent et ne devrait plus être utilisé car il constitue simplement le taux de rentabilité minimum auquel ConocoPhillips s’attendait. Le tribunal détermina également que les coûts d’emprunt du Venezuela n’affectaient pas l’analyse du taux d’actualisation, si ce n’est qu’ils accroissaient le risque politique car le financement des projets pétroliers dépend de chaque projet et ne fait habituellement pas partie des contraintes générales de l’économie vénézuélienne.
Les effets de l’expropriation et de la fiscalité sur le taux d’actualisation
Le tribunal observa que « le taux d’actualisation ne doit pas servir de prime à des actes illicites commis par l’État d’accueil au détriment de l’investissement » (para. 906). Mais il observa également que l’expropriation accompagnée d’une « indemnisation juste » était permise au titre du TBI, et donc que ConocoPhillips assumait certains risques d’expropriation. Par conséquent, le tribunal inclut dans le taux d’actualisation le risque d’une différence entre une « indemnisation juste » et la réparation intégrale des pertes subies du fait de l’expropriation.
Le tribunal fixe le taux d’actualisation à 17,25 pour cent
Au final, le tribunal utilisa le taux d’actualisation de 13 pour cent utilisé par ConocoPhillips en 2006 comme point de référence, déterminant qu’il représentait mieux les risques prévus des projets que toutes les autres alternatives présentées par les parties au différend. Il le ramena ensuite à 9,75 pour cent pour tenir compte des risques liés à la production réduite et aux coûts plus élevés, déjà comptabilisés. Le combinant au coût du capital (à un taux sans risques et tenant compte du risque du secteur), et y ajoutant sa marge de discrétion, le tribunal arriva à un taux d’actualisation de 17,25 pour cent.
Le taux d’intérêt
Le tribunal observa que l’application d’un taux sans risque, tel que soutenu par le Venezuela, permettrait au Venezuela de conserver les dividendes expropriés et d’engranger de meilleurs bénéfices, tandis que ConocoPhillips « devrait se contenter du taux minimal absolu disponible sur le marché financier » (para. 816). Il utilisa donc le coût des fonds propres de ConocoPhillips comme taux d’intérêt pré-décision, qu’il réduisit pour refléter les conclusions qu’il avait adopté s’agissant des coûts plus élevés que prévus.
En revanche, pour déterminer le taux d’intérêt post-décision, le tribunal se fonda sur la possibilité réduite des investisseurs d’investir dans le secteur pétrolier. Aussi, il adopta le taux de risque du secteur fixé à 5,5 pour cent (composé annuellement) comme taux d’intérêt post-décision.
Le total accordé
Au final, le tribunal accorda aux demandeurs 8,4 milliards USD pour expropriation illicite en violation de l’article 6 du TBI, et 286 millions USD pour les actions discriminatoires prises en violation de l’AA Petrozuata. Le tribunal accorda également à ConocoPhillips le remboursement de 40 pour cent de ses frais juridiques, d’un total de 20 millions USD. Finalement, le tribunal déclara que le montant total accordé était net d’impôts.
Remarques : le tribunal était composé d’Eduardo Zuleta (président, nommé par le président du Conseil administrative du CIRDI, de nationalité colombienne, en remplacement de Kenneth Keith, de nationalité néozélandaise, qui a démissionné en 2016), de Yves Fortier (nommé par les demandeurs, de nationalité canadienne) et d’Andreas Bucher (nommé par le défendeur, de nationalité suisse, en remplacement de Georges Abi-Saab, de nationalité égyptienne, qui a démissionné en 2015). La décision est disponible en anglais sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10402.pdf.
Gregg Coughlin est étudiant international à Genève, venant de l’Université de droit de Michigan, et consultant externe auprès du programme de l’IISD pour l’investissement au service du développement durable.
Mots clés : RDIE, expropriation, CIRDI, Venezuela, pétrole et gaz.