Le nouveau Code des investissements en Côte d’Ivoire : focus sur les enjeux relatifs au développement durable et au règlement de différends

La Côte d’Ivoire a adopté un nouveau code des investissements le 1er août 2018[1]. Le nouveau dispositif[2] comporte nombre d’innovations allant du renouvellement du cadre institutionnel au réaménagement des règles fiscales en passant par de nouvelles obligations à la charge des investisseurs. Il s’inscrit ainsi dans un objectif de transparence et d’attractivité des investissements.

Parmi les innovations majeures, deux éléments particuliers méritent l’attention dans la perspective de l’agenda global de réformes du régime juridique international des investissements pour le développement durable : (1) les modes de règlement de différends relatif aux investissements et (2) la promotion des investissements productifs et socialement responsables et les exigences en matière du contenu local.

1. Les innovations au titre du règlement des différends investisseur-État

L’article 50 du nouveau code prévoit désormais trois modalités de règlement de différends.

D’abord, une procédure de règlement à l’amiable est prévue. L’accord transactionnel qui pourrait en résulter, précise le code, tiendra lieu de loi aux parties qui s’efforceront de l’exécuter dans les meilleurs délais. La violation éventuelle de cet accord pourrait être sanctionnée au titre de la responsabilité civile.

Ensuite, à défaut de parvenir à un accord suivant cette procédure amiable dans un délai de douze mois au maximum, le règlement de la CNUDCI sur la conciliation s’applique.

Enfin, les parties peuvent toujours, selon le nouveau code, « convenir de soumettre leur différend en règlement au Centre d’Arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage [CCJA] de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique [OHADA] »[3]. En comparaison, l’ancien code prévoyait que « le consentement des parties à la compétence du CIRDI ou du mécanisme supplémentaire, selon le cas, … est constitué, pour la République de Côte d’Ivoire par le présent article, et exprimé expressément dans la demande d’agrément pour la personne concernée ».

Trois principales observations résultent de la nouvelle disposition sur le règlement des différends : (a) Le retrait de l’accès direct à l’arbitrage CIRDI ; (b) l’inclusion d’une clause d’option irrévocable pour l’investisseur ; et (c) la promotion de l’arbitrage institutionnel de l’OHADA.

a. Le retrait de l’accès direct à l’arbitrage CIRDI

Le législateur a opté de supprimer l’offre unilatérale d’arbitrage au CIRDI, tout en privilégiant le Centre d’Arbitrage de la CCJA par rapport à d’autres institutions d’arbitrage. Cela n’exclue pas en principe la possibilité pour ces dernières de recourir à d’autres forums d’arbitrages, notamment le CIRDI. Cette disposition suggère qu’il n’y a plus de consentement direct de l’État à l’arbitrage investisseur-État.

En tout état de cause, le choix de toute institution d’arbitrage par l’investisseur, y compris l’offre de la CCJA, devra se faire dans la demande d’agrément soumise à l’approbation de l’État. Cela suppose donc que le consentement de l’État et son choix du forum d’arbitrage sera exprimé dans le nouveau modèle d’agrément qui sera adopté.

Cette innovation s’insère plus largement dans les controverses sur le RDIE ces dernières années, et notamment l’épineuse question du consentement des États hôte à l’arbitrage investisseur-État devant les tribunaux arbitraux[4].

Cette innovation n’est probablement pas étrangère à l’affaire Société Resort Company Invest Abidjan c. Côte d’Ivoire. Dans cette affaire, le tribunal a expressément suggéré dans la sentence arbitrale sur la compétence du 1er août 2017[5] sa décision sous forme de recommandation à la Côte d’Ivoire de réformer sa législation y relative en raison de l’ambiguïté de son offre de règlement de différends. En effet le tribunal arbitral a considéré qu’une demande d’agrément acceptée de l’investisseur constitue une preuve du consentement de l’investisseur à l’arbitrage CIRDI. Le tribunal s’est fondé sur l’article 20 précité du code des investissements de la Côte d’Ivoire de 2012. Le tribunal reconnaît tout de même que l’article 20 n’est pas un modèle de clarté et qu’il gagnerait en conséquence d’être reformé :

Si la Côte d’Ivoire , après avoir reçu la décision du Tribunal, maintient son désaccord avec la majorité de l’analyse du Tribunal, alors son recours peut être rapide et simple : il peut introduire des modifications à l’article 20 du code de 2012 et à son modèle de « demande d’agrément », de sorte que les investisseurs potentiels n’auront aucun doute quant à la manière dont ils transmettront leur consentement à l’arbitrage CIRDI[6].

b. L’inclusion d’une clause d’option irrévocable pour l’investisseur

Le nouveau code dispose qu’un choix adopté par l’investisseur implique la renonciation à toute autre offre d’arbitrage. Cette innovation introduit une clause d’option irrévocable (fork in the road) insérée dans certains traités d’investissement. Cette clause signifie qu’en optant pour une voie de règlement de différends déterminée (juridictions étatiques, par exemple), on renonce irrévocablement à toute autre voie de règlement de différend (institutions arbitrales, par exemple). D’ailleurs, les récents TBI signés par la Côte d’Ivoire comportent de tels engagements[7].

c. La promotion de l’arbitrage institutionnel de l’OHADA

Le code consacre le Centre d’Arbitrage de la CCJA de OHADA comme un forum d’arbitrage d’investissement ouvert aux parties en litige. Cette référence explicite à un centre d’arbitrage africain est une innovation, qui reflète une tendance adoptée dans plusieurs codes récents en Afrique francophone[8].

L’inscription du forum CCJA dans le nouveau code ivoirien se justifie par une double proximité. D’une part, l’État ivoirien est membre de l’OHADA. D’autre part, la Cote d’Ivoire abrite la CCJA de l’OHADA. Ce recours à la CCJA peut s’expliquer aussi par la réforme récente du droit de l’arbitrage OHADA qui s’ouvre désormais expressément à l’arbitrage d’investissement. Le Centre d’Arbitrage de la CCJA a ainsi accueilli plusieurs contentieux investisseur-État sur la base d’une convention d’arbitrage. Globalement, la nouvelle offre d’arbitrage participe de la promotion de centres africains d’arbitrage et révèle un certain consensus à l’échelle du continent sur le façonnement du droit international des investissements[9].

2. Les obligations environnementales renforcées et des exigences en matière de contenu local

Contrairement à l’ancien code, qui se limitait à des références ponctuelles et parfois allusives[10], le nouveau code affirme expressément qu’il a pour but de promouvoir le développement durable en favorisant des investissements productifs et socialement responsables[11].

Ainsi, le code instaure une obligation expresse pour tout investisseur de se conformer aux lois et règlements en vigueur relatifs à la protection de l’environnement et à défaut, aux normes internationales applicables[12]. Le législateur a ainsi procédé à une certaine densification normative des anciennes dispositions qui invitaient alors les investisseurs à promouvoir ces obligations environnementales. En plus d’être impératives, les nouvelles dispositions sont assorties de sanctions en cas de non-respect. Ainsi, la violation des obligations environnementales par l’investisseur entraîne le retrait de son agrément par l’agence de promotion des investissements de Côte d’Ivoire[13]. Cette évolution règlementaire répond à la nécessité de renforcement des exigences environnementales à la charge des investissements, telle que reconnue par les Principes directeurs de l’ONU relatif aux entreprises et aux droits de l’homme.

L’objectif de développement durable se manifeste également à travers les nouvelles dispositions relatives au contenu local pour un renforcement de l’impact socio-économique de l’investissement sur le territoire national.

En effet, les investisseurs étrangers sont exhortés à s’appuyer sur les entreprises locales dans la conduite de leurs opérations, comme condition pour pouvoir bénéficier des certaines facilités offertes par le nouveau dispositif juridique. L’objectif est bien entendu d’ouvrir des espaces d’opportunités aux petites et moyennes entreprises locales et de donner un caractère inclusif à la croissance économique ivoirienne.

Ainsi, les grandes entreprises étrangères éligibles aux avantages du nouveau code, appartenant aux catégories 1 et 2[14], ont droit à des crédits d’impôts[15] à condition qu’elles appliquent une politique de contenu local portant sur la création d’emplois, l’ouverture du capital social aux nationaux et la sous-traitance. Concrètement, un crédit d’impôt additionnel de 2 % est accordé à l’investisseur étranger dont l’effectif de cadres et agents d’encadrement (instances dirigeantes telles que directeurs, responsable de production, manager opérationnel, chef de vente, etc.) de nationalité ivoirienne représente 90 % de l’effectif total de ces deux catégories d’employés[16].

Le même crédit d’impôt est accordé aux entreprises qui sous-traitent à des entreprises nationales la réalisation de biens destinés à être incorporé dans un produit final en Côte d’Ivoire ou à l’étranger. Cet avantage est étendu également aux entreprises qui ouvrent leur capital social aux nationaux[17]. Un décret d’application du 18 décembre 2018 soumet ainsi l’accès au crédit d’impôt aux entreprises éligibles ayant ouvert au moins 15 % de leur capital social aux nationaux ivoiriens.

Conclusion

En définitive, le nouveau code propose des innovations importantes pour la promotion du développement durable. Il reste à souhaiter que ces innovations soient alignées avec le réseau des TBI de du pays ainsi que ses contrats d’investissements pour assurer une cohérence globale du régime juridique applicable aux investissements en Côte d’Ivoire.


Auteurs

Mouhamed Kebe est avocat inscrit au barreau du Sénégal et de Côte-d’Ivoire, il est associé-Gérant du Cabinet d’avocats GENI & KEBE basé au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Mahamat Atteib et Mouhamoud Sangare sont Juristes au Cabinet d’Avocats GENI & KEBE. Ils sont chercheurs associés aux Université Gaston Berger et Cheikh Anta Diop du Sénégal.


Notes

[1] Ordonnance N° 2018-646 du 1er août 2018, disponible sur http://www.tourisme.gouv.ci/uploads/Ordonnance-2018-646-du-01-08-2018code-investissement.pdf.pdf [Code 2018]. Le nouveau code abroge et remplace l’Ordonnance N° 2012-487 du 7 juin 2012 portant Code des investissements, disponible sur http://www.droit-afrique.com/upload/doc/cote-divoire/RCI-Code-2012-des-investissements.pdf [Code 2012].

[2] Le code est complété par les décrets du 18 décembre 2018 portant respectivement (1) organisation et fonctionnement du Comité d’agrément de l’Agence chargée de la Promotion des Investissements et (2) Entreprises éligibles au crédit d’impôt pour ouverture du capital social aux nationaux s’inscrivent dans cette perspective.

[3] Code 2018, supra note 1, article 50.

[4] Voir Mbengue, M. M. (2012, 19 juillet). Consentement à l’arbitrage dans les législations nationales en matière d’investissement. Investment Treaty News, 2(4), 7–9. Disponible sur https://www.IISD.org/pdf/2012/iisd_ITN_july_2012_fr.pdf

[5] Société Resort Company Invest Abidjan, Stanislas Citerici et Gérard Bot c. République de Côte d’Ivoire, ICSID Case No. ARB/16/11, Decision on the Respondent’s Preliminary Objection to Jurisdiction. Disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9371.pdf

[6] Id., para. 157.

[7] Voir, par exemple, l’article 12 du TBI Côte d’Ivoire-Turquie de 2016, disponible sur https://investmentpolicy.UNCTAD.org/international-investment-agreements/treaties/BIT/3694/c-te-d-ivoire—turkey-bit-2016-

[8] Voir, par exemple, le code des investissements de 2012 du Togo (article 8), le code des investissements de 2012 du Mali (article 29) et le code des investissements de 2015 de la Guinée (article 43), tous disponibles sur http://www.droit-afrique.com, et le code des investissements 2018 du Burkina (article 39), disponible sur https://www.assembleenationale.bf/IMG/pdf/loi_038_portant_code_des_investissements.pdf

[9] Mbengue, M. M., & Schacherer, S. (2017). The “Africanization” of international investment law: the Pan-African Investment Code and the reform of the international investment regime. The Journal of World Investment & Trade, 18(3), 414–448.

[10] Voir Code 2012, supra note 1, articles 3 et 38.

[11] Voir Code 2018, supra note 1, article 3.

[12] Voir Code 2018, supra note 1, article 36.

[13] Voir Code 2018, supra note 1, article 48.

[14] La catégorie 1 comprend l’agriculture, l’agro-industrie, la santé et l’hôtellerie. Le secteur de l’hôtellerie est éligible seulement si les investissements prévus sont d’un montant égal ou supérieur à 5 milliards en zone A et 2 milliards en zones B et C. Notons que le territoire ivoirien est divisé en trois zones A, B, C définies par décret pris en conseil des Ministres. La catégorie 2 regroupe d’abord les secteurs d’activités ne relevant pas de la catégorie 1, ensuite les secteurs d’activités qui ne sont pas expressément exclus par l’article 6 du code des investissements (le secteur du commerce, les secteurs bancaires et financiers, le secteur du bâtiment à usage non industriel, le secteur des professions libérales) et enfin le secteur de l’hôtellerie pour les investissements d’un montant inférieur aux seuils fixés pour la catégorie 1.

[15] Un crédit d’impôt correspond à une réduction d’un impôt payé par une entreprise ou un particulier sous la forme d’un remboursement. Il constitue une mesure fiscale incitative qui vise à favoriser certains secteurs d’activités qui tiennent compte notamment des exigences du développement durable.

[16] Voir Code 2018, supra note 1, article 21.

[17] Voir Code 2018, supra note 1, article 21.