Le processus d’amendement des règlements du CIRDI tente de remédier à certains problèmes liés au RDIE, identifiés par le GT III de la CNUDCI

1. Introduction

Au beau milieu de la crise qui frappe le RDIE, et des discussions du Groupe de travail III (GT III) de la CNUDCI sur la réforme du régime d’arbitrage des investissements, le Secrétariat du CIRDI a lancé des consultations avec les États membres du CIRDI et le public dans le but d’identifier les articles du règlement du CIRDI devant être réformé. Il s’agit du quatrième processus d’amendement des règlements, le plus approfondi à ce jour[1].

Les consultations ont identifié 16 domaines pouvant être révisés[2], qui correspondent à plusieurs problèmes identifiés par les États membres de la CNUDCI – notamment l’absence de cohérence entre les décisions arbitrales, l’absence d’indépendance et d’impartialité des arbitres, l’absence de transparence ainsi que les coûts élevés et la durée excessive des procédures de RDIE.

Le présent article analyse si et comment le processus actuel d’amendement des règlements du CIRDI pourrait remédier aux problèmes identifiés par le GT III de la CNUDCI s’agissant de l’arbitrage investisseur-État, et améliorer le fonctionnement du régime RDIE.

2. Renforcer la cohérence des décisions arbitrales du CIRDI

Bien que les tribunaux du CIRDI tranchent des différends relatifs aux investissements fondés sur des dispositions de traités formulées diversement, ils ont tendance à développer une application homogène du droit international de l’investissement.

Le CIRDI pourrait toutefois faire bien davantage pour renforcer la cohérence des décisions rendues par ses nombreux tribunaux[3].

Le projet d’article 45 innove en offrant aux parties la possibilité de consolider les recours, si elles y consentent[4]. Cette possibilité inclue la nomination des mêmes arbitres – qui devraient, dans le cas contraire, entendre deux affaires distinctes – l’organisation d’audiences conjointes et la garantie que les décisions seront rendues simultanément. La consolidation des arbitrages permet de réduire les coûts et d’améliorer la cohérence des décisions lorsque les affaires reposent sur des faits identiques ou similaires. Cette nouveauté reproduit les dispositions déjà en place relatives aux tribunaux permanents récemment négociées par l’Union européenne dans ses accords avec le Canada et le Vietnam[5].

La première version du document de travail orientant le processus d’amendement des règlements du CIRDI et soumis à la considération des membres, incluait une disposition (article 38 bis) sur la consolidation obligatoire ordonnée par un tribunal[6]. Cette proposition n’apparait toutefois plus dans les deuxième et troisième versions du document de travail, qui ne proposent que la consolidation volontaire.

3. Remédier à l’absence d’indépendance et d’impartialité des arbitres

Sans aller jusqu’à abandonner le mécanisme actuel de nomination par les parties, les propositions d’amendements tentent d’améliorer certaines dispositions spécifiques pouvant affecter l’indépendance et l’impartialité des arbitres. Par exemple, il est proposé de modifier le processus de récusation des arbitres, notamment par l’adoption d’un calendrier accéléré permettant aux parties de déposer une proposition de récusation, ainsi qu’une déclaration améliorée d’indépendance et d’impartialité[7].

En outre, les Secrétariats du CIRDI et de la CNUDCI travaillent de concert à l’élaboration d’un code de conduite pour les arbitres, visant à garantir la cohérence des prescriptions éthiques dans tous les règlements majeurs utilisés pour le RDIE[8]. Une fois finalisé, ce code de conduite complètera les règlements du CIRDI sous la forme d’un amendement. Il sera essentiel pour le CIRDI de veiller à ce que ce nouveau code de conduite soit contraignant pour tous les arbitres du CIRDI et membres du comité d’annulation.

Le projet d’article 19 renforce l’obligation de divulgation des arbitres nommés. Le nouveau modèle de déclaration exige la divulgation de toute relation significative maintenue au cours des cinq années précédentes entre la personne nommée et les parties, ou l’avocat de l’une des parties, ou des membres du tribunal ou des tiers financeurs, et de toute implication de la personne nommée dans d’autres affaires d’arbitrage investisseur-État, en quelque qualité que ce soit[9]. Ces dispositions pourraient ainsi prévenir les conflits d’intérêt pendant le processus de sélection, en donnant aux parties des informations plus complètes quant à la manière de mener une procédure de récusation. Elles n’interdisent toutefois pas la controversée « double casquette », lorsqu’un arbitre est aussi un avocat.

4. Promouvoir la transparence des procédures

Le projet d’article 66 vise à renforcer la participation des parties non contestantes. Au titre du règlement du CIRDI, ces dernières ont la possibilité de présenter des communications écrites depuis 2006. Les modifications incluent de nouvelles dispositions fondées sur la pratique et l’expérience acquises à ce jour, et visent à détailler les modalités actuelles de participation des parties non contestantes, sans toutefois créer de mécanisme permettant de rendre leur participation plus simple ou plus efficace.

Le projet d’article 66(6) indique que « Le Tribunal peut donner à la partie non contestante accès aux documents pertinents déposés dans le cadre de l’instance, à moins que l’une des parties ne s’y oppose »[10]. Bien qu’une partie non contestante ait la possibilité de présenter un dossier d’amicus curiae, le tribunal peut décider de ne pas lui donner accès aux documents pertinents. Cela entrave significativement la capacité de la partie non contestante de présenter une communication pertinente. La décision du CIRDI d’utiliser le terme « peut » plutôt que « doit », et de fixer des critères sur la base desquels l’une des parties peut s’opposer à la communication de la partie non contestante, limite sérieusement la capacité de cette disposition à renforcer la transparence des procédures de RDIE.

En outre, les parties conservent la possibilité d’empêcher les parties non contestantes d’accéder aux documents qu’elles classeraient comme confidentiels. Les nouveautés incluent également des critères supplémentaires devant être pris en compte à l’heure d’autoriser une partie non contestante à présenter une communication, tels que l’identification de ses activités ou de toute affiliation à l’une des parties au différend, et si une partie non contestante a reçu de l’aide dans la préparation de sa communication. Le tribunal sera ainsi mieux en mesure d’évaluer s’il existe une relation entre la partie non contestante et l’une des parties au différend. Toutefois, les règles amendées continueront d’offrir aux personnes non contestantes affectées des possibilités limitées de participation, malgré le fait que les affaires de RDIE portent souvent sur des questions d’intérêt public.

D’aucuns considèrent que le financement par un tiers exacerbe les problèmes du régime de RDIE en encourageant les recours spéculatifs, et en renforçant son fonctionnement asymétrique en faveur des demandeurs[11]. Toutefois, le projet d’article 14 traite le financement par un tiers comme une question de transparence ; il se contente d’exiger des parties de divulguer l’existence d’un tiers financeur et la source du financement, et de notifier toute modification pendant toute la durée de la procédure. L’identité du financeur doit être révélée aux éventuels arbitres avant leur nomination. Malgré tout, « qu’elle soit minimale ou étendue, la transparence dans le financement par des tiers est insuffisante pour répondre aux préoccupations allant au-delà des seuls conflits d’intérêts des arbitres »[12].

5. Réduire les coûts des procédures

Le projet d’article 14(1) du Règlement administratif et financier (RAF) modifierait la règle actuelle consistant à accorder aux arbitres un montant forfaitaire journalier quel que soit le nombre d’heures effectuées au cours des audiences, pour donner aux membres des honoraires fixes sur une base horaire. Le nouvel article cherche à garantir que le travail effectué soit indemnisé de manière plus transparente et exacte, mais elle n’a aucun effet sur la réduction des coûts des procédures. De plus, le projet d’article 4(2) du règlement arbitral indique que le dépôt de tous les documents doit être fait par voie électronique, afin d’accélérer la procédure et de la rendre moins coûteuse, sauf si le tribunal en décide autrement dans des circonstances particulières[13].

De plus, le projet d’article 14(2) du RAF réglemente encore davantage les demandes des membres du tribunal de percevoir un montant supérieur aux honoraires du CIRDI (actuellement de 3 000 USD par jour), exigeant que la demande soit présentée au Secrétaire général avant la constitution du tribunal, et soit justifiée. Les propositions d’amendement pourraient permettre de simplifier l’administration financière de la procédure, mais ne présentent pas un énorme potentiel de réduction des coûts.

6. Établissement de délais pour accélérer les procédures

L’article 46 actuel porte sur le délai imparti pour la rédaction et l’établissement de la sentence, déterminant que la décision doit être rendue dans les 120 jours qui suivent la clôture de la procédure. Toutefois, puisque les tribunaux ne closent pas la procédure avant d’avoir finalisé, ou presque, la décision, cette disposition limite rarement les délais impartis pour trancher l’affaire[14]. Les statistiques les plus récentes montrent que la durée moyenne d’une procédure arbitrale au CIRDI, entre l’enregistrement de l’affaire jusqu’au moment où la sentence est rendue, est d’environ 49 mois[15].

Les propositions d’amendement visent à fixer des délais plus clairs et à mettre en œuvre les options de procédure accélérée, qui présentent des délais supplémentaires et des délais raccourcis. Le projet d’article 57 attend clairement des membres des tribunaux qu’ils rendent leur décision dès que possible, tout en leur laissant une certaine souplesse, en fonction des circonstances de chaque affaire. Il indique que les décisions doivent être rendues dans les 60 jours suivant la dernière objection pour défaut manifeste de fondement juridique, 180 jours suivant la dernière communication sur une objection liminaire, et 240 jours après la dernière communication dans tous les autres cas.

Une autre modification vise à réduire la durée des procédures de RDIE : l’adoption d’un calendrier accéléré permettant aux parties de présenter une demande de récusation d’un arbitre. Considérées comme l’une des principales causes des retards dans la conclusion des affaires de RDIE, les récusations d’arbitres sont l’un des trois principaux facteurs de retard des étapes d’une procédure[16].

Le projet d’article 22 accorderait moins de temps aux parties pour déposer une demande de récusation ; un délai précis de 21 jours est alloué pour le dépôt d’une proposition de récusation, remplaçant la disposition précédente qui indiquait qu’une telle demande devait être déposée dans les plus brefs délais. Le projet d’article précise que tous les arguments et documents justificatifs doivent être inclus dans la demande de récusation, transformant ce qui pourrait être une demande formelle de récusation en une communication écrite complète.

S’ils visent à réduire la durée globale des procédures de RDIE, les projets d’articles sur l’arbitrage accéléré et sur les délais raccourcis pourraient accroitre les coûts pour les États défendeurs, exigeant une défense juridique plus intense pour faire face aux délais raccourcis, et également s’avérer lourds pour les pays en développement qui sont déjà limités en capacité et en ressources. Une étude sérieuse et approfondie est donc nécessaire pour évaluer les éventuelles ramifications de ces amendements pour les États défendeurs.

7. Conclusion

Il existe une corrélation évidente entre les domaines des règlements du CIRDI proposés pour amendement et les préoccupations relatives au RDIE identifiées par le GT III de la CNUDCI. Ces propositions visent à répondre à certains problèmes liés aux coûts exorbitants et à la durée des procédures de RDIE en fixant des règles claires afin de simplifier les procédures et de les rendre plus prévisibles.

Toutefois, les changements proposés ne visent pas, ni ne sont conçus pour apporter des modifications profondes au régime actuel d’arbitrage investisseur-État. Au contraire, ils ont une préférence marquée pour un écart minimal des règles actuelles, le maintien du statu quo et l’apport de modifications purement cosmétiques.

En outre, l’on ne sait pas encore si les propositions d’amendement permettraient effectivement de réduire les coûts pour les États défendeurs, et les membres du CIRDI devraient examiner avec soin si la réduction proposée de certains délais n’entrainera pas un fardeau supplémentaire pour la défense des États. Finalement, bien loin d’interdire la « double casquette » et le financement tiers, les propositions d’amendements se contentent de codifier leur réglementation.


Auteurs

Rafael Ramos Codeço est un analyste des échanges internationaux auprès du Département des négociations internationales du ministère brésilien de l’Économie, participant aux négociations sur les AII. Il détient un Master en mondialisation et développement.

Henrique Martins Sachetim est un analyste des échanges internationaux auprès du ministère brésilien de l’Économie. Il est doctorant en droit international, spécialité droit commercial et d’investissement, et détient un Master en droit international et économie.

Les opinions exprimées dans le présent article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du ministère brésilien de l’Économie ou du gouvernement brésilien.


Notes

[1] Voir la page Internet du CIRDI sur l’amendement des règlements, disponible sur https://ICSID.worldbank.org/fr/amendments

[2] Voir la liste des points proposés à la révision, disponible sur https://icsid.worldbank.org/en/Documents/about/List%20of%20Topics%20for%20Potential%20ICSID%20Rule%20Amendment-ENG.pdf

[3] Fauchald, O. K. (2008). The legal reasoning of ICSID Tribunals–an empirical analysis. European Journal of International Law, 19(2), 301–364.

[4] Pour la troisième version (actuelle) du règlement d’arbitrage, et des règlements administratifs et financiers, en anglais, français et espagnol, voir le Secrétariat du CIRDI. (Août 2019). Propositions d’amendement des règlements du CIRDI : document de travail n° 3. Volume 1 (commentaire) disponible sur https://icsid.worldbank.org/en/Documents/WP_3_VOLUME_1_ENGLISH.pdf [ci-après le « document de travail »] ; Volume 2 (texte des règlements en français) disponible sur https://icsid.worldbank.org/en/Documents/WP_3_VOLUME_2_FRANCAIS.pdf

[5] Voir l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, 30 octobre 2016 (entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre 2017), article 8.43.1. Extrait de https://eur-lex.europa.EU/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A22017A0114%2801%29# ; et Accord de libre-échange entre l’Union européenne et la République socialiste du Viêt Nam, 30 juin 2019 (pas encore en vigueur), art. 3.59.1. Extrait de https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1551257348905&uri=CELEX:52018PC0691

[6] Secrétariat du CIRDI. (2018, août). Propositions d’amendement des règlements du CIRDI (Document de travail N° 1, v. 3). Extrait de https://icsid.worldbank.org/en/Documents/Amendments_Vol_3_Complete_WP+Schedules.pdf

[7] Secrétariat du CIRDI. (2018). Fiche d’information sur les propositions d’amendement des règlements du CIRDI. Extrait de https://icsid.worldbank.org/en/Documents/Amendment_Backgrounder.pdf [ci-après la « fiche d’information »].

[8] Secrétariat du CIRDI. (2018). Propositions d’amendement des règlements du CIRDI – synopsis. Extrait de https://icsid.worldbank.org/en/amendments/Documents/Homepage/Amendments-Vol_1_Synopsis_EN,FR,SP.pdf [ci-après le « synopsis »].

[9] Document de travail, supra note 4.

[10] Document de travail, supra note 4, p. 71.

[11] Howse, R. (2017). Designing a multilateral investment court: issues and options. Yearbook of European Law, 36, 209–236.

[12] IISD. (2019, avril). Summary comments to the proposals for amendment of the ICSID arbitration rules. Genève : IISD, p. 13. Extrait de https://www.iisd.org/library/summary-comments-proposals-amendment-icsid-arbitration-rules. Voir également Güven, B. & Johnson, L. (2019, juin). Le financement par des tiers et les objectifs des traités d’investissement : amis ou ennemis ? Investment Treaty News, 10(2), 4–7. Extrait de https://iisd.org/ITN/2019/06/27/third-party-funding-and-the-objectives-of-investment-treaties-friends-or-foes-brooke-guven-lise-johnson

[13] Fiche d’information, supra note 7, p. 2.

[14] Document de travail, supra note 6, p. 586.

[15] Id.

[16] Langford, M., Behn, D. & Létorneau-Tremblay, L. (2019). Empirical perspectives on investment arbitration: What do we know? Does it matter? ISDS Academic Forum Working Group 7 Paper, p. 20. Extrait de https://www.cids.ch/images/Documents/Academic-Forum/7_Empirical_perspectives_-_WG7.pdf