Un tribunal du CIRDI rejette tous les recours d’un investisseur dans le secteur de l’énergie dans une affaire contre l’Italie au titre du TCE
Belenergia S.A. c. la République d’Italie, Affaire CIRDI n° ARB/15/40
Un tribunal du CIRDI a rejeté l’affaire lancée au titre du TCE par l’entreprise Belenergia S.A. (Belenergia), enregistrée au Luxembourg, contre l’Italie. Belenergia contestait les modifications apportées par l’Italie au régime juridique régissant les investissements dans le secteur photovoltaïque (PV).
Le contexte et les recours
Par le biais du décret législatif n° 387/2003 et de cinq mécanismes successifs (Comptes énergie), l’Italie offrait des incitations pour la production d’énergie à partir de centrales PV. Le propriétaire de la centrale PV pouvait demander à l’agence nationale de régulation de l’énergie, Gestore dei Servizi Energetici (GSE), d’acheter l’électricité produite à un prix minimum pour alimenter directement le réseau.
Entre septembre 2011 et décembre 2013, Belenergia investit dans 10 sociétés italiennes à finalité spécifique (SFS) gérant vingt centrales PV en Italie. Ces SFS conclurent des conventions avec GSE portant sur des tarifs de rachat garantis (TRG) et sur des prix minimums au titre du régime applicable de Compte énergie.
Le 23 décembre 2014, l’Italie abroga les incitations liées aux prix minimums par le biais du décret législatif n° 145/2013 (décret Destinazione Italia), et diminua les TRG applicables à toutes les centrales PV d’une capacité supérieure à 200kW par le biais du décret législatif n° 91/2014 (décret Spalma Incentivi) du 24 juin 2014.
Belenergia lança un arbitrage auprès du CIRDI le 7 août 2015, arguant que ces deux décrets frustraient ses attentes légitimes fondées sur ces incitations. Selon l’entreprise, l’Italie avait violé ses obligations au titre du TCE, notamment la norme TJE, la clause parapluie, l’obligation de fournir la protection et la sécurité les plus constantes, et les dispositions interdisant les mesures déraisonnables et discriminatoires. Belenergia réclamait des dommages d’environ 18 millions EUR.
Le tribunal rejette les objections de l’Italie à la compétence et à la recevabilité
La première objection de l’Italie concernait la compétence du tribunal sur les différends intra-UE. S’appuyant sur l’article 30 CVDT et sur une soi-disant pratique des États membres européens de s’opposer à la compétence des tribunaux TCE, l’Italie arguait qu’en cas d’incompatibilité, le traité de Lisbonne de l’Union européenne de 2009 prévaut sur le TCE.
Selon le tribunal, les deux traités ne portaient pas sur le même sujet, et l’article 30 CVDT ne pouvait donc pas s’appliquer. Il considéra également que la décision de la CJUE sur Achmea et son interprétation par les États membres européens relevaient de l’ordre juridique de l’Union européenne et ne pouvaient être transposées au régime du TCE.
L’Italie arguait ensuite que le large libellé de la clause relative au choix de l’instance au titre des conventions avec GSE déclenchait le mécanisme de la clause d’option irrévocable au titre des articles 26(2) et (3) du TCE, qui octroient à certains États une exception à l’arbitrage investisseur-État, si une procédure de règlement des différends a déjà été convenue avec un investisseur. Alternativement, l’Italie s’appuyait sur les affaires SGS c. Philippines et BIVAC c. Paraguay pour arguer que la clause relative au choix de l’instance bloquait le recours de Belenergia fondé sur la clause parapluie au titre de l’article 10(1) du TCE.
Le tribunal clarifia que la clause d’option irrévocable ne s’appliquait qu’aux différends déjà présentés à une autre instance. Il précisa que, dans tous les cas, seules les SFS de Belenergia étaient parties aux conventions avec GSE (et non Belenergia elle-même), et détermina que la clause ne pouvait s’appliquer en l’absence de l’identité des parties. Le tribunal rejeta également l’approche de l’affaire SGS c. Philippines, qui priverait la clause parapluie du TCE de son sens, puisque tous les contrats seraient ainsi soumis aux tribunaux nationaux compte tenu de la règle par défaut en cas de conflit de compétence. Il adopta plutôt l’approche de l’affaire SGS c. Paraguay, selon laquelle les recours fondés sur la clause parapluie ne sont pas nécessairement comparables aux recours au titre d’un contrat, et détermina que le recours de Belenergia fondé sur la clause parapluie était recevable.
Belenergia contestait également les mesures italiennes imposant des « frais de déséquilibre » aux propriétaires de centrales PV, pour compenser les coûts subis par le réseau électrique du fait de la différence entre le volume d’électricité que les propriétaires de centrales PV auraient dû envoyer sur le réseau et le volume réellement envoyé. Le tribunal accepta l’objection de l’Italie à la compétence sur ce recours, déterminant qu’il était couvert par l’exception fiscale de l’article 21 du TCE.
Pas de violation de la norme TJE
Belenergia arguait que l’Italie avait violé la norme TJE du TCE, précisant qu’elle avait réalisé ses investissements sur la base de l’attente légitime que les TRG et les prix minimums soient devenus des droits acquis et ne puissent être modifiés, s’agissant des centrales PV existantes.
S’appuyant sur les conclusions de l’affaire Electrabel c. Hongrie évaluant « le niveau d’information dont l’investisseur avait et aurait raisonnablement dû avoir connaissance au moment de l’investissement » (para. 583), le tribunal détermina que les conventions avec GSE portant sur les TRG faisaient simplement référence aux diverses incitations offertes par la législation générale et ne constituaient pas des engagements adressés spécifiquement à Belenergia.
Le tribunal détermina également que les conventions avec GSE portant sur les prix minimums étaient d’une durée d’une année, et prévoyaient d’éventuels amendements, de telle manière que Belenergia ne pouvait s’attendre à ce que ce régime ne soit pas amendé.
Finalement, l’examen par le tribunal des lois et réglementations italiennes montra que les investisseurs dans les centrales PV auraient dû s’attendre à une réduction des incitations offertes, rejetant ainsi le recours de Belenergia fondé sur le TJE.
Le tribunal rejette les recours fondés sur la clause parapluie et sur la protection et sécurité
Belenergia arguait qu’indépendamment de leur nature contractuelle, les conventions avec GSE constituaient des engagements pris par l’Italie et protégés par la clause parapluie du TCE. Le tribunal n’était pas d’accord avec Belenergia sur le fait que les conventions avec GSE portant sur les TRG et les prix minimums contenaient des engagements spécifiques prix à l’égard de Belenergia ; le montant et la durée des TRG et des prix minimums étaient déjà fixés par la législation italienne et simplement reproduits dans les conventions avec GSE.
Le tribunal s’appuya sur Isolux c. Espagne pour conclure que le cadre juridique et réglementaire italien avant les décrets Spalma Incentivi et Destinazione Italia concernait les investisseurs nationaux et étrangers, et ne pouvait être interprété comme créant des obligations spécifiques « conclues avec » Belenergia.
Si le tribunal convint avec Belenergia que la norme de l’article 10(1) du TCE pouvait s’étendre au-delà de la protection de la sécurité physique dans certaines situations, il détermina que la norme ne pouvait protéger les investissements contre le droit de l’État de réglementer d’une manière qui leur porte atteinte. Il rejeta donc le recours de Belenergia.
Pas de mesures déraisonnables ou discriminatoires
L’Italie s’opposa au recours de Belenergia fondé sur les mesures déraisonnables et discriminatoires, arguant qu’il recoupait le recours TJE, et que les articles 10(2) et (3) du TCE ne s’appliquaient qu’à l’établissement ou l’acquisition d’investissements nouveaux ou supplémentaires, tels que définis à l’article 1(8) du TCE.
Le tribunal accepta l’interprétation italienne du traité et rejeta le recours. Belenergia n’avait pas satisfait la charge de prouver que le caractère soi-disant discriminatoire des mesures affectait l’établissement ou l’acquisition d’investissements nouveaux ou supplémentaires dans le secteur PV.
Le tribunal considéra que les modifications apportées au cadre réglementaire italien n’étaient pas déraisonnables, disproportionnelles, ou imprévisibles. Belenergia argua également que les mesures de l’Italie n’avaient pas d’objectif public, tel que la protection de l’environnement ou de la santé publique, ni de justification, mais le tribunal considéra qu’il suffisait que l’objectif réel des mesures ait été de réduire les coûts liés aux subventions offertes.
Le tribunal rejeta aussi l’argument de Belenergia selon lequel la différenciation réglementaire liant la réduction des TRG à la capacité nominale des centrales PV était discriminatoire à l’égard des moyennes et grandes centrales PV. Selon lui, cette différentiation reposait sur des motifs légitimes et objectifs, et la protection spéciale accordée aux centrales PV plus petites se justifiait dans la mesure où elle cherchait à garantir la libre concurrence dans le secteur de l’énergie.
La décision et les coûts
Le tribunal rejeta donc tous les recours sur le fond. Il ordonna aux parties de partager équitablement les coûts de l’arbitrage, et de payer leurs propres frais et dépenses juridiques.
Remarques : le tribunal était composé d’Yves Derains (président, de nationalité française), de Bernard Hanotiau (nommé par le demandeur, de nationalité belge) et de José Carlos Fernández Rozas (nommé par le défendeur, de nationalité espagnole). La décision, datée du 6 août 2019, est disponible sur https://www.italaw.com/cases/7532.
Trishna Menon est associée chez Clarus Law Associates, à New Delhi, en Inde.