Un tribunal de la CNUDCI rejette une affaire contre Maurice pour raisons de compétence, jugeant que les demandeurs n’ont pas d’investissement protégé et ne peuvent importer le consentement à l’arbitrage via la clause NPF
Professeur Christian Doutremepuich et Antoine Doutremepuich c. la République de Maurice, Affaire CPA n° 2018-37
Un tribunal sous le règlement CNUDCI a rejeté les recours de deux ressortissants français contre Maurice pour des raisons de compétence, concluant que les demandeurs n’avaient pas réalisé d’investissement protégé et que Maurice n’avait pas consenti à l’arbitrage. La décision a été rendue le 23 août 2019.
Le contexte et les recours
Christian Doutremepuich est le fondateur et directeur du Laboratoire d’hématologie médico-légale, situé à Bordeaux en France. Antoine Doutremepuich est le responsable du laboratoire et des relations externes.
En 2009, les deux demandeurs lancèrent un projet en vue d’établir un laboratoire d’analyse génétique et ADN, alors que Maurice cherchait à renforcer ses capacités d’analyse médico-légales. Le pays reçu le projet en 2013, et le Premier ministre indiqua en 2014 qu’il n’existait pas d’objections au projet. Après que les demandeurs aient créé trois entreprises à Maurice pour le projet, le Premier ministre rejeta le projet en 2016, sans donner de raisons.
Les demandeurs lancèrent un arbitrage au titre du TBI France-Maurice de 1973, arguant que le rejet du projet constituait à une violation de la norme TJE, et réclamaient des dommages d’un montant de 11,6 millions EUR. En rejetant sa compétence sur l’affaire, le tribunal aborda deux questions : (i) les demandeurs avaient-ils ou non réalisé un investissement protégé au titre du TBI ? ; et (ii) les demandeurs étaient-ils habilités à utiliser la clause NPF du TBI pour invoquer la convention d’arbitrage du TBI Finlande-Maurice ?
La norme permettant d’évaluer si les Doutremepuich ont réalisé un investissement
Les demandeurs arguaient qu’ils avaient prévu tout une série d’activités d’investissement à Maurice, notamment l’achat de terres et d’équipement, la construction d’infrastructures, et l’embauche et la formation de personnel. Le tribunal ne trouva toutefois aucune preuve que ces activités avaient EU lieu. Aussi, le prétendu investissement des demandeurs consistait en la création de trois entreprises à Maurice, auxquelles ils avaient transféré 300 000 EUR de capital, et en une contribution en savoir-faire.
Les arbitres établirent trois critères pour analyser le prétendu investissement des demandeurs conformément à l’article 1(1) du TBI France-Maurice, déterminant qu’un investissement protégé doit représenter (i) une contribution au développement du pays d’accueil (ii) d’une certaine durée (iii) et qui inclut de prendre part aux risques liés aux opérations. Après avoir déterminé que les demandeurs ne respectaient pas tous les critères, le tribunal conclut qu’il n’avait pas compétence sur l’affaire.
Le prétendu investissement ne représente pas une contribution à Maurice
Le tribunal considéra que les contributions à l’État d’accueil pouvaient se présenter sous diverses formes, notamment les contributions non financières à une valeur économique. À la lumière des relevés bancaires qui indiquaient que seul Christian Doutremepuich avait transféré 300 000 EUR aux entreprises créées à Maurice, il conclut qu’Antoine Doutremepuich n’avait pas réalisé de contribution financière.
En outre, les arbitres considérèrent que Christian Doutremepuich n’avait pas apporté de contribution à l’État d’accueil, puisqu’il avait transféré le capital vers des comptes que lui-même détenait. En 2016, après que Maurice ait rejeté le projet, Christian Doutremepuich avait rapatrié près de 224 000 EUR vers son compte bancaire en France. Le tribunal conclut par conséquent qu’il n’avait jamais perdu le contrôle du capital, et n’en avait jamais été dépossédé.
Les demandeurs affirmaient également qu’ils avaient réalisé un transfert de savoir-faire, notamment le plan d’agencement du laboratoire et la formation de personnel qualifié. Le tribunal conclut toutefois que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuves d’un transfert ou d’une contribution réel en savoir-faire à valeur économique.
Le prétendu investissement n’avait pas de durée minimale
Le tribunal considéra qu’il ne pouvait pas établir, dans l’abstrait, la durée minimale requise pour les investissements protégés, mais qu’il devait évaluer la durée raisonnable au vue de toutes les circonstances. Compte tenu des faits de l’affaire, le tribunal conclut qu’il n’existait aucune durée, puisque les prétendus investissements consistaient en des paiements ponctuels réalisés pour l’achat de biens ou de services dans le cadre des préparatifs du projet.
Les arbitres indiquèrent également que les fonds n’avaient été déposés à Maurice que brièvement, entre mai 2015 et mai 2016. Même s’ils admirent qu’une telle durée ne rendait pas en soi la contribution irrecevable en tant qu’investissement, ils soulignèrent que les projets de ce genre avaient besoin de « bien plus de temps pour s’intégrer à un nouvel environnement » (para. 144).
Le prétendu investissement ne comportait pas de risques
Même si le plan commercial du projet décrivait les risques commerciaux associés au laboratoire, le tribunal remarqua que le projet n’avait jamais été réellement lancé. Il ne pouvait donc tenir compte que des risques liés au transfert de capital. Puisque les demandeurs avaient gardé le contrôle du capital et pouvaient le transférer ou le rapatrier quand bon leur semblait, le tribunal détermina qu’ils n’avaient pas réalisé de contribution impliquant de prendre part aux risques liés aux opérations.
L’application de la clause NPF au règlement des différends
Les parties étaient d’accord sur le fait que le TBI France-Maurice ne contient pas de convention d’arbitrage pour les différends investisseur-État. L’article 9 du TBI ne prévoit que l’obligation des États parties d’inclure une convention d’arbitrage dans les contrats d’investissement conclus avec les ressortissants de l’autre État partie.
Les demandeurs invoquèrent la clause NPF du TBI France-Maurice, demandant au tribunal d’appliquer la convention d’arbitrage investisseur-État prévue à l’article 9 du TBI Finlande-Maurice qui, selon les demandeurs, représentait un traitement plus favorable aux investisseurs finnois, puisqu’« il ne contient aucune obligation de régler le différend à l’amiable et donne à l’investisseur le choix entre différentes institutions arbitrales » (para. 181).
Le tribunal considéra que les clauses NPF pouvaient s’appliquer aux dispositions relatives au règlement des différends d’autres accords, si c’était bien là l’intention des États contractants. Selon lui, l’interprétation devait suivre les normes prévues à l’article 31 CVDT ainsi que les principes ejusdem generis.
Le tribunal conclut que la clause NPF s’appliquait aux questions régies par le TBI France-Maurice, à l’exception de celles mentionnées à l’article 7, qui porte sur les questions fiscales. Considérant que l’arbitrage investisseur-État n’était pas une question régie par le TBI, il conclut que la clause NPF ne s’étendait pas à la question. « Le fait d’utiliser la clause NPF pour importer un tel consentement créerait des obligations que Maurice n’a jamais contractées », a indiqué le tribunal (para. 219).
Finalement, le tribunal aborda la question de la pratique des États après la conclusion du traité, puisque la France et Maurice ont conclu un nouveau TBI en 2010, mais ne l’ont pas ratifié. Le tribunal remarqua que le projet de loi demandant au parlement français de ratifier le TBI de 2010 justifiait l’importance du nouveau TBI par la possibilité de « recourir à l’arbitrage international sur la base du consentement exprimé par l’État » (para. 232, note 342). Pour le tribunal, cela indiquait que la France n’était pas convaincue que ses ressortissants avaient accès à l’arbitrage contre Maurice par le biais de la clause NPF du TBI de 1973.
La décision et les coûts
Le tribunal détermina qu’il n’avait pas compétence sur l’affaire et ordonna aux demandeurs de payer l’intégralité des coûts de l’arbitrage, et à chacune des parties de payer ses propres frais et dépenses juridiques.
Remarques : le tribunal était composé de Maxi Scherer (arbitre présidente nommée par les co-arbitres, de nationalité britannique), d’Olivier Caprasse (nommé par le demandeur, de nationalité belge) et de Jan Paulsson (nommé par le défendeur, de nationalité étasunienne). La décision du 23 août 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10817.pdf
Pietro Benedetti Teixeira Webber est juriste chez Judith Martins-Costa Advogados (Porto Alegre, Brésil). Il est également Président de l’Association brésilienne des étudiants en arbitrage (ABEArb).