La Colombie est condamnée à payer plus de 19 millions USD pour avoir frustré les attentes légitimes de Glencore

Glencore International A.G. et C.I. Prodeco S.A. c. la République de Colombie, Affaire CIRDI n° ARB/16/6

Un tribunal du CIRDI a déclaré que la Colombie avait frustré les attentes légitimes de l’entreprise minière suisse Glencore et son investissement en Colombie, en violation des clauses de non-entrave et TJE du TBI Colombie-Suisse. Le tribunal a ordonné à la Colombie à payer plus de 19 millions USD plus intérêts à titre d’indemnisation à Glencore, environ la moitié de ses frais juridiques, ainsi que la totalité des coûts de l’arbitrage.

Le contexte et les recours

En 1995, Glencore acquit Prodeco, une entreprise colombienne qui avait conclu un contrat d’exploration et d’exploitation minière du charbon avec Carbocol, l’agence colombienne des mines. Par la suite, trois agences distinctes furent créées pour remplacer Carbocol : Ingeominas, le Service géologique de Colombie (SGC) et l’Agence nationale des mines (ANM).

En décembre 2009, les parties renégocièrent le contrat : Ingeominas était d’accord de réduire les redevances dues par Prodeco en échange de l’engagement de celle-ci d’investir davantage dans les opérations minières. Cet amendement ne put être enregistré auprès du Registre colombien des mines car il était contraire aux intérêts de la Colombie. Après d’autres négociations, un nouvel amendement favorable à la Colombie fut enregistré.

Plus tard, l’agence colombienne en charge du contrôle des fonds publics, Controlaría, lança une enquête contre Ingeominas. Le rapport d’enquête indiquait que l’amendement réduisait les recettes de la Colombie, ce qui était contraire aux intérêts du pays. Prodeco arguait quant à elle que les recettes devaient être calculées sur toute la durée du contrat, et non pas uniquement sur la seule année 2010, qui présenterait nécessairement des recettes moindres pour la Colombie.

En 2012, SGC demanda l’annulation de l’amendement auprès des cours administratives nationales. En 2015, Contraloría s’appuya sur le rapport d’enquête pour reconnaitre les dirigeants de Prodeco et d’Ingeominas conjointement passibles d’une amende fiscale. Prodeco paya l’amende de 19,1 millions USD mais la contesta, d’abord auprès des cours administratives, puis des tribunaux judiciaires. Lorsque la présente décision a été rendue, la procédure en annulation de l’amendement lancée par SGC était en cours, tout comme la contestation juridique de l’amende, lancée par Prodeco.

Finalement, en mars 2016, Glencore et Prodeco (conjointement, Glencore) lancèrent un arbitrage auprès du CIRDI. Ils arguaient que les actions de la Colombie, à savoir l’amende fiscale imposée et la procédure en annulation de l’amendement, violaient la norme TJE du TBI, ainsi que les clauses de non-entrave et parapluie. Ils demandaient au tribunal d’ordonner à la Colombie de rembourser le montant de l’amende, d’honorer ses obligations au titre du contrat et de ses amendements, et de mettre fin à la procédure d’annulation.

Le tribunal rejette les objections à la compétence et à la recevabilité, mais s’abstient d’exercer sa compétence sur le recours fondé sur la clause parapluie

La Colombie arguait que le contrat avait été négocié en violation de l’obligation de Prodeco d’agir de bonne foi, et qu’il était donc illégal. Le tribunal n’en fut toutefois pas convaincu, puisque cette allégation n’avait été soulevée qu’au cours de l’arbitrage et qu’il n’existait pas de preuves directes de tromperie délibérée de la part de Prodeco.

Le tribunal rejeta également l’objection de la Colombie fondée sur la clause d’option irrévocable, puisque Prodeco avait fait le choix très clair de soumettre le différend à l’arbitrage. Selon lui, les tentatives préalables de négociation et de conciliation avec les agences colombiennes ne déclenchent pas le mécanisme de la clause.

La Colombie arguait que les recours n’étaient pas suffisamment matures pour être jugés, et qu’ils étaient donc irrecevables. Les arbitres rejetèrent cet argument, concluant que Prodeco avait respecté le TBI en cherchant une résolution administrative pendant six mois avant de lancer l’arbitrage. Le tribunal considérait que, puisque la procédure en annulation du contrat n’était pas une procédure administrative, les demandeurs n’étaient pas contraints d’en attendre l’issue.

Il rejeta toutefois le recours de Glencore fondé sur la clause parapluie pour des raisons de compétence, puisque l’article 11(3) du TBI exclut expressément la clause parapluie de la portée du consentement de l’État à l’arbitrage.

L’examen quant au fond : les arbitres discutent du seuil de la clause de non-entrave

Le tribunal indiqua que l’article 4(1) du TBI sur la non-entrave interdit « les mesures déraisonnables ou discriminatoires » plutôt que l’expression plus commune de mesures « arbitraires ou discriminatoires ». Selon lui, des mesures « déraisonnables » sont plus larges que des mesures « arbitraires », puisqu’elles incluent les mesures irrationnelles, en plus des mesures biaisées.

Les arbitres conclurent que la Colombie avait agit de manière déraisonnable en affirmant que l’amendement lui avait porté atteinte et à l’heure de calculer ces dommages. Selon eux, le rapport de Controlaría était obsolète, n’était pas suffisamment étayé, et utilisait des méthodes de calcul beaucoup trop simples et biaisées, puisqu’elles ne tenaient compte que d’une année (2010).

Le tribunal affirme que la violation par la Colombie de la clause de non-entrave violait également les attentes légitimes de l’entreprise au titre du TJE, mais rejette d’autres violations du TJE

Glencore arguait que la Colombie avait violé la norme TJE au titre de l’article 4(2) du TBI en privant Prodeco de son droit à une procédure régulière au cours de la procédure fiscale. Elle arguait notamment que les chefs d’accusation à l’encontre de certains fonctionnaires avaient été abandonnés après qu’ils aient modifié leurs déclarations pour incriminer Prodeco, et que Prodeco n’avait pas EU l’opportunité de présenter des preuves supplémentaires.

Les arbitres conclurent toutefois que la procédure était régulière puisque Glencore n’avait pas réussi à démontrer que les pouvoirs d’enquête de Controlaría avaient été utilisés en violation de la norme TJE et d’une procédure régulière. En effet, le tribunal remarqua que Controlaría n’avait pas utilisé les déclarations modifiées dans le cadre des poursuites, et que Prodeco ne les avait jamais mentionnées avant l’arbitrage.

Le tribunal rejeta en outre l’argument de Glencore selon lequel l’ancien contrôleur général avait un biais contre Prodeco, remarquant que l’agence avait été remplacée avant que la décision finale d’émettre une amende fiscale n’ait été prise.

Glencore arguait également que ses attentes légitimes avaient été violées par le régime de contrôle fiscal lui-même, la manière dont il était imposé, ainsi que par la demande de SGC auprès des cours administratives d’annuler l’amendement.

Même si la clause TJE ne faisait pas expressément référence aux attentes légitimes, le tribunal détermina que son évaluation devait déterminer « si l’État avait donné des représentations spécifiques à l’investisseur avant qu’il ne réalise l’investissement, puis agit de manière contraire à ces représentations » (para. 1310).

Le tribunal conclut que Glencore n’était pas en mesure de démontrer que le régime du contrôle fiscal lui-même violait les attentes légitimes. Il affirma qu’« une simple violation contractuelle par l’État ne peut en soi donner lieu à une violation de la norme TJE du droit international », mais qu’un facteur supplémentaire, tel que l’exercice de la « puissance publique » était nécessaire (para. 1378).

Selon le tribunal, les investisseurs doivent avoir connaissance, à l’heure d’investir, du cadre juridique de l’État d’accueil. Cela signifie que Prodeco aurait dû savoir que les contrôles fiscaux étaient routiniers en Colombie, et donc qu’elle n’aurait pu s’attendre légitimement à en être exemptée. Et même si Prodeco avait eu des attentes légitimes en ce sens, celles-ci n’avaient pas été violées puisque le contrôleur fiscal avait été agit dans le respect du droit national.

Le tribunal affirma cependant que le contrôle fiscal avait été réalisé de manière arbitraire et déraisonnable (voir la section précédente sur la non-entrave) et violait donc les attentes légitimes de Glencore de bénéficier d’un contrôle fiscal raisonnable.

Selon le tribunal, les positions divergentes des diverses agences colombiennes ne constituaient pas une violation du TBI. Selon lui, « l’État-nation moderne donne généralement à ses agences différents objectifs et responsabilités juridiques et politiques » (para. 1420).

Finalement, le tribunal considéra que la procédure d’annulation de l’amendement ne violait pas les attentes légitimes de Prodeco, puisque SGC avait le droit de la lancer au titre du contrat et du droit national, et Prodeco ne pouvait donc légitimement s’attendre à ce que SGC ne le fasse pas.

La décision: octroi de l’indemnisation et des coûts, mais rejet d’une demande spécifique

Concluant que le rapport d’enquête de la Colombie et l’amende fiscale entravaient l’usage de l’investissement de Glencore et violaient le TJE, le tribunal ordonna à la Colombie de rembourser l’amende de 19,1 millions USD payée par Prodeco, plus intérêts, à titre d’indemnisation. Il ordonna également à la Colombie de payer les coûts de l’arbitrage (1,3 millions USD), ses propres dépenses juridiques (3,4 millions USD) et environ la moitié des dépenses juridiques de Glencore (1,69 millions USD).

Le tribunal rejeta la demande de Glencore d’ordonner à ANM de continuer d’honorer le contrat, de mettre fin aux procédures dans les tribunaux nationaux et de promettre de s’abstenir de lancer de nouvelles procédures. Sans indiquer si un tribunal était en mesure d’émettre une telle ordonnance, il affirma que « la réparation d’un fait internationalement illicite commis par la Colombie exige l’entière réparation… par le biais de la restitution, et non pas en ordonnant à la Colombie de négocier le huitième amendement » (para. 1667).

Remarques : le tribunal était composé de Juan Fernández-Armesto (président nommé par les parties, de nationalité espagnole), d’Oscar M. Garibaldi (nommé par le demandeur, de nationalités étasunienne et argentine) et de Christopher Thomas (nommé par le défendeur, de nationalité canadienne). La décision du 17 août 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/cases/7539

Sofia de Murard est diplômée de l’Université de New York, et dans le cadre du programme Finance et développement international (IFD), actuellement en stage auprès du Programme de l’IISD sur l’investissement pour le développement durable.