Le recours de CMC est rejeté sur le fond : un accord de règlement peut être considéré comme un investissement au titre du TBI et de la Convention du CIRDI, mais le Mozambique n’y a pas consenti
CMC Muratori & Cementisti et autres c. la République du Mozambique, Affaire CIRDI n° ARB/17/23
En mai 2017, l’entreprise italienne CMC Muratori & Cementisti et deux de ses filiales au Mozambique (conjointement CMC) déposèrent une demande d’arbitrage auprès du CIRDI au titre du TBI Italie-Mozambique, suite au non-paiement d’un soi-disant accord de règlement. La décision, publiée en octobre 2019, rejetait les objections du Mozambique à la compétence, mais également tous les recours de CMC sur le fond, affirmant que le Mozambique n’avait pas conclu d’accord de règlement. Les coûts de l’arbitrage ont été divisés à parts égales.
Le prétendu accord de règlement
En 2005, CMC remporta un appel d’offre public portant sur la réparation d’une portion d’autoroute (le projet du lot 3) (para. 92). Financé par le Fonds européen de développement, le contrat fut conclu avec l’Administration nationale des routes du Mozambique (ANE selon son acronyme portugais).
CMC paracheva les travaux, mais à la mi-2009 les parties entamèrent des négociations portant sur des paiements supplémentaires. L’entreprise prétendait avoir subis des coûts supplémentaires du fait d’un accès retardé aux sites de construction et de jours fériés non pris en compte, entre autres problèmes. Selon le contrat, la demande devait d’abord être examiné par l’ingénieur/le superviseur du projet (para. 98). Ce dernier conclut que 2,4 millions d’euros des plus de 12,7 millions d’euros réclamés étaient dus (para. 110), et ANE autorisa le versement de ce montant (para. 115).
Insatisfaite de ces résultats, et avec un autre projet de réparation en cours (le projet du lot 2), CMC insista pour tenir d’autres négociations avec l’ANE (para. 117 à 122). Le 30 octobre 2009, ANE offrit un paiement supplémentaire de 8,2 millions d’euros. Le 2 novembre, CMC répondit indiquant « nous acceptons votre proposition… en précisant qu’elle vient s’ajouter au montant déjà accordé et traité » (para. 131). Peu de temps après, des élections eurent lieu au Mozambique, et les négociations, bien qu’étendues pendant plusieurs années, finirent par bloquer.
À première vue, un accord de règlement est un investissement au titre du TBI et de la Convention du CIRDI
Le Mozambique arguait qu’un accord de règlement n’était pas un investissement au titre du TBI et de la Convention du CIRDI. Il s’appuya sur le test de Salini issu de la jurisprudence du CIRDI, affirmant que celui-ci n’était pas satisfait par un accord de règlement compte tenu de l’absence de contribution en capital, d’une durée spécifique, de risques et d’une contribution au développement économique national (para. 180 et 181).
S’agissant de la définition de l’investissement au titre du TBI, le tribunal conclut que l’accord de règlement était un « crédit pour des montants… liés à un investissement », et, en tant que tel, relevait du sens de l’article 1(1)(c) du TBI Italie-Mozambique.
S’agissant de l’interprétation de la Convention du CIRDI, le tribunal rejeta le test dit de la « double serrure », selon lequel un investissement doit satisfaire à la fois aux prescriptions du TBI et de l’article 25 de la Convention du CIRDI. S’appuyant sur l’affaire SGS c. Paraguay, qu’il qualifiait d’approche de compromis, le tribunal conclut que le définition de l’investissement contenue dans le TBI « n’excédait pas les limites permises par la Convention du CIRDI » (para. 194).
Autres objections à la compétence
Le Mozambique arguait également que (i) l’arbitrage auprès du CIRDI était contraire à la Convention de Cotonou signée entre l’UE, les États membres de l’UE et un groupe de pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (les pays ACP) ; (ii) la décision de la CJUE sur Achmea invalidait la clause relative à l’arbitrage du TBI ; et (iii) les recours étaient purement contractuels.
Le contrat portant sur le projet du lot 3 contenait une clause de règlement des différends exigeant de soumettre tout différend à l’arbitrage conformément à la Convention de Cotonou, et à l’exclusion de tout autre règlement d’arbitrage (para. 224 et 225). Selon le Mozambique, le différend devait être soumis à ce type d’arbitrage. CMC arguait quant à elle que la clause de sélection du forum contenue dans le contrat du lot 3 n’empêchait pas la présentation d’un recours fondé sur le traité au titre du TBI (para. 254).
Le tribunal conclut d’abord que le contenu de la Convention de Cotonou et du TBI se chevauchait « très légèrement » (para. 272), et que, dans la mesure où ils se chevauchaient, les traités étaient compatibles (para. 277). Ensuite, il conclut que la Convention de Cotonou prévoyait l’arbitrage des différends survenant « pendant la réalisation » des contrats financés dans son cadre, ce qui n’était pas le cas puisque bien que le différend fut lié à un contrat financé, il découlait d’un désaccord quant au paiement de montants supplémentaires pour des travaux parachevés (para. 282 à 287).
Le tribunal rejeta l’objection fondée sur Achmea, considérant que la décision de la CJUE n’avait pas d’effets sur les traités d’investissement extra-UE (para. 317 et 318).
S’agissant de l’objection selon laquelle les recours étaient de nature contractuelle, le tribunal rappela que CMC avait mis en avant les violations supposées de plusieurs normes fondamentales du TBI – le TJE, la discrimination et les attentes légitimes, entre autres – représentant toutes des recours fondés sur le traité, quel que soit le fond (para. 221).
Les recours sont rejetés sur le fond puisque le Mozambique n’avait pas consenti au supposé règlement
Lors de l’examen quant au fond, CMC affirmait que les actions du Mozambique en lien avec l’accord de règlement supposé – refus d’honorer ses engagements à payer ; retard déraisonnable dans la réponse apportée aux demandes de paiement de CMC, etc. – violaient des normes de traitement fondamentales dues aux investisseurs étrangers, basées sur le TBI.
Mais l’existence ou non d’un accord de règlement initial était le point le plus controversé. Si CMC arguait que sa réponse du 2 novembre 2009 était une acceptation de l’offre formulée précédemment par ANE, et avait donc créé un accord de règlement valide et contraignant, le Mozambique argua que la réponse de CMC était une contre-offre, et non pas une acceptation (para. 371).
D’accord sur le fait que le droit applicable pour déterminer si un accord avait été conclu était le droit mozambicain, les deux parties présentèrent des témoignages d’experts sur celui-ci. Après avoir examiné le libellé des courriers échangés entre CMC et l’ANE, ainsi que la correspondance de l’époque entre le directeur de l’ANE et le ministère des Travaux publics, le tribunal considéra que l’ANE n’avait pas l’intention d’offrir 8,2 millions d’euros en plus des 2,4 millions d’euros déjà payés (para. 389). Il conclut donc, comme le Mozambique, que CMC avait fait une contre-offre.
Puisque les recours de CMC dépendaient, dans une mesure variable, de l’existence d’un accord de règlement, le tribunal les rejeta tous.
La répartition des coûts
Concluant que chacune des parties avaient EU gain de cause sur divers aspects de l’affaire (CMC sur la compétence, et le Mozambique sur le fond), le tribunal décida que les parties paieraient leurs propres frais juridiques et partageraient les coûts de l’arbitrage à part égale (para. 486).
Remarques : le tribunal était composé de John M. Townsend (président nommé par les co-arbitres, des États-Unis), de Peter Rees (nommé par le demandeur, de Grande-Bretagne) et de J. Brian Casey (nommé par le défendeur, du Canada). La décision du 24 octobre 2019 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw10879.pdf
Inaê Siqueira de Oliveira est étudiante en master de droit privé à l’Université de Sao Paulo, au Brésil.