Le TBI n’est pas en vigueur : le Mozambique obtient gain de cause sur la compétence dans une affaire contre un investisseur sud-africain
Oded Besserglik c. le Mozambique, Affaire CIRDI n° ARB(AF)/14/2
Le 28 octobre 2019, un tribunal constitué au titre du Mécanisme supplémentaire du CIRDI rejetait les recours présentés par Oded Besserglik (OB), un ressortissant d’Afrique du Sud, contre le Mozambique en raison du fait que le TBI Afrique du Sud-Mozambique n’est jamais entré en vigueur.
Le contexte
À la fin des années 1990, OB et un partenaire commercial acquirent des parts dans Natal Ocean Trawling (NOT), une entreprise sud-africaine disposant d’un partenariat continu portant sur la pêche de crevettes avec les entreprises étatiques mozambicaines Emopesca et Sulpesca, une filiale d’Emopesca. NOT acquit ensuite 40 pour cent des parts de Sulpesca payable en plusieurs tranches. NOT paya normalement deux des tranches dues, le reste étant garanti par un nantissement sur les bateaux de pêche détenus par OB et utilisés par Sulpesca pour la réalisation des activités de pêche.
Suite au détournement des bateaux de pêche par l’un des directeurs de NOT et compte tenu du non-paiement continu du montant dû pour l’acquisition des parts de Sulpesca, Emopesca obtint d’abord la saisie judiciaire des bateaux. Elle procéda ensuite au transfert des parts de Sulpesca, y compris celles acquises par NOT mais jamais complètement payées, à une entreprise tierce. Par conséquent, OB lança un arbitrage contre le Mozambique, arguant que le pays avait illégalement exproprié les bateaux de pêche et les parts de NOT dans Sulpesca, et avait omis d’accorder à OB le TJE ainsi que la protection et la sécurité intégrales.
Le tribunal évalue la ponctualité de l’objection à la compétence
Avant toute chose, le tribunal examina la recevabilité de l’objection du Mozambique à la compétence, fondée sur l’affirmation selon laquelle le TBI sur lequel OB fondait ses recours n’était jamais entré en vigueur. Le tribunal remarqua que l’article 45(2) du règlement du mécanisme supplémentaire prévoit une obligation claire de présenter les objections à la compétence sans délai et, dans la mesure du possible, immédiatement après la constitution du tribunal. Les parties ne sont autorisées à présenter des objections plus tard, que si l’objection repose sur des faits inconnus de la partie à ce moment-là, mais dans tous les cas avant l’expiration du délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire. Le Tribunal remarqua que ce délai était la « limite maximale » pour la présentation d’une objection à la compétence et ne pouvait être étendu davantage (para. 267).
En l’espèce, le Mozambique avait soulevé l’objection à la compétence trois années après la constitution du tribunal, soit bien après le délai fixé par l’article 45(2). En outre, le tribunal affirma qu’il était impossible pour le Mozambique de ne pas avoir EU raisonnablement connaissance du fait que, déjà au moment de la constitution du tribunal, le TBI n’était pas en vigueur puisqu’un simple examen de ses documents aurait suffi en l’espèce. Aussi, le tribunal conclut que le Mozambique n’avait pas respecté les délais fixés par l’article 45(2) pour la présentation de l’objection à la compétence.
Quel que soit le retard, le tribunal doit se prononcer sur sa propre compétence
Malgré le retard dans le dépôt de l’objection à la compétence par le Mozambique, le tribunal finit par conclure qu’il avait l’obligation d’examiner sa compétence de manière indépendante, conformément à l’article 45(3) du règlement du mécanisme supplémentaire. En effet, puisque l’objection portait sur l’absence d’entrée en vigueur du TBI, elle pesait sur la possibilité même de lancer l’arbitrage, puisqu’elle indiquait l’éventuelle inexistence du consentement à l’arbitrage du Mozambique. Aussi, le tribunal ne pouvait se refuser à examiner une objection de nature si fondamentale une fois qu’elle avait été portée à son attention.
Le tribunal remarqua également que si l’article 45(3) affirme qu’il « peut » de sa propre initiative décider si le différend relève de sa compétence, l’usage de ce verbe ne lui donne que le pouvoir d’examiner des questions de compétence même si elle n’ont pas été soulevées par les parties. Il ne lui donne toutefois pas, selon lui, le pouvoir d’ignorer les questions de compétence pour la simple raison que l’objection en question a été soulevée trop tard.
Pour déterminer s’il existe un consentement à l’arbitrage, le tribunal examine l’entrée en vigueur du TBI
Le tribunal examina ensuite les quatre éléments mis en avant par le Mozambique pour démontrer que le TBI n’était pas en vigueur. En premier lieu, il analysa l’argument selon lequel la procédure pour l’entrée en vigueur établie par l’article 12 du TBI n’avait jamais été parachevée. Cet article exige non seulement la ratification du traité, mais également une notification de chacune des parties à l’autre indiquant le parachèvement de sa propre procédure nationale de ratification. En ce sens, la ratification n’est « qu’une étape vers l’entrée en vigueur du TBI » (para. 341). Puisque les éléments présentés par OB ne pouvaient démontrer de manière certaine que la notification requise par l’article 12 du TBI avait été envoyée, que ce soit par le Mozambique ou par l’Afrique du Sud, le tribunal ne pouvait conclure que le TBI était en vigueur.
Cette conclusion fut renforcée par le deuxième argument du Mozambique portant sur un échange de notes diplomatiques entre le Mozambique et l’Afrique du Sud où les deux États confirmaient que le TBI n’était effectivement pas en vigueur. Le tribunal considéra que ces deux éléments permettaient conjointement de conclure la question. Il décida donc de ne pas examiner les troisième et quatrième arguments du Mozambique, portant, respectivement, sur le fait que l’Afrique du Sud n’avait jamais parachevé sa procédure interne de ratification du TBI, et que le TBI n’avait jamais été enregistré auprès du secrétariat des Nations Unies, au titre de l’article 102 de la Charte des Nations Unies.
Cette conclusion selon laquelle le TBI n’était jamais entré en vigueur impliquait que les deux fondements sous-tendant les recours d’OB, à savoir le TBI lui-même et la Loi mozambicaine sur l’investissement, n’existaient pas. En effet, la Loi sur l’investissement exige le consentement express des parties à soumettre le différend à l’arbitrage. Cependant, OB identifiait un tel accord express dans le TBI lui-même, liant donc également les recours lancés au titre de la Loi sur l’investissement à l’entrée en vigueur du TBI.
Le dernier argument fondé sur l’estoppel du demandeur est également rejeté
Finalement, le tribunal examina l’argument d’OB selon lequel, même si le TBI n’était pas en vigueur, le Mozambique ne devrait être autorisé à soulever cet argument compte tenu des représentations données par le pays aux investisseurs étrangers selon lesquelles le TBI était bel et bien en vigueur. En d’autres termes, selon OB, le tribunal aurait dû conclure que le Mozambique avait implicitement consenti à sa compétence par ses mots, ses actes ou son silence sur la question.
Le tribunal conclut toutefois qu’il ne pouvait présumer que les prescriptions de l’article 12 du TBI étaient satisfaites par l’invocation de la doctrine de l’estoppel , puisque l’entrée en vigueur du traité était une question purement juridique. De plus, il clarifia que pour pouvoir appliquer la doctrine de l’estoppel, OB aurait dû démontrer qu’il s’était appuyé de bonne foi sur les représentations du Mozambique avant de réaliser son investissement, hors il n’avait pas présenté une telle preuve au tribunal.
Compte tenu de ces éléments, le tribunal rejeta l’affaire en raison de son absence de compétence. Il détermina par ailleurs que chacune des parties payerait ses propres frais juridiques, ainsi que les coûts administratifs de la procédure (489.929,26 USD) à part égale.
Remarques : le tribunal était composé de Makhdoom Ali Khan (président nommé par le président du conseil administratif du CIRDI, du Pakistan), de L. Yves Fortier (nommé par le demandeur, du Canada) et de Claus von Wobeser (nommé par le défendeur, du Mexique). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/cases/7663
Alessandra Mistura est doctorante en droit international au Graduate Institute, à Genève.