Débat au sein du groupe de travail III de la CNUDCI : force exécutoire des décisions rendues par un mécanisme d’appel ou un tribunal d’investissement au titre des Conventions du CIRDI et de New York

Au cours des discussions tenues lors de la 38ème session du Groupe de travail III de la CNUDCI, à Vienne du 20 au 24 janvier 2020, l’une des principales questions portées à l’attention des délégués concernait la force exécutoire des « sentences » rendues par un mécanisme d’appel ou un tribunal des investissements. Cette question de la force exécutoire est fondamentale, car pour qu’un nouveau système de règlement des différends soit efficace et inspire la confiance de ses usagers, il est impératif que ses produits soient exécutoires.

Un nouveau mécanisme d’appel ou tribunal des investissements devra être assorti d’un mécanisme d’application

Si les États décident de créer un mécanisme d’appel ou un tribunal multilatéral des investissements, l’instrument portant création du nouvel organe devra inclure un mécanisme spécifique ou autonome de reconnaissance et d’application, en d’autres termes, une disposition au titre de laquelle les parties au nouvel organe s’engagent et conviennent d’en appliquer les décisions. Le libellé utilisé à cet égard pourrait être assez simple à rédiger, et pourrait s’inspirer du libellé de l’article 54 de la Convention du CIRDI[1], qui indique que les parties reconnaissent les sentences rendues par le nouvel organe comme étant obligatoires et s’engagent à les appliquer sur leur territoire comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal dudit État.

Toutefois, une telle solution n’engagera que les parties au nouvel organe d’appel ou tribunal des investissements. Elle ne saurait, et ne pourrait, engager les États qui ne deviennent pas membre de l’institution ou partie à l’instrument. Cela soulève donc une question essentielle : quels seraient les effets sur l’exécution et la reconnaissance dans les États non parties ?

L’exécution des sentences dans le régime de RDIE existant : les Conventions du CIRDI et de New York

Dans le régime actuel de l’arbitrage investisseur-État, les Conventions du CIRDI et de New York prévoient un cadre juridique efficace pour l’exécution des sentences arbitrales dans les pays tiers. L’exécution au titre de ces conventions implique toutefois quelques prescriptions. Les sentences en question doivent satisfaire aux conditions prévues par les conventions. L’article 54 de la Convention du CIRDI exige que la sentence ait été « rendue dans le cadre de la présente Convention », c’est-à-dire qu’elle résulte d’un arbitrage mené conformément aux prescriptions de la convention[2]. En revanche, les prescriptions de la Convention de New York sont un peu plus flexibles. La convention s’applique à la reconnaissance et à l’exécution de toute « sentence arbitrale » étrangère – un terme qui n’est pas clairement défini – mais les États individuels conservent le droit d’appliquer la Convention de New York aux sentences arbitrales portant sur les différends de nature « commerciale » uniquement[3].

Voilà donc les mécanismes d’application qui soutiennent avec succès le régime d’arbitrage investisseur-État existant. Cependant, la question qui se pose au groupe de travail maintenant est de savoir si les résultats produits par un nouveau mécanisme d’appel ou tribunal d’investissement pourront s’appuyer sur les mécanismes d’application des Conventions du CIRDI ou de New York. En d’autres termes, seront-ils compatibles avec ce régime d’application existant ?

L’exécution au titre de la Convention du CIRDI

Un mécanisme d’appel ou une structure de tribunal des investissements ne sont pas compatibles avec la Convention du CIRDI. L’article 53 indique en effet que les sentences rendues dans le cadre de la Convention du CIRDI « ne peu[ven]t être l’objet d’aucun appel ou autre recours, à l’exception de ceux prévus à la présente Convention »[4], tels que le mécanisme d’annulation prévu à l’article 52. En outre, comme nous l’avons déjà noté, la Convention du CIRDI ne s’applique qu’aux arbitrages menés « dans le cadre » des termes de la convention ; cette condition ne serait pas satisfaite par un arbitrage ayant fait l’objet d’un appel ou, encore moins par une sentence rendue par un tribunal des investissements.

Il est en principe possible d’amender la Convention du CIRDI, pour y inclure un mécanisme d’appel ou pour en permettre la constitution. Mais cela n’est cependant pas chose facile car l’amendement de la Convention du CIRDI exige l’accord de toutes les parties à la Convention[5], ce qui semble politiquement difficile à l’heure actuelle.

À défaut, certaines des parties à la Convention du CIRDI pourraient conclure un accord dit « inter se » dans le but de modifier les termes de la Convention pour elles-mêmes. Mais il existe de sérieux doutes et désaccords quant à cette question ardue[6].

La question est de savoir si l’on peut modifier un traité de manière inter se lorsque le traité en question interdit spécifiquement la modification proposée. L’article 41 CVDT indique qu’une modification inter se ne peut être apportée si la modification en question est interdite par le traité. La Convention du CIRDI contient vraisemblablement une telle interdiction[7]. Pour rappel, l’article 53 prévoit spécifiquement qu’une sentence rendue au titre de la Convention du CIRDI « ne peut être l’objet d’aucun appel ou autre recours, à l’exception de ceux prévus à la présente Convention »[8]. En outre, l’article 26 de la Convention du CIRDI indique expressément que « [l]e consentement des parties à l’arbitrage dans le cadre de la présente Convention est, sauf stipulation contraire, considéré comme impliquant renonciation à l’exercice de tout autre recours », comme un appel, par exemple[9].

En plus de cette interdiction, l’article 41 CVDT interdit les modifications inter se lorsqu’elles portent atteinte à l’exécution des obligations des autres parties aux traité ou sont incompatibles avec l’objet et le but du traité[10]. Une modification inter se peut en effet porter atteinte aux autres parties au traité en étendant la portée des différends sur lesquels leurs tribunaux nationaux ne pourront se prononcer, même pour un examen limité, en cas de reconnaissance et d’exécution. L’on peut également se demander si le fait de fragmenter la structure de l’arbitrage auprès du CIRDI en un mécanisme « à la carte »[11], dans lequel pourraient coexister des arbitrages auprès du CIRDI non soumis à un appel, des arbitrages auprès du CIRDI sujets à un mécanisme d’appel et peut-être également des affaires investisseur-État tranchées non pas par un tribunal du CIRDI, mais par un tribunal d’investissement, est en accord avec l’objet et le but de la Convention du CIRDI. Il s’agit là encore de questions ardues, mais que le groupe de travail devra examiner dans le futur.

L’exécution au titre de la Convention de New York

Au-delà de ces questions de compatibilité, ou d’incompatibilité, d’un mécanisme d’appel ou d’un tribunal des investissements avec la Convention du CIRDI, le groupe de travail doit également examiner la solution alternative consistant à s’appuyer sur la Convention de New York pour l’exécution et la reconnaissance des sentences. Il se pourrait que la question de la compatibilité soit moins complexe ici et, il semble en effet qu’il n’y ait pas de désaccord majeur entre les experts qui ont examiné la question.

Comme précédemment remarqué, la Convention de New York offre un mécanisme international flexible s’agissant de l’exécution des sentences arbitrales étrangères dans plus de 150 États parties. Elle ne s’applique toutefois qu’aux « sentences arbitrales », et l’on peut donc se demander, s’agissant d’un mécanisme d’appel, mais encore plus d’un tribunal des investissements, si les résultats produits par le biais de ces procédures peuvent être considérés comme des sentences arbitrales aux fins de la convention.

Sur ce point, il semble qu’il y ait consensus parmi les experts qui affirment que même dans le cas d’un tribunal des investissements employant des juges permanents, sans que les investisseurs ne participent à leur nomination, les décisions d’un tel organe ou d’un mécanisme d’appel devraient être considérées comme des sentences arbitrales[12]. L’article 1 de la Convention de New York indique clairement que les sentences arbitrales incluent celles « rendues par des organes d’arbitrage permanents auxquels les parties se sont soumises ». Par ailleurs, certaines pratiques des États soutiennent la conclusion selon laquelle les décisions d’un organe d’arbitrage permanent dont les membres sont nommés par les États devraient être traitées comme des sentences arbitrales aux fins de la Convention de New York. Pour être précis, les décisions rendues par le Tribunal des réclamations États-Unis-Iran, constitué entièrement de juges nommés par les États, ont reçu la reconnaissance de la Convention de New York[13], comme d’autres décisions historiques rendues par les Cours d’arbitrage des Chambres de commerce des États du Comecon pendant la période soviétique[14].

S’agissant de savoir si les décisions rendues au titre d’un traité d’investissement peuvent être traitées comme des sentences « commerciales » aux fins de la Convention de New York, à condition que les États en ait fait la réserve, là encore, aucune raison de penser que de telles décisions ne satisferaient pas les critères. Cette question s’est déjà présentée dans le cadre du régime actuel d’arbitrage investisseur-État, et les tribunaux nationaux qui ont examiné la question ont toujours conclu qu’un arbitrage au titre d’un traité d’investissement était considéré comme « commercial » aux fins de la Convention de New York[15].

Il existe cependant un point pour lequel l’on peut avoir quelques doutes quant à l’application de la Convention de New York aux décisions produites par un mécanisme d’appel ou un tribunal des investissement. Dans le cadre des discussions du groupe de travail sur un mécanisme d’appel ou un système de tribunal, il a été noté que le nouveau processus devrait culminer en une sentence finale qui ne peut être l’objet d’un autre examen. C’est par exemple l’approche suivie par la pratique bilatérale actuelle de l’UE[16]. Toutefois, l’article 5 de la Convention de New York offre aux tribunaux du territoire d’exécution une capacité de réexamen limitée, s’agissant des aspects d’équité de procédure et de politique publique d’un pays dans lequel l’exécution est demandée[17].

La question qui se pose est de savoir si les parties à un mécanisme d’appel ou un tribunal des investissements pourraient contourner ce processus d’examen des cours de la juridiction d’exécution. En l’espèce, probablement pas. D’abord, c’est à chaque État partie à la Convention de New York de déterminer pour eux-mêmes de bonne foi comment appliquer les dispositions de la convention. Si l’on s’intéresse à la pratique dans le monde, l’on constate que de nombreux États n’autorisent pas les parties à un arbitrage à contourner l’examen, qu’il s’agisse d’aspects d’équité procédurale ou, encore plus vrai, qu’il s’agisse de la politique publique de la juridiction d’exécution. Cela signifie que bien que la Convention de New York s’applique probablement en soutien de la reconnaissance et de l’exécution des décisions d’un mécanisme d’appel ou d’un tribunal des investissements, celles-ci pourraient toujours être assujettis à un réexamen dans la juridiction d’exécution au titre de l’article V, et cela ne peut être évité. Cela n’implique pas, d’ailleurs, que la convention ne s’est pas avérée efficace pour l’exécution des sentences dans le cadre du régime actuel. Cet argument vise simplement à souligner les limites d’une approche consistant à s’appuyer sur la Convention de New York pour l’exécution des décisions d’un mécanisme d’appel ou d’un tribunal des investissements.

Remarques finales

Les problèmes soulevés par la question de l’exécution sont complexes, difficiles et sujets à un certain désaccord entre les experts. Aussi, alors que le groupe de travail cherche à faire avancer ses travaux, les États devront examiner ces questions avec soin, et bien les décortiquer. S’ils ne s’y penchent pas dès le début, ils sont sûrs de faire face à de plus grandes difficultés par la suite.


Auteur

N. Jansen Calamita est Responsable du Investment Law & Policy auprès Centre du droit international de l’Université nationale de Singapour, et professeur associé de recherche à la Faculté de droit de l’Université nationale de Singapour. Cet article est une adaptation des remarques formulées par l’auteur à l’occasion de la reprise de la 38ème session du Groupe de travail III de la CNUDCI, le 22 janvier 2020.


Notes

[1] Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, Washington, signée le 18 mars 1965, entrée en vigueur le 14 octobre 1966 [la Convention du CIRDI]. https://ICSID.worldbank.org/en/Documents/icsiddocs/ICSID%20Convention%20French.pdf

[2] Convention du CIRDI, supra note 1, art. 54.

[3] Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, New York, signée le 10 juin 1958, entrée en vigueur le 7 juin 1959 [la Convention de New York]. http://www.UNCITRAL.org/pdf/french/texts/arbitration/NY-conv/New-York-Convention-F.pdf

[4] Convention du CIRDI, supra note 1, art. 53.

[5] Convention du CIRDI, supra note 1, art. 66.

[6] Voir, par exemple, Calamita, N. J. (2017). The (in)compatibility of appellate mechanisms with existing instruments of the investment regime. Journal of World Investment and Trade, 18(4), 585–627 ; Kaufmann-Kohler, G. & Potestà, M. (2016, June 3). Can the Mauritius Convention serve as a model for the reform of investor–state arbitration in connection with the introduction of a permanent investment tribunal or an appeal mechanism? Analysis and roadmap. Geneva Centre for International Dispute Settlement (CIDS). https://www.uncitral.org/pdf/english/CIDS_Research_Paper_Mauritius.pdf ; Reinisch, A. (2016). Will the EU’s proposal concerning an investment court system for CETA and TTIP lead to enforceable awards? – The limits of modifying the ICSID Convention and the nature of investment arbitration. Journal of International Economic Law, 19(4), 761–786.

[7] Convention de Vienne sur le droit des traités, signée le 23 mai 1969, entrée en vigueur le 27 janvier 1980 [la CVDT]. https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%201155/volume-1155-i-18232-french.pdf

[8] Convention du CIRDI, supra note 1, art. 53.

[9] Convention du CIRDI, supra note 1, art. 26.

[10] CVDT, supra note 7, art. 41.

[11] En français dans le texte, n.d.l.t.

[12] Voir supra note 6.

[13] Voir le ministère de la Défense de la République islamique d’Iran c. Gould, Inc., 887 F2d 1357 (9ème Cir 1989), cert. rejeté, 110 S Ct 1319 (1990).

[14] Voir Van den Berg, A. J. (1981). The New York Convention of 1958: Towards a uniform judicial interpretation. Kluwer International, pp. 378–379.

[15] Voir République d’Argentine c. BG Group PLC, 764 F Supp2d 21 (DDC 2011), annulée par 665 F3d 1363 (DC Cir 2012), annulée par 134 S Ct 1198, 1204 (2014). Voir également États-Unis du Mexique c. Metalclad Corp., 2001 BCSC 664 (British Columbia Sup Ct 2001), para. 44.

[16] Voir, par exemple, Accord de protection des investissements Singapour–Union européenne, signé le 15 octobre 2018, art 3.22(1). https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?qid=1541585964146&uri=CELEX%3A52018PC0194

[17] Convention de New York, supra note 3, art. V.