Rejet de tous les recours sur le fond, dans l’affaire opposant Lidercón au Pérou : le changement du cadre réglementaire et les décisions juridiques n’ont pas violé la norme TJE

Lidercón, S. L. c. la République du Pérou, Affaire CIRDI n° ARB/17/9

Les  recours de Lidercón, une entreprise espagnole gérant des centres d’inspection automobile dans la Municipalité métropolitaine de Lima, contre le Pérou, ont tous été rejetés dans un arbitrage CIRDI. Si les investisseurs étrangers se plaignent fréquemment de discrimination à leur égard, dans cette affaire inhabituelle, l’entreprise arguait qu’elle avait l’exclusivité des services de contrôle technique, à l’exclusion de tous les compétiteurs nationaux et étrangers, sur la base d’une disposition contenue dans son contrat de concession. L’entreprise prétendait que les changements apportés au cadre réglementaire, les décisions des autorités et des tribunaux de l’État quant à la clause d’exclusivité, et l’aptitude des autorités de supervision de Lidercón, représentaient une violation de la norme de traitement juste et équitable.

Le tribunal ordonna à Lidercón de rembourser au Pérou 60 % des contributions payés par le pays pour les frais de l’arbitrage, ainsi que 60 % de ses frais juridiques, soit un total de plus de 4 millions USD.

Le contexte et les recours

En 2004, Lidercón signa un contrat de concession avec la Municipalité métropolitaine de Lima (MML) portant sur la construction et la gestion de centres d’inspection technique des véhicules automobiles sur le territoire de la MML. La supervision de cette zone relevait d’une autorité locale, ce qui était une anomalie puisque dans le reste du pays, ces services d’inspection relevaient du contrôle du ministère des Transports et des Communications (le ministère). Toutefois, lorsque Lidercón signa le contrat de concession avec la MML, une réforme du cadre législatif était en cours, suite à la fin du régime de Fujimori. Les changements réglementaires culminèrent avec l’adoption, en 2008, de la Loi portant création du système national d’inspection technique des véhicules (« Ley ITV »), qui octroyait au ministère la compétence exclusive s’agissant de l’approbation et de la supervision des services d’inspection automobile, et supplantait toutes normes contraires.

Le contrat de concession contenait une disposition accordant à Lidercón l’exclusivité dans la fourniture de services d’inspection technique. Si les rapports initiaux du ministère et d’INDECOPI, l’agence péruvienne en charge de la concurrence, affirmaient que ce droit exclusif serait maintenu, l’INDECOPI détermina par la suite qu’il s’agissait d’un obstacle bureaucratique illégal. Lidercón contesta cette décision auprès de la Corte superior de justicia (Cour supérieure de justice) de Lima en 2017, mais cette dernière réaffirma la décision d’INDECOPI.

Lidercón et la MML s’étaient déjà affrontées dans plusieurs procédures nationales d’arbitrage avant l’affaire de 2017. Celles-ci avaient pris fin avec la décision de 2011 maintenant la légalité du contrat de concession signé par les parties. Mais la Corte superior déclara que la décision de 2011 ne pouvait être exécutée dans la mesure où elle appelait la MML à agir au-delà de ses compétences et à superviser elle-même la performance de Lidercón.

Lidercón affirmait que le Pérou avait violé le TBI Espagne-Pérou en manquant d’accorder le traitement juste et équitable (TJE) du fait d’un déni de justice, et du fait d’actes non transparents et de mauvaise foi qui frustraient ses attentes légitimes. Elle prétendait également que le Pérou lui avait imposé des mesures injustifiées et discriminatoires, en violation du contrat de concession. Le tribunal rejeta la violation contractuelle car le TBI ne contenait pas de clause parapluie. Le raisonnement portant sur les autres recours est présenté ci-dessous.

La possibilité d’obtenir réparation pour des changements réglementaires contenue dans le contrat est pertinente s’agissant des attentes légitimes et du traitement discriminatoire

Le tribunal rejeta l’argument selon lequel le Pérou avait violé la norme TJE en niant à Lidercón le droit exclusif de fournir les services d’inspection, frustrant ainsi les attentes légitimes de l’entreprise. Il définit les attentes légitimes comme étant de nature à susciter une raisonnable, et il détermina que Lidercón ne pouvait s’attendre à ce que le contrat de concession soit exclu des changements réglementaires, principalement du fait que le contrat de concession contenait des dispositions indiquant qu’il était possible que les changements réglementaires altèrent les conditions de la concession, et prévoyant des réparations (para. 197 à 206).  L’inclusion de ces dispositions dans le contrat signifiait que les parties avaient explicitement envisagé cette possibilité et avaient convenu de réparations. De même, l’inclusion de ces dispositions dans le contrat contredit   également l’argument de Lidercón selon lequel elle avait été traitée de manière discriminatoire.

Le « fonctionnement normal  » d’un système de prise de décision ne viole pas la norme TJE

La demanderesse prétendait que les positions en apparence contradictoires d’INDECOPI, qui avait d’abord accepté la clause d’exclusivité, avant de la rejeter, violaient la norme TJE. Le tribunal n’était pas du même avis, et détermina que ce revirement ne constituait pas une preuve d’incohérence, mais représentait « le fonctionnement normal d’un système décisionnaire quant à des circonstances différentes à des moments différents » (para. 248). INDECOPI avais pris des décisions dans le contexte d’un changement de cadre réglementaire, et ses décisions après l’adoption de la Ley ITV (qui donnait au ministère la compétence exclusive sur les services d’inspection technique) allaient nécessairement être différentes de celles prises avant.

Violation d’un traité par des actes judiciaires: Le tribunal rejette la large interprétation de la demanderesse et réaffirme le point de vue plus étroit découlant de Alghanim c. Jordanie

La demanderesse avançait que la décision juridique confirmant la décision d’INDECOPI et rejetant la clause d’exclusivité violait le TBI. Elle arguait que « la mesure originale était tout proche d’être considérée comme une violation du traité, seule la disponibilité des voies de recours internes l’en avait empêchée ; il se pourrait donc que l’État d’accueil soit tenu de donner réparation par le biais de ses tribunaux nationaux pour éviter une telle conséquence. Un manquement à cet égard pourrait avoir pour conséquence de cristalliser la mesure originale en violation, même dans des circonstances où les procédures judiciaires ne représentent pas un déni de justice » (para. 271, citant un article écrit par Hanno Wehland).

Le tribunal détermina qu’une telle approche n’avait pas été adoptée par d’autres décisions antérieures et accepta l’argument du Pérou selon lequel l’affaire Alghanim c. Jordanie la rejetait explicitement. Comme l’avait indiqué le tribunal, son rôle n’était pas de déterminer l’exactitude des tribunaux nationaux, mais seulement de déterminer si leur décision était inexcusable (c.-à-d. une décision à laquelle aucun tribunal raisonnablement compétent ne pourrait parvenir), et donc si elle constituait un déni de justice. Le tribunal de l’affaire Lidercón c. Pérou adopta donc un point de vue plus étroit à l’heure de déterminer à partir de quel moment les actes judiciaires constituent une violation du traité. Il réaffirma que le déni de justice peut prendre la forme (a) d’une violation de la procédure légale établie (qui n’était pas mise en avant en l’espèce) et (b) de décisions si manifestement infondées qu’elles indiquent clairement un parti pris (ce que les faits ne démontraient pas) (para. 270). Le tribunal affirma en outre que les tribunaux nationaux du Pérou n’auraient pas pu violer d’autres normes autonomes du droit international, au-delà du droit national, et qu’il n’était donc pas possible que l’analyse du tribunal supplante le droit national péruvien (para. 273).

L’absence de discrimination n’implique pas nécessairement que les gouvernements soient tenus de protéger les investisseurs étrangers contre   des compétiteurs ou des législateurs

Finalement, en réponse à l’argument de Lidercón selon lequel elle avait fait face à une certaine hostilité de la part des législateurs, et que les décisions d’INDECOPI avaient été fomentées par ses compétiteurs, le tribunal détermina que la simple opposition de la part des compétiteurs commerciaux ou de législateurs peu favorables à l’entreprise ne peut représenter à elle-seule une discrimination au titre du traité (para. 244).

Remarques : le tribunal était composé de Jan Paulsson (président nommé par les parties, de France et Suède), de Francisco González de Cossío (nommé par la demanderesse, du Mexique) et de Hugo Perezcano (nommé par le défendeur, du Mexique). La décision du 6 mars 2020 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw11419.pdf.

Anna Sands termine actuellement une maîtrise en études de développement auprès de l’Université d’Oxford. Sa recherche de maîtrise met l’accent sur les effets empiriques de l’arbitrage des investissements sur les choix politiques des gouvernements. Elle détient une licence de droit avec droit français de l’Université d’Oxford.