« Rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu » : le code de conduite et autres réflexions sur la 44ème session du groupe de travail III de la CNUDCI
Introduction
Il est difficile de croire qu’à la fin de cette année, cela fera six ans que le Groupe de travail III (GTIII) de la CNUDCI a commencé ses travaux sur la réforme très attendue, et tout aussi controversée, du RDIE. Initialement organisées sur une base semestrielle (à Vienne à l’automne, à New York au printemps), ses réunions physiques ont été brutalement interrompues par le déclenchement de l’épidémie de COVID-19 au début de l’année 2020. Les lecteurs d’ITN se souviendront[1] qu’après cinq réunions virtuelles, les délégués sont retournés au Centre international de Vienne en octobre 2022 pour la première réunion hybride après presque trois ans. La réunion de janvier 2023 s’est également tenue en format hybride.
Lors des précédentes sessions du GTIII, les progrès avaient franchement été lents. Ce n’est pas du tout le cas cette fois-ci. Cette fois-ci, il y avait un sentiment d’urgence, une détermination évidente. Le président, Shane Spelliscy, n’était pas le seul à vouloir faire avancer le débat ; les délégués semblaient eux aussi déterminés à ne pas perdre de temps. La date butoir étant fixée à 2026, le temps est en effet compté. Les tensions entre les camps opposés dans la salle étaient manifestes, non seulement dans les déclarations officielles, mais aussi dans le langage corporel, les bras croisés, les postures raides, l’absence de contact visuel entre les délégués, pendant les pauses café et les consultations informelles, ce qui était facilement perceptible même par l’observateur le plus distrait. Il n’y avait aucune animosité non plus, au contraire, plutôt un sentiment évident de familiarité entre les délégués après des années de collégialité, mais certainement une détermination à tenir sa position. Le GTIII allait tenter de s’attaquer de front à des points essentiels mais controversés, des questions qui seraient au cœur du succès ou de l’échec du processus de réforme. Tout le monde en était conscient et l’atmosphère dans la salle était fébrile. Cumul des rôles. Obligations de révélation pour les arbitres. Mécanisme d’appel. Autant de questions extrêmement importantes et tout aussi difficiles que le GTIII doit traiter[2].
Dans cet article de fond, j’examinerai le point qui s’est avéré être le plus controversé de l’ordre du jour de la réunion du GTIII à Vienne : l’article 4 du Code de conduite relatif au cumul des rôles. Comme l’a indiqué par la suite le secrétariat de la CNUDCI, la question sera à nouveau abordée en mars[3].
L’ordre du jour
Le programme de cinq jours a été divisé pour traiter deux questions primordiales. Les trois premiers jours ont été consacrés aux dispositions du Code de conduite qui n’avaient pas été abordées lors des sessions précédentes : les articles 10 (sur les assistants des arbitres), 11 (sur les obligations de révélation), 12 (sur le respect du Code), et 4 (sur la limitation du cumul des rôles). Les deux derniers jours ont été généralement consacrés au mécanisme d’appel. Le président, qui dirige les efforts de réforme multilatérale depuis le début, a souligné à plusieurs reprises qu’il était impératif de conclure les négociations, en particulier sur le Code de conduite, avant la fin de la session de janvier 2023. Tout au long de la semaine, M. Spelliscy a excellé dans l’exercice de ses fonctions, tant par ses interventions opportunes et bien pensées que par sa capacité à résumer, consolider et clarifier les points soulevés par les délégués.
Le Code de conduite, article 4
Comme prévu, l’article 4 sur la limitation du cumul des rôles des arbitres a été le point le plus controversé de l’ordre du jour du GTIII. Les délégations ont reçu un projet de texte de l’article 4, préparé par le président.
Ce projet de disposition visait à empêcher quatre scénarii principaux liés aux rôles multiples. Premièrement, il interdit aux arbitres d’agir simultanément en tant que conseillers juridiques ou témoins experts dans d’autres affaires impliquant les mêmes mesures, les mêmes parties (ou des parties liées), ou les mêmes dispositions. Deuxièmement, il interdit aux arbitres d’agir en tant que conseillers juridiques ou témoins experts dans des affaires concernant la même mesure pendant les trois années suivant la fin de leur mandat d’arbitre dans une affaire. Troisièmement, il leur serait également interdit d’exercer ces fonctions, pendant un an, dans des affaires portant sur les mêmes dispositions du même instrument. Les parties sont autorisées à convenir d’autres conditions concernant les limitations susmentionnées. Enfin, en ce qui concerne la double casquette dans des affaires portant sur des questions juridiques similaires, les arbitres doivent au préalable consulter les parties et s’assurer qu’ils ne violent pas leurs obligations d’indépendance et d’impartialité.
La question a constamment oscillé entre, d’un côté, les partisans d’une interdiction totale et de l’autre, ceux qui ne voulaient aucune limitation du cumul des rôles. Parmi les pays qui soutenaient une interdiction totale de la double casquette sans limite de temps figurait le Liban, qui soutenait que les limites de temps risquent d’affaiblir la règle. De même, l’Inde soutenait qu’une interdiction totale avec la possibilité pour les parties de convenir d’une autre solution était la voie à suivre. La Sierra Leone a indiqué que l’assouplissement des règles relatives à la double casquette entraverait les tentatives de diversification des arbitres et qu’il serait plus difficile pour les pays en développement de briser le plafond de verre. L’Argentine, secondée par le Maroc, a ajouté sa voix à la série de mécontentements en notant que les périodes de limitation spécifiées étaient trop courtes par rapport aux périodes initialement suggérées lors des réunions précédentes.
Les États-Unis et le Royaume-Uni se sont généralement opposés à l’inclusion même de périodes de limitation, représentant l’extrême opposé du débat. La délégation étasunienne a commencé par remettre en question l’objectif même d’une période de limitation, mais a indiqué qu’une période de six mois serait acceptable. En fin de compte, une suggestion concernant une approche optionnelle, selon laquelle différents délais pourraient s’appliquer en fonction des parties, a été mise en avant. La délégation britannique s’est généralement fait l’écho de cette position.
À ce stade, plusieurs délégations, dont le Zimbabwe et l’Argentine, ont rappelé au groupe de travail que le texte du président représentait déjà un compromis généreux par rapport à leur position initiale, en faveur d’une interdiction totale. Le Zimbabwe s’est fait l’écho des observations de la Sierra Leone selon lesquelles de courtes périodes risquent de figer la pratique existante et d’empêcher la possibilité d’une représentation géographique équitable. Le Ghana, le Brésil, la Chine et l’Indonésie ont également exprimé leur soutien à des interdictions strictes, voire totales.
Les « profondes divergences » entre les délégués, comme l’a dit le président, ont conduit le GTIII dans une impasse. À ce stade, il est apparu que si certaines délégations bénéficiaient d’un certain degré d’autonomie pour céder ou faire des compromis, d’autres semblaient avoir besoin de l’approbation de leurs capitales pour modifier toute position prescrite qu’elles avaient obtenues de leurs pays. Cela a également EU un impact significatif sur la flexibilité que chaque délégation pouvait offrir. Cette différence de flexibilité s’est également manifestée dans le degré de participation de certaines délégations au cours des sessions plénières formelles et dans la spontanéité apparente de certaines interventions. À partir du troisième jour, les consultations informelles se sont intensifiées, parfois au détriment du temps alloué aux sessions formelles. La réunion a pris une tournure intéressante : pressé par le temps, le président a demandé aux délégués de s’adresser directement les uns aux autres. Si les sessions formelles ont permis aux délégations de faire connaître leurs positions (et aucune décision ne pouvait officiellement être prise hors session, comme l’a confirmé le président au cours de la session), l’indulgence à l’égard des consultations et délibérations informelles s’est avérée relativement utile.
Au début, certaines délégations ont agi comme des centres de gravité pour d’autres délégués partageant les mêmes idées, ceux qui étaient en faveur d’une interdiction totale du cumul des rôles d’un côté, et ceux qui étaient insatisfaits de toute restriction dans le choix de leur arbitre préféré de l’autre, et des groupes de chambres d’écho se sont rapidement formés et déplacés. Ces discussions informelles intermittentes, parfois interrompues par des questions portant sur d’autres points que l’article 4, tels que le mécanisme d’appel, se sont poursuivies pendant les deux jours et demi suivants. L’objectif initial de conclure l’article 4 le troisième jour était désormais impossible à réaliser. Au fil des heures et des jours, les différentes positions ont commencé à s’affronter, donnant lieu à des pauses de consultations informelles pouvant parfois durer jusqu’à une heure. Le dernier jour, en particulier, a été le théâtre d’intenses débats.
Une délégation particulièrement mécontente des durées apparemment superficielles proposées par les États-Unis et le Royaume-Uni a répété que la véritable portée de leur compromis était ignorée. En effet, a-t-elle fait remarquer, leur position initiale était soit une interdiction totale, soit une période de limitation de 10 ans, et maintenant le point de départ du compromis semblait être trois ans puisque c’est ce que la proposition du président mentionnait. Selon eux, cela n’était pas approprié, puisque cela ne représentait pas correctement ce à quoi devrait ressembler un terrain d’entente. Cela leur donnait l’impression d’être le camp intransigeant, ce qui, selon eux, ne pouvait pas être plus éloigné de la vérité. Les bras croisés, les deux parties au débat, rassemblées en cercles irréguliers et bondés, semblaient de plus en plus frustrées. Alors que la tension montait, le président est intervenu et a poursuivi sa mission de modération au cours de ces délibérations informelles. Il a indiqué qu’un texte convenu, d’une manière ou d’une autre, devait être finalisé puis envoyé à la Commission. Il a rappelé que rien ne serait convenu tant que tout n’était pas convenu, exhortant les parties à parvenir à un accord.
Il était évident que le compromis ne prendrait pas la forme d’une période unique. Des alternatives ont été proposées, telles que l’inclusion dans le texte de « 6 mois à 5 ans » ou de « 1 an à 3 ans ». En fin de compte, et à l’insatisfaction apparente de tous, le GTIII a accepté son désaccord. Des périodes spécifiques ont été retirées du texte et mises entre crochets en vue de négociations ultérieures. Selon le président, cela signifiait au moins que le débat ne reviendrait pas sur la question de savoir s’il y aurait une période de limitation. Bien entendu, il reste à voir s’il s’agit ou non d’un point positif ou d’une approche optimiste créative de ce qui pourrait être considéré comme un pas en avant. Au moment de la rédaction de cet article de fond, le secrétariat avait déjà informé les délégués et les observateurs qu’une réunion informelle de deux jours se tiendrait avant la 45ème session à New York « dans le but de faire le point sur les progrès accomplis en ce qui concerne les Codes ».
Conclusion
Les études sur la théorie de la négociation ont largement exposé les complexités supplémentaires des négociations multipartites par rapport à leurs homologues bilatérales[4]. La formation de coalitions et la rationalisation des points de vue opposés, parfois réduits à deux groupes, sont par exemple pertinentes pour le processus en cours au sein du GTIII. Chacune de ces coalitions, composée d’une multitude de parties ayant des convictions, des intérêts et des lignes rouges variables, défend son point de vue sur la base de ses dénominateurs communs. La 44ème session du GTIII, comme les précédentes, a continué de servir d’exemple frappant de la manière dont ces coalitions se forment et se déroulent dans la pratique.
Le débat sur l’article 4 a également réaffirmé l’importance des délibérations informelles et la manière dont elles peuvent être utilisées pour résoudre les blocages. Parfois, la procédure formelle ne permet pas au débat de progresser aussi rapidement ou efficacement que nécessaire. C’est pourquoi le président a eu largement recours à des délibérations informelles au cours desquelles les parties ont pu se réunir et débattre, en groupe, de la possibilité de régler certaines questions. Les auteurs Midgaard et Underdal notent que les sessions formelles « se transforment en une discussion sur un problème simple et clairement défini » et que « les accords conclus confirment ce qui a été obtenu lors des discussions informelles (en sous-groupes) »[5]. Cette relation fonctionnelle entre les délibérations informelles et les sessions formelles était évidente dans les progrès réalisés par le GTIII en janvier, et le contexte général d’un mandat qui expire dans quelques années à peine incite les responsables à utiliser des outils pour s’assurer que le GTIII mène sa tâche à bien.
Ces outils ne garantissent toutefois pas le succès. Ce n’est pas la première fois que des questions clés, suspendues dans une impasse, ont été reportées pour être tranchées plus tard[6]. Midgaard et Underdal font une distinction utile entre ce qu’ils appellent le marchandage et les négociations coopératives. Ils notent que « contrairement […] aux négociations coopératives, [le marchandage] consiste à essayer d’amener l’autre ou les autres parties à faire les plus grandes concessions possibles, tout en faisant soi-même les plus petites concessions possibles »[7]. Si les délégués ont généreusement utilisé les termes « flexibilité » et « compromis » tout au long de la semaine, il a parfois semblé que la question de la double casquette relevait bel et bien du marchandage. Au fur et à mesure que la tension montait, les deux camps rivalisaient pour se rapprocher le plus possible de leurs positions initiales et pour éloigner le plus possible l’autre partie à la discussion de la sienne. Le rôle le plus important joué par le président au cours de cette semaine a sans doute été de rappeler aux deux camps que ce n’était pas du tout le but, ni l’approche idéale, pour accomplir la tâche du groupe de travail. Il a découragé l’optionnalité et la divergence, rappelant aux participants que si le GTIII réussit, ce sera grâce à la coopération. Après tout, rien n’a été convenu tant que tout n’a pas été convenu.
Le GTIII se réunira de nouveau à New York à la fin du mois de mars 2023. Les discussions sur le Code de conduite reprendront, en plus d’un ordre du jour déjà chargé pour cette réunion. On ne sait pas si les discussions seront aussi animées qu’à Vienne en janvier. Toutefois, pour l’instant, il semble y avoir un accord (à supposer que personne ne changera d’avis et ne décidera de revenir à ses positions initiales) sur le fait que le cumul des rôles sera limité en vertu de l’article 4. La question, à ce stade, est de savoir pendant combien de temps cette disposition empêchera les arbitres de remplir des rôles différents dans d’autres procédures.
Comme le notent Roberts et St John[8], le processus ressemble beaucoup à une relation à long terme : marqué par des hauts et des bas, par la confrontation et la collégialité, par des promesses et des attentes, et parfois des frustrations. Il reste à voir jusqu’où les différentes parties de cette relation sont prêtes à aller.
Auteur(e)s
Güneş Ünüvar, Chercheur principal, Institut Max Planck de Luxembourg.
Notes
[1] Ostřanský, J., & Bernasconi-Osterwalder, N. (2022). Le Groupe de travail III de la CNUDCI et l’évaluation de l’indemnisation et des dommages-intérêts : une portée trop réduite pour une réforme significative ou une opportunité de faire la différence ? Investment Treaty News. https://www.IISD.org/ITN/fr/2022/10/07/UNCITRAL-working-group-iii-and-the-assessment-of-compensation-and-damages-thinning-scope-for-impactful-reform-or-an-opportunity-to-make-a-difference-nathalie-bernasconi-osterwalder_josef-ostransky/
[2] Un rapport de la 44ème session du GTIII (A/CN.9/1130) est disponible à l’adresse suivante : https://undocs.org/fr/A/CN.9/1130
[3] Ordre du jour provisoire annoté de la 45ème session du Groupe de travail III de la CNUDCI (A/CN.9/WG.III/WP.225), p.3. https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/V23/003/65/PDF/V2300365.pdf?OpenElement
[4] Zartman, W. I. (1994). Two’s company and more’s a crowd. The complexity of multilateral negotiation. In Zartman, W. I. (Ed.), International multilateral negotiation. Approaches to the management of complexity, Jossey-Bass, pp. 1-10.
[5] Midgaard, I.G. et Underdal, A. (1977). Multiparty conferences. Dans D. Druckman (Ed.), Negotiation: Social-psychological perspectives (pps. 329-345). Sage,
[6] Starkey, B., Boyer M. A. et Wilkenfeld, J. (1999). Negotiating a complex world: An introduction to international negotiation. Rowman & Littlefield, p. 17.
[7] Midgaard et Underdal, supra note 5, p. 331.
[8] Roberts, A. et St John, T. (2022). UNCITRAL and ISDS reform (hybrid): Islands of persuasion. EJIL: Talk! https://www.ejiltalk.org/uncitral-and-isds-reform-hybrid-islands-of-persuasion/