Un tribunal de la CNUDCI accepte les objections juridictionnelles contre un investisseur chinois

Beijing Everyway Traffic & Lighting Tech. Co., Ltd c. la République du Ghana (I), Affaire CPA n° 2021-15

Résumé

Cette sentence sur la compétence concerne des recours introduits par Beijing Everyway Traffic and Lighting Co. Ltd. (le demandeur), un entrepreneur chinois, contre le gouvernement de la République du Ghana (le Ghana ou le défendeur) en vertu de l’Accord sur l’encouragement et la protection réciproque des investissements (le traité Chine-Ghana) signé par les gouvernements du Ghana et de la Chine en 1989 – le premier traité bilatéral d’investissement de la Chine avec un pays africain. Le demandeur alléguait que l’annulation arbitraire par le parlement ghanéen de son contrat avec le gouvernement avait violé les obligations conventionnelles du Ghana en matière d’expropriation et de traitement équitable ainsi que la clause parapluie.

Le tribunal ad hoc constitué en vertu du traité a scindé la procédure en deux parties, l’une portant sur sa compétence et l’autre sur le fond du recours. Après avoir interprété le traité Chine-Ghana, le tribunal a estimé qu’il n’était pas compétent pour connaître du différend. Le tribunal a analysé la clause de règlement des différends et a constaté qu’elle limitait la compétence aux recours concernant le montant de l’indemnisation pour expropriation et ne l’étendait pas à la question de savoir si l’expropriation avait EU lieu et si elle était légale. Le tribunal a également rejeté l’autre argument du demandeur selon lequel la clause NPF du traité pouvait être utilisée pour importer des clauses plus larges de règlement des différends des traités que le Ghana avait conclus avec le Royaume-Uni et le Danemark. Enfin, le tribunal a estimé que la procédure parallèle engagée par le demandeur au titre du contrat n’affecte pas la question de sa compétence en vertu du traité Chine-Ghana

Le contexte factuel et la procédure

Le différend porte sur un projet de système de gestion du trafic pour lequel le Ghana et le demandeur avaient conclu un contrat d’ingénierie, de fourniture, d’installation et de mise en service (EPIC) en 2012. Le contrat EPIC a été approuvé par une résolution du parlement ghanéen en décembre 2019. Cependant, en novembre 2020, le parlement a informé le demandeur que l’approbation avait été annulée dans l’intérêt de la sécurité nationale du Ghana. En raison de ces actions, le demandeur a entamé une procédure contre le Ghana, alléguant que ce dernier avait violé ses obligations conventionnelles en matière d’expropriation et de traitement équitable. Le demandeur alléguait également que ces actions violaient le devoir du Ghana de respecter ses obligations contractuelles, c’est-à-dire la clause parapluie, que le demandeur cherchait à importer par le biais de la clause NPF du traité Chine-Ghana. En réponse, le Ghana a fait valoir que les griefs du demandeur n’entrent pas dans le champ d’application du traité Chine-Ghana, soulevant ainsi une objection juridictionnelle, et a demandé que la procédure soit scindée afin de traiter l’objection juridictionnelle comme une question préliminaire. Cette demande a été acceptée à la majorité par le tribunal. La sentence finale a été rendue le 30 janvier 2023.

Les arguments relatifs à la compétence

Le demandeur a fait valoir que le recours était recevable pour deux raisons. Premièrement, la clause de règlement des différends du traité Chine-Ghana relative au montant de l’indemnisation concerne « tout différend […] relatif au montant de l’indemnisation pour expropriation » (article 10(1)). Selon l’interprétation du demandeur fondée sur les règles d’interprétation des traités contenues dans la CVDT, il convenait d’interpréter le champ d’application de l’article 10(1) comme incluant non seulement la question du montant de l’indemnisation pour expropriation, mais aussi la détermination de la régularité de l’expropriation.

Deuxièmement, le demandeur s’est appuyé sur la clause NPF (article 3(2)) du traité Chine-Ghana pour importer « des clauses plus larges de règlement des différends contenues dans les traités du Ghana avec » le Royaume-Uni et le Danemark qui, selon le demandeur, étaient applicables au présent différend et autorisaient le demandeur à poursuivre plusieurs violations du traité, y compris celles concernant l’expropriation, le traitement équitable, le traitement NPF, et la clause parapluie.

En réponse à ces arguments, le Ghana a fait valoir que l’article 10(1) limitait la compétence du tribunal à la seule détermination du montant de l’expropriation et que, par conséquent, le tribunal n’était pas compétent pour statuer sur les recours soulevés puisqu’ils ne relevaient pas de son champ d’application. Selon le Ghana, cette interprétation était soutenue par les règles de la CVDT, et les dispositions du traité Chine-Ghana attribuent la compétence sur la question de la régularité de l’expropriation aux tribunaux nationaux du Ghana (article 4(3)). Quant à l’argument du demandeur concernant la clause NPF du traité Chine-Ghana, le Ghana a affirmé qu’elle ne s’appliquait pas au règlement des différends dans le cadre du traité, notant qu’elle n’avait pas été prévue de manière expresse.

S’agissant de la procédure parallèle engagée en vertu du Règlement de la Cour d’arbitrage internationale de Londres (LCIA), le demandeur a fait valoir que cette procédure n’avait pas d’influence sur la compétence du tribunal en vertu du traité Chine-Ghana, étant donné qu’elle était indépendante du différend lancé au titre du contrat EPIC. Selon le Ghana, en engageant une procédure parallèle, le demandeur s’est livré à une recherche du meilleur forum (forum shopping), et les recours liés au contrat EPIC devraient nécessairement être traités dans le cadre de l’arbitrage de la LCIA.

L’analyse du tribunal

Avant d’examiner les arguments des parties sur la compétence, le tribunal a rappelé que la règle de base sur la charge de la preuve en droit international était que la partie qui soumet le recours doit le prouver (actori incumbit probatio). Par conséquent, de l’avis du tribunal, la charge de la preuve pour établir la compétence incombait au demandeur.

Le champ d’application de la clause de règlement des différends (article 10(1))

Comme indiqué précédemment, l’article 10 du traité Chine-Ghana limite la compétence du tribunal. Le premier alinéa est formulé comme suit :

Article 10
RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS PORTANT SUR LE MONTANT DE L’INDEMNISATION

  1. Tout différend entre l’un ou l’autre État contractant et l’investisseur de l’autre État contractant concernant le montant de l’indemnisation pour expropriation peut être soumis à un tribunal arbitral.

Notant les interprétations divergentes de l’article 10(1) avancées par le demandeur et le défendeur, le tribunal a choisi d’interpréter le traité en appliquant les règles générales d’interprétation des traités énoncées à l’article 31 de la CVDT. Le tribunal a commencé son analyse en examinant le « sens ordinaire » de l’article 10(1), en se concentrant particulièrement sur la manière dont les termes « concernant » et « montant de l’indemnisation pour expropriation » limitent la portée de la compétence du tribunal. Après avoir examiné les approches larges et étroites adoptées par les tribunaux d’investissement dans d’autres affaires, le tribunal a rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’article 10(1) devait être interprété de manière large afin d’inclure non seulement la question du montant de l’indemnisation, mais également la question de savoir si l’investisseur avait droit à cette indemnisation. En effet, le terme « concernant » n’élargit pas ou ne limite pas la portée de la compétence du tribunal, comme le soutenait le demandeur. Au contraire, le tribunal a expliqué que c’était l’expression « montant de » qui qualifiait et précédait « l’indemnisation pour expropriation » à l’article 10(1) qui limitait clairement la portée des questions pouvant être soumises à l’arbitrage par les parties.

En outre, le tribunal a noté qu’il fallait tenir compte de l’intitulé de l’article 10, qui soutenait l’interprétation selon laquelle le champ d’application de l’article 10(1) ne s’étendait pas au-delà des différends portant sur le montant de l’indemnisation. À cet égard, le tribunal a fait remarquer que les sentences pertinentes et les dispositions conventionnelles invoquées par le demandeur ne comportaient aucun titre ou étaient de nature générale. L’intitulé de l’article 10 du traité Chine-Ghana était « un point de distinction important » et suggérait que le sens ordinaire de l’article 10(1) ne pouvait pas être interprété de manière large.

Le tribunal a ensuite axé son interprétation de l’article 10(1) sur son « contexte » en examinant son sens par rapport à d’autres dispositions du traité Chine-Ghana. Aussi, le tribunal s’est d’abord référé à l’article 4(3), qui confère aux cours nationales de l’État expropriateur la compétence exclusive pour examiner la régularité de l’expropriation ou sa légalité en vertu du droit national de cet État. Le tribunal a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle l’utilisation de « peut » (may) plutôt que de « devra » (shall) dans la traduction anglaise du texte chinois signifiait que la compétence en vertu de l’article 4(3) était de nature permissive et non exclusive. Bien qu’il existât certaines incohérences entre les versions anglaise et chinoise du texte du traité, le tribunal a estimé que le fait que la version anglaise utilise le terme « devra » n’affecte pas la nature de la compétence au titre de l’article 4(3). À cet égard, le tribunal a également noté que l’article 4(3) ne contenait pas de référence à l’arbitrage.

Deuxièmement, dans le cadre de son analyse du « contexte », le tribunal a noté que dans les sentences rendues en vertu de traités d’investissement et qui avaient adopté une approche plus large pour interpréter la compétence d’un tribunal pour déterminer l’« indemnisation » ou le « montant de l’indemnisation », la disposition conférant cette compétence était elle-même liée à la disposition du traité donnant droit aux investisseurs à une indemnisation en cas d’expropriation. Ce n’était pas le cas dans le traité Chine-Ghana, a noté le tribunal, et la question des droits en cas d’expropriation ne peut donc pas être incluse dans le champ de compétence pour trancher la question du montant de l’indemnisation.

Fort de cette analyse, le tribunal a conclu qu’aucun élément des articles 10(1) et 4(3) du traité Chine-Ghana n’empêchait un investisseur de soumettre des recours concernant le montant de l’indemnisation après avoir engagé une procédure devant les juridictions nationales de l’État expropriateur sur la question de la régularité de l’expropriation. Cela distingue en outre le traité Chine-Ghana des situations rencontrées dans des sentences antérieures rendues dans le cadre de traités d’investissement et qui ont adopté une approche large de l’interprétation de la compétence, étant donné que la disposition équivalente à l’article 10(1) dans ces sentences interdisait aux investisseurs de soumettre à l’arbitrage tout différend, y compris sur le montant de l’indemnisation, lorsqu’ils avaient engagé une procédure devant les cours nationales de l’État d’accueil. En d’autres termes, le traité Chine-Ghana ne contenait pas de clause explicite de bifurcation.

Malgré cela, le demandeur a allégué qu’une « clause de bifurcation invisible » produirait des effets car, en renvoyant la question des droits en cas d’expropriation aux cours nationales, celles-ci seraient nécessairement tenues d’examiner la question du montant de l’expropriation, étant donné qu’il s’agit de l’un des critères de légalité au titre de l’article 4(1) du traité. Et la détermination du montant de l’expropriation par les tribunaux nationaux empêcherait le renvoi de la question à l’arbitrage en raison du principe juridique de l’autorité de la chose jugée (issue preclusion). Le tribunal a rejeté cet argument pour deux raisons. Tout d’abord, le tribunal a déclaré que le demandeur n’avait pas démontré que les tribunaux ghanéens aborderaient la question du montant de l’expropriation si un investisseur présentait un recours en vertu du traité. Deuxièmement, le tribunal a noté que pour que la décision d’un tribunal soit contraignante pour une juridiction ou un arbitrage ultérieur, le tribunal doit avoir compétence sur la question. En ce qui concerne le montant de l’expropriation, en vertu du traité, la compétence relève exclusivement des tribunaux arbitraux et non des juridictions nationales de l’État d’accueil.

Ensuite, le tribunal s’est penché sur la question de savoir si un investisseur est empêché de soumettre à l’arbitrage la question du quantum en vertu du traité en raison d’une déclaration unilatérale de l’État expropriateur niant l’existence de l’expropriation. Le tribunal a rejeté ce point de vue. Selon lui, malgré une déclaration unilatérale niant l’expropriation, l’investisseur peut soumettre la question de savoir s’il y a eu expropriation aux tribunaux compétents de cet État en s’appuyant sur l’article 4(3) du traité. Si les tribunaux nationaux estiment qu’il n’y a pas eu d’expropriation, la question du montant pourra être soumise à l’arbitrage, a expliqué le tribunal. Dans le cas contraire, l’investisseur peut soumettre la question du montant à l’arbitrage. Par conséquent, si un État peut nier unilatéralement l’existence d’une expropriation, le tribunal estime qu’il ne peut empêcher un investisseur de saisir ses tribunaux nationaux de la question des droits en vertu de l’article 4(3), puis, par la suite, de soumettre à l’arbitrage la question du montant en vertu de l’article 10(1).

Le tribunal a ensuite choisi d’aborder la suggestion implicite du demandeur selon laquelle le tribunal devrait avoir une compétence incidente pour trancher la question des droits en tant que question préliminaire nécessaire à la question du quantum. Le tribunal a rejeté cette suggestion, notant que le principe de la compétence incidente ne s’applique que lorsque la question antécédente n’est pas autrement exclue de la compétence du tribunal. C’était le cas en l’espèce, puisque l’article 4(3) du traité Chine-Ghana exclut, partant, de la compétence d’un tribunal arbitral la question des droits en cas d’expropriation.

Terminant son analyse interprétative du contexte de l’article 10(1), le tribunal a conclu que celui-ci ne peut être interprété comme accordant la compétence à un tribunal arbitral pour trancher la question de la régularité de l’expropriation. En outre, en analysant « l’objet et le but » du traité Chine-Ghana, le tribunal a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle, sur la base du préambule du traité, le droit de l’investisseur à l’arbitrage faisait partie de l’objet et du but du traité. Cette position était étayée par l’article 9 du traité, selon lequel le principal moyen de régler les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application du traité est de procéder à des consultations par la voie diplomatique et, à défaut, de recourir à l’arbitrage entre États. Enfin, estimant que son analyse fondée sur l’article 31 de la CVDT fournissait une interprétation « suffisamment claire » de l’article 10(1), le tribunal n’a pas jugé nécessaire de recourir à l’article 32 de la CVDT.

La disposition du traitement NPF et le règlement des différends (article 3(2))

Le tribunal a rejeté l’invocation par le demandeur de la clause NPF, à l’article 3(2) du traité, pour importer des dispositions plus larges de règlement des différends des traités conclus par le Ghana avec le Royaume-Uni et le Danemark. Le tribunal a noté que la clause NPF de l’article 3(2) est limitée au « traitement et à la protection visés au premier alinéa ». Notant que l’article 3(1) définit les normes de fond du traitement équitable et de la protection qui doivent être accordés aux investissements, le tribunal a noté que rien ne suggère que le champ d’application de la clause NPF devrait être large. Par conséquent, le tribunal a estimé que la clause NPF ne pouvait être invoquée pour étendre la compétence du tribunal aux recours formulés par le demandeur.

La procédure parallèle en vertu du règlement de la LCIA

S’agissant de l’effet de la procédure d’arbitrage parallèle engagée par le demandeur dans le cadre de la LCIA sur la compétence du tribunal, ce dernier a estimé que bien que les faits des deux litiges étaient similaires, l’arbitrage LCIA était différent et concernait les obligations du défendeur en vertu du contrat EPIC. En revanche, l’arbitrage fondé sur le traité concernait les obligations du défendeur en vertu du traité Chine-Ghana.

Conclusion

Cette sentence sur la compétence s’ajoute à d’autres sentences récentes concernant les TBI de première génération de la Chine qui limitent la compétence de l’arbitrage international au montant de l’indemnisation. Bien que le tribunal ait abordé un certain nombre de questions intéressantes telles que la « bifurcation invisible » et la compétence incidente soulevées par le demandeur, les dispositions du traité Chine-Ghana, rédigées de manière particulière, ont obligé le tribunal à adopter une approche étroite et à rendre une sentence fondée sur des principes. Comme l’a récemment fait remarquer un commentateur de la sentence, les clauses RDIE restrictives de première génération sont devenues une arme à double tranchant pour la Chine : si elles protègent le gouvernement chinois d’un examen minutieux dans le cadre de recours introduits par des investisseurs étrangers, elles ont également empêché les investisseurs chinois d’accéder au RDIE.


Remarque

Le tribunal était composé de Stavros L. Brekoulakis (président), de Richard Frimpong Oppong (nommé par le défendeur), et de Vijaya Kumar Rajah (nommé par le demandeur).

Auteur

Shantanu Singh a récemment obtenu une maîtrise en droit du Geneva Graduate Institute ; il a participé au programme droit et politique économique à IISD.