Le traitement spécial et différencié dans les Accords internationaux d’investissement
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Les origines du traitement spécial et différencié
Le traitement spécial et différencié (TSD) – conçu à l’origine sous l’égide du Système commercial multilatéral (SCM) dans les années 1960 pour apporter une plus grande flexibilité aux pays en développement vis-à-vis de leurs engagements commerciaux – a largement évolué dans les négociations commerciales et a également pris de l’importance dans les accords d’investissement.
Historiquement, dans le contexte commercial, le TSD est né d’un appel à la différenciation de la portée, des exemptions et de l’aide octroyées aux pays en développement. Le TSD a été codifié comme une règle normative de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1979 dans la clause dite d’habilitation, qui prévoit un traitement préférentiel pour les pays en développement, non-réciproque, et correspondant à leurs besoins en termes de développement. Il offre aux pays en développement une marge de manœuvre politique[1]reflétant l’idée fondamentale selon laquelle il n’existe pas une approche unique. La décision inscrite dans le GATT permettait aux pays en développement de s’écarter de la clause de la Nation la plus favorisée (NPF) et d’autres obligations relatives à la non-discrimination établissant un Système généralisé de préférences (SGP) dans le SCM. Le SGP préalable au cycle d’Uruguay prévoyait principalement des droits préférentiels pour les pays en développement, notamment un accès aux marchés renforcé, une souplesse dans l’adoption de mesures de protection et de réserves, et une dérogation aux disciplines du GATT[2].
En rééquilibrant le principe du droit international de l’égalité souveraine, qui invite tous les États — quel que soit leur niveau de développement — à se conformer de manière égale aux accords internationaux, le TSD vise à permettre aux pays en développement de respecter leurs engagements sans toutefois que cela ne freine leur processus de développement. Le concept a gagné en importance suite au débat complexe portant sur la relation entre le commerce et le développement. Il s’est également nourri des inégalités économiques qui justifient l’application du principe de différenciation aux pays en développement, stipulant que « l’accès aux marchés devrait être établi à des conditions bénéficiant aux moins avantagés »[3]. Dans ce contexte, le TSD est né pour accorder formellement aux pays en développement des flexibilités et préférences dans la mise en œuvre des accords économiques, en fonction de leurs besoins et de leurs capacités.
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Le TSD : du commerce à l’investissement
Pour ces mêmes raisons, le TSD a ensuite été reproduit dans les accords internationaux d’investissement, principalement dans ceux conclus entre pays en développement. Les accords régionaux sud-sud incluaient notamment des annexes présentant des réserves, permettant à chaque partie contractante de tenir compte de ses objectifs politiques nationaux.
Le TSD est sans doute né sur la base de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui définie une réserve comme « une déclaration […] faite par un État […] par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État »[4]. Ainsi, le droit international établit une marge discrétionnaire pour déterminer la portée de chaque réserve. Dans un sens plus général, les réserves sont considérées comme un outil permettant d’ajuster les obligations au titre des traités pour les rendre conformes aux lois et réglementations des États.
Les droits préférentiels accordés aux pays en développement se sont intensifiés dans les années 1980 avec la prise de conscience croissante des effets externes des marchés et de leurs retombées sur l’industrie et les entreprises nationales des États hôtes. Cela est particulièrement vrai pour les pays en développement, puisque leurs entreprises nationales peuvent être spécialement vulnérables, notamment vis-à-vis des grands investisseurs multinationaux. Aussi, certains pays en développement ont incorporé ces impératifs dans leurs premiers accords. Voyons par exemple le traité bilatéral d’investissement (TBI) Chine-Japon de 1988 : « L’octroi par l’une ou l’autre des parties contractantes d’un traitement discriminatoire, conformément à ses lois et réglementations applicables, aux ressortissants ou entreprises de l’autre partie contractante, ne sera pas réputé moins favorable s’il s’avère réellement nécessaire pour des raisons d’ordre public, de sécurité nationale ou pour le bon développement de l’économie nationale »[5].
Cette approche, alors sans précédent, a commencé à prendre de l’importance dans les accords régionaux. L’Accord unifié de 1980 pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes permet explicitement aux pays d’accorder des privilèges à certains investisseurs ou projets visant à soutenir le développement de l’économie nationale, de l’intégration régionale ou du transfert de technologie[6]. Notons également l’Accord pour la promotion et la protection des investissements de l’Association des nations d’Asie du sud-est (ANASE) de 1987, qui contient, en plus des réserves spécifiques des pays présentées en annexes, une disposition générale exigeant des investissements qu’ils soient conformes aux objectifs politiques nationaux, et aux lois et réglementations nationales[7].
En outre, une notion plus large du TSD a été incluse dans le Protocole de 2006 sur la finance et l’investissement de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Elle prévoit des exceptions permettant d’accorder un traitement préférentiel à certains investissements et investisseurs en vue d’atteindre les objectifs nationaux de développement. Elle prévoit également des conditions plus favorables pour les Pays les moins avancés (PMA), sur la base de la non-réciprocité et des avantages mutuels, et garantit un traitement préférentiel pour les PMA en ce qui concerne l’ouverture des marchés et les dérogations aux mesures incitatives[8]. Le TSD a également été mentionné dans l’aide accordée aux PMA dans le cadre de cette coopération régionale et visant à stimuler le développement des États membres par le biais de l’investissement.
Des accords régionaux récents incluent des clauses explicites sur le TSD visant à exclure certains investissements ou activités économiques du traité ou de certaines de ses dispositions. Ils prévoient également la suspension provisoire et l’application progressive du traité ou de certaines de ses dispositions, c’est-à-dire une période de transition afin de donner une certaine flexibilité aux États leur permettant de satisfaire leurs besoins en développement et d’autres préoccupations économiques rencontrées dans la réduction des disparités opérationnelles de ces accords. Par exemple, le projet de Code panafricain pour les investissements (PAIC) de 2015 prévoit, en plus des listes de réserves et des mesures exclues du traitement national et de la clause NPF, des prescriptions de résultat en faveur du développement, le traitement préférentiel des investissements et investisseurs éligibles, proportionnel aux objectifs nationaux de développement, et des périodes de transition[9].
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La résurgence du TSD dans les TBI : un contexte intriguant
Si le TSD apparait de manière explicite dans les accords régionaux sud-sud, imposant des conditions minimales d’équité entre les parties tout en leur laissant une certaine latitude pour la mise en œuvre de leurs objectifs politiques nationaux, il n’apparaissait à l’origine que de manière indirecte dans les TBI, non pas dans des dispositions autonomes, mais plutôt dans le contexte du le traitement juste et équitable (TJE), du traitement national et d’autres dispositions. Le TSD a toutefois gagné en importance dans les traités types récents grâce à un libellé explicite permettant de moduler les engagements et d’offrir un appui allant au-delà des préférences substantielles et concrètes prescrites dans les listes de réserves des pays. Les nouvelles caractéristiques du TSD incluent les mesures de sauvegarde, les exigences de performance, les obligations relatives au transfert de technologie et d’autres mesures de soutien, des exclusions générales et d’autres flexibilités en termes de procédure, impliquant un niveau réduit d’engagement et fonction du degré de développement de l’État.
Les TBI types récents affichent une tendance croissante à la modulation des engagements existants. Par exemple, le TBI type modernisé de l’Égypte reflète l’intérêt du pays pour la promotion du développement durable tout en tenant compte du niveau de développement du pays, comme l’on peut le voir dans les nouvelles clauses sur le traitement national et NPF. Il invoque également le droit international plutôt que de fixer une norme autonome en la matière, notamment en ce qui concerne le traitement juste et équitable (TJE) et la protection de la sécurité physique.
Le TBI type de l’Inde a lui entièrement supprimé les clauses NPF et TJE, et exclut les achats publics de la portée du traité, accordant implicitement un traitement préférentiel aux investisseurs nationaux[10]. En outre, il permet aux États d’adopter certaines mesures en vertu d’intérêts publics légitimes tels que l’environnement, la santé publique, la sûreté et l’ordre public, sans qu’il ne soit possible d’engager la responsabilité de l’État pour les violations du traité. Ces mesures doivent être prises de manière non-discriminatoire et non-arbitraire, de bonne foi et dans des circonstances similaires[11].
De même, les Accords de coopération et de facilitation de l’investissement (ACFI) du Brésil assujettissent la clause NPF et le traitement national aux objectifs sociaux publics légitimes. Les ACFI font la part belle à la facilitation de l’investissement par la promotion de la coopération technologique, scientifique et culturelle. Les accords prévoient l’échange d’information et d’expertise, ainsi que le transfert de technologie, et permet de prendre des mesures en faveur du développement dans remettre en cause les préoccupations des États en matière de sécurité[12]. Ces nouvelles caractéristiques reflètent le lien de causalité entre l’investissement et le développement, et sont conçues pour que l’investissement concorde avec les objectifs politiques nationaux de développement.
À la différence du contexte commercial, le TSD dans les traités d’investissement tend à dénigrer un traitement non-discriminatoire en donnant lieu à un traitement plus favorable, conforme au niveau de développement du pays. Les traités d’investissement sont toutefois similaires au droit commercial dans le sens où ils adoptent une approche fondée sur l’exclusion de certaines obligations de la portée de l’accord, donnant ainsi à l’État le droit de déroger à certains de ses engagements qui pourraient affecter sa souveraineté ou qui ne sont pas conformes à ses intérêts légitimes en matière de développement.
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Conclusion
Théoriquement justifié dans le cadre du SCM pour permettre aux États d’avoir des responsabilités différenciées au titre du même accord, le TSD est apparu dans le régime des investissements afin de compenser les déséquilibres des traités nord-sud, et il reflète naturellement l’importance croissante des questions de développement durable. Les accords régionaux d’investissement sud-sud utilisent le TSD principalement pour promouvoir l’investissement entre les parties. Cela a fait réfléchir les pays en développement, qui ont alors plaidé pour un fonctionnement plus favorable et efficace des accords commerciaux visant à promouvoir le développement dans le cadre du SCM.
Bien que les accords d’investissement sud-sud prévoient l’équilibre requis du régime des investissements, les déséquilibres présents dans les accords d’investissement nord-sud restent indéniables. Il n’est par conséquent pas certain que le TSD continue d’avoir une place de choix dans les TBI types des pays en développement et dans les TBI nord-sud, puisqu’ils s’écartent largement de la position des pays développés.
Finalement, il est important de rappeler que le TSD dépend de la manière dont les États hôtes adaptent et ajustent leurs obligations, d’une manière qui soit favorable à leur développement, et en fonction de leurs intérêts politiques nationaux. Toutefois, la résurgence d’un TSD plus large et plus explicite – même s’il arrive de manière opportune dans le contexte de la réforme du régime des investissements – laisse songeur quant à la manière dont il sera perçu dans ce nouveau contexte de l’investissement.
Auteure
Riham Marii est Responsable des AII à l’Autorité générale pour l’investissement et les zones franches auprès du ministère égyptien de l’Investissement. Elle a étudié l’économie à l’Université du Caire et a obtenu un Master en économie politique internationale de l’Université Pierre Mendès-France de Grenoble en France. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles du gouvernement égyptien.
Notes
[1] Hoeckman, B. (2005).Operationalizing the Concept of Policy Space in the WTO:Beyond Special and Differential Treatment.Dans Reforming the World Trading System(Reforming the World Trading System, Chapter 11).Journal of International Economic Law, 8(2), 405–424.
[2] Institut international pour le développement durable (IISD). (2003, printemps).Special and Differential Treatment.IISD Trade and Development Brief, 2. Tiré de http://www.iisd.org/pdf/2003/investment_sdc_may_2003_2.pdf.
[3] García, F. J., & Ciko, L. V. (2003).Theories of justice and international economic law.In J. Linarelli (Ed.), Research handbook on global justice and international economic law(pp.54–95). Cheltenham, Royaume Uni :Edward Elgar, p. 71.
[4] Convention de Vienne sur le droit des traités, 1155 U.N.T.S. 331, 8 I.L.M. 679, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, art. 2(1)(d). Tiré de https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201155/volume-1155-I-18232-French.pdf.
[5] Protocole se rapportant à l’Accord entre le Japon et la République populaire de Chine relatif à l’encouragement et la protection réciproques de l’investissement, 1eraoût 1988, para. 3. Tiré de http://investmentpolicyhub.UNCTAD.org/Download/TreatyFile/747.
[6] Accord unifié pour l’investissement des capitaux arabes dans les pays arabes, 26 novembre 1980, art. 16. Tiré de http://www.pipa.ps/files/file/Unified-Agreement-for-the-Investments-of-Arab-Capital-en.pdf.
[7] Accord entre le gouvernement de Brunei Darussalam, la République d’Indonésie, la Malaisie, la République des Philippines, la République de Singapore, et le Royaume de Thaïlande pour la promotion et la protection des investissements, 15 décembre 1987, art. 3. Tiré de http://ASEAN.org/?static_post=the-1987-asean-agreement-for-the-promotion-and-protection-of-investments.
[8] Protocole sur la finance et l’investissement, 18 août 2006, annexe 1 (coopération en matière d’investissement), art. 7 et 20. Tiré de http://investmentpolicyhub.unctad.org/Download/TreatyFile/2730.
[9] Projet de Code panafricain des investissements, mars 26 2016. Tiré dehttp://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/CoM/com2016/e1600511.pdf.
[10] Srividya, J. (2015).Bringing the state back in:India’s 2015 model BIT.Columbia FDI Perspectives, 154. Tiré de http://dx.doi.org/10.7916/D8RJ4HX6.
[11] Gouvernement de l’Inde.(2015). Model text for the Indian bilateral investment treaty.Tiré de http://indiainbusiness.nic.in/newdesign/upload/Model_BIT.pdf.
[12] Les six ACFI signés par le Brésil en 2015 (avec l’Angola, le Chili, la Colombie, le Malawi, le Mexique et le Mozambique) sont disponibles sur http://investmentpolicyhub.unctad.org/IIA/CountryBits/27.