Dans une nouvelle décision du CIRDI, un tribunal considère que les réformes de l’Espagne du secteur des énergies renouvelables ne violent pas le TCE
Stadtwerke München GmbH, Rwe Innogy GmbH, et autres c. le Royaume d’Espagne, Affaire CIRDI n° ARB/15/1
Le 2 décembre 2019, un tribunal sous l’égide du CIRDI concluait que l’Espagne avait respecté ses obligations au titre du TCE et que les recours présentés par des investisseurs allemands étaient sans fondement. Le tribunal ordonna donc aux demandeurs de verser à l’Espagne 2,3 millions EUR pour ses frais juridiques, et 362 237 USD pour sa part des coûts de l’arbitrage.
Le contexte et les recours
En 2009, Marquesado Solar S.L. (Marquesado), une entreprise espagnole directement ou indirectement détenue en totalité par l’entreprise allemande Stadtwerke München GmbH (SWM) et par un groupe d’autres entreprises allemandes, construisit la centrale électrique Andasol 3, en Andalousie, dans le sud de l’Espagne. SWM et les autres entreprises affirmèrent que leur décision de construire et d’exploiter la centrale se fondait sur les garanties données par le régime réglementaire espagnol de mesures incitatives offertes aux investissements dans le secteur des énergies renouvelables, à savoir le Décret royal (DR) 661/2007.
En 2012, l’Espagne réforma le régime applicable au secteur des énergies renouvelables en imposant des taxes supplémentaires, modifiant les tarifs de rachat garantis offerts aux producteurs d’électricité et restreignant les critères d’éligibilité aux mesures incitatives. Suite à cela, les demandeurs et Marquesado lancèrent un arbitrage au titre du règlement du CIRDI contre l’Espagne le 29 décembre 2014, avançant des violations de l’article 10(1) du TCE, notamment les clauses TJE, parapluie et de non-entrave.
Le tribunal rejette les objections de l’Espagne à la compétence liées à la nationalité européenne des demandeurs et au droit européen
Le tribunal rejeta l’objection de l’Espagne selon laquelle Marquesado n’était pas un investissement couvert, considérant que l’entreprise était contrôlée par des investisseurs d’un autre État partie. De plus, il observa que l’article 26(1) du TCE ne fait pas de distinction entre les divers types d’États parties, s’appliquant donc aux différends entre un investisseur d’un État de l’UE et un autre État membre de l’UE (para. 129).
Le tribunal conclut que l’accession de l’UE au TCE n’annulait pas la compétence des tribunaux du TCE sur les différends intra-UE. Il désapprouva notamment l’argument de l’Espagne selon lequel l’article 1(2) du TCE prévoit le transfert de compétence du TCE vers une Organisation d’intégration économique régionale (OIER), telle que l’UE, lorsque cette dernière devient membre du TCE (para. 131). Le tribunal refusa en outre de reconnaître la prévalence du droit européen sur l’article 25 du TCE, puisque ce dernier ne fait qu’empêcher les États non membres de l’UE mais États parties au TCE de bénéficier du traitement entre États membres de l’UE (para. 132).
L’Espagne argua que le tribunal n’avait pas compétence sur le différend puisque SWM, une entreprise publique allemande, était assimilable à l’Allemagne et que les différends entre États membres de l’UE relèvent de la compétence de la CJUE. Cependant, le tribunal rejeta cet argument puisque SWM était enregistrée en tant qu’entreprise au titre du droit allemand et respectait donc la définition d’« investisseur » au titre de l’article 1(7) du TCE, quel que soit le statut de ses actionnaires (para. 134).
Finalement, le tribunal refusa de rejeter l’affaire en raison de l’incompatibilité du TCE avec le droit européen compte tenu de la décision sur Achmea. Il considéra que même s’il acceptait pleinement le point de vue de l’Espagne et la décision sur Achmea quant au conflit juridique, le TCE devait prévaloir, puisque son article 16 prévoit qu’en cas de conflit, c’est la règle la plus favorable qui prévaut. Selon le tribunal, le TCE est plus favorable en l’espèce, compte tenu que le système européen ne donne pas aux investisseurs accès à un tribunal arbitral (para. 145 et 146).
L’objection de l’Espagne à la compétence en lien avec les mesures fiscales est retenue
Le tribunal accepta l’argument de l’Espagne selon lequel la taxe de 7 % imposée par la Loi 15/2012 sur la valeur de l’électricité produite était exclue de sa compétence au titre de l’exception contenue à l’article 21 du TCE. Interprétant les termes de l’article 21 à la lumière de leur sens ordinaire (para. 163 à 168) et des travaux préparatoires[1], le tribunal considéra que la taxe était une « mesure fiscale » et déclina sa compétence sur la loi (para. 172 à 176).
Le TCE ne confère pas de droit exécutoire à un cadre juridique stable
S’agissant du fond de l’affaire, le tribunal rejeta l’argument selon lequel l’article 10(1) du TCE impose aux parties contractantes une obligation autonome exécutoire d’accorder des conditions stables et équitables aux investisseurs. Il considéra en effet que l’article 10(1) était « bien trop général » pour imposer des directives et obligations spécifiques, mais qu’il orientait les autres obligations telles que la norme TJE de l’article 10(1) (para. 196 à 198).
La mesure prise par l’Espagne n’a pas violé son obligation d’accorder le TJE aux demandeurs
Le tribunal rejeta les allégations des demandeurs selon lesquelles l’Espagne ne leur avait pas offert un régime réglementaire stable, frustrant ainsi leurs attentes légitimes, n’avait pas agi de manière transparente, et avait adopté des mesures déraisonnables ou disproportionnelles.
Il considéra d’abord que la réforme réglementaire espagnole n’avait pas été menée avec l’intention d’altérer de manière drastique le cadre réglementaire après que l’investissement désiré ait été réalisé, comme un leurre. Selon le tribunal, les mesures avaient été légitimement prises pour protéger la politique publique et la pérennité du système électrique espagnol (para. 257 à 261).
Ensuite, il considéra que les demandeurs n’avaient pas démontré que le cadre réglementaire espagnol, ou les actions, ou inactions, des autorités espagnoles garantissaient une rémunération stable de l’électricité produite. Il conclut au contraire que tout investisseur prudent ayant exercé une diligence appropriée ne se serait pas légitimement attendu à une telle source régulière de revenus pour son investissement (para. 308).
Finalement, le tribunal rejeta les arguments du demandeur sur la transparence, le caractère déraisonnable et disproportionné des mesures adoptées au titre du cadre réglementaire. Ils considéra que ces dernières étaient transparentes et avaient été prises suite à des consultations et des rapports préliminaires (para. 315). De plus, les mesures avaient un lien raisonnable avec l’objectif de garantir la pérennité du système électrique et de réduire le déficit tarifaire, et le fardeau imposé aux demandeurs était proportionnel à l’objet et au but des mesures contestées (para. 320 à 322 et 354 et 355).
Le tribunal réaffirme le caractère raisonnable des mesures contestées et refuse l’application de la clause parapluie
Le tribunal réaffirma que les mesures de l’Espagne étaient raisonnables et ne violaient donc pas les obligations du pays au titre de l’article 10(1) du TCE de s’abstenir d’entraver les investissements par le biais de mesures déraisonnables (para. 364). Il considéra en outre que l’Espagne n’avait pas pris d’engagement contractuel ou de nature similaire envers les demandeurs. Il affirma également que le prétendu accord des demandeurs de juillet 2010 (un communiqué de presse de l’Espagne) et une résolution de 2011 adoptée par la Direction générale espagnole pour la politique à l’énergie et aux mines n’avaient aucune force contraignante en soi (para. 383 et 384).
La répartition des coûts et les frais
Le tribunal prit en compte le fait que le TCE ne contient pas de disposition sur la répartition des coûts et des frais, mais décida d’examiner les circonstances afin de parvenir à une conclusion équitable. Compte tenu du caractère légal des mesures contestées, de l’échec des objections de l’Espagne à la compétence et des coûts élevés, il ordonna aux demandeurs de payer 83,3 % des frais et dépenses juridiques de l’Espagne (para. 403 à 405).
L’opinion divergente de Kaj Hobér : pas d’attente de stabilité pour les investissements dans l’hydroélectrique
Dans son opinion divergente quant au fond, Kaj Hobér considérait que les modifications radicales et fondamentales apportées au régime réglementaire espagnol violaient les obligations du pays au titre de l’article 10(1) du TCE puisqu’elles étaient contraires aux attentes légitimes des investisseurs. L’arbitre à l’opinion divergente souligna que les attentes légitimes ne se résumaient pas à une garantie ou à une promesse (para. 10) ; selon lui, elles étaient plutôt créées, selon lui, par le cadre réglementaire espagnol et les représentations et déclarations des représentants officiels de l’Espagne, faisant référence à la certitude et à la stabilité du régime réglementaire (para. 16).
Remarques : le tribunal était composé de Jeswald W. Salacuse (président nommé par le Secrétaire général du CIRDI, des États-Unis), de Kaj Hobér (nommé par les demandeurs, de Suède) et de Zachary Douglas (nommé par le défendeur, d’Australie). La décision du 2 décembre 2019, y compris l’opinion divergente, est disponible sur https://www.italaw.com/cases/7791
Marios Tokas est un juriste en droit international basé à Genève. Il termine actuellement son Master en droit international auprès du Graduate Institute of International and Development Studies. Il détient un master en droit public international, et une licence en droit de l’Université d’Athènes. Il réalise actuellement un stage auprès de IISD, à Genève.
[1] En français, italique, dans le texte, n.d.l.t.