Comment recalibrer l’aide à l’ajustement commercial pour aider les travailleurs affectés par la libéralisation des échanges
Les États-Unis bloquent le programme d’aide à l’ajustement commercial (PAAC) depuis le 1er juillet 2022, laissant des milliers de travailleurs qui ont perdu leur emploi du fait de la libéralisation des échanges sans accès aux bénéfices du PAAC. Andreas Oeschger d’IISD discute de la manière d’améliorer le programme pour aider ceux que l’ouverture commerciale a lésé et pour garantir une libéralisation des échanges plus résiliente à l’avenir.
Introduction
L’ouverture au commerce international peut faire des « gagnants » et des « perdants » dans un pays donné. Cela n’est pas nouveau : dès 1941, les économistes Wolfgang Stolper et Paul Samuelson suggéraient que si un pays s’ouvrait au commerce, les gains en découlant pourraient être répartis de manière inégale au plan national. Un exemple marquant de cet effet dans la littérature est le « choc chinois » : suite à l’ascension de la Chine dans l’industrie manufacturière mondiale et à son accession à l’Organisation mondiale du commerce, 2 millions d’emplois, principalement occupés par des ouvriers peu qualifiés, ont été perdus entre 1999 et 2011 rien qu’aux États-Unis.
Afin d’atténuer les effets secondaires négatifs de la libéralisation des échanges pour ceux qui risquent d’en être désavantagés, des gouvernements tels que les États-Unis et l’Union européenne ont mis en place des programmes d’ajustement commercial comprenant diverses politiques ciblées du marché du travail ainsi que des politiques complémentaires. L’exemple le plus marquant, le programme d’aide à l’ajustement commercial des États-Unis (PAAC), a été mis en place par l’administration Kennedy en octobre 1962. Il a été mis à jour et prolongé plusieurs fois depuis, surtout en raison de sa clause d’extinction, qui met un terme au programme avant qu’il ne soit reconduit après une certaine période. Cependant, la dernière reconduction du PAAC a expiré le 1er juillet et la prochaine extension reste bloquée au Congrès, laissant des milliers de travailleurs sans accès aux prestations du PAAC et aux services de réemploi.
Bien que le blocage au Congrès ne soit pas le premier dans l’histoire du PAAC, il intervient à un moment critique, alors que le programme approche de son 60ème anniversaire en octobre et qu’il fait l’objet d’une attention croissante, son efficacité étant de plus en plus critiquée. Pour reprendre l’exemple du choc chinois, les chercheurs ont constaté que le PAAC ne couvrait que 6 % de l’aide accordée par l’État aux travailleurs licenciés en raison de la concurrence accrue des importations chinoises entre 1990 et 2007. Les chiffres du département du Travail des États-Unis (DOL) montrent également que sur les 88 001 travailleurs qui pouvaient prétendre au PAAC en 2019, seuls 32 % ont bénéficié de ses prestations et services, ce qui suggère un écart entre l’offre de services et les besoins. Mais cela signifie-t-il que le PAAC et les programmes d’ajustement commercial ciblés sont généralement inefficaces ?
Quels ont été les résultats du PAAC ?
En tant que pilier du libéralisme intégré de l’après-guerre, le PAAC avait des objectifs à la fois économiques et politiques. Il visait à permettre à ceux dont la situation s’était détériorée à la suite de la libéralisation des échanges de retrouver rapidement un emploi et d’être indemnisés pour leurs pertes, ainsi qu’à « acheter » l’opposition politique des travailleurs licenciés à une ouverture croissante du commerce. Certains chercheurs ont donc qualifié le modèle PAAC de contrat social du commerce : l’expansion de la libéralisation des échanges accompagnée d’un système d’indemnisation qui garantit que personne n’en souffre, comme un compromis politique pour conserver le soutien à une libéralisation plus poussée.
Si l’on s’intéresse aux objectifs économiques et que l’on ne considère que les travailleurs qui se sont effectivement inscrits au programme, le PAAC peut être considéré comme assez efficace.
Quelle a donc été la performance du PAAC dans la pratique ? Si l’on s’intéresse aux objectifs économiques et que l’on ne considère que les travailleurs qui se sont effectivement inscrits au programme, le PAAC peut être considéré comme assez efficace. Les données du DOL pour l’année 2019 montrent que le PAAC donne lieu à des chiffres de réemploi moyens de 76,8 % et à des pourcentages de remplacement du salaire de 90,5 % pour les travailleurs 12 mois après leur sortie du programme. Ces chiffres sont plutôt élevés par rapport à d’autres types de programmes de politique active du marché du travail qui, notamment dans d’autres pays développés, ne ciblent généralement pas uniquement les travailleurs affectés par les échanges, mais sont plus généraux et généreux, car ils font généralement partie de systèmes d’État providence plus larges, mais aussi plus coûteux.
En ce qui concerne les objectifs politiques, le PAAC semble être un succès dans la mesure où il semble réellement avoir une valeur d’assurance pour les travailleurs d’une manière qui affecte leurs attitudes vis-à-vis de la libéralisation des échanges. Ceci est démontré par des études antérieures qui ont trouvé moins d’appels au protectionnisme commercial dans les comtés ayant un nombre plus élevé de demandes fructueuses au titre du PAAC. De plus, la recherche a trouvé un petit lien entre l’allocation du PAAC aux comtés et le vote de leur représentant au Congrès sur les accords de libre-échange américains. Les comtés dont la proportion de demandes PAAC fructueuses est plus élevée ont également exprimé moins de mécontentement politique à l’égard de l’administration actuelle.
Alors, compte tenu de ces résultats plutôt positifs, pourquoi le PAAC est-il tombé dans le discrédit ? Les raisons de cette situation peuvent être résumées assez facilement : 1) une couverture très limitée due à un champ d’éligibilité restreint ainsi qu’à un processus d’inscription compliqué et parfois long, et 2) un grave manque de financement.
Pour devenir éligible, au moins trois employés à temps plein d’une même entreprise doivent soumettre une demande de PAAC ainsi que d’autres documents pour un certain nombre d’exigences supplémentaires qui doivent être vérifiées et certifiées par le DOL. Plus précisément, selon la dernière mise à jour du PAAC, les demandeurs doivent apporter la preuve qu’ils sont/étaient des travailleurs de l’industrie manufacturière et qu’ils ont perdu leur emploi en raison du déclin de la production et/ou de la baisse des ventes de leur entreprise (ou d’un producteur en aval) en raison de la hausse des importations ou de l’externalisation vers un nombre limité de pays. Si ces lourdeurs administratives ne dissuadent pas les travailleurs de déposer une demande, ils doivent alors attendre la réponse parfois plusieurs mois, période pendant laquelle ils ne reçoivent aucune aide ni garantie de la part du PAAC.
Le financement du PAAC est notoirement faible.
Deuxièmement, le financement du PAAC est notoirement faible, ce qui signifie que l’argent que les participants peuvent obtenir des différentes composantes du programme est plafonné à de faibles niveaux. Un financement limité signifie également qu’il y a peu de possibilités d’étendre le programme. Les indemnités de réinstallation constituent un bon exemple de l’impact d’un financement limité. Les différentes réglementations et politiques des États-Unis rendent la relocalisation entre les régions et les États plutôt compliquée et coûteuse. Or, la limitation de la mobilité géographique de la main-d’œuvre entrave la flexibilité du marché du travail. Bien que le PAAC contienne une politique spécifique prévoyant une allocation de relocalisation, cette allocation est, dans la pratique, plafonnée à seulement 1 250 USD. Le fait que moins de 1 % des participants au PAAC aient fait une demande d’allocation de réinstallation suggère que les participants au PAAC considèrent qu’elle n’a que peu de valeur et qu’elle ne vaut pas la paperasserie.
Les résultats de ces défauts sont assez dramatiques, comme le note l’économiste du marché du travail Kevin Kolben :
- Ces échecs incitent les critiques du PAAC et des politiques d’adaptation de la main-d’œuvre à affirmer que les avantages ne compensent tout simplement pas les coûts et incitent également les sceptiques du commerce à faire valoir que le protectionnisme pourrait tout simplement être une meilleure solution que de risquer de passer à un nouvel emploi qui pourrait au final ne pas être aussi bien rémunéré ou qui pourrait amener un travailleur à se trouver dans un endroit où il ne veut pas être.
Il s’agit là d’une conclusion importante, car les coûts du protectionnisme se sont avérés beaucoup plus élevés que ceux du PAAC. Cela s’explique, entre autres, par le fait que ce sont les consommateurs et les partenaires commerciaux des États-Unis qui supportent les coûts du protectionnisme.
Comment améliorer l’aide à l’ajustement du commerce ?
Que peut-on faire pour repenser et améliorer le PAAC alors qu’il reste bloqué au Congrès ? Pour répondre à cette question, il est utile de comparer le PAAC au Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), l’équivalent européen du PAAC. Le FEM présentait les mêmes défauts de conception que le PAAC : une faible couverture due à un champ d’éligibilité restreint pour les travailleurs affectés par le commerce, des problèmes dans le traitement des demandes et un financement limité. Le FEM a été remanié en 2021, lors de son dernier renouvellement, sur la base de conclusions qui ont mis en évidence les limites à son efficacité. Surtout, la procédure de demande a été modifiée afin d’améliorer et d’accélérer le traitement et l’allocation des fonds (par exemple, en réduisant les formalités administratives), et le champ d’application a été considérablement élargi en incluant les « restructurations inattendues de grande ampleur » non liées au commerce, tels que la numérisation et l’automatisation, la transition vers une économie à faible intensité de carbone, etc. Il avait été difficile de distinguer ces facteurs des facteurs liés uniquement au commerce, même s’ils sont souvent étroitement liés et touchent habituellement les mêmes groupes socio-économiques de travailleurs. Enfin, le financement a été considérablement augmenté. Bien qu’il n’existe pas encore d’études ou de statistiques sur l’efficacité de la réforme du FEM menée en 2021, l’on s’attend à ce que les résultats s’améliorent considérablement parce que la réforme a abordé les principales critiques concernant le FEM, qui restent sans réponse pour le PAAC.
Si le PAAC présente des défauts inhérents, ceux-ci pourraient être résolus ou améliorés si la volonté politique était suffisante.
Cette comparaison montre que si le PAAC présente des défauts inhérents, ceux-ci pourraient être résolus ou améliorés si la volonté politique était suffisante. Certains membres du Congrès ont appelé à élargir le PAAC. Toutefois, tant que les perdants commerciaux aux États-Unis percevront le protectionnisme (favorisé par les républicains) comme un substitut au PAAC (favorisé par les démocrates), il est peu probable que la portée et le format du programme ne changent, à moins qu’il ne devienne une question bipartisane. L’histoire montre que le PAAC peut être bipartisan, par exemple, lorsque l’administration Bush, de concert avec les partisans du libre-échange au Congrès, a convaincu l’opposition de reconduire la loi de promotion du commerce il y a près de 20 ans en augmentant la taille du PAAC et en offrant une assurance salariale aux travailleurs âgés déplacés à cause des échanges.
Le PAAC et les programmes d’ajustement commercial ciblés méritent généralement l’attention des décideurs politiques, des universitaires et du public. La création d’une politique spécifique pour les travailleurs affectés par les échanges envoie un engagement clair, formel et crédible aux perdants du commerce qu’ils n’ont pas été oubliés par l’élite politique. Puisque la concurrence des importations devrait s’intensifier à long terme, en particulier dans le secteur des services, il est également utile d’examiner de plus près ceux qui pourraient être les perdants de la libéralisation des échanges. Compte tenu que la libéralisation des échanges est un peu plus « prévisible » que d’autres formes de changement économique, comme la crise financière de 2008, et que la poursuite de l’ouverture économique et les concessions tarifaires sont soumises à la planification du gouvernement, il y a là des opportunités, explicitement liées à la libéralisation des échanges, pour les décideurs politiques. Certains chercheurs ont par exemple suggéré d’inclure des dispositions relatives à l’ajustement commercial dans les accords commerciaux préférentiels qu’un pays négocie comme un engagement crédible ex ante. Le principal argument en faveur de cette proposition est que les politiques nationales d’ajustement peuvent être considérées comme un moyen d’assurance pour les partenaires commerciaux contre une « défection involontaire » des concessions tarifaires offertes par l’autre partie dans le cadre d’un accord commercial préférentiel et pourraient ainsi être présentées comme des « sauvegardes » dans les sections réglementant les conditions ou l’utilisation des recours commerciaux.
Le PAAC et les programmes d’ajustement commercial ciblés méritent généralement l’attention des décideurs politiques, des universitaires et du public.
Même si ces suggestions sont peut-être un peu trop ambitieuses, car elles visent principalement un public national pour lequel d’autres formes d’engagements crédibles au niveau unilatéral sont plus réalisables, elles vont dans la bonne direction, car il faut accorder plus d’attention à l’impact national sur les perdants potentiels qui accompagne la promulgation de nouveaux accords commerciaux avec d’autres économies. L’une des solutions pourrait consister à inclure des scénarios possibles concernant le marché du travail dans des évaluations d’impact ex ante spécifiques avant d’entamer des négociations ou de conclure de nouveaux accords commerciaux. Cela permettrait d’identifier les tensions éventuelles sur le marché du travail et les impacts sur les perdants du commerce avant qu’ils ne deviennent une réalité. Cela pourrait même donner suffisamment de temps pour mettre en place des mesures préventives au lieu de s’appuyer sur des politiques ex post plus coûteuses qui n’entrent en vigueur que tardivement, c’est-à-dire lorsque le mal est déjà fait. Comme le montre l’exemple de l’accession de la Chine à l’OMC, qui a causé des dommages concentrés à certaines industries en concurrence avec les importations, ce qui a conduit à une polarisation politique accrue, penser à ceux qui pourraient être affectés par la libéralisation des échanges de manière plus proactive et à l’avance aurait vraiment pu changer la donne.
Andreas Oeschger est un analyste politique junior dans les échanges durables à IISD. Cet article est partiellement fondé sur sa thèse, Revisiting Trade Adjustment Programmes: The Effectiveness of General and Targeted Approaches (Graduate Institute de Genève, 2022).
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